Essai de cosmologie/Avertissement

s. l. (p. i-viii).

AVERTISSEMENT.



D
Ans tous les tems il s’eſt trouvé des Philoſophes qui ont entrepris d’expliquer le Syſtème du Monde. Mais ſans parler des Philoſophes de l’Antiquité qui l’ont tenté, ſi un Deſcartes y a ſi peu réuſſi ; ſi un Newton y a laiſſé tant de choſes à déſirer, quel ſera l’homme qui oſera l’entreprendre ? ces voyes ſi ſimples, qu’a ſuivies dans ſes productions le Createur, deviennent pour nous des labyrinthes dès que nous y voulons porter nos pas. Il nous a accordé une lumière ſuffiſante pour tout ce qui nous étoit utile, mais il ſemble qu’il ne nous ait permis de voir que dans l’obſcurité le reſte de ſon Plan.

Ce n’eſt pas qu’on ne ſoit parvenu à lier enſemble pluſieurs phénomènes, à les déduire de quelque phénomène antérieur, & à les ſoûmettre au calcul : Sans doute même les tems & l’expérience formeront dans ce genre quelque choſe de plus parfait que tout ce que nous avons. Mais un Système complet, je ne crois pas qu’il ſoit permis de l’espérer : jamais on ne parviendra à ſuivre l’ordre & la dépendance de toutes les parties de l’Univers. Ce que je me ſuis propoſé ici eſt fort différent ; je ne me ſuis attaché qu’aux prémiers principes de la Nature : qu’à ces loix que nous voyons ſi conſtamment obſervées dans tous les phénomènes, & que nous ne pouvons pas douter qui ne ſoient celles que l’Être ſuprème s’eſt propoſées dans la formation de l’Univers. Ce ſont ces loix que je m’applique à découvrir, & à puiſer dans la ſource infinie de ſageſſe d’où elles ſont émanées : je ſerois plus flatté d’y avoir réuſſi, que ſi j’étois parvenu par les calculs les plus difficiles à en ſuivre les effets dans tous les détails.

Cependant je donne enſuite une expoſition du Syſtème du monde, mais que je ne préſente que comme un Tableau & non comme une Explication.

Il y a ſans doute un grand intervalle entre ces deux parties de mon ouvrage ; & que je n’espère pas de voir jamais bien rempli ; j’ai ſeulement tâché de rendre chacune la moins imparfaite qu’il m’étoit poſſible : Dans l’une j’ai tâché de pénétrer jusqu’aux prémières raiſons ſur lesquelles les loix de la Nature étoient fondées : Dans l’autre j’ai tâché de bien peindre les phénomènes de l’Univers.

Comme le but principal de cet ouvrage eſt la connoiſſance de l’Être ſuprème, j’examine dans l’Avantpropos les preuves de ſon Exiſtence que différens Auteurs ont voulu déduire des Merveilles de la Nature. Cet Avantpropos avec la prémière partie a déja été imprimé dans le ſecond Tome des Mémoires de l’Academie Royale des Sciences & Belles Lettres de Pruſſe. Quelques perſonnes ont paru bleſſées de quelques reflexions qui s’y trouvent, je ne ſaurois mieux lever leur ſcrupule qu’en les reproduiſant à leurs yeux, & les priant de les examiner avec plus d’attention & plus d’équité qu’ils n’ont fait.

Ils ont représenté mon deſſein comme s’il eût été d’étouffer les preuves de l’existence de Dieu que la Nature fournit. Ils verront que tout ce que j’ai dit c’est, qu’on a trop multiplié ces preuves, qu’on a quelquefois pris pour des preuves ce qui n’en étoit point ; & que je conſeille de chercher la Démonſtration de l’Exiſtence de l’Être ſuprème dans les Phénomènes univerſels de la Nature plûtôt que dans ſes petits détails. J’ai fait grace à ces Critiques & au Lecteur, en ne citant pas les raisonnemens indécens ou puerils dont leurs Auteurs ſont remplis.

Un autre point ſur lequel roule leur critique, & c’eſt peut-être celui qu’ils me pardonnent le moins, c’eſt ce que j’ai dit ſur l’abus que quelques uns ont fait de la méthode des Géometres dans pluſieurs matières qui n’en étoient pas ſuſceptibles. Ils doivent encore me ſavoir gré de n’avoir pas cité ſur cela les exemples ridicules que je pouvois citer.

Quant au fond du ſujet que je traitte, au Principe que j’établis comme le Principe fondamental des Loix du Mouvement & du Repos, je ſouhaiterois que ceux qui en ont parlé fuſſent moins ignorans ou de meilleure foy ; ils ont cru, ou ont voulu faire croire, que tout ce que j’avois fait, n’étoit qu’avoir rebattu ce qu’on ſavoit déja. Que la Nature agit toûjours par les voyes les plus ſimples. Ils verroient que ce prétendu Axiome, qui n’en eſt un qu’autant que l’existence de Dieu eſt déja prouvée, ils verroient, dis-je, que cet Axiome eſt ſi vague, qu’on n’a pû encore jusqu’ici déterminer en quoi conſiſte ſon application.

Il s’agiſſoit de tirer toutes les Loix du Mouvement & du Repos d’un ſeul Principe métaphyſique ; & de très grands Philoſophes l’avoient entrepris.

Descartes s’y trompa, c’eſt aſſés dire que la choſe étoit difficile : il crut que dans la Nature La même quantité de Mouvement ſe conſervoit toûjours. C’eſt à dire, qu’à la rencontre des différentes parties de la matière, la Modification du Mouvement étoit telle que toutes les maſſes multipliées chacune par ſa vîteſſe, formoient toûjours une même Somme. Il déduiſit de là ſes Loix du Mouvement : & l’expérience les démentit ; parceque le Principe n’eſt pas vrai.

Leibnitz en prit un autre. C’est que, La Somme des Maſſes, multipliées chacune par le quarré de ſa vîteſſe demeuroit toûjours la même. Ce Théorème qu’on appelle La Conſervation des Forces vives, étoit plûtôt une ſuite de quelques Loix du Mouvement qu’un véritable Principe : & Leibnitz, qui a toûjours promis de l’établir à priori, ne l’a jamais fait. Cette conſervation a lieu dans le Choc des corps élaſtiques ; mais comme elle ne l’a plus dans le Choc des corps durs, les Leibnitziens ont été reduits à dire qu’il n’y avoit point de corps durs dans la Nature : c’eſt à dire, à exclure de la Nature les ſeuls Corps peut-être qui y ſoient. Prendra-t-on maintenant un tel Théorème pour un Principe univerſel ?

Les plus habiles Mathématiciens ſont tombés dans des embarras dont ils n’ont pû ſortir, lorsqu’ils ont voulu appliquer aux Phénomènes de la Dioptrique le Principe de la plus grande ſimplicité des moyens. On pourra en voir l’hiſtoire dans un mémoire que je lus autrefois à l’Academie Rle. des Sciences de France[1], ou plus au long dans un Mémoire de M. de Mayran[2].

Voilà tout ce que j’avois à dire. Si dans les Critiques qui ont parû, ou qui paroîtront, on trouve quelques expreſſions peu meſurées, qui ſoient échappées à un Zèle ſuperſtitieux ou à un eſprit de parti, elles ne méritent pas que j’y faſſe attention.


  1. Ce Mémoire a été inſeré à la fin de cet Ouvrage.
  2. Mém. de l’Acad. Rle. des Sciences. Année 1723. pag. 370.