Esprit des lois (1777)/L28/C25


CHAPITRE XXV.

Des bornes que l’on mettoit à l’usage du combat judiciaire.


Quand les gages de bataille avoient été reçus sur une affaire civile de peu d’importance, le seigneur obligeoit les parties à les retirer.

Si un fait étoit notoire[1] ; par exemple, si un homme avoit été assassiné en plein marché, on n’ordonnoit ni la preuve par témoin ni la preuve par le combat ; le juge prononçoit sur la publicité.

Quand dans la cour du seigneur on avoit souvent jugé de la même maniere, & qu’ainsi l’usage étoit connu[2], le seigneur refusoit le combat aux parties, afin que les coutumes ne fussent pas changées par les divers événements des combats.

On ne pouvoit demander le combat que pour[3] soi, ou pour quelqu’un de son lignage, ou pour son seigneur-lige.

Quand un accusé avoit été absous[4], un autre parent ne pouvoit demander le combat ; autrement les affaires n’auroient point eu de fin.

Si celui dont les parens vouloient venger la mort venoit à reparoître, il n’étoit plus question du combat : il en étoit de même[5], si, par une absence notoire, le fait se trouvoit impossible.

Si un homme[6] qui avoit été tué, avoit, avant de mourir, disculpé celui qui étoit accusé, & qu’il eût nommé un autre, on ne procédoit point au combat ; mais s’il n’avoit nommé personne, on ne regardoit sa déclaration que comme un pardon de sa mort : on continuoit les poursuites ; & même, entre gentilshommes, on pouvoit faire la guerre.

Quand il y avoit une guerre, & qu’un des parens donnoit ou recevoit les gages de bataille, le droit de la guerre cessoit ; on pensoit que les parties vouloient suivre le cours ordinaire de la justice ; & celle qui auroit continué la guerre, auroit été condamnée à réparer les dommages.

Ainsi la pratique du combat judiciaire avoit cet avantage, qu’elle pouvoit changer une querelle générale en une querelle particuliere, rendre la force aux tribunaux, & remettre dans l’état civil ceux qui n’étoient plus gouvernés que par le droit des gens.

Comme il y a une infinité de choses sages qui sont menées d’une maniere très-folle, il y a aussi des folies qui sont conduites d’une maniere très-sage.

Quand[7] un homme appelé pour un crime, montroit visiblement que c’étoit l’appellant même qui l’avoit commis, il n’y avoit plus de gages de batailles ; car il n’y a point de coupable qui n’eût préféré un combat douteux à une punition certaine.

Il n’y avoit[8] point de combat dans les affaires qui se décidoient par des arbitres ou par les cours ecclésiastiques ; il n’y en avoit pas non plus, lorsqu’il s’agissoit du douaire des femmes.

Femme, dit Beaumanoir, ne se peut combattre. Si une femme appelloit quelqu’un sans nommer son champion, on ne recevoit point les gages de bataille. Il falloit encore qu’une femme fût autorisée par son[9] baron, c’est-à-dire, son mari, pour appeller ; mais sans cette autorité elle pouvoit être appellée.

Si l’appellant[10] ou l’appellé avoient moins de quinze ans, il n’y avoit point de combat. On pouvoit pourtant l’ordonner dans les affaires de pupilles, lorsque le tuteur ou celui qui avoit la baillie, vouloit courir les risques de cette procédure.

Il me semble que voici les cas où il étoit permis au serf de combattre. Il combattoit contre un autre serf ; il combattoit contre une personne franche, & même contre un gentilhomme, s’il étoit appellé ; mais s’il l’appelloit[11], celui-ci pouvoit refuser le combat ; & même le seigneur du serf étoit en droit de le retirer de la cour. Le serf pouvoit, par une chartre du seigneur[12], ou par usage, combattre contre toutes personnes franches ; & l’église[13] prétendoit ce même droit pour ses serfs, comme une marque[14] de respect pour elle.


  1. Beaumanoir, ch. lxi, p. 308. Ibid. ch. xliii, page 239.
  2. Ibid. ch. lxi, pag. 314 ; voyez aussi Défontaines, ch. xxii, art 24.
  3. Ibid. ch. lxiii, page 322.
  4. Ibid.
  5. Beaum. ch. lxiii, page 322.
  6. Ibid. page 323.
  7. Beaumanoir, ch. lxiii, page 324.
  8. Ibid. page 325.
  9. Ibid.
  10. Beaum. page 323. Voyez aussi ce que j’ai dit au liv. XVIII.
  11. Ibid. ch. xliii, page 322.
  12. Défontaines, ch. xxii, art. 7.
  13. Habeant bellandi & testificandi licentiam : chartre de Louis le gros, de l’an 1118.
  14. Ibid.