Esprit des lois (1777)/L28/C19


CHAPITRE XIX.

Nouvelle raison de l’oubli des lois Saliques, des lois Romaines & des Capitulaires.


J’ai déjà dit les raisons qui avoient fait perdre aux lois saliques, aux lois Romaines, & aux capitulaires, leur autorité ; j’ajouterai que la grande extension de la preuve par le combat en fut la principale cause.

Les lois saliques, qui n’admettoient point cet usage, devinrent en quelque façon inutiles, & tomberent : les lois Romaines, qui ne l’admettoient pas non plus, périrent de même. On ne songea plus qu’à former la loi du combat judiciaire, & à en faire une bonne jurisprudence. Les dispositions des capitulaires ne devinrent pas moins inutiles. Ainsi tant de lois perdirent leur autorité, sans qu’on puisse citer le moment où elles l’ont perdue ; elles furent oubliées, sans qu’on en trouve d’autres qui ayant pris leur place.

Une nation pareille n’avoit pas besoin de lois écrites, & ses lois écrites pouvoient bien aisément tomber dans l’oubli.

Y avoit-il quelque discussion entre deux parties ? on ordonnoit le combat. Pour cela il ne falloit pas beaucoup de suffisance.

Toutes les actions civiles & criminelles se réduisent en faits. C’est sur ces faits que l’on combattoit ; & ce n’étoit pas seulement le fond de l’affaire qui se jugeoit par le combat, mais encore les incidens & les interlocutoires, comme le dit Beaumanoir[1], qui en donne des exemples.

Je trouve qu’au commencement de la troisieme race, la jurisprudence étoit toute en procédés ; tout fut gouverné par le point-d’honneur. Si l’on n’avoit pas obéi au juge, il poursuivoit son offense. À Bourges[2], si le prévôt avoit mandé quelqu’un, & qu’il ne fût pas venu : « Je t’ai envoyé chercher, disoit-il, tu as dédaigné de venir ; fais-moi raison de ce mépris » ; & l’on combattoit. Louis le gros réforma[3] cette coutume.

Le combat judiciaire étoit en usage[4] à Orléans dans toutes demandes de dettes. Louis le jeune déclara que cette coutume n’auroit lieu que lorsque la demande excéderoit cinq sols. Cette ordonnance étoit une loi locale ; car du temps de Saint Louis[5], il suffisoit que la valeur fût de plus de douze deniers. Beaumanoir[6] avoit oui dire à un seigneur de loi, qu’il y avoit autrefois en France cette mauvaise coutume, qu’on pouvoit louer pendant un certain temps un champion pour combattre dans ses affaires. Il falloit que l’usage du combat judiciaire eût pour lors une prodigieuse extension.


  1. Ch. lxi, pages 309 & 310.
  2. Chartre de Louis le gros, de l’an 1145, dans le recueil des ordonnances.
  3. Ibid.
  4. Chartre de Louis le jeune, de l’an 1168, dans le recueil des ordonnances.
  5. Voyez Beaumanoir, ch. lxiii, page 325.
  6. Voyez la coutume de Beauvoisis, ch. xxviii, page 203.