Fables canadiennes/01/Le chameau et les dromadaires

C. Darveau (p. 10-12).

FABLE III

LE CHAMEAU ET LES DROMADAIRES

Au bord d’une oasis, parmi d’épaisses herbes
Qui faisaient oublier les sables du désert,
Un chameau, décoré de deux bosses superbes,
 Et qui passait pour fort disert
 Parmi ses frères de la Chine,
Avait rejoint, un jour qu’il se mourait d’ennui,
 Des êtres comme lui
 Affligés d’une ronde échine.

 
 Rien ne fait naître l’amitié
 Comme la solitude :
 On lui montra de la pitié
 Puis, avec promptitude,
 Sans attendre le lendemain,
On entra tour à tour au désert sans chemin.

 Or, le deuxième
 Riait jusqu’à se sentir mal
En regardant le dos du premier animal.
 Le troisième riait de même
 Des deux premiers qu’il trouvait peu mignons.
Et les autres, ma foi ! qui venaient à la suite
 Tenaient bien la même conduite
 À l’égard de leurs compagnons.
Mais le plus insolent c’était l’être aux deux bosses.

— J’aime mieux être seul et me perdre en héros
Que de marcher plus loin avec ces grands colosses
Qui menacent le ciel de leurs énormes dos,
 S’écria-t-il, branlant sa tête altière.

 Puis il s’éloigna, le hautain,
 Laissant la troupe entière
 Disparaître dans le lointain.


 Les défauts des autres nous troublent
 Et souvent nous nous en moquons ;
Or, les nôtres, peut-être, en nombre les redoublent
 Jamais nous ne les remarquons.