Esprit des lois (1777)/L10/C2


CHAPITRE II.

De la guerre.


La vie des états est comme celle des hommes. Ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle ; ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

Dans le cas de la défense naturelle, j’ai droit de tuer ; parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m’attaque est à lui : de même un état fait la guerre, parce que sa conservation est juste comme toute autre conservation.

Entre les citoyens, le droit de la défense naturelle n’emporte point avec lui la nécessité de l’attaque. Au lieu d’attaquer, il n’ont qu’à recourir aux tribunaux. Ils ne peuvent donc exercer le droit de cette défense, que dans les cas momentanés, où l’on seroit perdu si l’on attendoit le secours des lois. Mais entre les sociétés, le droit de la défense naturelle entraîne quelquefois la nécessité d’attaquer, lorsqu’un peuple voit qu’une plus longue paix en mettroit un autre en état de le détruire ; & que l’attaque est, dans ce moment, le seul moyen d’empêcher cette destruction.

Il suit de-là que les petites sociétés ont plus souvent le droit de faire la guerre que les grandes, parce qu’elles sont plus souvent dans le cas de craindre d’être détruites.

Le droit de la guerre dérive donc de la nécessité & du juste rigide. Si ceux qui dirigent la conscience, ou les conseils des princes, ne se tiennent pas là, tout est perdu ; & lorsqu’on se fondera sur des principes arbitraires de gloire, de bienséances, d’utilité, des flots de sang inonderent la terre.

Que l’on ne parle pas sur-tout de la gloire du prince ; sa gloire seroit son orgueil ; c’est une passion, & non pas un droit légitime.

Il est vrai que la réputation de sa puissance pourroit augmenter les forces de son état ; mais la réputation de sa justice les augmenteroit tout de même.