Génie du christianisme/Partie 1/Livre 5/Chapitre III


CHAPITRE III.

Organisation des Animaux et des Plantes.



Descendons de ces notions générales à des idées particulières ; voyons si nous pouvons découvrir dans les parties de l’ouvrage cette même sagesse si bien exprimée dans le tout. Nous nous servirons d’abord du témoignage d’une classe d’hommes que les sciences et l’humanité réclament également ; nous voulons parler des médecins.

Le docteur Nieuwentyt, dans son Traité de l’Existence de Dieu[1], s’est attaché à démontrer la réalité des causes finales. Sans le suivre dans toutes ses observations, nous nous contenterons d’en rapporter quelques-unes.

En parlant des quatre éléments, qu’il considère dans leurs harmonies avec l’homme et la création en général, il fait voir, par rapport à l’air, comment nos corps sont miraculeusement conservés sous une colonne atmosphérique égale dans sa pression à un poids de vingt mille livres. Il prouve qu’une seule qualité changée, soit en raréfaction, soit en densité, dans l’élément qu’on respire, suffiroit pour détruire les êtres vivants. C’est l’air qui fait monter les fumées, c’est l’air qui retient les liquides dans les vaisseaux ; par ses mouvements il épure les cieux et porte aux continents les nuages de la mer.

Nieuwentyt démontre ensuite la nécessité de l’eau par une foule d’expériences. Qui n’admireroit le prodige de cet élément en ascension, contre les lois de la pesanteur, dans un élément plus léger que lui, afin de nous donner les pluies et les rosées ? La disposition des montagnes pour faire circuler les fleuves, la topographie de ces montagnes dans les îles et sur les continents, les ouvertures des golfes, des baies, des méditerranées, les innombrables utilités des mers, rien n’échappe à la sagacité de ce bon et savant homme. C’est de la même manière qu’il découvre l’excellence de la terre comme élément et ses belles lois comme planète. Il décrit les avantages du feu et le secours qu’en a su tirer l’industrie humaine[2].

Quand il passe aux animaux, il observe que ceux que nous appelons domestiques naissent précisément avec le degré d’instinct nécessaire pour s’apprivoiser, tandis que les animaux inutiles à l’homme retiennent toujours leur naturel sauvage. Est-ce donc le hasard qui inspire aux bêtes douces et utiles la résolution de vivre en société au milieu de nos champs, et aux bêtes malfaisantes celle d’errer solitaires dans les lieux infréquentés ? Pourquoi ne voit-on pas des troupeaux de tigres conduits au son d’une musette par un pasteur ? Et pourquoi les lions ne se jouent-ils pas dans nos parcs parmi le thym et la rosée, comme ces légers animaux chantés par Jean La Fontaine ? Ces animaux féroces n’ont jamais pu servir qu’à traîner le char de quelque triomphateur aussi cruel qu’eux, ou à dévorer des chrétiens dans un amphithéâtre[3] : les tigres ne se civilisent pas à l’école des hommes, mais les hommes se font quelquefois sauvages à l’école des tigres.

Les oiseaux ne présentent pas à notre naturaliste un sujet d’observation moins intéressant. Leurs ailes, convexes en dessus et creusées en dessous, sont des rames parfaitement taillées pour l’élément qu’elles doivent fendre. Le roitelet, qui se plaît dans ces haies de ronces et d’arbousiers qui sont pour lui de grandes solitudes, est pourvu d’une double paupière, afin de préserver ses yeux de tout accident. Mais, admirables fins de la nature ! cette paupière est transparente, et le chantre des chaumières peut abaisser ce voile diaphane sans être privé de la vue. La Providence n’a pas voulu qu’il s’égarât en portant une goutte d’eau ou le grain de mil à son nid, et qu’il y eût sous le buisson une petite famille qui se plaignît d’elle.

Et quels ingénieux ressorts font mouvoir les pieds de l’oiseau ! Ce n’est point par un jeu de muscles que détermine sa volonté qu’il se tient ferme sur la branche : son pied est construit de sorte que lorsqu’il vient à être pressé dans le centre ou le talon, les doigts se referment naturellement sur le corps qui le presse[4]. Il résulte de ce mécanisme que les serres de l’oiseau se collent plus ou moins à l’objet sur lequel il repose, en raison des mouvements plus ou moins rapides de cet objet : car, dans le balancement du rameau, ou c’est le rameau qui repousse le pied, ou c’est le pied qui repousse le rameau : ce qui dans les deux cas oblige les doigts du volatile à se contracter plus fortement. Ainsi, quand nous voyons à l’entrée de la nuit, pendant l’hiver, des corbeaux perchés sur la cime dépouillée de quelque chêne, nous supposons que toujours veillants, attentifs, ils ne se maintiennent qu’avec des fatigues inouïes au milieu des tourbillons et des nuages ; et cependant, insouciants du péril et appelant la tempête, tous les vents leur apportent le sommeil : l’aquilon les attache lui-même à la branche d’où nous croyons qu’il va les précipiter, et, comme de vieux nochers de qui la couche mobile est suspendue aux mâts agités d’un vaisseau, plus ils sont bercés par les orages, plus ils dorment profondément.

Quant à l’organisation des poissons, leur seule existence dans l’élément de l’eau, le changement relatif de leur pesanteur, changement par lequel ils flottent dans une eau plus légère comme dans une eau plus pesante, et descendent de la surface de l’abîme au plus profond de ses gouffres, sont des miracles perpétuels ; vraie machine hydrostatique, le poisson fait voir mille phénomènes au moyen d’une simple vessie, qu’il vide ou remplit d’air à volonté.

Les prodiges de la floraison dans les plantes, l’usage des feuilles et des racines, sont examinés curieusement par Nieuwentyt. Il fait cette belle observation, que les semences des plantes sont tellement disposées par leurs figures et leurs poids, qu’elles tombent toujours sur le sol dans la position où elles doivent germer.

Or, si tout étoit le produit du hasard, les causes finales ne seroient-elles pas quelquefois altérées ? Pourquoi n’y auroit-il pas des poissons qui manqueroient de la vessie qui les fait flotter ? Et pourquoi l’aiglon, qui n’a pas encore besoin d’armes, ne briseroit-il pas la coquille de son berceau avec le bec d’une colombe ? Jamais une méprise, jamais un accident de cette espèce dans l’aveugle nature ! De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points ? Voilà une étrange fortune ! nous soupçonnons qu’avant de tirer les mondes de l’urne de l’éternité, elle a secrètement arrangé les SORTS.

Cependant, il y a des monstres dans la nature, et ces monstres ne sont que des êtres privés de quelques-unes de leurs causes finales. Il est digne de remarque que ces êtres nous font horreur : tant l’instinct de Dieu est fort chez les hommes ! tant ils sont effrayés aussitôt qu’ils n’aperçoivent pas la marque de l’intelligence suprême ! On a voulu faire naître de ces désordres une objection contre la Providence : nous les regardons, au contraire, comme une preuve manifeste de cette même Providence. Il nous semble que Dieu a permis les productions de la matière pour nous apprendre ce que c’est que la création sans lui : c’est l’ombre qui fait ressortir la lumière ; c’est un échantillon de ces lois du hasard qui selon les athées doivent avoir enfanté l’univers.

  1. Dans tout ce que nous citons ici du traité de Nieuwentyt, nous avons pris la liberté de refondre et d’animer un peu son sujet. Le docteur est savant, sage, judicieux, mais sec. Nous avons aussi mêlé quelques observations aux siennes.
  2. La physique moderne pourra relever quelques erreurs ; mais les progrès de cette science, loin de renverser les causes finales, fournissent de nouvelles preuves de la bonté de la Providence.
  3. On connaît ce fameux cri de la populace romaine : Les chrétiens aux lions ! Voyez Tert., Apolog.
  4. On en peut faire l’essai sur un oiseau mort.