FRÉRON
ou
L’ILLUSTRE CRITIQUE



I


VOYAGE À QUIMPER.

Je me trouvais à Quimper au mois de mai dernier ; c’est là que le souvenir de Fréron vint me frapper tout à coup. Fréron est né à Quimper, en effet ; cela ne doit pas surprendre : il ne fallait rien moins qu’un Breton pour la tâche de résistance que représente l’Année littéraire. Depuis longtemps, je m’étais proposé d’étudier cet homme, autour de qui s’est fait tant de bruit et se sont agitées tant de passions ; ce projet me revint naturellement à l’esprit. Le deuxième jour de mon arrivée, je me rendis à la bibliothèque de Quimper et j’y demandai, sans croire beaucoup au succès de ma demande, les œuvres d’Élie-Catherine Fréron. Je savais l’indifférence de certaines villes de province pour leurs enfants. Eh bien, à ma surprise et à ma satisfaction, l’aide-bibliothécaire me conduisit devant une dizaine de rayons où s’étalait, en très-convenable état et à hauteur de main, la collection complète des trois cents volumes environ de l’Année littéraire.

Une fois à ce râtelier, j’y pris goût. J’étais comme bien des gens, je n’avais lu de Fréron que quelques numéros isolés. L’ensemble de son recueil, difficile à rencontrer, et la commodité où je me voyais de le consulter, gagnèrent pendant huit jours un habitué de plus à la bibliothèque de Quimper, qui dut m’en être reconnaissante. J’aime ces bibliothèques de province, calmes et propres comme des dortoirs de couvent, toutes parfumées de la bonne odeur des boiseries et des reliures, à peine hantées par quatre ou cinq lecteurs silencieux. Chaque matin, je m’installais dans celle-ci, par un clair soleil, seul à une table longue, à côté d’une écritoire en liège, ayant devant moi plusieurs tomes de mon auteur. D’abord un peu distrait, je m’enfonçais insensiblement dans les cercles de son enfer, m’arrêtant devant chaque damné, touchant du doigt et réveillant des rancunes seulement assoupies. Je n’avais eu jusqu’alors qu’une pitié instinctive, presque secrète, pour Fréron, pour ce vaincu du dix-huitième siècle. En feuilletant son immense répertoire, j’arrivai peu à peu à la sympathie. Qu’on ne s’étonne donc pas si ces pages, commencées en Bretagne et finies à Paris, ont parfois les allures d’un plaidoyer. Jamais homme n’eut tant besoin d’être défendu, jamais écrivain ne mérita mieux de l’être.