Fragment de préface pour le traité du vide

Texte établi par Ernest HavetDezobry et E. Magdeleine (p. 511-522).


FRAGMENT D’UN TRAITÉ DU VIDE[1].

Le respect que l’on porte à l’antiquité est aujourd’hui à tel point, dans les matières où il doit avoir moins de force, que l’on se fait des oracles de toutes ses pensées, et des mystères[2] même de ses obscurités ; que l’on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril, et que le texte d’un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons.

Ce n’est pas que mon intention soit de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parce que l’on en fait trop. Je ne prétends pas bannir leur autorité pour relever le raisonnement tout seul, quoique l’on veuille établir leur autorité seule au préjudice du raisonnement…

Pour faire cette importante distinction[3] avec attention, il faut considérer que les unes dépendent seulement de la mémoire et sont purement historiques, n’ayant pour objet que de savoir ce que les auteurs ont écrit[4] ; les autres dépendent seulement du raisonnement, et sont entièrement dogmatiques, ayant pour objet de chercher et découvrir les vérités cachées. Celles de la première sorte sont bornées, autant que les livres dans lesquels elles sont contenues[5].

C’est suivant cette distinction qu’il faut régler différemment l’étendue de ce respect[6]. Le respect que l’on doit avoir pour…

Dans les matières où l’on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l’histoire[7], dans la géographie, dans la jurisprudence, dans les langues et surtout dans la théologie, et enfin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple, ou l’institution divine ou humaine, il faut nécessairement recourir à leurs livres, puisque tout ce que l’on en peut savoir y est contenu d’où il est évident que l’on peut en avoir la connaissance entière[8] et qu’il n’est pas possible d’y rien ajouter.

S’il s’agit de savoir qui fut le premier roi des Français ; en quel lieu les géographes placent le premier méridien ; quels mots sont usités dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature, quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ? Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu’ils nous en apprennent, puisqu’on ne veut savoir que ce qu’ils contiennent ? C’est l’autorité seule qui nous en peut éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c’est dans la théologie, parce qu’elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que pour donner la certitude entière des matières les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacrés (comme, pour montrer l’incertitude des choses les plus vrai semblables, il faut seulement faire voir qu’elles n’y sont pas comprises) ; parce que ses principes sont au-dessus de la nature et de la raison, et que, l’esprit de l’homme étant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir à ces hautes intelligences[9], s’il n’y est porté par une force toute- puissante et surnaturelle.

Il n’en est pas de même des sujets qui tombent sous le sens ou sous le raisonnement : l’autorité y est inutile ; la raison seule a lieu d’en connaître. Elles ont leurs droits séparés : l’une avait tantôt tout l’avantage ; ici l’autre règne à son tour. Mais comme les sujets de cette sorte sont proportionnés à la portée de l’esprit, il trouve une liberté tout entière de s’y étendre ; sa fécondité inépuisable produit continuellement, et ses inventions peuvent être tout en semble sans fin et sans interruption[10]

C’est ainsi que la géométrie, l’arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l’architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l’expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites[11]. Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés ; et nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues. Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu’encore que notre peine et notre temps nous fussent moins acquis que leurs travaux, séparés des nôtres[12], tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d’effet que chacun en particulier.

L’éclaircissement de cette différence doit nous faire plaindre l’aveuglement de ceux qui apportent la seule autorité pour preuve dans les matières physiques, au lieu du raisonnement ou des expériences ; et nous donner de l’horreur pour la malice des autres, qui emploient le raisonnement seul dans la théologie au lieu de l’autorité de l’écriture et des Pères[13]. Il faut relever le courage de ces gens timides qui n’osent rien inventer en physique, et confondre l’insolence de ces téméraires qui produisent des nouveautés en théologie. Cependant le malheur du siècle est tel, qu’on voit beaucoup d’opinions nouvelles en théologie, inconnues à toute l’antiquité, soutenues avec obstination et reçues avec applaudissement ; au lieu que celles qu’on produit dans la physique, quoi qu’en petit nombre, semblent devoir être convaincues de fausseté dès qu’elles choquent tant soit peu les opinions reçues[14] : comme si le respect qu’on a pour les anciens philosophes était de devoir, et que celui que l’on porte aux plus anciens des Pères était seulement de bienséance ! Je laisse aux personnes judicieuses à remarquer l’importance de cet abus qui pervertit l’ordre des sciences avec tant d’injustice ; et je crois qu’il y en aura peu qui ne souhaitent que cette…[15] s’applique à d’au tres matières, puisque les inventions nouvelles sont infailliblement des erreurs dans les matières que l’on profane impunément[16] ; et qu’elles sont absolument nécessaires pour la perfection de tant d’autres sujets incomparablement plus bas, que toutefois on n’oserait toucher.

Partageons avec plus de justice notre crédulité et notre défiance, et bornons ce respect que nous avons pour les anciens. Comme la raison le fait naître, elle doit aussi le mesurer[17] ; et considérons que, s’ils fussent demeurés dans cette retenue de n’oser rien ajouter aux connaissances qu’ils avaient reçues, et que ceux de leur temps eussent fait la même difficulté de recevoir les nouveautés qu’ils leur offraient, ils se seraient privés eux-mêmes et leur postérité du fruit de leurs inventions. Comme ils ne se sont servis de celles qui leur avaient été laissées que comme de moyens pour en avoir de nouvelles, et que cette heureuse hardiesse leur avait ouvert le chemin aux grandes choses, nous devons prendre celles qu’ils nous ont acquises de la même sorte, et à leur exemple en faire les moyens et non pas la fin de notre étude, et ainsi tâcher de les surpasser en les imitant. Car qu’y a-t-il de plus injuste que de traiter nos anciens avec plus de retenue que n’ont fait ceux qui les ont précédés, et d’avoir pour eux ce respect inviolable qu’ils n’ont mérité de nous que parce qu’ils n’en ont pas eu un pareil[18] pour ceux qui ont eu sur eux le même avantage ?

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Les secrets de la nature sont cachés ; quoiqu’elle agisse toujours on ne découvre pas toujours ses effets : le temps les révèle d’âge en âge, et quoique toujours égale en elle même, elle n’est pas toujours également connue. Les expériences qui nous en donnent l’intelligence multiplient continuellement ; et, comme elles sont les seuls principes de la physique, les conséquences multiplient à proportion. C’est de cette façon que l’on peut aujourd’hui prendre d’autres sentiments et de nouvelles opinions sans mépriser […][19] et sans ingratitude, puisque les premières connaissances qu’ils nous ont données, ont servi de degrés aux nôtres, et que dans ces avantages nous leur sommes redevables de l’ascendant que nous avons sur eux ; parce que, s’étant élevés jusqu’à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut ; et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d’eux. C’est de là que nous pouvons découvrir des choses qu’il leur était impossible d’apercevoir. Notre vue a plus d’étendue, et, quoi qu’ils connussent aussi bien que nous tout ce qu’ils pouvaient remarquer de la nature, ils n’en connaissaient pas tant néanmoins, et nous voyons plus qu’eux.

Cependant il est étrange de quelle sorte on révère leurs sentiments. On fait un crime de les contredire et un attentat d’y ajouter, comme s’ils n’avaient plus laissé de vérités à connaître. N’est-ce pas là traiter indignement la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte[20]. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son pro grès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement ; de sorte que les hommes sont aujourd’hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s’ils pouvaient avoir vieilli jusqu’à pré sent, en ajoutant aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu leur acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la suc cession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme[21] qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes : car, comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés ? Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l’enfance des hommes proprement ; et comme nous avons joint à leurs connaissances l’expérience des siècles qui les ont suivis, c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres[22].

Ils doivent être admirés dans les conséquences qu’ils ont bien tirées du peu de principes qu’ils avaient, et ils doivent être excusés dans celles où ils ont plutôt manqué du bonheur de expérience que de la force du raisonnement.

Car n’étaient-ils pas excusables dans la pensée qu’ils ont eue pour la voie de lait[23], quand, la faiblesse de leurs yeux n’ayant pas encore reçu le secours de l’artifice, ils ont attribué cette couleur à une plus grande solidité en cette partie du ciel qui renvoie[24] la lumière avec plus de force[25] ? Mais ne serions- nous pas inexcusables de demeurer dans la même pensée, maintenant qu’aidés des avantages que nous donne la lunette d’approche, nous y avons découvert une infinité[26] de petites étoiles, dont la splendeur plus abondante nous a fait reconnaître quelle est la véritable cause de cette blancheur ?

N’avaient-ils pas aussi sujet de dire que tous les corps corruptibles étaient renfermés dans la sphère du ciel de la lune[27], lorsque durant le cours de tant de siècles ils n’avaient point encore remarqué de corruptions ni de générations hors de cet espace ? Mais ne devons-nous pas assurer le contraire, lorsque toute la terre a vu sensiblement des comètes s’enflammer[28] et disparaître bien loin au delà de cette sphère ?

C’est ainsi que, sur le sujet du vide, ils avaient droit de dire que la nature n’en souffrait point, parce que toutes leurs expériences leur avaient toujours fait remarquer qu’elle l’abhorrait et ne le pouvait souffrir[29]. Mais si les nouvelles expériences[30] leur avaient été connues, peut-être auraient-ils trouvé sujet d’affirmer ce qu’ils ont eu sujet de nier par là que le vide n’avait point encore paru. Aussi dans le jugement qu’ils ont fait que la nature ne souffrait point de vide, ils n’ont entendu parler de la nature qu’en l’état où ils la connaissaient ; puisque, pour le dire généralement, ce ne serait assez de l’avoir vu constamment en cent rencontres, ni en mille, ni en tout autre nombre, quelque grand qu’il soit ; puisque, s’il restait un seul cas à examiner, ce seul suffirait pour empêcher la définition générale, et si un seul était contraire, ce seul[31]… Car dans toutes les matières dont la preuve consiste en expériences et non en démonstrations, on ne peut faire aucune assertion universelle que par la générale énumération de toutes les parties et de tous les cas différents. C’est ainsi que quand nous disons que le diamant est le plus dur de tous les corps, nous entendons de tous les corps que nous connaissons, et nous ne pouvons ni ne devons y comprendre ceux que nous ne connaissons point ; et quand nous disons que l’or est le plus pesant de tous les corps, nous serions téméraires de comprendre dans cette proposition générale ceux qui ne sont point encore en notre connaissance, quoiqu’il ne soit pas impossible qu’ils soient en nature[32]. De même quand les anciens ont assuré que la nature ne souffrait point de vide, ils ont entendu qu’elle n’en souffrait point dans toutes les expériences qu’ils avaient vues, et ils n’auraient pu sans témérité y comprendre celles qui n’étaient pas en leur connaissance. Que si elles y eussent été, sans doute ils au raient tiré les mêmes conséquences que nous, et les auraient par leur aveu autorisées de cette antiquité dont on veut faire aujourd’hui l’unique principe des sciences.

C’est ainsi que, sans les contredire, nous pouvons assurer le contraire de ce qu’ils disaient, et, quelque force enfin qu’ait cette antiquité, la vérité doit toujours avoir l’avantage, quoique nouvellement découverte, puisqu’elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu’on en a eues[33], et que ce serait ignorer sa nature de s’imaginer qu’elle ait commencé d’être au temps qu’elle a commencé d’être connue[34].

  1. « Fragment... » Ce morceau forme le premier article de l’édition de Bossut, qui l’a publié le premier et l’a intitulé : De l’autorité en matière de philosophie.
  2. « Et des mystères. » Ce mot est ici dans toute sa force ; il ne signifie pas seulement des obscurités, mais des obscurités sacrées et vénérables.
  3. « Distinction. » La distinction entre les deux sortes de connaissances que l’homme peut poursuivre.
  4. « Ont écrit. « En réalité, je ne sais s’il y a beaucoup de sciences qui ne dépendent que de la mémoire, et qui n’aient pour objet que de savoir ce que des auteurs ont écrit. Il faut faire ici nos réserves.
  5. « Sont contenues. » Il faut suppléer pour le sens, sont bornées aussi. Cela est bientôt dit, mais, dans ces bornes même, quelle n’est pas l’effrayante étendue des sciences historiques ! quelle entreprise que de savoir tout ce qui est dans les livres, sans parler des autres monuments ! Le pendant de cette phrase est que les connaissances dogmatiques sont au contraire indéfinies ; c’est ce qui va être expliqué plus loin.
  6. « De ce respect. » Du respect pour les auteurs. Le respect pour les auteurs en matière purement historique (dans le sens où il entend ce mot) sera une soumission complète ; ailleurs ce ne sera qu’un simple et libre respect.
  7. « Dans l’histoire. » Pascal fait abstraction ici de la part de raisonnement et de critique qui doit entrer dans toutes les études dont il parle. Car il ne s’agit pas seulement en histoire de savoir ce qu’un auteur a dit, mais de savoir s’il a dit vrai, d’apprécier son témoignage en le contrôlant, non-seulement par d’autres témoignages, mais souvent même par la connaissance de la nature, soit physique, soit morale. Il s’agit encore de comprendre les faits, d’en saisir les rapports, les lois, l’esprit. Il est sûr pourtant qu’il faut toujours partir des témoignages transmis. Quand Pascal ajoute, surtout en théologie, ce surtout marque qu’il a bien senti que, pour les autres sciences, ce qu’il a dit n’est vrai qu’en gros et non à la rigueur ; cela lui suffit. Mais, même en théologie, n’y a-t-il pas une place pour le raisonnement, pour la critique des textes, pour l’appréciation des autorités ? — Ces remarques ont pour but d’éclaircir la pensée de Pascal plutôt que de la critiquer, car, au fond, elle demeure très-juste. S’il est vrai que les sciences qu’il appelle historiques ne sont pas purement historiques, et que le dogmatique se mêle partout, il est vrai aussi que, en tant qu’historiques, elles sont toutes dans les monuments ou les textes , et ne peuvent jamais les dépasser. C’est la doctrine qui s’y ajoute qui est seule susceptible de progrès.
  8. « La connaissance entière. » En supposant qu’on puisse avoir tout lu et tout compris.
  9. « Intelligences. » C’est-à-dire à ces hautes conceptions ; on n’emploie plus ce mot en ce sens.
  10. « Sans fin et sans interruption. » Quelle magnifique expression du travail et du progrès continu de la raison humaine ! Quelle différence de ce langage à celui du paragraphe 1er des Pensées !
  11. « Parfaites. » C’est-à-dire plus parfaites ; ce mot n’a ici qu’un sens relatif, car on n’atteint jamais la limite.
  12. « Des nôtres. » Grande concession, où se marque un respect profond pour Le génie des Grecs.
  13. « Et des Pères. » Ceci est un trait contre le probabilisme des Jésuites. Voir, danS les Pensées, xxiv, 41.
  14. « Les opinions reçues. » Il ne faut pas croire que Pascal entende parler des préjugés Théologiques qui opposaient aux inventions des physiciens, d’un Copernic ou d’un Galilée, par exemple, l’autorité de l’Ecriture. On a vu que Pascal n’est pas du tout favorable à la doctrine du mouvement de la terre. Il ne parle ici que de l’autorité des anciens philosophes , c’est-à-dire d’Aristote.
  15. « Que cette. » Cette liberté, cette fécondité d’invention ; on voit bien le sens.
  16. « Impunément. » C’est-à-dire dans les matières que traitent les casuistes.
  17. « Le mesurer. » Combien cet argument est ingénieux, et combien il est irrésistible ! Que peut-on répondre à cela ?
  18. « Un pareil. » Même remarque à faire qu’à la note précédente.
  19. « Sans mépriser. » Sans mépriser les opinions des anciens, leurs travaux, leur génie.
  20. « Occulte. » « Ils le font toujours, et jamais autrement, » dit ailleurs Pascal (XXV, 11, note).
  21. « Comme un même homme. » « Cette belle comparaison a été reproduite par Fontenelle dans sa Digression sur les anciens et les modernes. » Note de M. Faugère. — Fontenelle dit : « Un bon esprit cultivé est, pour ainsi dire , composé de tous les esprits des siècles précédents ; ce n’est qu’un même esprit, qui s’est cultivé pendant tout ce temps-là. Ainsi, cet homme, qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu’à présent, a eu son enfance, etc. » Lorsque Fontenelle publia sa Digression sur les anciens et les modernes, à la suite de ses Eglogues et de son Discours sur l’Eglogue (1688), le morceau de Pascal n’avait pas paru. Fontenelle avait-il eu l’occasion de le lire en manuscrit ? Mais soit que l’on compare tel ou tel passage, ou l’ensemble des deux écrits , quelle distance entre Pascal et Fontenelle ! Tout le bel esprit de l’académicien est froid, petit, sophistiqué même dans le vrai, et le présentant sous un jour faux. Ici, tout est lumière, chaleur, élévation, c’est la vérité dans sa splendeur. Cette plainte sur la raison indignement traitée et rabaissée jusqu’à l’instinct, cette vue large de l’action continuelle de la nature dans les espèces animales, ce mot sur l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité , cet homme universel , qui subsiste toujours et qui apprend continuellement, voilà des traits de Pascal. La grandeur des choses fait la grandeur de la phrase. Et la fin des deux écrivains ne diffère pas moins que leur style : l’un est un penseur qui veut faire reconnaître les droits de la raison humaine ; l’autre est un poète (puisque cela s’appelle ainsi) qui prétend prouver que la poésie de Théocrite et de Virgile n’est rien au prix de celle de ses Eglogues.
  22. « Dans les autres. » C’est une suite de conclusions toujours surprenantes et toujours inévitables. — Baillet dit, dans sa Vie de Descartes, VIII, 10, que, dans des fragments laissés par Descartes en manuscrit, on trouve ce passage : Non est quod anti’iuis mullum Iribuamus propler antiquilatem, sed nos polius iis antiquiores dicendi. Jam enim senior est inundus quain tune, majoremque habemtis rerum expirientiam. C’est absolument l’idée que Pascal a développée si magnifiquement.
  23. « La voie de lait, » La voie lactée. — « De l’artifice. » Nous dirions de l’art.
  24. « Qui renvoie. » Solidité qui renvoie.
  25. « Plus de force. » Aristote, Meteor., I, 8, parle en effet de physiciens qui attribuaient la blancheur lactée à la réflexion de la lumière du soleil renvoyée par les régions célestes. Lui-même combat cette opinion, mais l’explication qu’il donne du phénomène ne vaut pas mieux que celle qu’il condamne.
  26. « Une infinité. » Cf. Pensées, xxiv, 36, et les notes.
  27. « Du ciel de la lune. » Ou plutôt du cycle ou cercle de la lune. Voir le second chapitre du Περὶ ϰόσμου, faussement attribué à Aristote. On supposait, entre la terre et la grande sphère des étoiles fixes, un certain nombre de cercles sur chacun desquels tournait chaque planète : celui de la lune était le dernier et le plus rapproché de nous. Au-dessous s’étendait la région ignée où naissent et meurent les météores de toute espèce, parmi lesquels on confondait les comètes. Ibidem.
  28. « S’enflammer. » Tout en reconnaissant que les comètes se montrent bien au delà de la lune, Pascal parait les considérer lui-même comme des météores ou feux passagers, qui se produisent tout à coup et s’éteignent tout à coup aussi. Il semble ignorer que les comètes sont de véritables astres, dont l’existence est indépendante de leur apparition, et qui accomplissent leur révolution autour du soleil. C’est pourtant ce que de grands esprits avaient deviné déjà chez les anciens, comme on le voit par Aristote même qui combat leurs conjectures (Méteor., I, 6). Voir aussi la belle exposition du VIIe livre des Questions naturelles de Sénèque. — Du reste, cela n’empêche pas qu’il ne puisse y avoir partout, dans l’univers, production et destruction continuelle, ou, comme dit Pascal d’après les Grecs, génération et corruption (γένεσις ϰαὶ φθρά) ; et que les soleils mêmes et les étoiles ne s’enflamment ou ne s’éteignent en des points divers de l’espace et du temps. Voir le Cosmos, de M. de Humboldt, tome premier, page 88, de la traduction française.
  29. « Et ne le pouvait souffrir. » Voir les prolégomènes des Πνευματιϰά d’Héron d’Alexandrie. Les expériences de la succion, du siphon, etc., y sont expliquées par ce principe, qu’en aspirant l’air on fait un vide, et que ce vide étant contre nature παρὰ φύσιν et ne pouvant absolument subsister, le liquide s’élève aussitôt pour le remplir. Quant à la métaphore de l’horreur du vide, elle appartient, je pense, à la scolastique. Pascal lui-même avait adopté d’abord et le principe et la métaphore reçue : il eut peine à se détacher de cette croyance universelle du monde, comme il l’appelle quelque part. Il n’a donc pas de peine à excuser les anciens.
  30. « Expériences. » Voir le Récit de l’expérience du Puy-de-Dôme, publié par Pascal en 1648, et ses traités posthumes de l’Equilibre des liqueurs et de la Pesanteur de l’air.
  31. « Ce seul. » Ce seul suffirait pour faire rejeter cette définition.
  32. « En nature, » En effet, nous connaissons maintenant le platine, qui est plus pesant que l’or.
  33. « Qu’on en a eues. » Admirablement dit ; ce sont de ces mots qui portent avec eux la lumière.
  34. « D’être connue. » Il importe de faire observer, en finissant nos remarques sur ce morceau , que le vide sensible des physiciens pourrait n’être pas un vide réel. Le vide du corps de pompe et du baromètre est un vide sensible ; les expériences le manifestent clairement, et font voir que les anciens se trompaient quand ils croyaient ce vide impossible, et quand ils s’imaginaient que la nature en a horreur, et qu’elle fait monter l’eau dans les pompes pour l’éviter. Mais cet espace, où nos sens ne perçoivent aucun corps résistant et pondérable, ne pourrait-il pas cependant être rempli par une matière plus subtile, telle que celle qui parait produire la lumière ? C’est ce que les expériences ne décident pas. Il y a, en outre, la question du vide considéré dans la composition même et la contexture de la matière, question de métaphysique plutôt que de physique, qui porte sur l’essence de la matièreelle-même. C’est celle que tranchait la philosophie cartésienne quand elle soutenait, malgré le mouvement et toutes les autres apparences, qu’il n’y a pas de vide dans la nature, et que tout est plein. Pascal n’a pas touché à cette question , et nous n’avons pas à nous y engager ici.