Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Chapitre 19

Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 245-247).
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CHAPITRE XIX.

DES FALSIFICATIONS, ET DES LIVRES SUPPOSÉS.

Pour mieux séduire les catéchumènes des premiers siècles, on ne manqua point de supposer que la secte avait été respectée par les Romains et par les empereurs eux-mêmes. Ce n’était pas assez de forger mille écrits qu’on attribuait à Jésus, on fit encore écrire Pilate. Justin, Tertullien, citent ces actes ; on les inséra dans l’Évangile de Nicodème[1]. Voici quelques passages de la première lettre de Pilate à Tibère ; ils sont curieux.

« Il est arrivé depuis peu, et je l’ai vérifié, que les Juifs par leur envie se sont attiré une cruelle condamnation : leur Dieu leur ayant promis de leur envoyer son saint du haut du ciel, qui serait leur roi à bien juste titre, et ayant promis qu’il serait fils d’une vierge, le dieu des Hébreux l’a envoyé en effet, moi étant président en Judée. Les principaux des Juifs me l’ont dénoncé comme un magicien ; je l’ai cru ; je l’ai bien fait fouetter ; je le leur ai abandonné : ils l’ont crucifié ; ils ont mis des gardes auprès de sa fosse ; il est ressuscité le troisième jour. »

Cette lettre très-ancienne est fort importante, en ce qu’elle fait voir qu’en ces premiers temps les chrétiens n’osaient encore imaginer que Jésus fût Dieu ; ils l’appelaient seulement envoyé de Dieu. S’il avait été Dieu alors, Pilate, qu’ils font parler, n’eût pas manqué de le dire.

Dans la seconde lettre, il dit que, s’il n’avait pas craint une sédition, peut-être ce noble Juif vivrait encore ; fortasse vir ille nobilis viveret. On forgea encore une relation de Pilate plus circonstanciée.

Eusèbe de Césarée, au livre VII de son Histoire ecclésiastique, assure que l’hémorroïsse guérie par Jésus-Christ était citoyenne de Césarée : il a vu sa statue aux pieds de celle de Jésus-Christ. Il y a autour de la base des herbes qui guérissent toutes sortes de maladies. On a conservé une requête de cette hémorroïsse, dont le nom était, comme on sait, Véronique ; elle y rend compte à Hérode du miracle que Jésus-Christ a opéré sur elle. Elle demande à Hérode la permission d’ériger une statue à Jésus ; mais ce n’est pas dans Césarée, c’est dans la ville de Paniade, et cela est triste pour Eusèbe.

On fit courir un prétendu édit de Tibère pour mettre Jésus au rang des dieux. On supposa des lettres de Paul à Sénèque, et de Sénèque à Paul. Empereurs, philosophes, apôtres, tout fut mis à contribution ; c’est une suite non interrompue de fraudes : les unes sont seulement fanatiques, les autres sont politiques. Un mensonge fanatique, par exemple, est d’avoir écrit, sous le nom de Jean, l’Apocalypse, qui n’est qu’absurde ; un mensonge politique est le livre des constitutions attribué aux apôtres. On veut, au chapitre XXV du livre II, que les évêques recueillent les décimes et les prémices. On y appelle les évêques rois au chapitre XXVI : Qui episcopus est, hic vester rex et dynastes.

Il faut, chap. XXVIII, quand on fait le repas des agapes[2], envoyer les meilleurs plats à l’évêque, s’il n’est pas à table. Il faut donner double portion au prêtre et au diacre. Les portions des évêques ont bien augmenté, et surtout celle de l’évêque de Rome.

Au chap. XXXIV, on met les évêques bien au-dessus des empereurs et des rois, précepte dont l’Église s’est écartée le moins qu’elle a pu : Quanto animus præstat corpore, tantum sacerdotium regno. C’est là l’origine cachée de cette terrible puissance que les évêques de Rome ont usurpée pendant tant de siècles. Tous ces livres supposés, tous ces mensonges qu’on a osé nommer pieux, n’étaient qu’entre les mains des fidèles. C’était un péché énorme de les communiquer aux Romains, qui n’en eurent presque aucune connaissance pendant deux cents ans ; ainsi le troupeau grossissait tous les jours.

  1. Voyez ci-après la Collection d’anciens évangiles.
  2. On accuse plusieurs sociétés chrétiennes d’avoir fait de ces agapes des scènes de la plus infâme dissolution, accompagnées de mystères. Et ce qu’il faut observer, c’est que les chrétiens s’en accusaient les uns les autres. Épiphane est convaincu