Génie du christianisme/Partie 1/Livre 4/Chapitre III

CHAPITRE III.

Astronomie.



On cherche dans l’histoire du firmament les secondes preuves de l’antiquité du monde et des erreurs de l’Écriture. Ainsi, les cieux, qui racontent la gloire du Très-Haut à tous les hommes, et dont le langage est entendu de tous les peuples[1], ne disent rien à l’incrédule. Heureusement ce ne sont pas les astres qui sont muets, ce sont les athées qui sont sourds.

L’astronomie doit sa naissance à des pasteurs. Dans les déserts de la création nouvelle, les premiers humains voyoient se jouer autour d’eux leurs familles et leurs troupeaux. Heureux jusqu’au fond de l’âme, une prévoyance inutile ne détruisoit point leur bonheur. Dans le départ des oiseaux de l’automne ils ne remarquoient point la fuite des années, et la chute des feuilles ne les avertissoit que du retour des frimas. Lorsque le coteau prochain avoit donné toutes ses herbes à leurs brebis, montés sur leurs chariots couverts de peaux, avec leurs fils et leurs épouses, ils alloient à travers les bois chercher quelque fleuve ignoré, où la fraîcheur des ombrages et la beauté des solitudes les invitoient à se fixer de nouveau.

Mais il falloit une boussole pour se conduire dans ces forêts sans chemins et le long de ces fleuves sans navigateurs ; on se confia naturellement à la foi des étoiles, on se dirigea sur leurs cours. Législateurs et guides, ils réglèrent la tonte des brebis et les migrations lointaines. Chaque famille s’attacha aux pas d’une constellation ; chaque astre marchoit à la tête d’un troupeau. À mesure que les pasteurs se livroient à ces études, ils découvroient de nouvelles lois. En ce temps-là Dieu se plaisoit à dévoiler les routes du soleil aux habitants des cabanes, et la fable raconta qu’Apollon étoit descendu chez les bergers.

De petites colonnes de briques servoient à conserver le souvenir des observations : jamais plus grand empire n’eut une histoire plus simple. Avec le même instrument dont il avoit percé sa flûte, au pied du même autel où il avoit immolé le chevreau premier-né, le pâtre gravoit sur un rocher ses immortelles découvertes. Il plaçoit ailleurs d’autres témoins de cette pastorale astronomie ; il échangeoit d’annales avec le firmament ; et, de même qu’il avoit écrit les fastes des étoiles parmi ses troupeaux, il écrivoit les fastes de ses troupeaux parmi les étoiles. Le soleil, en voyageant, ne se reposa plus que dans les bergeries ; le taureau annonça par ses mugissements le passage du Père du jour, et le bélier l’attendit pour le saluer au nom de son maître. On vit au ciel des vierges, des enfants, des épis de blé, des instruments de labourage, des agneaux, et jusqu’au chien du berger ; la sphère entière devint comme une grande maison rustique habitée par le pasteur des hommes.

Ces beaux jours s’évanouirent ; les hommes en gardèrent une mémoire confuse dans ces histoires de l’âge d’or, où l’on trouve le règne des astres mêlé à celui des troupeaux. L’Inde est encore aujourd’hui astronome et pastorale, comme l’Égypte l’étoit autrefois. Cependant, avec la corruption naquit la propriété, et avec la propriété la mensuration, second âge de l’astronomie. Mais, par une destinée assez remarquable, ce furent encore les peuples les plus simples qui connurent le mieux le système céleste : le pasteur du Gange tomba dans des erreurs moins grossières que le savant d’Athènes ; on eût dit que la muse de l’astronomie avoit retenu un secret penchant pour les bergers, ses premières amours.

Durant les longues calamités qui accompagnèrent et qui suivirent la chute de l’empire romain, les sciences n’eurent d’autre retraite que le sanctuaire de cette Église qu’elles profanent aujourd’hui avec tant d’ingratitude. Recueillies dans le silence des cloîtres, elles durent leur salut à ces mêmes solitaires qu’elles affectent maintenant de mépriser. Un moine Bacon, un évêque Albert, un cardinal Cusa, ressuscitoient dans leurs veilles le génie d’Eudoxe, de Timocharis, d’Hipparque, de Ptolémée. Protégées par les papes, qui donnoient l’exemple aux rois, les sciences s’envolèrent enfin de ces lieux sacrés où la religion les avoit réchauffées sous ses ailes. L’astronomie renaît de toutes parts : Grégoire XIII réforme le calendrier ; Copernic rétablit le système du monde ; Tycho-Brahé, au haut de sa tour, rappelle la mémoire des antiques observateurs babyloniens ; Kepler détermine la forme des orbites planétaires. Mais Dieu confond encore l’orgueil de l’homme, en accordant aux jeux de l’innocence ce qu’il refuse aux recherches de la philosophie : des enfants découvrent le télescope. Galilée perfectionne l’instrument nouveau ; alors les chemins de l’immensité s’abrègent, le génie de l’homme abaisse la hauteur des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer.

Tant de découvertes en annonçoient de plus grandes encore, et l’on étoit trop près du sanctuaire de la nature pour qu’on fût longtemps sans y pénétrer. Il ne manquoit plus que des méthodes propres à décharger l’esprit des calculs énormes dont il étoit écrasé. Bientôt Descartes osa transporter au grand Tout les lois physiques de notre globe ; et, par un de ces traits de génie dont on compte à peine quatre ou cinq dans l’histoire, il força l’algèbre à s’unir à la géométrie, comme la parole à la pensée. Newton n’eut plus qu’à mettre à l’œuvre les matériaux que tant de mains lui avoient préparés, mais il le fit en artiste sublime ; et des divers plans sur lesquels il pouvoit relever l’édifice des globes, il choisit peut-être le dessein de Dieu. L’esprit connut l’ordre que l’œil admiroit ; les balances d’or, qu’Homère et l’Écriture donnent au souverain Arbitre, lui furent rendues ; la comète se soumit ; à travers l’immensité la planète attira la planète ; la mer sentit la pression de deux vastes vaisseaux qui flottent à des millions de lieues de sa surface ; depuis le soleil jusqu’au moindre atome, tout se maintint dans un admirable équilibre : il n’y eut plus que le cœur de l’homme qui manqua de contre-poids dans la nature.

Qui l’auroit pu penser ? le moment où l’on découvrit tant de nouvelles preuves de la grandeur et de la sagesse de la Providence fut celui-là même où l’on ferma davantage les yeux sur la lumière : non toutefois que ces hommes immortels, Copernic, Tycho-Brahé, Kepler, Leibnitz, Newton, fussent des athées ; mais leurs successeurs, par une fatalité inexplicable, s’imaginèrent tenir Dieu dans leurs creusets et dans leurs télescopes, parce qu’ils y voyoient quelques-uns des éléments sur lesquels l’Intelligence universelle a fondé les mondes. Lorsqu’on a été témoin des jours de notre révolution ; lorsqu’on songe que c’est à la vanité du savoir que nous devons presque tous nos malheurs, n’est-on pas tenté de croire que l’homme a été sur le point de périr de nouveau pour avoir porté une seconde fois la main sur le fruit de la science ? et que ceci nous soit matière de réflexion sur la faute originelle : les siècles savants ont toujours touché aux siècles de destruction.

Il nous semble pourtant bien infortuné, l’astronome qui passe les nuits à lire dans les astres sans y découvrir le nom de Dieu. Quoi ! dans des figures si variées, dans une si grande diversité de caractères, on ne peut trouver les lettres qui suffisent à son nom ! Le problème de la Divinité n’est-il point résolu dans le calcul mystérieux de tant de soleils ? une algèbre aussi brillante ne peut-elle servir à dégager la grande Inconnue ?

La première objection astronomique que l’on fait au système de Moïse se tire de la sphère céleste : « Comment le monde est-il si nouveau ! s’écrie-t-on. La seule composition de la sphère suppose des millions d’années. »

Aussi est-il vrai que l’astronomie est une des premières sciences que les hommes aient cultivées. M. Bailly prouve que les patriarches avant Noé connaissoient la période de six cents ans, l’année de 365 jours 5 heures 51 minutes 36 secondes ; enfin, qu’ils avaient nommé les six jours de la création d’après l’ordre planétaire[2]. Puisque les races primitives étoient déjà si savantes dans l’histoire du ciel, n’est-il pas très-probable que les temps écoulés depuis le déluge ont été plus que suffisants pour nous donner le système astronomique tel que nous l’avons aujourd’hui ? Il est impossible, d’ailleurs, de rien prononcer de certain sur le temps nécessaire au développement d’une science. Depuis Copernic jusqu’à Newton, l’astronomie a plus fait de progrès en moins d’un siècle qu’elle n’en avoit fait auparavant dans le cours de trois mille ans. On peut comparer les sciences à des régions coupées de plaines et de montagnes : on avance à grands pas dans les premières, mais quand on est parvenu au pied des secondes, on perd un temps infini à découvrir les sentiers et à franchir les sommets d’où l’on descend dans l’autre plaine. Il ne faut donc pas conclure que, puisque l’astronomie est restée quatre mille ans dans son âge moyen, elle a dû être des myriades de siècles dans son berceau : cela contredit tout ce qu’on sait de l’histoire et de la marche de l’esprit humain.

La seconde objection se déduit des époques historiques liées aux observations astronomiques des peuples, et en particulier de celles des Chaldéens et des Indiens.

Nous répondons, à l’égard des premières, qu’on sait que les sept cent vingt mille ans dont ils se vantoient se réduisent à mille neuf cent trois ans[3].

Quant aux observations des Indiens, celles qui sont appuyées sur des faits incontestables ne remontent qu’à l’an 3102 avant notre ère. Cette antiquité est sans doute fort grande, mais enfin elle rentre dans des bornes connues. C’est à cette époque que commence la quatrième jogue, ou âge indien. M. Bailly, en dépouillant les trois premiers âges et les réunissant au quatrième, démontre que toute la chronologie des brahmes se renferme dans un intervalle d’environ soixante-dix siècles[4], ce qui s’accorde parfaitement avec la chronologie des Septante. Il prouve jusqu’à l’évidence que les fastes des Égyptiens, des Chaldéens, des Chinois, des Perses, des Indiens, se rangent avec une exactitude singulière sous les époques de l’Écriture[5]. Nous citons d’autant plus volontiers M. Bailly, que ce savant est mort victime des principes que nous avons entrepris de combattre. Lorsque cet homme infortuné écrivoit, à propos d’Hypatia, jeune femme astronome, massacrée par les habitants d’Alexandrie, que les modernes épargnent au moins la vie, en déchirant la réputation, il ne se doutoit guère qu’il seroit lui-même une preuve lamentable de la fausseté de son assertion, et qu’il renouvelleroit l’histoire d’Hypatia !

Au reste, tous ces calculs infinis de générations et de siècles, que l’on retrouve chez plusieurs peuples, ont leur source dans une foiblesse naturelle au cœur humain. Les hommes, qui sentent en eux-mêmes un principe d’immortalité, sont comme tout honteux de la brièveté de leur existence ; il leur semble qu’en entassant tombeaux sur tombeaux ils cacheront ce vice capital de leur nature, qui est de durer peu, et qu’en ajoutant du néant à du néant ils parviendront à faire une éternité. Mais ils se trahissent eux-mêmes, et découvrent ce qu’ils prétendent dérober ; car plus la pyramide funèbre est élevée, plus la statue vivante placée au sommet diminue, et la vie paroît encore bien plus petite quand l’énorme fantôme de la mort l’exhausse dans ses bras.


  1. Ps. XVIII, v. 1-3.
  2. Bail., Hist. de l’Astr. anc.
  3. Les tables de ces observations, faites à Babylone avant l’arrivée d’Alexandre, furent envoyées par Callisthène à Aristote. Voyez Bailly.
  4. Voyez la note IX, à la fin du volume.
  5. Bail., Astr. Ind. Discours préliminaire, part. XI, p. 126, etc.