Mercure de France (p. 41-43).

XVI

Il faut mourir riche.


Celui-là est plutôt belge, mais si beau ! Il est, d’ailleurs, destiné à devenir français, le bienheureux jour où la France aura été annexée enfin à ce peuple spirituel.

Mourir riche ! Vœu héroïque ! Desideratum prodigieux ! Que sont, à côté, les commandements de Dieu et les commandements de l’Église, et les Souffrances du Rédempteur, et la Compassion de Marie, et le sang des dix-huit millions de Martyrs, et les extases des Saints ? Le Paradis, c’est de crever dans la couenne d’un pourceau, et saint Paul même eût été forcé d’en convenir, s’il avait connu les Belges.

Après ce Lieu Commun grandiose où s’exprime si bien l’âme d’un peuple, j’ai presque honte et quasi peur de continuer mon Exégèse. Pauvre comme un vieux rat et vraisemblablement appelé à mourir tel, que suis-je pour affronter de si redoutables arcanes et où prendre l’audace de toucher plus longtemps à ces topiques pleins de menaces qui ont toujours l’air d’être sur le point de lancer la foudre ? Il me semble que je remue les plus redoutables engins d’explosion. Qui sont-ils donc, ces bourgeois terribles qui peuvent prononcer habituellement, exclusivement, du matin au soir, de telles paroles, sans expirer de terreur ?

Post-scriptum. — Le Bourgeois est invinciblement persuadé que les trappistes, dont la règle est de ne jamais parler, ne se rencontrent pas une seule fois sans se dire : « Frère, il faut mourir ». C’est une des idées auxquelles il tient le plus. C’est comme la fameuse tombe que chaque moine est tenu de creuser tous les jours, pour son usage personnel, à raison de huit heures de travail par jour, pendant toute la durée de sa vie religieuse qui est, quelquefois, de cinquante ans. Le Bourgeois est le Cynégire de ces deux bateaux. Il n’en démord pas.

Pour revenir au premier, je voulais dire seulement qu’en Belgique il y a sans doute une addition au texte français. Les trappistes belges doivent murmurer : « Frère, il faut mourir riche ».