Encyclopédie méthodique/Logique et métaphysique/Tome I/I

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I.


IDÉE, s. f. (Log.) Nous trouvons en nous la faculté de recevoir des idées, d’appercevoir les chosesy.de nous les représenter. L’idée ou la perception est le sentiment qu’a l’ame de Féta’t òìi elle se trouve. ’ ’ Cet article, un des plus importans de la philosophie , pourroit comprendre toute cette science quenous connoissons sons le nom de Logique. Les iiées sont les premiers degrés de nos connoissances, toutes nos facultés en dépendent. Nos jugemens, nos raisonnemens, la méthode que nous présente la Logique, n’ont proprement pour objet que nos idées. II seroit aisé de s’étendre fur uri sujet aussi vaste, mais il est plus à propos ici de se resserrer dans de justes bornes, ôc en indiquant seulement ce qui est essentiel, renvoyer aux traités ôc aux livres de Logique, aux essais fur l’entendement humain , aux recherches de la vérité, à tant d’ouvrages de Philosophie qui se font multipliés de nos jours, ôc qui sc trouvent enfieles mains de tout le monde. - Nous nous représentons, ou ce qui se passe , ennous-mêmes, ou ce qui est hors de nous, soit qu’il soit présent ou absent ; nous pouvons aussi nous représenter nos perceptions elles-mêmes. ’ La perception d’un objet à Toccasion de Timpre íïïon qu’il a fait fur nos organes , se nomme jenfation. Celle d’un objet absent qui se représente sous une image corporelle, porte le nom d’imagination. Et la perception d’une chose qui ne tombe pas fous les sens , ou même d’un objet sensible , quand òn ne se le représente pas sous une image corporelle , s’apppelle idée intellecíueUe. Voilà les différentes perceptions qui s’allient & se combinent d’une infinité de manières ; il n’est pas besoin de dire que nous prenons le mot d’idéeou de perception dans le sens le plus étendu , comme comprenant 8c la sensation ôc Vidée proprement dite. Réduisons à trois chefs ce que nous avons à dire fur les idées ; i°. par rapport à leur origine,, i°. par rapport aux objets qu’elles représentent,’ 3*. par rapport à la manière dont elles représentent ces objets. 1 ?. II se présente d’abord une grande question sur la manière dont les qualités des objets produisent en nous des idées ou des sensations ; - 8c c’est fur celles - ci principalement que tombe la difficulté ; car pour les idées que Tamé apperçoit en elle-même, la cause en est Pintéllige.nce ou la faculté de penser, ou fi l’on veut encore , sa manière d’exister ; & quant à celles que nous acquérons en comparant d’autres idées, elles ont pour causes les idées elles-mêmes ôc la cfcmparaison que Famé en fait. Restent.dònc les idées que nous acquérons par le moyen des sens ; fur quoi Ton demande comment les objets produisant seulement un mouvement dans les nerfs, peuvent imprimer des idées dans notre ame ? Pour résoudre cette question, il faudroit connoître à fond la nature de Tame 8c du corps, ne pas s’en tenir seulement à ce que nous présentent leursj facultés ôc leurs propriétés , mais pénétrer dans ; ce mystère inexplicable, qui fait l’union merveilleuse de ces deux substances. Remonter à la première cause en disant que la, faculté de penser a été accordée à Thomme par le créateur, ou avancer simplement que toutes nos idées viennent des sens ; ce n’est pas assez, ôc c’est même ne rien dire fur la question : outre qu’il s’en faut de beaucoup que nos idées soient dans nos sens, telles qu’elles font dans notre esprit, ôc c’esl-Ià la question. Comment à Toccasion d’une impression de l’objet sur Torgane , la perception se forme-t-elle dans Tame ? Admettre une influence réciproque d’une des substances fur l’autre, c’est encore ne rien expliquer. Prétendre que Tame forme elle-même ses idées, indépendamment du mouvement ou de l’impresfion de Tobjet, ôc qu’elle se représente les objets desquels, par le seul moyen des idées, elle acquiert la connoissance , c’est une chose plus difficile encore à concevoir, 8c c’est ôter toute relation entre la cause ôc Teffet. Recourir aux idées innées, ou avancer que notre ame a été créée avec toutes ses idées, c’est se servir de termes vagues qui ne signifient rien ; c’est anéantir en quelque sorte toutes nos sensations , ce qui est bien contraire à, Texpérience ; c’est confondre ce qui peut être vrai à certains égards des principes, avec ce qui ne Test pas des idées dont il est ici question ; ôc c’est renouvelles des disputes qui ont été amplement discutées ’dans Texcellent ouvrage fur l’entendement hu-Imain. Assurer que l’ame a toujours des idées, qu’il ne faut point chercher d’autre cause que fa manière d’être, qu’elle pense lors même qu’elle ne s’en apperçoit pas , c’est dire qu’elle pense fans penser, assertion dont, par cela même qu’on n’en a ní le sentiment ni le souvenir, Ton ne peut donner de preuve. Pourroit-on supposer avec Mallebranche qu’il ne sauroit y avoir aucune autre preuve de nos

!• idées,’ que les idées même dans Têtre souveraine

ment intelligent, 8c conclure que nous acquérons nos idéesdans Tinstant que notre ameles apperçoit en Dieu ? Ce roman métaphysique ne scmble-t il pas dégrader Tintelligence suprême ? La fausseté des autres systèmes scffit-elle pour le rendre vraisemblable ? ôc n’est-ce pas jetter une nouvelle obscurité sur une question déjà très-obscure par elle même ?

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A la suite de tant d opinions différentes fur 1 origine des idées, Ton ne peut se dispenser d’indiquer celles de Léibnitz,

qui sc lie en quelque

forte avec les idées innées ; ce qui semble déjà former un préjugé contre ce fystême. De la simplicité de l’ame humaine, il en conclut qu’aucune chose créée ne peut agir sur elle, que tousses changemens qu’elle éprouve dépendent d’un principe interne, que ce principe est la constitution même de Tame, qui est formée de manière qu’elle a en elle différentes perceptions, les unes distinctes, plusieurs confuses, ôc un très-grand nombre de fi obscures, qu’à peine Tame les apperçoit-elle.

Que toutes ces idées ensemble forment le tableau de Tunivers ; que suivant la différente relation de chaque ame avec cet univers, ou avec certaines parties de Tunivers, elle a le sentiment des idées distinctes, plus ou moins, suivant le plus ou se moins de relation. Tout d’ailleurs étant lié dans Tunivers, chaque partie étant une fuite des autres parties, de même Vidée représentative a une liaison si nécessaire avec la représentation du tout, qu’elle ne sauroit en être séparée. D’où il suit que, comme les choses qui arrivent dans Tunivers se succèdent suivant certaines loix, de même dans Tame, ses idées deviennent successivement distinctes, suivant d’auttes loix adaptées á la nature de Tintelligence. Ainsi ce n’est ni le mouvement, ni Timpreffion

fur Forgane, qui excite des sensations ou des perceptions dans Tame ; je vois la lumière, j’entends un son, dans le même instant les perceptions représentatives de la lumière 8c du son s’excitent dans mon ame par fa constitution, 8c par une

harmonie nécessaire, d’un côté entre toutes les parties de Funivers, de l’autre entre les idéesde mon ame, qui d’obscures qu’elles étoient, deviennent successivement distinctes. Telle est Texpofition la plus simple de la partie du fystême de Léibnitz, qui regarde Torigine des idées. Tout y dépend d’une connexion nécessaire entre une idée distincte que nous avons, ôc toutes les idéesobscures qui peuvent avoir quelque rap-n port avec elle, qui se trouvent nécessairement

dans notre ame. Or Ton n’apperçoit point, 8c l’expérience semble être contraire à cette liaison entre les idées qui se succèdent ; mais ce n’est pas la seule difficulté que Ton pourroit élever contre ce fystême, 6c contre tous ceux qui vont à expliquer une chose qui vraisemblablement nous

fera toujours inconnue.

Que notre ame ait des perceptions clout elle ne prend jamais connoissance,

dont elle n’a paj

la conscience, pour me servir du terme introduit par M. Loke, ou que l’ame n’ait point d’autres idées que celles qu’elle apperçoit, ensorte que la

perception soit le sentiment même, ou la conscience qui avertit Tame de ce qui se passe en elle} l’un ou l’autre fystême, auxquels se réduisent proprement tous ceux que nous avons indiqués, n’ex «  plique point la manière dont le corps agit fur Tame, ôc celle-ci réciproquement. Ce sont deux substances trop différentes ; nous ne connoissons l’ame que par ses facultés, ôc ces facultés que par leurs effets : ces effets se manifestent à nous par [’intervention

du corps. Nous voyons par-là

l’influence de l’ame fur le corps, ôc réciproquement celle du corps fur Tame ; mais nous ne pouvons pénétrer au-delà. Le voile, restant fur la nature de Tame, nous ne pouvons savoir ce qu’est une idée considérée dans Tame, ni comment elle, s’y produit ; c’est un fait, le comment est encore dans Tobseutité, 8c sera fans doute toujours livré aux conjectures.

iQ. Passons aux objets de nos idées. Ou ce font, des êtres réels ôc qui existent hors de nous 8c dans nous, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas, tels sont les corps, les esprits, Têtre suprême. Ou ce sont des êtres qui.j n’existent que dans nos idées, des productions de notre esprit qui joint diverses idées. Alors ces êtres, ou ces objets de nos idées n’ont qu’une existence idéale ; ce sont ou des êtres de raison, des manières de penser qui nous servent à imaginer, à composer, à retenir, à expliquer plus facilement ce que nous concevons ; telles sont les relations, les privations,

les signes, les idées universelles, 8cc. Ou ce sont des fictions distinguées des êtres de raison, en ce qu’elles sont formées par la réunion ou la séparation de plusieurs idées simples, 8c sont plutôt un effet de ce pouvoir oa de cette faculté que nous avons d’agir fur nos idées, ôc qui pour Fordinaire est désigné par le mot d’imagination. Tel est un palais de diamant, une montagne d’or, 8c cent autres chimères, que nous ne prenons que trop souvent pour des réalités. Enfin, nous avons pour objet de nos idées des êtres qui n’ont ni existence réelle ni idéale, qui n’existent que dans nos discours, & pour cela on leur donne simplement une exis tence verbale. Tel est un cercle quarré^e plus

grand de tous les nombres. ôc si l’on vouloit en donner d’autres exemples, on les trouveroit aisément dans les idées contradictoires, que les

hommes ôc même les philosophes joignent ensemble, fans avoir produit autre chose que des mots dénués de sens ôc de réalité. Ce seroit trop entreprendre que de parcourir dans quelque détail les idees que nous avons fur ces différens objets ; disons feulement un mot fur la manière dont les êtres extérieurs ôc réels se présentent à nous au moyen des idées, 8c c’est une observation’ générale qûî se lie à la question de l’origíne des idées. Ne confondons pas ici la perception qui est dans l’esprit avec les qualités du corps qui produisent cette perception.

Ne nous figurons pas

que nos idées soient des images ou des ressemblances parfaites de ce qu’il y-a dans le sujet qui les produit ; entre la plupart de nos sensations & leurs causes, il n’y a pas plus de ressemblance qu’entre ces mêmes idées ôc leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faisons une distinction. Les qualités des objets, ou tout ce qui est dans un objet, se trouve propre à exciter en nous une idée. Ces qualités sont premières ôc essentielles ; c’est-à-dire, indépendantes de toutes relations de cet objet avec les autres êtres, Ôc telles qu’il les conferveroit, quand même il existeroit seul. Ou elles, font des qualités/ecorciser, qui ne consistent que dans les relations que l’objet a avec d’autres , dans la puissance qu’il a d’agir fur d’autres , d’en changer F état ou de changer lui-même d’état, étant appliqué à un autre objet ; si c’est "fut nous qu’il agit, nous appelions ces qualités sensibles ; si c’est fur d’autres , nous les appelions fuisancts ou facultés. Ainsi la propriété qu’a lé feu de nous échauffer , de nous éclairer, font des qualités sensibles, qui ne seroient rien, s’il n’y avoit dès êtres sensibles , chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations ; de même la puissance qu’il a de fondre le plomb , par exemple , lorsqu’il lui est appliqué, est une qualité seconde du seu , qui excite chez nous de nouvelles idées qui nous auroient été absolument inconnues, îi Ton n’ayoit jamais fait Fessai de cette puissance du feu fur le plomb.

Disons que les idées des qualités premières des objets représentent parfaitement leurs objets ;

que les originaux de ces idées existent réellement ; qu’ainsi Fidée que vous vous formez de l’étendue estvéritablement conforme à l’étendue qui existe. Je pense qu’il en est de même des puissances du .

corps , ou du pouvoir qu’il a en vertu de ses qualités premières ôc originales de changer Fétat d’un autre, ou d’en être changé. Quand le feu consume le bois , je crois que la plupart des hommes conçoivent le feu comme un amas de particules en mouvement,

ou comme autant de

petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles 8c les plus légères pour s’élever en fumée, tandis que les plus grossières tombent en forme de cendre.

Mais pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s’y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles ; elles ne sont point semblables aux idées que Ton s’en forme , ce qui influe pour Tordinaire survie jugement qu’on porte des puissances ôc des qualités premières. Cela peut venir de ce qu’on n’apperçoit pas par les sensles qualités originales dans les élémens dont les corps font composés,’

de ce que les idées des

-qualités sensibles qui font effectivement toutes

spirituelles,

ne nous paroissent tenir rien de lá grosseur, de la figure des autres qualités corporelles ; Ôc enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir

comment ces qualités peuvent produire les idées ôc les sensations descoúleurs, des

odeurs ôc des autres qualités sensibles, fuite du mystère inexplicable qui règne, comme nous savons dit, dans la liaison de Tame 8c du corps. Mais pour cela le fait n’en est pas moins vrai ; Ôc fi nous en cherchons la raison, nous verrons que Ton en a plus d’attribuer au feu, par exemple , de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appelions ìa chaleur, nous est fidellement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom , que Ton en a de donner à une aiguille qui me pique , la douleur qu’elle me cause ; si ce n’est que nous voyons distinctement l’impression que Taiguille produit chez moi, en s’infinuant dans ma chair , au lieu que nous n’appercevons pas la même chose à Tégard du feu ; mais cette différence , fondée uniquement fur la portée de nos sens, n’a rien d’essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, ôc de leur conformité à nos idées ou sensations ; c’est que la même qualité nous est représentée par des sensations très-différentes , de douleur ou de plaisir , suivant les temps ôc les circonstances. L’expérience montre

d’ailleurs en plusieurs cas , que ces qualités que les sens nous font appercevoir dans ses objets, ne s’y trouvent réellement pas. D’où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas, ôc que les perceptions que nous en avons peuvent être conformes à leurs objets ; mais que les qualités sensibles n’y font pas plus réellement que la douleur dans une aiguille ; qu’il y a dans les corps quelques qualités premières , qui sont les sources ôc ses principes des qualités secondes ou sensibles, lesquelles n’ont rien de semblable avec celles-ci qui en dérivent, 8c que nous prêtons aux corps.

Faites que vos yeux ne voient ni lumière ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d’aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur ; dès-lors ces couleurs, ces sons ôc ces odeurs s’évanouiront 8c cesseront d’exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, 8c ne . seront plus ce qu’elles sont réellement, une fi-

gure , un mouvement,

une situation de parties :

auflî un aveugle n’a-t-il aucune perception de la lumière,

des couleurs.

Cette distinction bien établie pourroit nous

mener à la question de Tessence 8c des qualités esi sentielles des êtres, àjfaire voirie peud’exacttitude des idées que nous nous formons des êtres extéi rieurs, à ce que nous connoisson des substances ï & a ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manières d'être & à ce qui en a fait le principe ; mais outre que celanous mèneroit trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons-nous d'avoir indiqué cette distinction sur la manière de connoître les qualités premières & les qualités sensibles d'un objet, & passons aux êtres qui n'ont qu'une existence idéale. Pour les faire connoître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considère d'une manière générale, & dont il se forme ce que l’on appelle idées universelles.

Si je me représente un être réel, Ôc que je pense en même temps à toutes les qualités qui lui font particulières, alors Vidée que je me fais de cet individu est une idée singulière ; mais si, écartant toutes ces i.iées particulières, je m'arrête seulement à quelques qualités de cet être qui soient communes à tous ceux de la |même espèce, je forme par-là une idée universelle, générale.

Nos premières idées font visiblement singulières. Je me fais d'abord une idée particulière de mon père, de ma nourice ; j'observe ensuite d'autres êtres qui ressemblent à ce père, à cette femme, j par la forme, par le langage, pat d'autres qualités. Je remarque cette ressemblance ; j'y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon père, ma nourrice, font distingués de ces êtres ; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également ; je juge ensuite par ce que j'entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m'environnent, & qu'elle est désignée par le mot d'hommes. Je me fais donc une idée générale ; c'est-à-dire, j'écarte de plusieurs idées singulières ce qu'il y a de particulier à chacun, & je ne retiens que ce qu'il y a de commun à toutes : c'est donc à l’abstraction que ces sortes d'idées doivent leur naissance.

Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu'elles ne sont que des manières de penser, & que leurs objets, qui sont des êtres universels, n'ont qu'une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choies ou dans la ressemblance des individus ; d'où il fuit qu'en observant cette ressemblance des idées singulières, on se forme des idées générales ; qu'en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s'en former de plus générales encore ; ainsi l’on construit une forte d'échelle ou de pyramide qui monte par degrés, depuis les individus jusqu'à Vidée de toutes, la plus généraìe, qui est celle de l’être.

Chaque degré de cette pyramide, à I'exception du plus haut 3c du plus bas, sont en même tems espèce & gerre ; espèce, relativement au degré supérieur ; genre, par rapport à l'inférieur. La


ressemblance entre plusieurs personnages de diffeV rentes nations leur fait donner le nom d'hommes. I Certains rapports entre les hommesôc ses betes les font ranger sous une même ciasse désignée ious le nom d'animaux.Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d'êtres vivans ; l’on peut aisément ajoutes des degrés à cette échelle. Si on ne la borne là, elle présente l’être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux espèces, les animaux & les plantes, qui, relativement à des dégrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres. Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles que parce qu'elles ont moins de parties, moins d'idées particulières, il semble : qu'elles d'evroient être d'autant plus à la porte'e de notre esprit. Cependant l’expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, & plus on a de peine à les saisir & â les retenir, à moins qu'on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, & dans fa mémoire par un emploi' fréquent de ce nom ; c'est que ces idées abstraites" ne tombent ni sous les sens ni sous l'imagination, qui sont les deux~facultés de notre ame, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer & retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu ; ce qui ne se fait pas sans un travail d'esprit, pénible pour le commun des hommes, & qui devient difficile, si l’on n'appelle les sens & l'imagination au secours de l'esprit, en fixant ces idées par des noms : mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familières & les plus communes. L'étude & l’usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d'où l’on peut conclure que presque toutes les idées des hommes font des idées générales, & qu'il est beaucoup plus aise & plus commode de penser ainsi d'une manière universelle. Qui pourroit en effet imaginer ÔCretenir des noms propres pour, tous les êtres que nous connoissons ? A quoi aboutiroit cette multitude de noms singuliers ? Nos connoissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulières ; mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses rangées pour cela sous certaines espèces, & appellées d'un même nom.

Ce que nous venons de dire sur les idées universelles peut s'étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l'existence n'est qu'idéale : passons à la manière dont elles nous peignent ces objets.

3°, A cet égard on distingue les idées en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vue de l'esprit les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vue. C'est ainsi que nous disons qu'une idée est claire, quand elle est telle qu’elle suffit pour nous faire connoître ce qu’elle représente, dès que l’objet vient s’offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n’ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, la couleur de cerise pour la couleur de rose. Celui là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d’une autre qui ne l’est pas : mais c’est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.

La clarté & l’obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L’idée d’une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un temps, & devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être divisée en idée distincte & idée confuse. Distincte, quand nous pouvons détailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d’autres à peu près semblables ; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu’étant claire, c’est-à-dire, distinguée de toute autre, on n’est pas en état d’entrer dans le détail de ses parties.

Il en est encore ici comme du sens de la vue. Tout objet vu clairement ne l’est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement, à moins que d’affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L’idée de la couleur rouge est une idée claire, car l’on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais fi l’on demande à quelqu’un à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura quoi répondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, & je crois qu’on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d’un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n’hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. Demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu’ils n’ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire & une idée distincte ; c’est que celui qui n’a qu’une idée claire d’une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n’a qu’une idée claire, mais confuse de la beauté d’un poëme, il vous dira que c’est l’Iliade, l’Enéide, ou il ajoutera quelques synonymes ; c’est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez ; des idées, n’en attendez pas de lui.

Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l’erreur ; ce qui mérite que l’on s’y arrête-pour faite voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela, une idée distincte doit être complette ; c’est a-dire, qu’elle doit renfermer les marques propres à faire reconnoître son objet en tout temps & en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut être une idée distincte ; mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout temps un fou d’un homme sage ?

Outre cela, les idées distinctes doivent être ce qu’on appelle dans l’école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c’est l’habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n’est ni complettement distincte, ni adéquate, quand on ne fait que d’une manière confuse ce que c’est que l’habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c’est qu’une action libre. Mais elle devient complette & adéquate, quand on se dit qu’une habitude est une facilité d’agir, qui s’acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c’est choisir, entre plusieurs manières d’agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du législateur suprême qu’il a fait connoître aux hommes par la raison & par la conscience ; qu’enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.

Ainsi l’idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir, entre plusieurs manières d’agir que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s’accommode le mieux à ce que la raison & la conscience nous représentent comme conformes à la volonté de Dieu ; & cette idée de la vertu est non-seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la tendre plus distincte encore, on pourroit pousser cette analyse plus loin, & en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans Vidée de vertu, on seroit surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plupart de ceux qui l’emploient, ne pensent guères. Il convient même de s’arrêter quand on est parvenu a des idées claires, mais confuses, que l’on ne peut plus résoudre ; aller au-delà, ce seroit manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s’éclairer soi-même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l’esprit. Dans le second cas, nous remplissons nos vues, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier, il suffit d’être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.

De là on peut conclure l’importance de ne pas se contenter d’idées confuses dans les cas ou l’on peut s’en procurer de distinctes ; c’est ce qui donne cette netteté d’esprit qui en fait toute la justesse. Pour cela il faut s’exercer de bonne heure & assiduement sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, & sous toutes les relations qu’ils peuvent avoir, en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, & en observant l’ordre & la liaison qu’elles ont entr’elles.

Passent ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, & l’on se fera par là une habitude d’avoir presque sans travail & sans peine des idées distinctes, & même de discerner toutes les idées particulières qui entrent dans la composition de l’idée principale. C’est ainsi qu’en analysant les idées de plusieurs objets, l’on parviendra à acquérir cette qualité d’esprit qu’on désigne par le mot profondeur. Au contraire, en négligeant cette attention, l’on n’aura jamais qu’un esprit superficiel qui se contente des idées claires, & qui n’aspire point à s’en former de distinctes, qui donne beaucoup à l’imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu’elles ont de sensible ; ne voulant ou ne pouvant avoir d’idées de ce qu’elles ont d’abstrait & de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l’ordinaire est un fort mauvais guide.

C’est sur-tout le manque d’attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n’en avons que des idées obscures ; & comme nous ne pouvons pas toujours conserver présens les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre ame, l’expérience fait voir que les idées s’effacent autant & par les mêmes degrés par lesquels elles ont été acquises, & se sont gravées dans l’ame ; en-sorte que nous ne pouvons plus nous représenter l’objet, quand il est absent, ni le reconnoître, quand il est présent : des idées légèrement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seroient bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, & deviendront si obscures, qu’elles se réduisent à rien. L’exemple de la manière dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en seroit une preuve, si l’on n’en avoit une infinité d’autres.

La manière de voir, d’envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l’étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulières qui en dépendent, de s’appliquer à se rendre familiers les premiers principes & les propositions-générales, de se les rappeller souvent, de ne pas s’occuper de trop d’objets à la fois, ni d’objets qui ayant trop de rapports, peuvent se confondre ; de ne point passer d’un objet à l’autre qu’on ne s’en soit fait une idée distincte, s’il est possible : tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connoître, d’étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les régles, que l’on trouvera dans un traité de Logique bien fait.

Convenons cependant qu’il est des choses dont, avec toute l’attention & la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l’objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet différent trop peu entr’elles, pour que nous puissions les démêler & en saisir ses différences, soit qu’elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l’essentiel d’une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangères qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain par exemple, est tellement combinée dans toutes ses parties, que la sagacité des plus habiles n’y peut voir la millième partie de ce qu’il y auroit à connoître pour s’en former une idée complettement distincte. Le mycroscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets qui, avant ces découvertes étoient dans le second cas ; c’est-à -dire, très-obscures par la petitesse ou l’éloignement de ces objets ; & encore combien sommes-nous éloignés d’en avoir des idées nettes ! La plupart des hommes n’ont qu’une idée assez obscure de ce qu’ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d’un effet, la cause se trouve ordinairement enveloppée, & tellement jointe à diverses choses, qu’il leur est difficile de discerner en quoi elle consiste.

Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes ; c’est l’imperfection & l’abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées, il n’est que trop fréquent, & l’expérience nous montre tous les jours que l’on est dans l’habitude d’employer des mots, sans y joindre d’idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d’autres, qui en rendent la signification indéterminée, & de supposer toujours, comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées. Comment se faire des idées- distinctes avec des. : signes, auffi équivoques !. Le meilleur conseil

que Ton puisse donner contre cet abus, c’est qu’après s’être appliqué à n’avoir que des idées bien nettesôc bien déterminées, nous n’employions ja- mais, ou du moins le plus rarement qu’il nous fera possible, des mots qui nous donnent du moins une idée claire que nous tâchions de fixer la signification de ces mots ; qu’en cela nous suivions, autant .qu’on le pourra , l’ufage commun, 8c qu’enfin nous évitions de prendre le même mot en deux sens différens. Si cette règle générale, dictée par le bon sens, étoit suivie ôc observée dans tous ses détails avec quelque soin , les mots, bien loin d’être un obstacle, deviendraient un aide, un secours infini à la recherche de la vérité , par. le moyen des idées distinctes, dont ils doivent être les signes. C’est à Tarticle des’définitions ôc à tant d’autres , fur la partie philosophique de la Grammaire que nous renvoyons. _ Quelque étendue que l’on ait donnée à cet article , il y auroit encore bien des choses à dire fur nos idées, considérées relativement aux facultés de notre ame, fur leurs usages, comme étant les sources de nos jugemens, Ôc les principes de nos connoissances. Mais tout cela a été . dit, ôc se trouve dans un si grand nombre de bons ouvrages fur Tart de penser ôc de communiquer nos pensées, qu’il seroit superflu de s’y arrêter davantage. Quiconque voudra méditer lur ce qui se passe en lui, Iorsqu il s’applique à la recherche de quelque vérité, s’instruira mieux par lui - même de, la nature des idées , de leurs objets ôç de leur utilité. -• - Des idées en général. Chaque homme étant convaincu lui - même qu’il pense , ôc que ce qui est dans son esprit lorsqu’il pense , étant des idées qui Toccupent actuellement , il est hors de doute que les hommes ont plusieurs zdeeidans l’esprit, comme cellesqui font exprimées par ces mots , blancheur, dureté, douceur, pensée , mouvement, homme , éléphant, armée , meurtreôc plusieurs autres. Cela posé, la première chose qui se présente à examiner, c’est comment Thomme vient à avoir toutes ces idées. Je fais que c’est un sentiment généralement établi, que tous les hommes ont des idées innées , certains caractères originaux qui ont été gravés dans leur ame dès le premier moment de leur existence. J’ai déjà examiné au long ce sentiment, Ôc je m’imagine que ce que -j’ai dit pour le réfuter, fera reçu .avec beaucoup plus de facilité , lorsque j’aurai fait voir d’où l’entendement peut tirer toutes les idées qu’il a, par quels moyens ôc par quels degrés elles peuvent venir dans .l’esprit ; sur quoi j’en appellerai à ce que chacun peut observer & - é prouver soi- même, Supposons donc qu’au commencement Tame est ce qu’on appelle une .table rse , vuide de tous caractères , fans aucune idéè quelle qu’elle- soit. Comment vient elle à recevoir des zdéer ? par quel moyen en acouiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de Thomme, toujours agiííante ôc fans bornes , lui présente avec "une variété prefqu’infinie

? D’où puise-t-eile «DUSces 

matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnemens ôc de toutes ses connnoissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience

c’est

là le fondement de toutes nos connoissances ; Sc c’est de-là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons fur les objets extérieurs ôc sensibles, ou furies opérations intérieures de notre ame , que nous appercevons ôc fur lesquelles nous réfléchissons nous - mêmes , fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce font là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons , ou que nous pouvons avoir naturellement. Et premièrement nos sens étant frappés par certains objets extérieurs, font entrer dans notre ame plusieurs perceptions distinctes des choses , selon les diverses manières dont ces objets agik sent fur nos sens. C’est ainsi que nous acquérons les idées que nous avons du blanc , du jaune , du chaud, du froid, du’dur, du mou, du doux, de Tamer , 8c de tout ce que nous appelions qualités sensibles. Nos sens, dis-je , font entrer toutes ces idées dans notre ame, par où j’entends qu’ils font passer des objets extérieurs dans Tame, ce qui y produit ces sortes de perceptions. Et comme cette grande source de la p !ut art des idées que nous avons, dépend entièrement de nos sens, 5c se communique à l’entendement par leur moyen , je Vappelle sensation. L’autre source d’où l’entendement vient à recevoir des idées, c’est la perception des opérations de notre ame fur les iéles qu’elle a reçues par les sens : opérations qui, devenant l’objet des réflexions de l’ame, produisent dans l’entendement une autre eípèce d’idées, que les objets extérieurs n’auroient pu lui fournir

selles que

font les iieeídece qu’on appelle appercevòir.,.penser , douter, croire, raisonner , connoitre , von,. ír , ôc toutes les différentes actions de notre ame , de l’existence desquelles étant pleinement convsincus , parce que nous ks trouvons en nous-mêmes, nous recevons par leur moyen des idées auffi distinctes que celles que les corps produisent en nous, lorsqu’ils viennent à frapper nos sens C’estlà une source d’idées que chaque homme a toujours-en lui-même ; ôc quoique cette faculté ne soit pas un sens, parce qu’elle n’a rien à faire avec les objets extérieurs , elle en approche beaucoup , ôc le nom de Jens intérieur ne lui conviendroit pas mal. Mais comme j’appelle l’autre source de nos idées sensation , je nommerai celle - ci I réflexion, parce que Tame ne reçoit par son moyen 1 Sss » Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/533 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/534 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/535 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/536 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/537 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/538 Voici donc , à mon avis, les deux sources de toutes nos connoissances , Timpreffion que les objets extérieurs font fur nos sens 8c les propres opérations de Tame concernant ces impressions* fur lesquelles elle réfléchit comme fur les véritables objets de ses contemplations. Ainsi la première capacité de l’entendement humain consiste en ce que Tame est propre à recevoir toutes les impressions qui se font en elle, ou par les objets extérieurs à la faveur des sens, ou par ses.propres opérations, lorsqu’elle réfléchitlsur ces opérations. C’est là le premier pas que Thomme fait vers la découverte des choses quelles qu’elles soient. C’est sur ce fondement que sont établies toutes ses notions qu’il aura jamais naturellement dans ce monde- Toutes ces pensées sublimes qui s’élèvent au-dessus des nues ôc pénètrent jusque dans les cieux , tirent de là leur origine : ôc dans toute cette grande étendue que Tame parcourt par ses vastes spéculations, qui íemblent Télever si haut, elle ne passe point au-delà des idées que la sensation ou la réflexion lui présentent pour être lesobjets de ses contemplations. L’esprit est à cet égard purement passif ; ôc il n’est pas en son pouvoir d’avoir ou de n’avoir pas ces tudimens , ôc , pour ainsi dire, ces matériaux de connoissances ; car les idées particulières des objets des sens s’introduisent dans notre ame , soit que nous veuillions ou que nous rre veuillions pas ; ôc les opérations de noire entendement nous laissant pour le moins quelque notion obscure d’elles-mêmes , personne ne pouvant ignorer absolument ce qu’il fait lorsqu’il pense. Lors , dis-je, que ces idées particulières se présentent à l’esprit, l’entendement n’a pas la puissance de les refuser, ou de les altérer, lorfquelles ont fait leur impression , de les effacer ou d’en produire de nouvelles en lui-même, non plus qu’un miroir ne peut point refuser, altérer ou estv.cer les images que les objets produisent fur la glace devant laquelle ils sont placés. Comme les corps qui nous environnent frappent diversement nos organes ; Tame est forcée d’en recevoir les impressions, & ne sauroit s’empêcher d avoir la perception des idées qui sont attachées à ces impressions-là. Des idéessimples. Pour mieux comprendre quelle est la nature 8c l’étendue de nos connoissances , il y a une chose qui concerne nos idées à laquelle il faut bien prendre garde , c’est qu’il y a deux sortes d’idées , les unes simples ôc les autres composées. Bien que les qualités qui frappent nos sens soient si fort unies, ôc si bien mêlées ensemble dans Us choses mêmes ; qu’il n’y ait aucune séparation ou distance entr’clìes, il f st certain néanmoins que les idf’eí que ces diverses qualités produisent dans Tame, y entrent par les sens d’une manière simple ôc fans nul mélange ; car quoique la vue 8cFattouchement excitent souvent’dans íe même temps différentes idées "par le même objet, comme lorsqu’on voit le mouvement "8c la couleur tout à la fois , 8c que la main sent la mollesse ôc la’chaleur d’un même morceau de cire ; cependant les idées simples qui sont ítinsi réunies dans le même sujet, sont aussi parfaitement distinctes que celles qui entrent dans l’esprit par divers sens.’ Par exemple, la froideur ôc la dureté qu’on sent dans un morceau de glace, font des idées auffi distinctes dans Tame, que Fodeur ôc la blancheur d’une fleur de lis, ou que la douceur du sucre 8e Todeur d’une rose ; ôc rien n’est plus évident à un homme que la perception claire 8c distincte qu’il a de ces idées simples, dont chacune prise à part est exempte de toute composition, 8c ne produit par conséquent dans Tame qu’une conception entièrement uniforme , qui ne peut être distingués en différentes idées. ~ ’ Or ces idées simples, qui font les matériaux de• toutes nos connoissances , ne sont suggérées à Tame que par les deux voies dont nous avons parlé ci-dessus, je veux dire, par la sensation ôc par la réflexion. Lorsque l’entendement a une foîs reçu ces idées simples, il a la puislance de les ré- ; péter, de les comparer, de les unir ensemble avec ’ une variété presqu’infinie , ôc de former par ce moyen de nouvelles idées complexes , selon qu’il - le trouve à propos. Mais il n’est pas au pouvoir des esprits les plus sublimes ôc les plus vastes» quelque vivacité ôc quelque fertilité qu’ils puissent avoir , de former dans leur entendement au- cune nouvelle idée simple qui ne vienne par Tune de ces deux voies que je viens d’indiquer

ôcil

n’y a aucune force dans l’entendement qui soit capable de détruire celles qui y sont déjà. L’empire que Thomme a fur ce petit monde ; je veux dire,-fur son propre entendement, est le même queceluiqu’il exercedans ce grand monded’ètres visibles.Comme toute la puislance que nous.avons fur ce monde matériel, ménagée avec tout Tart Ôc toute Tadrelse imaginable, ne s’étend dans se fond qu’à composer Ôc à diviser ks matériaux, qui font à notre disposition, fans qu’il soit en notre pouvoir de faire la moindre particule de nouvelle matière , ou de détruire un seul atome de celle qui existe déjà ; de même nous ne pouvons pas former dans notre entendement aucùn’eidée simple, qui nous vienne parles objets extérieurs à la f iveur des sens , ou par les réflexions que nous_faisons fur les propres opérations de notre esprit. C’est ce que chacun peut éprouver par lui-même. Et peur moi je serois bien aise que 1 quelqu’un voulût essayer de se- donner F/dee-dequelque goût dont sori palais n’eût jamais’été . frappé, ou de se former Vidée d’une odeur qu’il j n’eût jamais sentie ; ÔC lorsqu’il pourra se-faire,j’en conclurai tout aussi-tôt qu’un aveugle a des idées des couleurs ôc un sourd des notions diflírtc- , tes des sons. . . ;’ Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/540 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/541 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/542 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/543 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/544 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/545 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/546 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/547 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/548 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/549 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/550 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/551 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/552 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/553 plus vers la connoissance des choses que par la simple perception , c’est ce que je nomme rétention , faculté par laquelle l’esprit conserve les idées ’

•simples qu’il a reçues par la sensation ou par la réflexion ; ce qui se fait en deux manières. La première, en conservant Fidée qui a été introduite dansTesprit, actuellement présente pendant quelque temps, ce que j’appelle contemplation.

L’autre voie de retenir les idées est la puissance

de rappeller 8c de ranimer , pour ainsi dire, dans l’esprit ces idéei.qui, aprèsyavoir été imprimées, avoient disparu, ôc avoient été entièrement éloignées de fa^vue. C’est ce que nous faisons quand nous concevons la chaleur ou la lumière, le jaune ou le doux, lorsque l’objet qui produit ces sensations est présent, 8c c’est ce qu’on appelle la mémoire , qui est comme le réservoir de toutes nos idées ; car l’esprit borné de l’homme n’étant pas capable de considérer plusieurs idées tout-à-la fois, il «étoitnécessaire qu’il eût un réservoir où il mît les idées dont il pourroit avoir besoin dans un autre temps.Mais comme nos idéesne sont rien autre chose que des perceptions qui sont actuellement dans l’esprit, lesquelles cessent d’être quelque chose , dès qu’elles ne font pas actuellement apperçues ; dire qu’il y a des idées en réserve.dans la mémoire n’emporte dans le fond autre chose,si ce n’est que l’ame a, en plusieurs rencontres, la puissance de

réveiller les perceptions qu’elle a déjà eues, avec un sentiment qui dans ce temps

-

là le convaint

qu’elle a eu auparavant ces sortes de perceptions. Et c’estdans ce sens qu’on peut dire que nos idées font dans la mémoire ; quoiqu’à proprement parler, elles ne soient nulle part. Tout ce qu’on peut dire là-dessus, c’est que Famé a la puissance de réveiller ces idées, lorsqu’elle le veut, 8c de se les peindre, pour ainsi dire, de nouveau à elle-même , ce que quelques-uns font plus aisément fccd’autres avec plus de peine, quelques-uns plus vivement 8c d’autres d’une manière plus foible 8c plus obscure. C’est par le moyen de cette faculté qu’on peut dire que nous avons dans notre entendement, toutes les idées que nous pouvons rappeller dans notre esprit, 8c faire redevenir l’objet de nos pensées, fans l’intervention des qua-

lités sensibles qui les ont premièrement excitées dans Tame.

L’attention 8c la répétition servent beaucoup à fixer les idées dans la mémoire. Mais les idées qui naturellement font d’abord les plus profondes 8c les plus durables impressions, ce sont celles qui sont

accompagnées de plaisir ou -de douleur. .

Comme la fin principale des sens consiste à nous faire connoître ce qui fait du bien ou du mal à notre corps, la nature a sagement établi, comme nous l’avons déjà montré, que la douleur accom- .

pagnât Timpression de certaines idées, parce que tenant la place du raisonnement dans les enfans, | & agissant dans les hommes faits d’une manière bien plus prompte que le raisonnement, elle

1

Encyclopédie. Logique & Métaphysique. Tome l. oblige les jeunes 8c ses vieux à s’éloigner des objets nuisibles avec toute la promptitude qui est nécessaire pour leur conservation ; par le moyen de la mémoire, elle leur’inspire de la précaution pour l’avenir.

Mais pour ce qui est de la différence qu’il y a dans la durée des idées qui ont été gravées dans la mémoire , nous pouvons remarquer que* quelques-unes de ces idées ont été produites dans [’entendement par un objet qui n’a afsectéíes sens qu’une seule fois, ôc que d’autres s’étant présentés plus d’une fois à l’esprit, n’ont pas été fort observées ; l’esprit ne se ses imprimant pas profondément, soit par nonchalance, comme dans les enfarts, soit póur être occupé à autre chose., comme dans les hommes faits fortement appliqués à un íeul objet. Et il se trouve des personnes en qui ces idée-tont été gravées avec soin 8c par des impressions souvent réitérées, 8c qui pourtant ont la mémoire très foible , soit en conséquence du tempérament de leur corps, ou pour quelqu’autre défaut. Dans tous ces cas, les idées qui s’impriment dans Tame, se dissipent bien tôt, ôc souvent s’effacent pour toujours de l’entendement, fans laisser aucunes traces, non plus que Tombre que le vol d’un oiseau fait fur la terre ; de sorte qu’elles ne sont pas plus dans l’esprit que si elles n’y avoient jamais été.

Ainsi, plusieurs des idées qui ont été produites dans l’esprit des enfans, dès qu’ils ont commencé d avoir des sensations ( quelques-unes desquelles, comme celles qui consistent en certains plaisirs ôc . en certaines douleurs, ont peut-être été excitées en eux avant leur naissance, ôc d’autres pendant leur enfance) ; plusieurs, dis-je, de ces idées se perdent entièrement, fans qu’il en reste le moindre vestige , si elles ne sont pas renouvellées dans la fuite de leur vie. C’est ce qu’on peut remarquer dans ceux qui, par quelque malheur, ont perdu la vue, lorsqu’ils étoient fort jeunes, car comme ils n’ont pas fait grande réflexion fur les couleurs, ces idées n’étant plus renouvellées dans leur esprit, s’effacent, entièrement, de sorte que, quelques années après, il ne leur reste non plus d’zde’eou de souvenir des couleurs qu’à des aveugles de naissance. II y a à la vérité des gens dont la mémoire est heureuse jusqu’au prodige. Cependant il me semble qu’il arrive toujours du déchet dans toutes nos idées, dans celleslà mêmes qui sont gravées le plus profondément, Sc dans les esprits qui les conservent le plus longtemps : de forte que si elles ne sont pas renouvellées quelques fois par le moyen des sens ou par la réflexion de Fefpritsur cette espèce d’objets qui en a été la première occasion, Fempreinte I s’eflace, ôc enfin il n’en reste plus aucune image. I Ainsi les idées de notre jeunesse , aussi bien que nos enfans, meurent souvent avant nous. En cela notre esprit ressemble à ces tombeaux dont la

matière subsiste encore : on voit l’airain Sc le 

s,

Xxx Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/555 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/556 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/557 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/558 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/559 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/560 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/561 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/562 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/563 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/564 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/565 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/566 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/567 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/568 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/569 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/570 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/571 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/572 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/573 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/574 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/575 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/576 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/577 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/578 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/579 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/580 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/581 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/582 Après avoir vu qu’on fouîevoit une grosse pierre que Ia main ne pouvoit remuer, l’imagination acîive inventa ses leviers, 8c ensuite les forces mouvantes composées, qui ne sont que des leviers déguises. 11 faut se peindre d’abord dans l’esprit les machines «Scleurs effets pour les exécuter. Ce n’est pas cette sorte d’imagination que le vulgaire appelle, ainsi que la mémoire , Yennemie du jugement ; au contraire, elle ne peut agir qu’avec un jugement profond. Elle combine fans cesse ses tableaux, elle corrige ses erreurs, elle élève tous ses édifices avec ordre. II y a uneimagination étonnante dans la mathématique pratique , 8c Archimède avoit au moins autant d’imagination qu’Homère. C’est par elle qu’un poète crée ses personnages, leur donne des caractères, . des passions ; invente fa fable, en présente Fexpofition , en redouble le noeud, en prépare se dénouement ; travail qui demande encore le jugement le plus profond, 8c en même-tems le plus fin. II faut un très-grand art dans toutes ces imaginations, d’invention, «Sc même dans les romans ; ceux qui en manquent sont méprisés des esprits bien faits. Un jugement toujours sain règne dans les fables d’Esope ; elles seront toujours les délices des nations. II y a plus d’imagination dans les contes de fées ; mais ces imaginations fantastiques, toujours dépourvues d’ordre 8c de bon sens, ne peuvent être estimées ; on les lit par foiblesse , ôc on les condamne par raison. La seconde partie de Yimagination aíîive esscelle de détail, «Scc’est elle qu’on appelle communément imagination dans le monde. C’est elle qui fait se charme de Ia conversation ; car elle préente sans cesseà l’esprit ce que les hommes aiment se mieux , des objets nouveaux ; elle peint vivement ce que les esprits froids dessinent à peine, elle emploie les circonstances les plus frappentes, elle allègue des exemples, «Sc quand ce talent se montre avec Ia sobriété qui convient à tous les talens , il se concilie Tempire de la société. L’homme est tellement machine, que le vin donne quelquefois cette imagination, que Foisiveté anéantit : il y a là de quoi s’humilier, mais de quoi admirer. Comment se peut il faire qu’un peu d’une certaine liqueur qui empêchera de faire un calcul, donnera des idées brillantes ?

C’est fur-tout dans Ia Poésie que cette imagination de détail «Sc d’expression doit régner ; elle est ailleurs agréable ; maislàelle est nécessaire ; presque tout est image dans Homère , dans Virgile , dans Horace, fans même qu’on s’en ap perçoive. La tragédie demande moins d’images, moins d’expressions pittoresques, de grandes métaphores , d’allégories, que le poème épique ou l’ode ; mais la plupart de ces beautés bien ménagées font dans la tragédie un effet «admirable. Un homme qui, fans être poê’te í ose donner uné tragédie , fait dire à Hyppolite , Depuis que je vous vois j’abandonne la chaste. Mais Hyppolite, que le vrai poète fait parler ; dit : Mon arc, mesjavelots, msnehar, tout m’importune : Ces imaginations ne doivent jamais être forcées ; empoulées, gigantesques. Ptolomée parlant dans un conseil d’une bataille qu’il n’a pas vue , 8c qui s’est donnée loin de chez lui, ne doit point peindre Des montagnesdemorts privés d’honneurssuprêmes^ Que la nature force àfe venger eux-mêmes, Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents j’ De quoi faire la guerre au reste des vivants. Une princesse ne doit point dire à un Empereurs La vapeur de monsang ira grossir la foudre, Que Dieu tient déjà prête à te réduire en poudre. On sent assez que Ia vraie douleur ne s’amuse point à une métaphore si recherchée 8c si fausse. II n’y a que trop d’exemples de ce défaut. On les pardonne aux grands poètes ; ils servent à rendre les autres ridicules. L’imagination aclive qui fait les poètes leur donne l’enthousiasme , c’est-à-dire , selon le mot grec, cette émotion interne qui agite en effet l’esprit, «Scqui ttansforme l’auteur dans le perfonnage qu’il fait parler ; car c’est-Ià l’enthousiasme ; il consiste dans I’émotionf 8c dans les images : alors l’auteur dit précisément les mêmes choses que diroit la personne qu’il introduit, Je le vis , je rougis, je pâlis à fa vue- ; Un trouble s’éleva dans mon ame éperdue ; Mes yeux nevoyoient plus, je ne pouvois parler. L’imagination alors ardente «Scsage , n’entasse point de figures incohérentes ; elle ne dit point, , par exemple, pour exprimer un homme épais de corps «Scd’esprit. Qu’il est flanqué de chair , gabionné de lard a Et que la nature En maçonnant les remparts deson ame, Songea plutôt au fourreau qu’4 h lame. II y a de {’imagination dans ces vers ; mais elle est grossière, elle est déréglée , elle est fausse î Fimage de rempart ne peut s’allier à celle de Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/584 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/585 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/586 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/587 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/588 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/589 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/590 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/591 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/592 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/593 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/594 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/595 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/596 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/597 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/598 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/599 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/600 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/601 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/602 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/603 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/604 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/605 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/606 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/607 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/608 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/609 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/610 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/611 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/612 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/613 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/614 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/615 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/616 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/617 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/618 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/619 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/620 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/621 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/622 moins éclairé. C’est avec ces facultés qu’elles exécutent les intentions de la nature,qu’elles servent à l’ornement de Tunivers, «Sc qu’elles accomplissent la volonté, inconnue pour nous, que le créateur euten les formant. (Ane. Encyc.) JUGEMENT, f, m. Les facultés intellectuelles n’ayant p^s été seulement données à Thomme pour la spéculation , mais auffi pouf Ia conduite de fa vie, Thomme seroit dans un -triste état, s’il ne pouvoit tirer du secours-, ’pour cette direction, que des choses qui sont fondées fur la certitude d’une véritable connoissance ; car cette espèce de connoissance étant resserrée dans des bornes fort étroites, comme nous avons déjà vu , il se trouveroit souvent dans de parfaites ténèbres, ôc tout-à-fait indéterminé dans_ la plupart des actions dé fa vie, s’il n’avoit rien pour se conduire , dès qu’une connoissance claire ôc certaine viendroit à lui manquer. Quiconque ne voudra manger qu’après avoir vu démonstrativement qu’une telle viande le nourrira , «Sc quiconque ne voudra agir qu’aptes avoir connu infailliblement que Taffaire qu’il doit entreprendre sera suivie d’un heureux succès, n’aura guères autre chose à faire qu’à se tenir en repos ôc à périr en peu de temps. C’est pourquoi, comme Dieu a exposé certaines choses à nos yeux avec une entière évidence , ôc qu’il nous a donné quelques connoissances certaines, quoique réduites à un très-petit nombre, en comparaison de tout ce que les créatures intellectuelles peuvent comprendre, Sc dont celles-là font apparemment comme des avant-goûts, par où il nous veut porter à désirer Ôc à rechercher un meilleur état ; il ne nous a fourni auffi, par rapport à la plus grande partie des choses qui regardent nos propres intérêts, qu’une lumière obscure , ôc un simple crépuscule de probabilité, si j’ose m’exprimer ainsi, conforme à Fétat de médiocrité 8c d’épreuve où il lui a plu de nous mettre dans ce monde ; afin de réprimer par-là notre présomption «Scla confiance excessive que nous avons en nous-mêmes, en nous faisant voir sensiblement, par une expérience journalière, combien notre esprit est borné ôc sujet à Terreur, vérité dont la conviction peut nous être un avertissement continuel d’employer les jours de notre pèlerinage à chercher Sc à suivre avec tout le soin ôc toute Findustrie dont nous sommes capables , le chemin qui peut nous conduire à un état beaucoup plus parfait ; car rien n’est plus raisonnable que de penser , quand bien la révélation sc tairoit sur cet article, que, selon que les hommes font valoir les talens que Dieu leur a donnés dans m monde,. ils recevront leur récompense sur la fin du jour, lorsque le-soleil sera couché pour’ eux, Sc que la nuit aura terminé leurs travaux."’ La faculté que Dieu a donnée à Thomme poursuppléer au défaut d’une connoissance claire’ ôc" certaine dans des cas où Ton ne peut l’obtenir ; 1 c’est le jugement, par où l’esprit suppose que ses’ idées conviennent ou disconviennent-, ou,ce qui est la même chose,-qu’une proposition est’ vraie ou fausse, sens appercevoir uiié évidence’ démonstrative dans les preuves.’ L’esprit met sou- 1 vent en usage ce jugement par nécessité, dans des rencontres où l’on ne peut avoir de preuves démonstratives Ôc une connoissance certaine ; ôc’ quelquefois aussi il y a recours par négligence’ faute d’adresse , ou par précipitation , lors même qu’on peut trouver des preuves démonstratives «St certaines. Souvent ses hommes ne s’arrêteot 1 pas pour examiner avec soin la convenance ou la disconvenance de deux idées qu’ils souhaitent ’ ou qu’ils sont intéressés de connoître ; mais incapables du degré d’attention qui est requis dans une longue fuite de gradations, ou’ de différer 1 quelque temps à sc déterminer ; ils jettent légèrement les yeux dessus , ou "négligent entièrement d’en chercher les preuves : «Sc ainsi fans : découvrir la démonstration, ils décident de là-’ convenance ou de la difeonvenance de deux idéesJ à vue de pays, si j’ose ainsi dire ; «Sccomme elles paroissent considérées en éloignement, supposant qu’elles conviennent ou disconviennent, selon qu’il leur paroît plus vraisemblable, après un si léger examen. Lorsque cette faculté’s'exerce immédiatement fur les choses, on îa nomme jugement ; ôc lorsqu’elle roule sur des vérités exprimées par des paroles , on Fappelle plus communément astentiment ou dissentiment ; ÔC comme c’est-là la voie la plus ordinaire dont l’esprit a-’ occasion d’employer cette faculté ; j’en parlerai sous ces noms-là, comme sujets à équivoque dans notre langue. Ainsi l’esprit a deux facultés qui s’exercent fur Ia, vérité «Scfur la fausseté. La première est la connoissance par où l’esprit 1 apperçoit certainement,ôc est indubitablement’ convaincu de la convenance ou de la- difcon-’ venance qui est entre deux idées. La seconde est le jugement qui consiste à joindre des idées dans l’esprit, ou à les séparer Tune de l’autre, lorsqu’on ne voit pas qu’il’y ait en- 1 tr’elles une convenance ou une disconvenancecertaine, mais qu’on le présume ; c’est-à-dire, selon ce qu’emporte ce mot, lorsqu’on le prend 1 ainsi avant qu’il paroisse certainement. Et si Tes-’ prit unit ou sépare les idées, selon qu’elles font’ dans la réalité des choses, c’est un jugement droit, ’ ( LOK , Entend, hum. )