Almanach du Père Peinard1894 (p. 15).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


FLORÉAL



Floréal, bourdonne la mouche : tout est à la joie : les fleurs font risette au soleil qui est maintenant à peine tiède. Les oiseaux cherchent femme, faisant des mamours aux femelles, et se fichent en ménage sans bénédiction du maire et du curé.

Bon sang, avec un temps pareil, le populo devient peut-être aussi heureux que les bestioles qui, sans souci, agitent la rosée du matin.

Il n’en sera rien, foutre !

C’est ici que les ratichons vont sortir de leurs usines à prières, se baladant à travers champs, et un pinceau à la main, aspergeant d’eau sale les récoltes en fleurs. C’est les rogations ! Quand la frocaille rappliquera, les oiseaux se cacheront, les bestioles tairont leur bec, les chouettes cligneront leur œil. Comment le populo pourrait-il être heureux tant qu’il endurera des horreurs pareilles ? Pas plus qu’aux paysans, Floréal n’amènera la joie aux prolos des villes : c’est à peine s’ils verront fleurir les pissenlits.

Mais voici qu’un matin les usines s’arrêteront de cracher du noir et on reluquera le bleu du ciel, débarbouillé de suie.

Qu’y aura-t-il donc d’épastrouillant ? Ce qu’il y aura ? C’est que le 1er Mai fera risette au populo. Et sans qu’on sache trop comment, un vent de rebiffe soufflera de partout.

Ce riche trimballement foutra la trouille aux richards : les pots-de-chambre, les guoguenots, les tinettes renchériront.

Pour parer à tous ces avaros, la gouvernance nous turlupinera avec des élections. Il s’agira, en province, de renouveler les collections municipales.

Un tas de bougres qui, sans ce dada, n’auraient songé qu’à étripailler les richards, feront des yeux de merlans frits aux Volières : ils nous serineront que la conquête des municipalités est un truc galbeux.

À cela, les paysans pourront répondre que c’est de la couille en bâtons : pour ce qui les regarde, y a une quinzaine d’années qu’ils ont fait cette garce de conquête et ils n’en sont pas plus bidards pour ça. Aujourd’hui, dans les campluches, les conseillers cipaux sont tous des bons bougres : les richards leur ont laissé cet os sans moelle à ronger.

Pour ne rien entendre de ce raisonnement, les conquétards colleront six kilos de ouate dans leurs plats à barbe. Ils auront leur plan, kif-kif Trochu ! S’ils en pincent tant que ça pour se percher dans les Volières, c’est qu’ils voient plus loin : c’est un grade ! Une fois accrochés là, y a mèche de grimper plus haut, de devenir bouffe-galette pour de vrai.

Les fistons à la redresse ne couperont pas dans un pareil pont : pour voter, ils iront s’affaler derrière une haie. Là, ils s’accroupiront, prendront leurs aises et poseront une belle pêche sur le nez des fleurs ; puis, sortant leur bulletin de vote, ils s’en torcheront proprement.

Et les baladeurs qui passeront sous le vent, en prenant plus avec leur tube qu’avec une pelle, concluront : « Décidément, Floréal ne fleure pas bon ! »