Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Aperception ou apperception

Dictionnaire des sciences philosophiques
par une société de professeurs et de savants
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APERCEPTION ou APPERCEPTION (de ad et de percipere, percevoir intérieurement et pour soi). Leibniz est le premier qui ait introduit ce terme dans la langue philosophique, pour désigner la perception jointe à la conscience ou à la réflexion. Voici comment il définit lui—même ce mode de notre existence : « La perception, c’est l’état intérieur de la monade représentant les choses externes, et l’aperception est la connaissance réflexive de cet état intérieur, laquelle n’est point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. » De là résulte, comme Leibniz le reconnaît formellement, que l’aperception constitue l’essence même de la pensée, qui ne peut être conçue sans la conscience, comme la conscience n’existerait pas si elle n’enveloppait dans une même unité tous nos modes de représentation. Kant, dans sa Critique de la raison pure (Analyt. transcend., §§ 16 et 17), se sert du même terme sans rien changer à sa première signification. Selon lui, nos diverses représentations, les intuitions ou impressions diverses de notre sensibilité n’existeraient pas pour nous, sans un autre élément qui leur donne l’unité et en fait un objet de l’entendement. Or, cet élément que nous exprimons par ces deux mots je pense, c’est précisément l’aperception. « Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, car autrement quelque chose serait représenté en moi sans pouvoir être pensé, c’est-à-dire que la représentation serait impossible, ou du moins elle serait pour moi comme si elle n’existait pas » (ubi supra, traduction de M. Cousin dans sa Crit. de la phil. de Kant, t. I, p. 106). Mais le fait de l’aperception peut être considéré sous deux aspects : dans le moment où il s’exerce sur les éléments très—divers que nous fournit la sensibilité et les relie, en quelque sorte, par l’unité de conscience, il prend le nom d’aperception empirique ; quand on le considère isolément, abstraction faite de toute donnée étrangère, comme l’essence pure de la pensée et le fond commun des catégories, c’est l’aperception pure, ou l’unité primitive et synthétique de l’aperception, ou bien encore l’unité transcendentale de la conscience. Il y a cependant une énorme différence entre Kant et Leibniz, lorsqu’on les interroge, non plus sur le caractère actuel de l’aperception, mais sur son origine. Selon l’auteur de la monadologie ; tout mode intérieur, par conséquent la sensation et même ce que nous éprouvons dans l’évanouissement ou dans le sommeil, a une certaine vertu représentative, et porte le nom de perception. L’aperception n’appartient pas à une faculté spéciale, elle n’est que la perception elle-même arrivée à son état le plus parfait, éclairant à la fois, de la même lumière, le moi et les objets extérieurs. D’après le fondateur de la philosophie critique, l’aperception, complètement distincte de la sensibilité, est l’acte fondamental de la pensée et ne représente qu’elle-même, nous laissant dans l’ignorance la plus complète sur la réalité du moi et des objets extérieurs considérés comme des substances. Cette différence n’a rien d’arbitraire ; elle vient de ce que le premier des deux philosophes dont nous parlons s’est placé au point de vue métaphysique ou de l’absolu, et l’autre au point de vue psychologique. Pour M. Cousin, qui a voulu concilier les intérêts de la métaphysique avec ceux de la psychologie, l’aperception pure est la vue spontanée des choses, et à ce titre, elle est opposée à la connaissance réfléchie ou analytique. Dans cette dernière, les principes rationnels étant considérés par rapport au moi, et séparés de leur objet, ont par là même un caractère subjectif qui a donné lieu au scepticisme de Kant. Au contraire, dans l’aperception pure, la raison et la vérité, qui en sont les deux termes, restent intimement unies et se présentent sous la forme d’une affirmation pure, spontanée, irréfléchie, où l’esprit se repose avec une sécurité absolue. De cette manière, la vérité se trouve avec la raison enveloppée dans la conscience, et un fait psychologique devient la base de la science métaphysique. Maine de Biran appelle aussi la conscience : l’apperception immédiate interne.