Fables originales/Livre IV/Fable 07

Edouard Dentu (p. 96-98).

FABLE VII.

Le Planteur de Choux


Un amant de l’égalité
Unie à la fraternité

De saint Fiacre était le très fervent disciple.
Pour lui, tailler, greffer, bêcher,
Prunier, pommier, vigne, pêcher,
Semblaient le bonheur indisciple.
En la saison où l’on plante les choux
Il retourna le sol à petits coups,
Le laboura, puis y sema la graine
Qui germa lentement, mais sans la moindre peine.
Les choux poussés, au début, tous égaux,
N’offrant à l’œil ni menus, ni plus gros,
Flattaient du jardinier le penchant politique ;
Ses choux, ses tendres choux vivaient en République !
Pas de peuple, de rois : des frères bien doués,
Sujets qu’un Washington n’eût pas désavoués.
À ses soins éclairés le jardinier rapporte
L’égale floraison. Il a prêté main-forte
En travaillant la terre et dessus et dessous,
Aux principes moraux qui les animent tous.
Leur éducation est donc bien son ouvrage ;
Il s’en loue à propos. L’on est fier au village.
Un mois modifia l’ensemble du carré.
Le champ républicain était transfiguré.
L’égalité n’est plus sa vertu dominante,
Au cœur des choux pommés l’égoïsme s’implante.
L’un veut friser la feuille et l’autre l’arrondir,
Celui-ci boit les sucs destinés à nourrir
Un frère malingreux qu’il fait jeûner de force ;
Celui-là, corpulent, à s’étaler s’efforce
Pour augmenter son poids, car Comice et Jury
Priment le phénomène et lui donnent le prix.

Enfin, pas un des choux à l’autre n’est semblable.
Le jardinier trouvait la chose inconcevable.
Vous aussi, j’en suis sûr, vous n’y comprenez rien.

Lorsqu’il se produit chez l’humain,
Ce résultat républicain
Demeure pour nous tous de même inexplicable.