Excursion dans la Grèce Orientale



EXCURSION
DANS
LA GRÈCE ORIENTALE.

Lettre à M. le Docteur Pariset.

Athènes, janvier 1839.

J’ai à vous rendre compte, mon cher docteur, d’un voyage que je viens de faire dans la Grèce orientale. J’ai salué le champ de Marathon, le défilé des Thermopyles, le théâtre de la bataille de Platée, et le golfe de Salamine, lieux où la liberté grecque lutta contre les satrapes d’Asie et leur résista glorieusement.

Nous sommes partis d’Athènes par un temps assez beau, mais nos amis ayant consulté, au lieu du vol des oiseaux ou des entrailles des victimes, la direction des vents et les vapeurs qui couvraient les montagnes, nous présagèrent, avec regret, que notre voyage ne serait peut-être pas aussi heureux que nous pouvions le croire. Nous montâmes nos chevaux de petite taille, mais de grande énergie. Nous eûmes d’abord quelque peine à les contenir, à les empêcher de caracoler comme des chevaux de parade ; ils avaient à faire une route de quinze journées, et nous devions les ménager. Ces pauvres bêtes, ayant entendu parler français, croyaient sans doute en être quittes à meilleur marché ; car c’est malheureusement l’ordinaire des gens de notre nation qui débarquent au Pirée, de venir à Athènes, de visiter ses ruines, puis de se rendre aux bords du Céphise et de l’Illissus, ce qui est l’affaire d’un ou deux jours. On en emploie un autre à aller au mont Pentélique. Le jour suivant, on va voir les ruches de l’Hymète, et goûter leur miel. Enfin on pousse jusqu’à Éleusis, ou jusqu’au cap Sunium, et l’on s’en retourne par le paquebot. Cela s’appelle avoir vu la Grèce. On cite un de ces touristes qui, parti pour le cap Sunium, n’est allé qu’à moitié chemin. Au retour, ces intrépides voyageurs écrivent de gros volumes sur la Grèce et sur les Grecs. Ils jugent des populations de l’intérieur par la population d’Athènes, qui est un ramassis de gens de toutes les nations, Anglais, Français, Italiens, Maltais, Levantins, etc. Comme il faut qu’ils parlent de la politique, ils ramassent les opinions de leurs domestiques de place, et vous les donnent comme des considérations qui méritent toute l’attention des cabinets de l’Europe.

Nous autres Français, nous ne faisons que commencer à voyager. Aussi, combien a-t-on vu de nos compatriotes arriver en Orient sans même s’être munis de la carte des contrées qu’ils allaient parcourir. Ils n’avaient certes pas oublié le manteau imperméable, le matelas à air qui se gonfle chaque soir et qu’on plie le matin ; ils avaient même emporté des romans pour lire les jours de pluie ; mais Hérodote, Diodore, Strabon, Thucydide, Homère ! tout cela sent trop le collége et l’étude. D’ailleurs, que va-t-on chercher au loin ? des impressions de voyage, et non pas de l’érudition, des sujets de paysage, et non pas des tableaux d’histoire. Il est fâcheux que notre pays, qui se croit avec raison si avancé, soit souvent si mal représenté au dehors.

Nos pauvres chevaux piaffant donc, pensant qu’ils allaient faire une promenade de santé, un voyage de trois à quatre heures, nous menèrent rondement à travers la plaine jusqu’à un village nommé Marouée. Là les nuages s’abattirent sur nous des sommets du Pentélique, et nous essuyâmes une de ces pluies fines, incessantes, qui vous percent jusqu’aux os. Nous comptions pouvoir gagner Oropo, l’ancienne Orope ; mais nous fûmes heureux d’arriver à un village nommé Marco-Poulo, à deux lieues en-deçà. Il était sept heures du soir ; nous venions de longer un torrent qui roule au fond d’un précipice ; nos guides avaient perdu la route ; l’obscurité était si grande, que nous étions obligés de nous en rapporter entièrement à nos chevaux, dont le pied glissait sur l’argile détrempée. Enfin nous entendîmes des chiens aboyer, et, sans nous en être aperçus, nous nous trouvâmes au milieu d’un village. Nous frappâmes à une porte ; mais on hésita long-temps avant d’ouvrir. Sans doute les braves habitans de cette maison qui, comme gardes nationaux, avaient coopéré la veille à l’arrestation de quatre bandits dont l’audace répandait la terreur dans le pays, croyaient, ou à la résurrection de deux des voleurs morts dans le combat, ou à l’apparition d’une nouvelle bande. Enfin on se décida. Nous nous fîmes indiquer la maison du dimarque (le maire), et nous allâmes nous y installer ; car c’est l’usage en Grèce, pays où il n’y a pas d’hôtelleries, de voyager avec un ordre du ministre, qui met en quelque sorte l’habitant des villes et des bourgs à votre disposition. On exhibe l’ordre ministériel, et le dimarque, si vous ne trouvez pas sa maison convenable, vous fait conduire chez un de ses administrés, où l’on vous reçoit par billet de logement. Mais quel logement ! grand Dieu ! Figurez-vous, mon cher docteur, une cahute dont les murailles ont deux mètres de hauteur, une toiture posée sur des branchages, ce qui laisse à l’air la faculté de pénétrer par les joints qui se trouvent entre les tuiles. D’un côté de la chaumière sont les animaux, et de l’autre les hommes. Un âtre est formé au milieu de la partie réservée pour la famille. On y allume de grands feux, et la fumée se répandant partout, car elle ne peut sortir que par les joints de la toiture, suffoque les voyageurs et leurs chevaux. On étale une natte sur la terre, voilà votre lit fait, et vous vous y précipitez sur-le-champ, car autrement la fumée vous asphyxierait. Bientôt arrive votre courrier, votre guide ; il a été à la recherche des provisions, et rapporte soit un dindon, soit un agneau qu’on fait rôtir tout entier, à l’aide d’un bâton en guise de broche ; cela s’appelle un rôti à la palicare, et ce serait très bon si l’animal était tué au moins de la veille. Après avoir mangé, bu le café, fumé la chibouque, le voyageur n’a rien de mieux à faire que de s’envelopper dans son caban et de tâcher de dormir, si les insectes le lui permettent. Vous comprenez que je ne parle ici que des premiers jours, car on finit par s’habituer à tout.

Il faut convenir qu’il serait difficile de trouver des gens s’accommodant mieux que les Grecs de ce dérangement occasionné par l’arrivée des voyageurs. Il y a, en cela, un souvenir du temps des Turcs, où toute demande était appuyée par le bâton. À peine a-t-on frappé à la porte d’une maison, que le ménage s’arrache au sommeil, femmes et hommes. On écarte du foyer les coussins et les couvertures, afin de mettre la natte qu’ils recouvraient à la disposition du voyageur ; on réunit le tout en un paquet, et la famille va demander asile au voisin. Cela se fait sans murmure, les yeux encore à moitié fermés. Les enfans pleurent, parce qu’ils ont été réveillés brutalement par les coups donnés à la porte, dont la chaumière a retenti, et aussi parce que cette affluence inaccoutumée leur fait peur. Les femmes les calment, les emportent, et l’on n’entend plus rien que le grognement du chien de la maison, un grand lévrier, qui n’a pas suivi ses maîtres, et qui s’est tapi dans un coin, comme s’il voulait surveiller les nouveau-venus. S’il n’est pas trop tard, la mère et les filles, après avoir opéré leur déménagement, reviennent aider les domestiques à faire le souper, et pendant le repas, elles restent debout, assez éloignées du foyer, tenant à la main un morceau de bois de pin enflammé qui jette une clarté rougeâtre dans toute la chaumière. Je vous jure que bien souvent, malgré l’appétit que j’éprouvais, je n’ai pu me défendre de donner une assez longue attention à ces scènes singulières qui ont quelque chose d’antique, et dans lesquelles de pauvres paysans paraissent encore donner l’hospitalité au nom de Jupiter. Ajoutez que ces femmes ont la tête enveloppée dans une pièce d’étoffe blanche, que leurs vêtemens sont blancs aussi, que parfois des ornemens d’argent s’entremêlent dans leur coiffure ; qu’enfin elles vous offrent des modèles assez exacts des costumes des femmes de l’antiquité.

Il y avait dans la maison où nous logeâmes le premier soir une pauvre malade pour laquelle nous fûmes consultés. La maladie paraissait s’être aggravée depuis le combat livré contre les bandits ; nous eûmes ainsi quelques détails. La bande se composait de quatre hommes. Depuis plus d’un an qu’elle exerçait ses brigandages, la force armée n’avait jamais pu la rejoindre, et les paysans se bornaient à bien fermer leurs portes le soir. Un jour, cependant, les brigands s’emparent d’un vieillard qui se rendait au village, et font savoir à sa famille qu’ils ne le relâcheront que moyennant une rançon assez considérable. La famille, ne pouvant payer toute la somme exigée, demanda qu’elle fût réduite. La réponse fut que, si l’argent n’était pas compté tel jour, à telle heure, les jours du malheureux vieillard seraient compromis. Alors le fils de la victime, poussé par le désespoir, réunit la population de Marco-Poulo. Il lui adressa une harangue pleine de chaleur. Les femmes furent émues, les hommes coururent à leurs fusils ; on partit au nombre de soixante ; on cerna un bois dans lequel les bandits devaient être ; on marcha en convergeant ; on les rencontra, prenant leur repas et ayant auprès d’eux le malheureux vieillard, pieds et poings liés. Les bandits, sommés de se rendre, répondirent par des coups de fusil ; les villageois ripostèrent. Le chef de la bande fut tué, deux de ses gens furent blessés, le quatrième se rendit ; on conduisit les trois prisonniers à Athènes ; mais un des blessés mourut dans le trajet : il ne resta donc, pour le glaive de la justice, que deux têtes à frapper. Ce fut, comme vous le pensez bien, un jour de fête pour les habitans de Marco-Poulo, et nous dûmes à cette circonstance de trouver encore des gens levés à l’heure où nous y arrivâmes.

Le lendemain, nous partîmes pour Chalcis ; mais la pluie qui continuait, et plus encore le débordement du fleuve Asopo, gonflé par les eaux tombées dans la Béotie, nous forcèrent de nous arrêter, après deux heures de marche, à ce même Oropo où nous comptions coucher la veille. Nous eûmes donc un retard de vingt-quatre heures ; car ce ne fut que le surlendemain de notre départ d’Athènes, que nous pûmes arriver à Chalcis. Chalcis est Négrepont, qui a repris son nom antique, de même que toutes les villes de la Grèce reconstituée.

On est étonné, en traversant le détroit qui sépare le continent de l’île de Négrepont, de voir de combien peu il s’en est fallu que cette île ne fût une presqu’île. Le bras de mer a cinquante mètres tout au plus de largeur. La profondeur de l’eau n’est pas, à la marée haute, de plus de deux mètres, et la longueur du canal présente un développement de cent cinquante mètres environ. On peut évaluer à cinquante ou soixante mille mètres cubes les matériaux qu’il faudrait pour combler le détroit et pour en faire un isthme. Ces calculs m’ont porté à me demander si Négrepont a toujours été une île, et si, dans une antiquité très reculée, les habitans de Chalcis n’ont pas creusé eux-mêmes la presqu’île, pour se mettre à l’abri des vexations des habitans de l’Attique ou de la Béotie ; s’ils n’ont pas, en un mot, voulu créer une de ces cortadures, comme vous en avez vu à Cadix, et comme il y en a une à Ceuta. Chalcis, d’après Strabon, remonte à une assez haute antiquité, et Homère dit qu’elle envoya quarante vaisseaux au siége de Troie. Le détroit, ou l’Euripe, présente, comme vous le savez, le phénomène singulier d’un flux et d’un reflux très irréguliers ; mais les courans alternatifs ne se font sentir que dans le détroit ; aux approches du détroit, cependant, et des deux côtés, on remarque sur les roches des altérations qui prouvent que le gonflement de la mer s’élève à deux ou trois pieds. Or, il est permis de conclure de là que les marées n’ont pas creusé le canal ; car il devait se passer, des deux côtés de l’isthme, ce qui se passe dans beaucoup d’autres golfes, c’est-à-dire que l’eau devait se gonfler légèrement à chaque flux, et une digue de cent cinquante mètres d’épaisseur, et d’une hauteur supérieure au plus haut degré d’élévation de la mer, était un obstacle plus que suffisant pour empêcher la communication. Mais il y a mieux : c’est que plus on rétrécirait le passage, plus le courant serait rapide, ou, en d’autres termes, plus la force d’évasion serait grande, et cela est démontré par le fait suivant, rapporté par Thucydide, 408 ans environ avant Jésus-Christ. Les habitans de Chalcis, ayant irrité les Athéniens, devenus maîtres de la mer, prièrent les Béotiens de les aider à combler le détroit, afin de gêner le mouvement des flottes de leurs ennemis. Les Béotiens y ayant consenti, on se mit à l’œuvre, on travailla des deux côtés ; mais, à mesure que le travail avançait et que la mer se trouvait plus resserrée, les courans augmentaient de vitesse ; et quand le canal n’eut plus que la largeur suffisante pour qu’un vaisseau y pût passer, les marées devinrent si violentes, qu’on fut obligé de suspendre le travail, d’élever sur chacun des deux môles une tour, et de les mettre en communication au moyen d’un pont-levis.

Cet état de choses paraît avoir duré long-temps ; car, au dire de Tite-Live, quand Sulpitius vint mettre le siége devant Chalcis avec une armée navale, il fut obligé de se retirer, tant à cause des vents impétueux qui se précipitaient des montagnes, qu’à cause des courans. Aujourd’hui, les courans ne présentent aucun inconvénient, soit dans le port au nord, soit dans le port au sud du détroit, et cela tient bien évidemment à ce qu’il y a une double passe et à ce que ces passes n’ont presque plus de profondeur. Les Vénitiens ont mieux compris, je crois, que les Grecs, le moyen de rendre le passage commode, les rades sûres et la défense de la ville facile. Ils ont détruit les deux môles antiques ; au lieu d’un seul canal, ils en ont fait deux, en élevant une haute tour au milieu du courant. Un pont en maçonnerie joint la tour à la terre-ferme, et un pont-levis permettait de passer de la tour dans l’île d’Eubée. C’était entre l’île et la tour que passaient les galères. La largeur du canal est de quatorze mètres ; le second canal, entre la tour et le continent, a la même largeur. Cela fait donc une surface d’écoulement de vingt-huit mètres, tandis que, du temps des anciens, elle ne devait guère être de plus de la moitié, puisque vous venez de voir qu’il n’y avait de libre que le passage d’un vaisseau ; or, si les ports sont sûrs maintenant, c’est à cette double surface d’écoulement qu’on doit nécessairement l’attribuer.

De ce qui précède, on pourrait à bon droit, je crois, tirer la conséquence que les courans n’ont pas creusé le détroit, puisque moins le détroit est large, plus les courans sont forts, car la profondeur du détroit se trouve augmentée. Or, si le courant avait commencé à creuser par en haut, il n’aurait eu, dans les premiers temps, action que sur la crête de l’isthme, et cela au plus haut de la marée, c’est-à-dire pendant un très court espace de temps et au moment du renversement du flux, qui est l’instant où les courans ont le moins de force.

Resterait une autre cause, un soulèvement de terrain, qui aurait eu pour conséquence un affaissement du sol dans l’isthme même ; mais la disposition du terrain, autant qu’une étude de quelques heures m’a permis d’en juger, n’autorise pas à faire cette supposition. Cependant Strabon, Thucydide, Hérodote, parlent de tremblemens de terre qui produisirent des inondations dans le golfe de l’Eubée ; 430 ans avant notre ère, une partie du territoire de la ville d’Orobes fut inondée ; les îles Lycades, à une autre époque, furent en partie détruites par un phénomène analogue. Mais si quelque tremblement de terre a eu une action sur la coupure de l’isthme, ce ne peut être qu’en refoulant les eaux avec une grande violence sur la jetée. Toujours est-il que c’est là un objet de recherche digne de fixer l’attention des voyageurs ; car, s’il est vrai, ainsi que je l’ai dit en commençant, que 60,000 mètres cubes de remblais suffiraient pour combler le détroit, 60,000 mètres cubes de déblais ont dû suffire pour le creuser, et ce ne serait pas là un travail au-dessus des forces d’une population de 6,000 ames seulement.

Je ne chercherai pas à vous expliquer, mon cher docteur, les causes de ces flux et reflux qui ont lieu jusqu’à quatorze fois en vingt-quatre heures, à certaines époques de la lune, et qui, à d’autres époques, n’ont lieu, comme toutes les autres marées, que quatre fois. De bien plus habiles gens que moi y ont perdu leur science. S’il fallait même en croire certains auteurs, Aristote se serait noyé de désespoir dans l’Euripe, en disant à la mer : Comprends-moi donc, puisque je ne peux te comprendre. Cette irrégularité dans le nombre des renversemens de marées au détroit de l’Euripe, avait fait comparer à ce détroit tout ce qui est sujet au changement. Ainsi, les anciens Grecs appelaient euripistos un homme d’une foi chancelante et inégale. Ils avaient donné le même nom à la fortune, pour marquer son inconstance ; enfin, ils avaient comparé les pensées de l’homme à l’Euripe, dont les ondes sont portées tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

La ville de Chalcis n’offre rien de remarquable, si l’on excepte ses fortifications, qui portent les armes de Venise et l’ancien écusson de France. Jamais les armées de l’insurrection grecque ne s’en emparèrent. Elle a été comprise dans le royaume hellénique, de même que l’île d’Eubée, par le traité qui a constitué la Grèce, traité qui a réservé aux Turcs, habitans ou propriétaires dans l’île, le droit et la facilité de vendre leurs terres et de se retirer ensuite en Turquie. Cinq cents musulmans habitent encore Chalcis, sous la protection des lois grecques. Peut-être se décideraient-ils à rester sujets du roi Othon ; mais un spectacle qui afflige leurs regards ne leur permettra sans doute pas de suivre leur penchant, et de séjourner long-temps dans ce pays qui les a vus naître : leurs mosquées, à l’exception d’une, ont toutes été changées en églises chrétiennes ; la croix domine les minarets, des cloches sont suspendues à leurs charpentes ; on lit l’Évangile là où se lisait le Coran ; des giaours entrent en souliers et en bottes dans le sanctuaire où le vrai croyant n’entrait qu’après avoir quitté ses babouches. C’est là quelque chose de plus poignant que de quitter la terre des aïeux ! et puis les Turcs pensent peut-être qu’ils sont punis par où ils ont péché ; car, à leur arrivée en Grèce, ils transformèrent toutes les églises en mosquées : le Dieu des chrétiens se logea ensuite comme il put. Il y a donc un contraste entre ce qui est et ce qui fut, et ce contraste, à l’avantage de la chrétienté, pousse le Turc à quitter un lieu où le reproche se manifeste incessamment.

Partis de Chalcis à neuf heures du matin, nous avons longé la mer de Négrepont dans sa partie appelée canal de Talanti, pendant cinq à six heures ; après avoir gravi un haut promontoire, nous nous sommes trouvés aux bords d’un golfe ravissant : ses rives sont couvertes d’arbres, et la verdure s’élève jusqu’aux sommets des montagnes. Notre caravane, déjà fatiguée, s’était arrêtée pour prendre un peu de repos et pour partager un reste de viande et de pain. Nous étions tous rangés en cercle, lorsque des cris partirent des rochers qui pendaient, pour ainsi dire, sur notre tête ; ces cris furent répétés au fond du golfe par un certain nombre de voix, et quelques points blancs apparurent, se remuant, au loin, entre les arbousiers. Nos guides armèrent leurs fusils, nous nous apprêtâmes de notre côté, et nous marchâmes assez rapidement vers le lieu où s’agitaient ces cappes blanches. Nous traversâmes au trot, pour y arriver, des taillis tellement épais, qu’à trois pas du sentier, on n’aurait pas aperçu un homme ; au sortir du bois, nous ne trouvâmes personne, les hommes à manteaux blancs avaient disparu, et nous continuâmes notre route sans trop savoir ce que ces mouvemens nous présageaient.

Il y a eu dérangement des habitudes d’ordre et de soumission pendant la révolution grecque : le vol, le pillage étaient devenus licites, comme moyen de nuire à l’ennemi. Le laboureur, d’un autre côté, avait quitté sa charrue et avait pris les armes. À la paix, beaucoup de ces héros des guerres de l’indépendance n’ont pu se résoudre à reprendre leur vie de travail et de fatigue ; cédant à l’influence du climat et aux habitudes d’oisiveté, les palicares ont réclamé des pensions. Vous savez combien il se montre de héros après la paix ; ce fut en Grèce comme partout. Malheureusement les officiers étaient presque en aussi grand nombre que les soldats ; car, lorsque les chefs n’avaient pas d’argent pour solder leurs hommes, afin de les conserver sous leurs drapeaux, ils leur donnaient des grades supérieurs ; ainsi un lieutenant venait-il demander cent francs de solde arriérée, on le faisait capitaine, et le lieutenant acceptait, parce qu’en définitive cela valait mieux que rien, surtout pour les Grecs qui sont le peuple le plus facile à prendre par l’amour-propre. Or, on fit si bien, qu’à la naissance du gouvernement royal, le paiement des pensions militaires s’élevait à un dixième des dépenses de l’état, et l’on entretenait par là beaucoup de gens dans la paresse.

Pour faire cesser cet état de choses doublement fâcheux, le gouvernement s’est décidé à supprimer les pensions et à s’acquitter au moyen d’une somme une fois fixée ; mais cette somme n’est pas comptée en argent. On remet à l’ayant-droit une pièce qui constitue la liquidation de la créance, et, pour la somme ainsi liquidée, on donne des terres nationales à la convenance de l’officier, terres qui dès-lors deviennent patrimoniales. Ces terres ainsi concédées jouissent de l’avantage de ne payer que la moitié des impôts levés sur les autres, et le gouvernement gagne de cette façon la pension annuelle du concessionnaire qu’il ne paie pas, plus la demi-contribution pour les terres concédées, plus une augmentation de production.

Quoi de plus raisonnable ! Cependant cet arrangement n’est pas du goût des palicares : beaucoup d’entre eux préféreraient vivre sans travailler, et avec une pension, quelque modique qu’elle fût. Aussi plusieurs de ces anciens héros se sont-ils mis en état de rébellion contre le gouvernement qui a cherché un moyen à la fois honorable et avantageux de payer un dévouement qui n’a peut-être pas toujours été entièrement patriotique. Des palicares insoumis sont devenus des clephtes, c’est-à-dire des bandits, et les attaques à main armée sont, en Grèce, ce qu’étaient les émeutes chez nous après 1830. Je ne vous ferai pas l’histoire des clephtes en général. Il me suffira de vous dire que ce nom a été glorieux autrefois, parce que les Turcs qualifièrent ainsi les Grecs révoltés dès les premiers temps contre leur pouvoir. Ces vainqueurs, qui avaient établi leur domination à force de victoires et qui la maintenaient à force de barbarie, rencontrèrent dans certaines populations montagnardes des hommes qui protestèrent fièrement et les armes à la main contre la servitude. C’était une guerre de religion et de vengeance ; tout musulman rencontré dans les ravins, dans les défilés, était tué. Les Turcs maudissaient l’insurgé et le qualifiaient de clephte, pensant le flétrir ; mais le paysan voyait dans le clephte son vengeur, louait son courage, bénissait son nom et chantait en son honneur ces chants de montagnes, composés par des rapsodes inconnus, et dont M. Fauriel a publié une volumineuse mais incomplète collection. Un moment l’histoire des clephtes eut donc un caractère grand et chevaleresque ; mais leurs chefs finirent par traiter avec les Turcs, et plus tard, sous le titre de capitaines, devinrent comme les seigneurs féodaux du pays dont les Turcs étaient les suzerains. Ces capitaines furent oppresseurs à leur tour, et il s’éleva souvent contre eux de nouveaux clephtes. L’intérêt qui s’est attaché de tout temps à ce nom sert aujourd’hui les hommes qui traitent le gouvernement royal comme les clephtes d’autrefois traitaient les Turcs, et tel bandit a dû à ces dispositions des masses l’asile où il a pu se soustraire aux poursuites de la police.

L’année dernière, deux cents voleurs, car il faut maintenant employer le mot français, qui exprime mieux que le mot grec ce que sont ces hommes ; deux cents voleurs, dis-je, s’établirent près de la frontière turco-grecque, dans le gouvernement de Lamia ou de Zeitoun. Ils se divisèrent et se portèrent dans des localités favorables au vol et à la spoliation ; quelques-uns d’entre eux, Spartiates avilis et dégénérés, occupèrent le défilé des Thermopyles, non pour s’y dévouer à la patrie, mais pour y attendre le voyageur isolé, pour le dépouiller, pour le frapper, et pour lui arracher la vie, s’il n’y avait que ce moyen de lui arracher sa bourse.

Les Turcs, dit-on, encouragèrent d’abord les bandits, leur offrirent même un asile quand ils étaient serrés de trop près, et l’on vit alors d’anciens soldats de l’insurrection contre les Turcs (car il y avait de tout dans ces bandes) se faire les serviteurs de la haine des Turcs contre la Grèce devenue indépendante. Bientôt ces bandes commirent des délits en Turquie même ; c’était un moyen d’employer le temps qu’elles étaient obligées d’y passer. Alors les Turcs, punis d’avoir protégé de pareils hommes, leur firent la guerre à leur tour. Traqués des deux côtés, mais poursuivis plus vivement en Turquie, ils se jetèrent définitivement en Grèce, et y commirent toutes sortes d’excès. On organisa une colonne mobile de trois cents hommes, qui parvint à les dissoudre. Soixante-dix de ces malfaiteurs furent tués les armes à la main ou exécutés après avoir été pris vivans. Le reste s’est divisé et se montre encore de loin en loin, soit aux Thermopyles, soit du côté de Patradjic, soit en Livadie, soit aux environs de Thèbes. La police continue à les poursuivre ; mais ces voleurs ont, ainsi que je vous l’ai dit, de nombreuses intelligences, et parviennent presque toujours à s’échapper. On dit que les huttes des bergers sont leurs refuges habituels.

Ces bergers, clephtes aussi par occasion, mènent une existence tout exceptionnelle ; vivant au milieu des bois avec leurs moutons et leurs chiens, le passage de la plus petite caravane fait époque dans leurs souvenirs. Aussi, dès qu’une bande à cheval apparaît au détour d’une vallée, un cri perçant est jeté ; ce cri se répète de proche en proche, on voit aller et venir des hommes, on entend des aboiemens de chiens : c’était une de ces scènes qui avait lieu au fond du golfe que nous côtoyions.

Arrivés au bas d’un défilé, de nouveaux cris, de nouveaux aboiemens se firent entendre ; les moutons restaient livrés à eux-mêmes, les hommes étaient sans doute allés en avant. On chercherait en vain en Europe, je crois, un spectacle comme celui qui s’offrait alors à nous. La route, si l’on peut appeler route une sorte de chaussée d’un mètre de largeur, pleine de trous à casser les jambes des chevaux ; la route, dis-je, tourne et retourne au moins vingt fois sur elle-même avant d’atteindre le haut de la montagne. Le ravin, complètement boisé, est d’une profondeur excessive, et n’a pas vingt-cinq mètres de largeur ; le torrent a creusé la roche et a formé un pont naturel, dont l’arche unique a au moins vingt mètres d’ouverture. Ces merveilleuses horreurs avaient absorbé toute notre attention ; nous montions à pied, à cause de la difficulté du chemin, et nous avions oublié bergers et clephtes, lorsqu’un nouveau bruit, qui venait d’en haut, nous ramena à nos premières réflexions, et nous vîmes de vigoureux Albanais, placés comme en vigie, l’œil fixé sur nous, le fusil sur l’épaule, et paraissant épier nos moindres mouvemens. Que faisaient-ils là ? Était-ce la curiosité seule qui les attirait, ou bien venaient-ils compter les voyageurs, afin de juger des chances de succès que pouvait présenter une attaque de leur part ?

Nous ne pûmes nous former aucune opinion à cet égard. La vie retirée du berger albanais, son ignorance des lois qui règlent les rapports des hommes entre eux, ses mœurs farouches et sauvages, les armes qu’il porte toujours et dont il n’ignore pas l’usage, laisseront dans le doute tout voyageur qui se trouvera dans une position analogue à la nôtre. Aussi nombreux que les Albanais, nous les interpellâmes avec énergie. Ils nous répondirent avec un ton d’arrogance et d’humeur, et finirent par se retirer sur notre sommation. Nous continuâmes dès-lors notre chemin, et nous sortîmes sans autre évènement de ce pittoresque coupe-gorge.

Le village où nous couchâmes se nommait Martini. Selon l’usage, nous descendîmes chez le dimarque. Là, le capitaine de palicares Dimitri, qui nous accompagnait, brave et excellent homme, rencontra un frère d’armes ; c’était le fils du dimarque. Dans la révolution, ils s’étaient juré sur l’Évangile de mourir au besoin l’un pour l’autre ; ces sortes d’associations étaient alors très en usage. Ne trouvez-vous pas que cela ressemble au serment des Grecs avant la bataille de Platée ? Cette rencontre nous valut une réception toute particulière, et le dimarque nous pria en grace de rester jusqu’au lendemain, afin qu’il pût nous donner une fête et nous montrer les danses du pays. Malheureusement nous étions très pressés, et nous ne pûmes accepter son offre.

De Martini nous allâmes coucher à Talanti, et de Talanti à Neo-Chorio (nouveau village), ainsi nommé par opposition à Paleo-Chorio (vieux village), abandonné à cause du mauvais air. Toute cette route est charmante ; elle passe souvent dans des bois de pins et dans des bois de platanes.

Le village nouveau est situé en face des restes du malheureux Lycas, qu’Hercule jeta dans la mer lorsqu’il se sentit brûler par la tunique fatale. Vous savez que Lycas fut changé en rocher, et que ce rocher s’appelle encore l’île Lycade. J’ai mis la meilleure volonté à trouver à cette île l’apparence d’un corps humain ; cela m’a été impossible. Il est vrai que depuis l’époque fabuleuse elle a été défigurée par des tremblemens de terre. En face de nous, et tout couvert de neige, s’élevait le mont Œta, où Hercule alla se brûler sur un bûcher. L’Œta domine une grande étendue de pays ; le suicide du demi-dieu pouvait donc être aperçu de loin et de beaucoup de lieux. Pour atteindre cette montagne, de l’île d’Eubée où il reçut la robe empoisonnée, Hercule avait une assez longue route à faire. Il dut traverser la mer, longer l’épine dorsale de Lycas, prendre terre à Neo-Chorio, passer le défilé des Thermopyles, longer à droite les marais du Spercus, et gravir les gigantesques degrés de l’autel où devait s’accomplir son sacrifice. Tout cela demande bien une quinzaine d’heures, encore faut-il que le vent soit bon pour traverser le golfe, et qu’on ne s’arrête pas en chemin.

Avant le mont Œta, que nous laissâmes à gauche, pour aller à Zeitoun, nous passâmes par le défilé des Thermopyles. Nous nous dirigeâmes d’abord vers les sources d’eau chaude, dont nous mesurâmes la température à la sortie du bassin qui reçoit la source principale. Cette température était de 34 degrés Réaumur, et de petits poissons s’y agitaient en grand nombre. Ces eaux sont salines ; elles ont une légère odeur sulfureuse, et elles contiennent de la glairine, qui s’attache aux cailloux et flotte en longs filamens, selon le cours de l’eau.

À l’époque où la mer était moins éloignée de la montagne, la défense du passage devait être on ne peut plus facile ; tel qu’il est encore maintenant, il ne serait pas aisé de le forcer. Nous aurions voulu pouvoir saluer le tombeau des trois cents Spartiates ; mais nul ne sait où leurs cadavres sont ensevelis.

Nous sommes allés de Neo-Chorio à Zeitoun en six heures. Zeitoun est une ville qui n’offre rien d’intéressant au voyageur. Aussi n’y ai-je séjourné que le temps rigoureusement nécessaire pour remplir la mission qui m’y avait attiré. J’étais heureux de quitter la région des neiges pour aller me chauffer de nouveau au soleil d’Athènes. Il nous fallut traverser encore les Thermopyles ; il faisait froid, il tombait de la neige ; la température des eaux thermales avait baissé ; les poissons ne se montrèrent pas.

Avant d’arriver à Neo-Chorio, en revenant de Zeitoun, on trouve un chemin qui conduit à Athènes sans passer par Chalcis. Nous prîmes cette route, car elle était nouvelle pour nous. On entre d’abord dans une riche vallée, ombragée par d’énormes platanes ; à l’endroit où cette vallée finit, se trouve un pauvre village, dont les maisons ont des murailles en osier tressé comme une corbeille ; une couche d’argile préserve l’intérieur de l’action de l’air. C’est là que nous couchâmes. Toute la nuit, la neige tomba avec une telle abondance, que, le lendemain, les guides et l’escorte refusèrent presque de se mettre en chemin. Cependant nous exprimâmes notre volonté avec tant d’énergie, que l’on se mit en route. Nous eûmes à franchir le mont Cnémis. Il nous fallut trois heures pour atteindre le sommet de la montagne, d’où nous découvrîmes la plaine de Livadie, qui s’étend jusqu’au pied du Parnasse, plaine plus riche, plus vaste et mieux arrosée que nos vallées de la Limagne et du Grésivaudan. C’est là qu’est l’avenir agricole et manufacturier de la Grèce continentale ; car il y a de l’avenir dans la Grèce, quoi qu’en disent quelques esprits chagrins. Évidemment l’agriculture est arriérée ; les fumiers se perdent dans les bois où paissent les troupeaux. La charrue qu’on emploie est encore celle des anciens ; les longues jachères sont en usage. Mais pourquoi renoncerait-on aux jachères, dans un pays où il y a vingt fois plus de terre qu’il n’en faut pour nourrir les habitans ? Quand la Grèce sera peuplée comme certaines parties de la France, comme la Belgique, comme l’Angleterre, alors on pourra trouver quelque intérêt à ne pas laisser reposer les terres. Jusque-là, on n’aura aucun motif pour blâmer l’étendue des jachères. Si l’agriculture est arriérée en Grèce, c’est que les bras y manquent, c’est que les moyens de transport y sont nuls, c’est qu’il n’y a pas de route, c’est que le blé de l’intérieur, porté à dos d’âne dans les villes maritimes, y revient plus cher que le blé tiré d’Odessa ou de Taganrog. Le Grec ne saurait, en aucune manière, être comparé à l’Espagnol, qui semble, les bras croisés, se nourrir de son orgueil. Un Grec a-t-il un champ ? il économise pour acheter deux bœufs ; en attendant, il en loue. Il laboure et cultive lui-même tout ce qu’un homme aidé de sa famille peut labourer et cultiver ; il fait son blé, son coton ; sa femme et ses enfans filent et font la toile nécessaire au ménage. S’il est parvenu à avoir quelques brebis, il fait son beurre ; autrement, il en achète des bergers qui se trouvent dans le voisinage. Il bâtit sa cabane ; son mobilier consiste en quelques ustensiles de cuisine, la plupart en terre, en une lampe, en trois ou quatre nattes, en autant d’oreillers longs et durs, en deux ou trois mauvais tapis, qui servent de couverture. S’il n’a pas de four, il fait cuire son pain plat sous la cendre ; mais lui et les siens changent assez fréquemment de linge. Il n’y a que le palicare qui, en souvenir de la vie qu’il a long-temps menée pendant la guerre, s’honore de sa saleté.

Livadie, située à deux lieues des ruines de Chéronée, est une de ces positions industrielles comme on en trouve peu. C’est la ville auvergnate de Thiers transportée en Grèce : même aspect, même situation sur une montagne, même abondance d’eaux limpides. Livadie pourrait devenir le Manchester du Levant.

Calculez, mon cher docteur, de combien de frais de toute nature s’augmente la valeur première du coton avant qu’il soit fabriqué en Angleterre, où l’on fait des toiles blanches qui reviennent à bien meilleur marché que les nôtres. Du coton récolté dans le haut du Mississipi doit d’abord être emballé ; ensuite on l’embarque ; il descend le fleuve ; on le décharge à la Nouvelle-Orléans ; on le met en magasin ; il est acheté pour l’Europe ; il est chargé de nouveau, transporté à Liverpool, déchargé, mis en magasin, vendu une seconde fois, rechargé sur les waggons des chemins de fer, déchargé et emmagasiné à Manchester. Que de frais ! que de primes d’assurances ! que de courtages ! que de commissions différentes !

À Manchester, le coton est mis en œuvre dans des fabriques dont les terrains et la bâtisse ont coûté des sommes énormes, et dont les métiers sont mis en mouvement par la vapeur. Puis ensuite les toiles sont vendues, expédiées pour Liverpool, chargées pour le Levant, et elles doivent supporter encore de nouvelles commissions, de nouveaux frets, de nouvelles primes d’assurances.

En Livadie rien de tout cela ; le coton est cultivé et récolté dans la plaine ; on pourrait le mettre immédiatement en œuvre et presque sans frais de transport ; puis les toiles fabriquées dans des usines dont les terrains et la construction ne coûteraient presque rien, et où les métiers seraient mis en mouvement par l’eau, iraient en un jour au golfe de Lépante, en deux jours au Pirée, et en un jour et demi à Chalcis ! Je doute fort que l’Angleterre pût lutter avantageusement, dans le Levant, contre une pareille concurrence.

Le gouvernement grec paraît avoir compris toute l’importance de Livadie ; après avoir mis le Pirée en communication facile avec Athènes, il fait faire une route pour aller de Livadie à cette dernière ville. Déjà cette route va à moitié chemin de Thèbes, qui est à plus de moitié chemin d’Athènes à Livadie ; l’année prochaine, la route ira à Thèbes même.

Après avoir visité Thèbes et Eleusis, nous sommes revenus à Athènes, ville de 25,000 ames, bâtie en quatre ans, et qui reproduit en Europe un de ces miracles qu’on n’avait encore vus qu’aux États-Unis.

Je vous écrirai prochainement d’Égypte, et je vous donnerai des nouvelles du pays que vous aimez le plus[1].


De Ségur Dupeyron.
  1. Nous espérons donner à nos lecteurs les lettres que promet M. de Ségur Dupeyron, actuellement chargé d’une mission en Orient, dont l’objet est de rassembler des matériaux pour régler définitivement la législation des lazarets.