Fables/Le triomphe de l’Amour sur l’Enfance

Sujet du Ballet.

LE TRIOMPHE
DE L’AMOUR
SUR
L’ENFANCE.



L’Amour impatient de ce qu’un jeune cœur de grande eſperance, eſtoit poſſedé par l’Enfance trop long-temps, conſpire de l’arracher d’entre ſes bras : il emprunte le ſecours des Arts & des Sciences : & ſurprenant ce cœur dans un moment de reflexion extraordinaire, il le tranſporte dans ſon Palais, & luy en découvre toutes les beautez. La Gloire informée de cette aventure, vient à la queſte du cœur dérobé, dit qu’il luy eſt conſacré dés ſa naiſſance, & qu’il ne doit abandonner l’Enfance que pour elle. Mais les Sciences l’ayant raſſurée, elle conſent de laiſſer promener le jeune cœur dans le Palais de l’Amour, pourveu qu’il ſoit permis aux Vertus & à elle, de l’accompagner dans cette Promenade.


RECIT.


L’Enfance repreſentée par une Belle eſtant couronnée de Roſes, regrette le Cœur qu’elle a perdu.


Moy pour qui le repos, fut un treſor ſi cher,
Moy la Tranquilité profonde,
Moy qu’au milieu des maux, qui troublent tout le monde,

Les ennuis reſpectoient, & n’oſoient approcher.
Helas ! ie ſens enfin leurs plus vives atteintes,
Un Cœur, un jeune Cœur, qui fit tous mes plaiſirs,
S’arrache de mes bras, & mépriſe mes plaintes,
Coulez, coulez, mes pleurs, ſortez tous mes ſoûpirs.


Sur la Foy de ſes ans, dans un profond repos,

Ie m’attendois mal-gré l’envie
De jouyr pleinement d’une ſi belle vie,
Tant que la Loy du temps, m’en laiſſe les Dépoſts.
Mais helas ! les beaux Arts, les Vertus, la Science,
Les talens, les conſeils, & les naiſſans deſirs,
Tout l’enleve à mes yeux, tout l’arrache à l’Enfance.
Coulez, coulez, mes pleurs, ſortez tous mes ſoupirs.



I. ENTRE’E


L’amour & les graces témoignent leur joye, par une Dance fort enjoüée.


Pour l’Amour.


Eſt-il quelque mortel, apres cette Victoire,
Qui refuſe un Temple à ma Gloire,
Je renverſe les Loix, & des lieux, & des ans,
Souvent par ma toute-puiſſance,
Je change un Hyver en Printemps,
Puis délivrant un Cœur, des chaînes de l’Enfance,

Je ſçay comme il me plaiſt, confondre tous les temps.


Pour les Graces.


Graces qui mieux que vous, eſt en droit de pretendre
Au triomphe de ce grand Jour,
C’eſt vous qui ſoumettez tous les Cœurs à l’Amour,
C’eſt par vous qu’il les ſçait ſurprendre,
Sans vous ſon Nom ſeul feroit peur ;
Mais quand vous l’eſcortez, on ne peut ſe deffendre,
De ceder à voſtre douceur.


II. ENTRE’E.


La Beauté naiſſante accompagnée des Ieux & des Ris, s’appreſte à faire les honneurs du Palais de l’Amour.


Pour la Beauté naiſſante.


Viens goûter jeune Cœur, les plaiſirs innocens,
Qui te ſont offerts par mes charmes ;
N’en crains rien de cruel, ma Beauté n’a pour armes,
Que des jeux, des ſoſt-ris, & des attraits naiſſans.

Le Ciel nous fit pour vivre enſemble.
Et ſi tu conſultes tes yeux,
Tu trouveras que ie reſſemble
A ce que tes deſirs ont de plus precieux,
J’ay ta bouche, tes traits, ta grace naturelle,
Je ſuis aymable comme toy,
Et ſi prés de l’Amour tu voulois quelqu’employ,
Certaine Royale mortelle, Mademoiſelle,
Que ton beau Sang anime, & que tu trouves belle,
Eſt ſi ſouvent priſe pour moy,
Que tu peux me prendre pour elle.


III. ENTRE’E.


Les Sciences & les Arts ayant contribué à dérober le jeune Cœur aux oyſivetez l’Enfance, viennent ſe réjouyr de l’heureux ſuccez de l’entrepriſe.


Pour les Sciences & les Arts.


Un jeune cœur doit eſtre bien ſurpris,
De voir jouer ce perſonnage
A ce qu'il croyoit ſi ſauvage,
Et qui glace d'effroy tous les jeunes eſprits.
On voit par là les erreurs du jeune âge,

Et que tout ſert à l’Amour pour charmer,
Dans l’un c’eſt le ſçavoir, dans l’autre le courage ;
Mais quand de vous les deux on fait un aſſemblage,
On eſt nay pour tout vaincre, & pour tout enflâmer.


IV. ENTRE’E.


La Galanterie & les jeunes deſirs viennent pour donner des inſtructions au Cœur dérobé.


Pour la Galanterie.


Vainement voudrois-je entreprendre,
De donner à ce Cœur des advis ſuperflus,
Chez luy la Nature en ſçait plus,
Qu’à tous les autres cœurs l’Art n’en ſçauroit apprendre.


V. ENTRE’E.


La Gloire courant à la queſte du jeune Cœur, rencontre la Vertu.

DIALOGVE.


La Vertu.

Que fait la Gloire dans ces lieux,
A-t-elle chez l’Amour de ſecrettes affaires,


La Gloire.

Que faites-vous icy, favoritte des Dieux ?
Prenez-vous quelque part aux amoureux myſteres.


La Vertu.

Je guide un jeune Cœur qui ſe fût égaré,

Si l’Amour ſans mes ſoins avoit eu ſa conduite.


La Gloire.

Ce Cœur m’eſt par le Ciel, de tout temps preparé,
L’Amour veut me l’oſter, je cours à ſa pourſuite.


Tout ce qui eſtoit alors dans le Palais de l’Amour, accourant au bruit du Dialogue, l’Amour dit en s’addreſſant à la Gloire.


Gloire, qu’oſez-vous entreprendre
Contre l’effort de mes feux triomphãs,

L’hommage de deſirs que ce cœur vient me rendre,
N’eſt-il pas un Tribut, qu’on doit aux jeunes Ans.


La Gloire & la Vertu reprennent enſemble.

Ce Cœur eſt animé, par deux Royales Ames,
Qui ne rendent qu’à nous l’hommage de leurs vœux.


L’Amour replique.

Les naiſſantes ardeurs, des innocentes flammes,

N’ont jamais fait rougir aucune de vous deux.


Les Sciences & les Arts viennent pacifier le different.

Quoy qu’à ce cœur l’Amour propoſe,
Ne craignez rien pour luy, de la part des appas,
A quelque doux peril, où ſon âge l’expoſe,
Nous guiderons touſiours ſes Pas.


I’eſtois à cét endroit du Regale de l’Amour, à Monſeigneur le Dauphin, & ie me preparois à le ſuivre à quelque feu d’artifice, ſçachant bien qu’il en entre touſiours un peu dans toutes les Feſtes de l’Amour. Mais un ſoucy domeſtique m’ayant éveillée mal à propos, la ſeule realité qui me reſte d’une ſi belle illuſion ; C’eſt le vœu que ie faits d’eſtre toute ma vie.


LETTRE
ESCRITE
A MONSEIGNEVR
DE LYONNE,
Sur les Cabinets du Roy.


Il faut ſçavoir pour l’intelligence de cette Lettre, que ces Cabinets ſont lambriſſez de Miroirs, ſur leſquels ſont peints des Amours de diverſes Figures, en Miniature.


IL me ſemble, Monseignevr, qu’il y a long-temps que ie vous laiſſe en repos, vous ne me faites pas l’honneur de vous en appercevoir comme moy. Mais ie ne puis me reſoudre à l’oublier comme vous.

Permettez que je vous réveille,
Et que faiſant valoir prés de vous mon Employ,
J’oſe vous dire icy quatre mots à l’oreille

Sur les nouveaux Amours du Roy.
Vous pâliſſez à ce mot que ie croy,
Et connoiſſant la gent Poëtique,
Un nom ſi delicat de ſoy,
Fait trembler voſtre Politique.
Non, non, ne craignez rien de Phebus & de moy,
Je deteſte comme ie doy
La ſacrilege conjecture
Des Loix de mon devoir, ie connois la rigueur ;
Et ſi de quelqu’Amour, ie vous fais la peinture,
C’eſt d’un Amour de Miniature,
Et non pas d’un Amour du Cœur.

L’avez-vous veu ? ce nourriſſon des Graces,
Dans ces ingenieuſes Glaces,
Où l’Art nous le dépeint avecque tant d’attraits,
Fit-il jamais aux cœurs, plus douce violence ?
J’avois juré, de n’en parler jamais,
Et gens des mieux ſenſez, approuvoient mon ſilence ;
Mais il eſt mal-aisé de tenir ſon ſerment,
Quand on le voit dans cét Appartement,
Partout ailleurs, ſon abord eſt terrible,

Et ſon Nom ſeul alarme la pudeur,
Mais comment chez le Roy pourroit-il faire peur,
C’eſt ſous nos traits, que l’Art le rend viſible,
Quand on le voit, on ſe croit voir.
Peut-on trembler pour ſon devoir
Quand on ne veut qu’ajuſter ſa Coëffure,
Qu’examiner ſon Air, & ſa Parure,
Helas ! ce n’eſt pas de ce jour,
Que l’Amour ſçait aux Cœurs, joüer ce vilain tour.
Quand on a des attraits, qu’on veut plaire, & qu’on s’aime,

Souvent dans un Miroir ne cherchant que ſoy-meſme,
Sans y penſer, on y trouve l’Amour,
Il eſt facile d’enflâmer
Dame qui veut trop eſtre aimée,
Et le grand deſir de charmer
Devance de bien peu, l’heure d’eſtre charmée.

Mais ie ſens que la veine m’emporte au delà des bornes que ie m’eſtois preſcrites ; mon Genie tendre, pour qui les occaſions de l’égayer ſont devenuës rares, abuſeroit volontiers de la liberté que ie luy donne, il faut le faire rentrer dans ſon devoir, & ne plus parler que pour vous dire que ie ſuis.