Essais et Notices - La Pathologie historique

Essais et Notices - La Pathologie historique
Revue des Deux Mondes5e période, tome 16 (p. 713-720).
ESSAIS ET NOTICES

LA PATHOLOGIE HISTORIQUE

A quelque point de vue que l’on se place pour les étudier, scientifique, psychologique, historique ou moral, pourquoi n’y a-t-il guère de questions plus intéressantes, ni plus troublantes, que celles qui touchent aux mystères de l’hérédité ? C’est qu’il y en a peu dont la solution nous importât davantage, à cause de leur intérêt propre, et surtout des conséquences qui en résulteraient. Quels sont les caractères qui se transmettent d’un père ou d’une mère à leur fils ? et quels sont ceux qui ne se transmettent pas ? Si jamais la science répondait à cette seule question, — qui est d’ailleurs, en un certain sens, et quand on la divise, toute la question de l’hérédité, — elle aurait résolu la question de « l’origine des espèces ; » les historiens, de leur côté, sauraient ce qu’ils veulent dire, ils s’entendraient entre eux quand ils parlent de « races ; » la critique déterminerait avec exactitude ce qu’il y a de « shakspearien » dans Shakspeare, de « rembranesque » dans Rembrandt, de congénital ou d’acquis, d’individuel ou de collectif dans le talent ou dans le génie ; la pédagogie saurait où commence et où finit le pouvoir de l’éducation, ce qu’elle peut, ce qu’elle ne peut pas ; et je crois, en vérité, que la politique elle-même y trouverait le moyen d’inoculer aux démocraties de l’avenir les « vertus, » ou encore, et en parlant mieux, la quantité d’aristocratie dont elles ont besoin pour s’équilibrer.

Mais comment étudier l’hérédité ? Je veux dire par quelle méthode, et j’entends : dans l’humanité. Nous en avons, semble-t-il, un moyen naturel et pratique dans l’histoire. Il y a telles familles dans l’histoire, — ce sont les familles royales, — dont l’origine remonte à mille ou douze cents ans, et qui font une trentaine de générations. Ces familles sont justement celles dont les historiens et les chroniqueurs, en tout temps, se sont particulièrement occupés, si même on ne doit dire que l’histoire n’a longtemps été que la chronique de leurs faits et gestes. Les filiations y sont, en général, aussi certaines qu’elles le puissent être parmi les hommes, et, par exemple, de Robert le Fort au Comte de Chambord, — 852-1820, — je doute qu’on trouvât deux reines suspectes d’avoir troublé la pureté du sang de France. Reines ou rois, d’ailleurs, leur vie nous est connue dans ses moindres détails, depuis leur première enfance, et nous savons d’eux tout ce qu’on en peut savoir, les maladies et les remèdes, les infirmités et les tares, les goûts et les manies, les singularités, les passions et le régime. Quoi de plus naturel, en ces conditions, que d’étudier, dans l’histoire d’une race royale, la plupart des problèmes que soulève l’hérédité ? Si certains caractères sont « transmissibles, » et si d’autres ne le sont pas ; s’il y a des degrés dans la transmissibilité ; si elle est indéfinie ou limitée dans le temps ; s’ils se transmettent indépendamment les uns des autres, ou s’ils s’associent et s’ils s’accompagnent ; s’il suffit qu’ils soient « transmissibles » pour être effectivement et toujours « transmis ; » « quelle est la part des parens et des ancêtres dans le caractère du produit, » — les termes dont je me sers ici ne sont pas de moi, mais de M. Delage, dans son beau livre sur l’hérédité et les grands problèmes de la Biologie générale[1] — n’avons-nous pas là, dans l’histoire authentique et détaillée de vingt-cinq ou trente générations, le moyen de le savoir ? et, en tout cas, pourquoi n’en tenterions-nous pas l’entreprise ?

C’est évidemment ce que s’était proposé Auguste Brachet, dans l’ouvrage auquel il a donné pour sous-titre : Louis XI et ses ascendans ; Une vie humaine étudiée à travers six siècles d’hérédité, et pour titre : Pathologie mentale des rois de France[2]. Mais il avait à peine commencé d’en assembler les matériaux qu’il a perdu de vue son dessein principal, et l’ambition lui est venue de fonder, sous le nom de pathologie historique, une « science nouvelle. » « La Pathologie historique, — c’est la définition que Brachet lui-même a donnée de son invention, — est proprement l’explication, par la science biologique, des données que nous fournissent les textes historiques, données réunies et contrôlées suivant les règles de la critique historique, dans le double but de servir, tantôt à la science médicale, tantôt à la science historique. » Il eût été plus simple de dire qu’elle est l’intervention de la pathologie dans l’histoire ; et que, par exemple, l’histoire des maladies d’Henri IV ou de Louis XIV n’étant évidemment pas indifférente à la connaissance de leur tempérament, ne l’est donc pas non plus à celle de leur caractère. Le Journal de la santé du roi Louis XIV est un document de l’histoire du règne. Voici qui est plus grave. « Le but idéal de la pathologie historique, dit Brachet en un autre endroit, serait la reconstitution de la formule biologique (somatique et psychique) des représentative men de l’humanité. » C’est ce que s’étaient avant lui proposé Carlyle, Emerson ou Taine. Mais, si les mots ont un sens, et particulièrement les mots de la langue savante, pourquoi la reconstitution de cette formule biologique ne serait-elle que de la « Pathologie ? » Sommes-nous tous des malades ? La science de notre caractère n’est-elle que celle de nos tares ou de nos infirmités ? Les caractères pathologiques sont-ils les seuls qui s’héritent ? Notre histoire n’est-elle que celle de nos maladies et de nos remèdes ? C’est ce que paraît avoir cru l’auteur de la Pathologie mentale des rois de France, et n’est-ce pas comme si l’on disait qu’à peine avait-il posé la question, il a fait précisément ce qu’il fallait faire pour la rétrécir en la systématisant ?

Pourquoi d’ailleurs a-t-il choisi Louis XI, plutôt que Charles VII ou plutôt que Charles VIII ? S’il en a eu quelque raison valable, il aurait dû nous le dire, ou il faudrait que, sans le dire, on s’en aperçût dans son œuvre. Louis XI n’est ni une fin, ni un commencement dans l’histoire de sa race, ou seulement de sa branche : il n’est ni le premier, ni le dernier des Valois directs. En est-il pour Brachet le plus « représentatif ? » On ne le sait, et il ne l’a point dit. En revanche, il nous apprend que la dynastie des Mérovingiens n’ayant compté que neuf générations, celle des Carolingiens treize, et celle des Capétiens trente-une, de Robert le Fort au Comte de Chambord, la troisième offre donc à l’ « étude biologique » une matière plus abondante. On s’en doutait avant qu’il s’en fût avisé.

Ce que du moins il a montré, c’est le secours que l’histoire peut tirer des données de la « pathologie historique ; » et il en a développé, dans une longue Introduction, deux ou trois exemples tout à fait caractéristiques et amusans. On lit, dans le Journal d’un chroniqueur du temps de Louis XI, que, le samedi 14 novembre 1468, « furent prinses pour, le roy…, en la ville de Paris, toutes les pyes, jais, chouetes estans en cage ou autrement… pour les porter toutes devers le roy. Et estoit escript et enregistré le lieu où avoient été prins lesdits oiseaux et aussi tout ce qu’ils savoient dire, comme : Larron ! Paillart ! Fils de p… ! Va hors ! va ! Perrelle, donne-moi à boire… Et, depuis encore, par autre commission du roy, fut venu quérir et prendre audit lieu de Paris tous les cerfz, biches et grues qu’on y peust trouver et tout fait mener à Amboise. » Que signifie cette espèce de razzia ? On était au lendemain de l’affaire de Péronne, et tous nos historiens, depuis Duclos jusqu’à M. G. Monod, n’ont pas manqué d’y voir un accès de colère et de tyrannie du roi. « Il rentra tristement dans sa capitale, écrit gravement M. G. Monod, pendant que les perroquets des bourgeois parisiens répétaient sur son passage le mot de Péronne. Le roi furieux fit saisir par ses archers tous les oiseaux jaseurs qui lui rappelaient sa mésaventure. » Et voilà justement comme on écrit l’histoire ! Premièrement, — aucun chroniqueur n’a parlé de « perroquets, » mais de pies et de geais ; pivas et graculos, dit un texte latin. Secondement, — les oiseaux ne disaient pas du tout Péronne, mais Perrette ! Troisièmement, — il ne parait pas, ou du moins aucun témoignage ne rapporte qu’ils l’aient dit « sur le passage du roi. » Quatrièmement, — s’ils l’avaient dit sur « le passage du roi, » — que je ne pense pas qu’ils reconnussent d’eux-mêmes, et sans que quelqu’un le leur indiquât, — ce n’est pas eux que le roi eût « fait saisir, » mais les bourgeois parisiens, leurs maîtres. Et, cinquièmement, — ce n’est point enfin « par ses archers, » hic et nunc, que Louis XI les fit saisir, mais en vertu de « commissions » régulièrement délivrées, l’une à Henry Perdriel et l’autre à Merlin de Cordebeuf. Mais M. G. Monod, qui a le sentiment des embellissemens que comporte l’histoire, n’en écrit pas moins : « Il rentra tristement dans sa capitale pendant que les perroquets des bourgeois parisiens répétaient sur son passage le mot de Péronne. Le roi furieux fit saisir par ses archers tous les oiseaux jaseurs qui lui rappelaient sa mésaventure. » Et les « cerfz, biches et grues, » mon cher confrère, est-ce qu’ils disaient aussi le mot de Péronne ? La vérité, selon Brachet, est plus simple. Il ne faut voir, si nous l’en croyons, dans cette saisie à main armée, « qu’une manifestation très nette de l’un des stigmates classiques des dégénérés : la zoophilie. » Il ajoute et il montre, par des textes précis, que 1° l’extravagance des achats, 2° l’indifférence de l’acheteur, 3° la sensibilité hyperémotive pour les animaux malades, faisant les traits essentiels de la « zoophilie, » tous ces traits se retrouvent dans l’histoire pathologique de Louis XI. C’est ainsi que l’on lit, dans les Comptes de Tours : « Janvier 1483. Item, au dit moys le Roy manda que on allât toute nuyt par tous les chemins et sur la rivière de Loire au davant de plusieurs oyseaux de Turquie, qu’on portoit en Bretagne, pour les prendre et les luy aporter. »

Second exemple, non moins curieux et plus démonstratif. On lit, dans une lettre de Louis XI, datée de 1481, et adressée au prieur de Notre-Dame de Salles à Bourges : « Maistre Pierre, mon amy, je vous prie tant comme je puis que vous priez incessamment Dieu et Notre-Dame de Salles pour moy, à ce que leur plaisir soit m’envoyer la fièvre quarte, car j’ay une maladie dont les physiciens disent que je ne puis être guéry sans l’avoir ; et, quand je l’auray, je vous le feray savoir incontinent. » Voltaire, — qui est, comme on sait, le « bon sens incarné, » — a eu connaissance de cette lettre, et voici ce qu’il en dit dans un endroit de son Essai sur les mœurs : « On a conservé une des lettres de Louis XI à je ne sais quel prieur de Notre-Dame de Salles, par laquelle il demande à cette Notre-Dame de lui accorder la fièvre quarte, attendu, dit-il, que les médecins l’assurent qu’il n’y a que la fièvre quarte qui soit bonne pour sa santé. L’impudent charlatanisme des médecins était donc aussi grand que l’imbécillité de Louis XI, — on reconnaît à ces mots ce qu’on est convenu d’appeler la politesse habituelle du style de Voltaire, — et son imbécillité était égale à sa tyrannie… Il ne faut connaître l’histoire de ces temps-là que pour la mépriser. » Mais, au lieu de se faire de son ignorance une supériorité dont vraiment il abuse, si Voltaire eût pris la peine d’ouvrir quelque Manuel de thérapeutique contemporain de sa Zaïre ou de son Œdipe, il y eût rencontré des phrases comme celle-ci : « Si l’épileptique est une fois saisi de la quarte, le plus du temps il s’en porte mieux ; » et en latin : « Excretiones cutaneæ, scabris… et quartana febris epilepsiam solvunt. » Ce dernier texte est daté de 1758. En quoi d’ailleurs les médecins d’alors ne faisaient que reproduire cet aphorisme d’Hippocrate : « Les individus pris de fièvre quarte ne sont jamais atteints de la grande maladie (c’est l’épilepsie) ; et si, pris d’abord de cette maladie, la fièvre quarte leur survient, celle-ci les guérit de celle-là. » L’ « imbécillité » de Louis XI, implorant la fièvre quarte pour se débarrasser de son épilepsie ressemblait donc exactement à celle de Voltaire, quand il faisait les remèdes que Tronchin lui prescrivait. Que pensera-t-on, dans cinquante ans, des moyens par lesquels nous soignons aujourd’hui nos tuberculeux ; et qu’en penseront alors les médecins eux-mêmes ?

Troisième exemple. On lit dans le Journal de Jean de Roye, sous l’année 1482 : « Audit temps le roy fit venir grand nombre et grand quantité de joueurs de bas et doulx instrumens… entre lesquels y vint plusieurs bergiers du pays de Poictou, qui souvent jouèrent devant le logis du roy, mais ils ne le veoyent pas, affin que auxdits instrumens le roy y prensist plaisir et passe-temps, et pour le garder de dormir. » Ces bergers ont fort intrigué l’imagination de nos historiens, et généralement ils ont eu garde de les oublier, afin d’opposer le contraste d’une « élégante idylle » au sombre drame des « remords » du tyran expirant. « Il s’abandonnait à mille fantaisies, — écrit Henri Martin, — pour secouer un moment l’ennui qui le rongeait. Il mandait de toutes parts des joueurs de « bas et doulx instrumens ; » il faisait venir des bergers qui jouaient devant lui les airs, et dansaient les danses de leur pays. Mais rien ne réussissait à le distraire ; et l’objet de son caprice, à peine atteint, ne lui causait plus qu’impatience et dégoût. » Il ne semble pas, en premier lieu, que, comme « fantaisie, » de se faire jouer des airs de cornemuse, bretons ou poitevins, cela ait rien de « sardanapalesque » ou de très « néronien. » En second bleu, ni Jean de Roye, ni Robert Gaguin, dont on s’autorise, — car Commynes est muet sur les « bergers » comme sur beaucoup d’autres choses, — n’ont parlé de « danses » ni même de « chants, » mais seulement d’airs : « affin que auxdits instrumens le roy prensist plaisir, » dit Jean de Roye ; et Robert Gaguin : « continenter modulabantur : ils jouaient tout doucement, en sourdine. » Et, en troisième lieu, on ne sait où l’historien a pris qu’après les avoir fait venir, le roi se fût « dégoûté » de ces « joueurs de bas et doulx instrumens. » Mais chacun ici-bas a sa manière d’écrire l’histoire, et celle d’Henri Martin, germaine de celle d’Hugo, consiste, ordinairement, à « la démocratiser. » Les rois « s’amusent » dans ses in-octavo, et Henri Martin les flétrit d’une phrase vengeresse. « Il s’abandonnait à mille fantaisies… et l’objet de son caprice, à peine atteint, ne lui causait plus que de l’impatience et du dégoût. » C’est ainsi que sont faits les rois ! Mais ici encore, nous dit Brachet, consultons l’histoire de la médecine, et « tout clinicien reconnaît aussitôt, dans ce traitement musicothérapeutique, la médication spécifique et pathognomonique des psychonévroses dans la neuropathologie médiévale. » On aimerait peut-être que ces choses fussent dites en termes moins savans.

Il ne faut évidemment pas s’exagérer l’intérêt ni surtout l’importance de ces rectifications, mais il ne faut pas non plus les dédaigner, si le souci du détail, en histoire comme ailleurs, garantie de l’exactitude, est donc la condition de la fidélité des ensembles. Mais, parmi tous ces détails et dans cette nausée de la pathologie, que deviennent les lois de l’hérédité ?

L’erreur de Brachet a été de vouloir faire deux choses à la fois, — je pourrais même dire trois, — et de la multiplicité de ses observations enrichir à la fois l’histoire générale et l’histoire de la « pathologie médiévale. » Mais l’histoire de la « pathologie médiévale » a-t-elle un intérêt en soi, je veux dire un intérêt qui soit indépendant du secours ou des éclaircissemens qu’elle apporte à l’histoire générale ? Je n’oserais en répondre. Qu’est-ce que cela nous fait qu’il y ait au XIVe siècle de « bons exemples » d’angine de poitrine ou de tuberculose pulmonaire ? Considérée de ce point de vue, — et, si je puis ainsi dire, en dehors des malades que la tuberculose ou l’angine ont emportés, — « l’histoire de la pathologie » ne me parait guère avoir plus d’intérêt que l’histoire de la médecine, laquelle, en vérité, n’en a pas plus que l’histoire de l’alchimie. Telle n’était pas l’opinion de Brachet. La pathologie médiévale en soi l’intéressait ; elle l’intéressait même plus que l’histoire ; et la preuve en est qu’en 1896, c’est à l’Académie de médecine qu’il avait soumis la première édition ou la première version de son livre. Mais il aurait fallu qu’il sût choisir entre ces trois desseins : — ou de soumettre systématiquement les conclusions des historiens au contrôle de la critique médicale ; — ou de constituer la « pathologie historique » en tant que science nouvelle ; — ou d’acheminer enfin cette énorme collection de faits et de textes vers la recherche et la détermination des lois de l’hérédité.

Pour nous, c’est, de ces trois intentions, la dernière qui nous eût semblé la plus intéressante à poursuivre et à réaliser. « Que donneront nos recherches ainsi faites ? écrivait Brachet lui-même, aux dernières lignes de son Introduction. Nous révéleront-elles les lois de l’hérédité ? Nous l’ignorons. En tout cas, c’est la seule voie scientifique à suivre, et, si nous découvrons quelque chose sur l’hérédité, ce sera par cette seule route. En tout cas, négatif ou positif, le résultat sera autrement certain qu’avec les affirmations aprioristiques des philosophes et les synthèses prématurées des médecins aliénistes. » Nous partageons absolument son avis, et, pour le dire en passant, rien n’est plus extraordinaire, nous voulons dire plus injustifié, que l’autorité que l’on a longtemps accordée, dans cette question de l’hérédité, et que nous voyons que l’on accorde souvent encore aux médecins aliénistes. Moreau (de Tours) ou Lombroso.

Et c’est pourquoi, ni les défaillances, ou plutôt la déviation de la méthode, ni les vices de l’exécution, ne sauraient nous rendre aveugles aux mérites éminens de ce livre. La « pathologie historique » n’est pas, et ne sera sans doute jamais une « science ; » ou, si l’on le veut elle ne sera toujours qu’une « science auxiliaire de l’histoire : » elle n’existera pas en soi, comme la pathologie générale ou la physiologie comparée, mais toujours en fonction d’une autre science. Mais, certainement, elle éclairera d’une vive lumière plus d’une province obscure et inexplorée de l’histoire, et la connaissance intime des individus, en particulier, s’en trouvera comme renouvelée. Elle servira surtout, je ne veux pas dire à la solution, — que je crois qui nous fuira toujours, — mais à la discussion des problèmes que soulève la question de l’hérédité. Le travail herculéen que Brachet s’était proposé d’entreprendre sur les trente et une générations de nos rois de la troisième race, si quelqu’un l’entreprenait, sans remonter au-delà d’Henri IV ou de son père et de sa mère, sur la dynastie des Bourbons ; s’il étudiait avec autant de soin l’hérédité de nos reines que la généalogie de nos rois ; s’il ne se contentait pas de l’examen des symptômes qu’ils offrent les uns et les autres à l’observation pathologique, et qu’il analysât leurs « qualités » avec autant de précision et d’intelligente sollicitude que leurs « manques » ou leurs « défauts ; » s’il n’apportait dans cette analyse aucun de ces préjugés, de ces partis pris, de ces passions, ni rien de ces curiosités malsaines ou de cette érotomanie qui déshonorent les derniers volumes de l’Histoire de France d’un Michelet ; et enfin, s’il se montrait moins préoccupé, tout en rectifiant l’histoire, de la récrire ou de la refaire, que d’apporter sa contribution à l’étude de l’hérédité, nous serions étonnés, j’en suis sûr, et il le serait lui-même, de la nouveauté, de l’intérêt, de l’importance, de la solidité des résultats qu’il obtiendrait. A l’auteur de ce livre, si jamais on l’écrit, ce sera l’honneur de Brachet que de lui avoir non seulement montré, mais ouvert et frayé la voie.


F. B.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.

  1. Schleicher, éditeur, 2e édition, 1903.
  2. Hachette, éditeur, 1903.