Mercure de France (p. 241-242).

CXLIII

Avoir de la chance.


On dit communément qu’un citoyen français a de la chance quand il a un père qui est né avant lui. On suppose, ai-je besoin de le faire observer ? que ce père a de l’argent. Autrement, ce serait la guigne. Mais cela, c’est le comble de la chance.

En général, avoir de la chance consiste à écoper le moins possible, c’est-à-dire à être du petit nombre de ceux qui échappent aux coups de trique ou aux coups de pied dans le derrière que tout le monde paraît avoir mérités. Dans cet ordre d’idées, il est sûr qu’aux yeux du Bourgeois explorant, des cimes qu’on sait, l’histoire du monde, le Patriarche Noé a eu de la chance. La langue, ici, est à la hauteur de la pensée.

Il est, d’ailleurs, indifférent que le mot « chance » soit inintelligible, absolument et à jamais. C’est assez qu’il ajourne ou qu’il écarte la notion de Justice. On ne lui demande pas autre chose.