)
Boehme et Anderer (p. 120-121).



ANTOURA



Souvenirs d’autrefois, faut-il vous évoquer
Maintenant que mon cœur n’est ni joyeux ni triste ?
Noms amis de jadis, faut-il vous invoquer
Avec le doux attrait qui dans votre âme existe ?

Il fut un temps, amis, où vous m’étiez tout, tout !
Il fut un jour sombre où tu pleuras, jeune fille !
Il fut une heure où j’ai vu les saules debout
Pencher leurs cheveux verts sur l’eau qui dort et brille ;

Un temps où moi joyeuse où moi câline, enfant,
J’ai laissé mes cheveux flotter comme la brise,
Et trempé mes pieds nus dans le flot murmurant
Causant, riant très haut et sur un roc assise ;


Un temps quand, écolière, aux jours de grand congé,
J’ai voulu m’éloigner des autres jeunes filles,
Et sur les sables fins j’ai dormi, j’ai songé
À vos mystères flots, atomes et coquilles !

Temps rose, mauve, roux comme les papillons,
Temps qui pleurait, riait, souvenances jolies,
Verdure des matins et des soirs, doux sillons,
Rêve qui sur mon cœur blotti tu te replies !

Antoura ! c’est bien toi le souvenir aimé,
Toi le temps de jadis, fleurettes immortelles,
Toi la verdure tendre et le bois parfumé,
Toi le rire charmant et les heures trop belles…

… Tes nuits, tes nuits surtout m’ont éveillé le cœur,
Antoura, village humble et nid inoubliable ;
Tes soirs furent mon bien, l’obscurité ma sœur,
Fière et profonde sœur de mon âme insondable…