Génie du christianisme/Partie 2/Livre 2/Chapitre I

Garnier Frères (p. 161-162).

Chapitre I - Caractères naturels

Passons de cette revue générale des épopées aux détails des compositions poétiques. Avant d’examiner les caractères sociaux, tels que ceux du prêtre et du guerrier, considérons les caractères naturels, tels que ceux de l’époux, du père, de la mère, etc., et partons d’abord d’un principe incontestable.

Le christianisme est une religion pour ainsi dire double : s’il s’occupe de la nature de l’être intellectuel, il s’occupe aussi de notre propre nature ; il fait marcher de front les mystères de la Divinité et les mystères du cœur humain : en dévoilant le véritable Dieu, il dévoile le véritable homme.

Une telle religion doit être plus favorable à la peinture des caractères qu’un culte qui n’entre point dans le secret des passions. La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevait aucun secours du polythéisme ; la morale était séparée de la mythologie [NOTE 12]. Un dieu montait sur son char, un prêtre offrait un sacrifice ; mais ni le dieu ni le prêtre n’enseignaient ce que c’est que l’homme, d’où il vient, où il va, quels sont ses penchants, ses vices, ses fins dans cette vie, ses fins dans l’autre.

Dans le christianisme, au contraire, la religion et la morale sont une seule et même chose. L’Ecriture nous apprend notre origine, nous instruit de notre nature ; les mystères chrétiens nous regardent : c’est nous qu’on voit de toutes parts ; c’est pour nous que le Fils de Dieu s’est immolé. Depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ, depuis les Apôtres jusqu’aux derniers Pères de l’Église, tout offre le tableau de l’homme intérieur, tout tend à dissiper la nuit qui le couvre ; et c’est un des caractères distinctifs du christianisme d’avoir toujours mêlé l’homme à Dieu, tandis que les fausses religions ont séparé le Créateur de la créature.

Voilà donc un avantage incalculable, que les poètes auraient du remarquer dans la religion chrétienne, au lieu de s’obstiner à la décrier. Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous essayerons de le montrer dans la suite, elle a de plus une partie dramatique et morale que le polythéisme n’avait pas.

Appuyons cette vérité sur des exemples ; faisons des rapprochements qui servent à nous attacher à la religion de nos pères par les charmes du plus divin de tous les arts.

Nous commencerons l’étude des caractères naturels par celui des époux, et nous opposerons à l’amour conjugal d’Eve et d’Adam l’amour conjugal d’Ulysse et de Pénélope. On ne nous accusera pas de choisir exprès des sujets médiocres dans l’antiquité pour faire briller les sujets chrétiens.