Esprit des lois (1777)/L23/C7


CHAPITRE VII.

Du consentement des peres au mariage.


Le consentement des peres est fondé sur leur puissance, c’est-à-dire, sur leur droit de propriété ; il est encore fondé sur leur amour, sur leur raison, & sur l’incertitude de celle de leurs enfans, que l’âge tient dans l’état d’ignorance, & les passions dans l’état d’ivresse.

Dans les petites républiques ou institutions singulieres dont nous avons parlé, il peut y avoir des lois qui donnent aux magistrats une inspection sur les mariages des enfans des citoyens, que la nature avoit déjà donnée aux peres. L’amour du bien public y peut être tel, qu’il égale ou surpasse tout autre amour. Ainsi Platon vouloit que les magistrats réglassent les mariages : ainsi les magistrats Lacédémoniens les dirigeoient-ils.

Mais, dans les institutions ordinaires, c’est aux peres à marier leurs enfans : leur prudence à cet égard sera toujours au-dessus de toute autre prudence. La nature donne aux peres un désir de procurer à leurs enfans des successeurs, qu’ils sentent à peine pour eux-mêmes : dans les divers degrés de progéniture, ils se voient avancer insensiblement vers l’avenir. Mais que seroit-ce, si la vexation & l’avarice alloient au point d’usurper l’autorité des peres ? Écoutons Thomas Gage[1], sur la conduite des Espagnols dans les Indes.

« Pour augmenter le nombre des gens qui payent le tribut, il faut que tous les Indiens qui ont quinze ans se marient ; & même on a réglé le temps du mariage des Indiens à quatorze ans pour les mâles, & à treize pour les filles. On se fonde sur un canon qui dit, que la malice peut suppléer à l’âge ». Il vit faire un de ces dénombrements : c’étoit, dit-il, une chose honteuse. Ainsi, dans l’action du monde qui doit être la plus libre, les Indiens sont encore esclaves.


  1. Relation de Thomas Gage, page 171.