Esprit des lois (1777)/L22/C7


CHAPITRE VII.

Comment le prix des richesses se fixe dans la variation des richesses de signe.


L’argent est le prix des marchandises ou denrées. Mais, comment se fixera ce prix ? c’est-à-dire, par quelle portion d’argent chaque chose sera-t-elle représentée ?

Si l’on compare la masse de l’or & de l’argent qui est dans le monde, avec la somme des marchandises qui y sont, il est certain que chaque denrée ou marchandise en particulier pourra être comparée à une certaine portion de la masse entiere de l’or & de l’argent. Comme le total de l’une est au total de l’autre, la partie de l’une sera à la partie de l’autre. Supposons qu’il n’y ait qu’une seule denrée ou marchandise dans le monde, ou qu’il n’y en ait qu’une seule qui s’achete, & qu’elle se divise comme l’argent ; cette partie de cette marchandise répondra à une partie de la masse de l’argent ; la moitié du total de l’une à la moitié du total de l’autre ; la dixieme, la centieme, la millieme de l’une, à la dixieme, à la centieme, à la millieme de l’autre. Mais comme ce qui forme la propriété parmi les hommes, n’est pas tout à la fois dans le commerce ; & que les métaux ou les monnoies, qui en sont les signes, n’y sont pas aussi dans le même temps ; les prix se fixeront en raison composée du total des choses avec le total des signes, & de celle du total des choses qui sont dans le commerce avec le total des signes qui y sont aussi : & comme les choses qui ne sont pas dans le commerce aujourd’hui peuvent y être demain, & que les signes qui n’y sont point aujourd’hui peuvent y rentrer tout de même, l’établissement du prix des choses dépend toujours fondamentalement de la raison du total des choses au total des signes.

Ainsi le prince ou le magistrat ne peuvent pas plus taxer la valeur des marchandises, qu’établir par une ordonnance que le rapport d’un à dix est égal à celui d’un à vingt. Julien[1] ayant baissé les denrées à Antioche, y causa une affreuse famine.


  1. Histoire de l’Église, par Socrate, liv. II.