Mercure de France (p. 138-140).

LXXII

À l’impossible nul n’est tenu.


Napoléon, le plus grand lanceur de Lieux Communs qu’il y ait eu, a déclaré que le mot impossible n’était pas français. La génération présente, beaucoup moins épique, a un dictionnaire plus étendu. Au contraire de ce qui se passait en 1806 ou 1809, plusieurs choses, aujourd’hui, sont devenues impossibles. Mais en est-il une seule qui le puisse être autant que de donner de l’argent à n’importe qui pour n’importe quoi ? Même les concupiscents déchaînés reculent à l’idée de faire passer dans d’autres mains ce qu’ils ont reçu pour la vendition de leur Sauveur.

J’espère qu’on me saura gré de l’anecdote absolument inconnue que voici :

Il y a vingt ou vingt-cinq ans, la Sacrée Congrégation des Rites dont s’honore l’Église romaine et qui n’est pas simoniaque du tout, comme on va voir, exigea un insignifiant pourboire de 175,000 francs, pour s’occuper utilement de la Cause en Béatification de Christophe Colomb.

Tous les autres obstacles avaient été mis par terre. Six cents évêques avaient signé le postulatum et le monde ecclésiastique savait que cet acte d’immense justice, naguère si ardemment désiré par Pie IX qui en fut, il y a deux générations, le véritable promoteur, avait failli être voté par acclamation au Concile du Vatican.

Le postulateur, mort aujourd’hui, aurait pu payer. C’était un homme extrêmement âgé, presque mourant chaque jour, mais trempé dans le Styx bourgeois et invulnérable à tout esprit de renoncement.

— Pourquoi ne payeriez-vous pas ? lui disais-je en 92, époque des fêtes fameuses du quatrième séculaire de la Découverte de l’Amérique. Voilà quarante ans que vous travaillez pour cette cause qui est votre unique objet. Vous êtes vieux et sans enfants, vous allez mourir. Vous auriez assez pour subsister honorablement jusqu’à la fin de vos jours, même après avoir assouvi ces juges infâmes. Ne privez pas de cette consolation votre dernière heure.

— Mon cher ami, me répondit-il de sa voix lointaine d’insecte captif, à l’impossible nul n’est tenu. C’est précisément parce que je suis vieux que je ne peux pas faire cela. Quand j’étais jeune, je ne dis pas, mais maintenant, songez donc !…

Peu de temps après ce refus qu’attendait sans doute Quelqu’un, une série de spéculations désastreuses lui raflait, coup sur coup, la somme totale de cent soixante-quinze mille francs.