Encyclopédie méthodique/Logique et métaphysique/Tome I/A

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ABSOLU, en logique., en logique., est l’opposé de relatif, i[ devient alors l’épithèteToit des idées, soit des termes. Il y a des idées absolues & des idées relatives, des termes absolus &.des termes relatifs. L’idée absolue est celle qui n’a pas besoin d’une autre idée à laquelle on la rapporte, pour être entièrement comprise, & qui n’en réveille nécessairement point d’autre dans l’efprit. L’idée de pierre, de tête, ou de tel autre individu, dételle couleur, de telle figure, dételle substance, de tel mode, de tel objet quelque composé qu’il soit, tant que je ne le considère chacun que comme un être isolé, déterminé en lui-même, sans le rapporter à aucun autre objet, est une idée absolue ; en un mot, tout ce qui existe, tout ce qui peut exister, ou être considéré comme une íeule chose, est un être positif, l’objet d’une idée absolue ; car quoique les parties dont ces êtres sont composés, ou les idées simples ré-unies dans l’idée totale d’un objet, soient relatives les unes avec les autres, le tout pris ensemble est considéré comme une seule chose positive, dont l’idée est absolue, puisqu’elle n’en réveille nécessairement point d’autre par sa présence dans l’efprit, & n’a pas besoin d’une autre idée pour être entièrement comprise. L’idée relative, au contraire, suppose nécessairement une autre idée, sans laquelle on ne la saisiroit pas entièrement, & la présence de l’une réveille nécessairement l’autre ; ainsi l’idée d’un triangle est une idée absolue. Mais celle de l’égalité de ses trois angles à deux angles droits, ne peut être saisie sans l’idée des trois angles du triangle, & l’idée de deux angles droits, elle est donc relative. Tite, considéré simplement comme individu, est l’objet positif d’une idée absolue, • mais si je le considère comme père, mari, frère, maître, docteur, roi, grand, petit, prochain, éloigné-, Sec. je me forme autant d’idées relatives, qui réveillent nécessairement chez moi par. leur présence celles de fils, de femme, de frère ou de sœur, de domestique, de disciple, de sujet, de quelque chose de plus petit ou de plus grand que lui, d’objet dont il est près ou loin. . Il y a cette différence entre l’idée absolue & l’idée relative, outre la différence essentielle que nous venons de décrire, qu’il n’est point d’idée qu’on ne puisse rendre relative à une autre, en les mettant en rapport ; au lieu qu’il est des idées. relatives que l’on ne sa.uroit rendre absolues, telles font celles de grandeur, de quantité, de parlie, de cause, de p~ère, &c.


Les termes absolus sont ceux qui expriment des idées abseluM, tels sont ceux-ci : substance, homme, cheval, noir, gai’, pensif, sincère, &c. Les termes relatifs expriment des idées relatives, comme créateur, père, époux, sujet, partie „ grand, heureux, foible.

Un terme absolu, devient relatif en y ajoutant quelque mot qui indique une comparaison, comme plus noir, plus gai, moins sincère, également pensif,’&c. Il est des mots qui paroissent absolus & qui ne le sont pas, parce qu’ils supposent tacitement une relation, tels sont : voleur, concubine, imparfait, vieux ; le voleur n’est pas tel sans une chose volée ; la concubine, sans un homme avec qui elle vit ; un être imparfait, relativement à une fin ; un être vieux, relativement à un plus jeune, &c. Ancienne Enyclop. (G. M.).

Absolu, en métaphysique, est opposé à conditionnel ou hypothétique, & il marque ce qui est tel uniquement par une fuite de l’essence de la chose, sans dépendre d’aucune condition, d’aucune supposition étrangère à l’essence de cette chose ; au lieu que l’hypothétique n’est ce qu’il est que par l’effet d’une condition ou supposition de l’existence de laquelle dépend la sienne. Il faut remarquer ici que ce mot n’est jamais dans ce sens l’attribut d’une substance, mais l’épithète de ses attributs. On demande s’il y a une éternité * une infinité, une perfection, une possibilité, une impossibilité absolue. Voye{ chacun de ces mots., L’existence d’un être éternel est d’une nécessité absolue ; car indépendamment de toute supposition, Dieu existe & ne peut pas ne pas exister. Il est d’une nécessité absolue qu’un triangle rectiligne soit une figure de trois côtés & de trois angles, & que ces trois angles soient égaux à deux droits : cela naît de l’essence même du triangle. La nécessité hypothétique dépend de l’existence de la condition supposée ; ainsi, l’existence d’untriangle rectiligne, quoique nécessaire puisqu’il existe, n’est pourtant que d’une nécessité hypothétique, puisqu’elle a dépendu d’un être qui l’a tracé.

ABSTRACTION, métaphysique, s. f. ce mot vient du latin abstrahere, arracher, tirer de, détacher.

L'abstraction est une opération de l’efprit, par laquelle, à l’occasion des impressions sensibles des objets extérieurs, ou à l’occasion de quelque affection intérieure, nous nous formons par réflexion un concept singulier, que nous détachons de tout ce qui peut nous avoir donné lieu de le former 5 nous le regardons à part^ comme, s’il y avoit quelque objet réel qui répondît àie concept indépendamment de notre manière de penser j & parce que nous ne pouvons faire connoître aux autres hommes nos pensées autrement que par la parole : cette nécessité-&Tusageoùnous sommes de donner des noms aux objets réels, nous ont portés à en donner aussi aux concepts métaphysiques dont nous parlons ; & ces noms n’ont pas peu contribué à nous faire distinguer ces concepts : par exemple :

Le sentiment uniforme que tous les objets blancs excitent en nous, nous a fait donner le même nom qualificatif à chacun de ces objets. Nous disons de chacun d’eux en particulier qu’il cil blanc ; ensuite pour marquer le point selon lequel tous ces objets se ressemblent, nous avons inventé le mot blancheur. Or il y a en effet des objets réels que nous appelions blancs ; mais il n’y a point hors de nous un être qui soit la blancheur.

Ainsi blancheur n’est qu’un terme abstrait : c’est le produit de notre réflexion à l’occasion des uniformités des impressions particulières que divers objets blancs ont faites en nous ; c’est le point auquel neus rapportons toutes ces impressions différentes par leur cause particulière, & uniformes par leur espèce.

Il y a des objets dont l’aspect nous affecte de manière que nous les appelions beaux ; ensuite considérant à part cette manière d’affecter, séparée de tout objet, de toute autre manière, nous l’appellons la beauté.

Il y a des corps particuliers ; ils sont étendus, îls font figurés, ils sont divisibles, & ont encore bien d’autres propriétés. Il est arrivé que notre esprit les a considérés, tantôt seulement en tant qu’étendus, tantôt comme figurés, ou bien comme divisibles, ne s’arrêtant à chaque fois qu’à une feule de ces considérations ; ce qui est faire abstraction de toutes les autres propriétés. Ensuite nous avons observé que tous les corps conviennent entr’eux cn tant qu’ils sont étendus, ou en tant qu’ils sont figurés, ou bien en tant que divisibles. Or pour marquer ces divers points de convenance ou de réunion, nous nous sommes formés le concept d’étendue, ou celui de figure, ou celui de divisibilité 5 mais il n’y a point d’être physique qui soit l’étendue, ou la figure, ou la divisibilité, & qui ne soit que cela.

Vous pouvez disposer à votre gré de chaque corps particulier qui est en votre puissance ; mais êtes-vous ainsi le maître de l’étendue, de la figure, ou de la divisibilité ? L’anìmal en général est-il de quelque pays, & peut-il se transporter d’un lieu en un autre ?

Chaque abstraction particulière exclud la considération de toute autre propriété. Si vous considérez le corps en tant que figuré, il est évident que vous ne k regardez pas comme lumineux, »


ni comme vivant, vous ne lui otez rien : ainh n seroit ridicule de conclure de votre abstraction, que ce corps que votre esprit ne regarde que comme figuré, ne puisse pas être en même-temps en lui-même étendu, lumineux, vivant, &c.

Les concepts abstraits sont donc comme le point auquel nous rapportons les différentes impressions ou réflexions particulières qui font de même espèce, & duquel nous écartons tout ce qui n’est pat cela précisément.

Tel est l’homme : il est un être vivant, capable de sentir, de penser, de juger, de raisonner, de vouloir, de distinguer chaque acte singulier de chacune de ces facultés, & de faire ainsi des abstractions.

Nous dirons, en parlant de l’ARTICLE, quen’y ayant est ce monde que des êtres réels, il n’a pas été possible que chacun de ces êtres eût un nom propre. On a donné un nom commun à tous les individus qui se ressemblent : ce nom commun est appelle nom d’espece, parce qu’il convient à chaque individu d’une espèce. Pierre est homme, Paul est homme, Alexandre & César étoient hommes. En ce sens le nom d’espèce n’est qu’un nom adjectif, comme beau, bon, vrai ; & c’est pour cela qu’il n’a point d’article. Mais si l’on regarde l’homme sans en faire aucune application particulière, alors l’homme est pris dans un sens abstrait, & devient un individu spécifique ; c’est par cette raison qu’il reçoit l’article ; c’est ainsi qu’on dit le beau, le bon, le vrai.

On ne s’en est pas tenu à ces noms simples abstraits spécifiques : d’homme on a fait humanité ; de beau, beauté : ainsi des autres.

Les philosophes scholastiques qui ont trouvé établis les uns & les autres de ces noms, ont appelle concrets ceux que nous nommons individus spécifiques, tels que l’homme, le beau, le bon, le vrai. Ce mot concret vient du latin concretus, & signifie qui croît avec, composé, formé de ; parce que ces concrets sont formés, disent-ils, de ceux qu’ils nomment abstraits : tels sont humanité, beauté, bonté, vérité. Ces philosophes ont cru que comme la lumière vient du soleil, que comme l’eau ne devient chaude que par le feu, de même l’homme n’étoit tel que par l’humanité, que le beau n’étoit beau que par la beauté ; le bon, par la bonté ; & qu’il n’y avoit de vrai que par la vérité. US ont dit humanité, delà homme ; & de même beauté, ensuite beau. Mais ce n’est pas ainsi que la nature nous instruit ; elle ne nous montre d’abord que le physique. Nous avons commencé par voir des hommes avant que de comprendre & de nous former le terme abstrait humanité. Nous avons été touchés du beau & du bon. avant que d’entendre & de faire les mots de beauté & de bonté ; & les hommes ont été pénétrés de la réalité des choses, & ont senti une persuasion intérieure avant que d’introduire le mot de vérité. US ont compris, ils ont conçu ayant que de faire le mot d’entendement ; ils ont voulu avant que de dire qu’ils avoient une volonté, & ils se sont ressouvenu avant que de former le mot de mémoire.

On a commencé par faire des observations sur l’usage, le service, ou l’emploi des mots : ensuite on a inventé le mot Grammaire.

Ainsi Grammaire est comme le centre ou point de réunion, auquel on rapporte les différentes observations que l’on a faites sur l’emploi des mots. Mais Grammaire n’est qu’un terme abstrait ; c’est un nom métaphysique & d’imitation. Ii n’y a pas hors de nous un être réel qui ioit la Grammaire ; il n’y a’que des grammairiens qui observenr. U en est de même de tous les noms de sciences & d’arts, aussi-bien que des noms des différentes parties de ces sciences & de ces arts. Voyei ART.

De même le point auquel nous rapportons les observations que l’on a faites touchant le bon &c le mauvais usage que nous pouvons faire des facultés de notre entendement, s’appelle logique.

Nous avons vû divers animaux cesser de vivre ; noús nous sommes arrêtés à cette considération intéressante, nous avons remarqué l’état uniforme d’inaction où ils se trouvent tous en tant qu’ils ne vivent plus : nous avons considéré cet état indépendamment de toute application particulière ; & comme s’il étoit en lui-même quelque chose de réel, nous l’avons appelle mort. Mais la mort n’est point un être. C’est ainsi que les différentes privations, & l’absence des objets dont la présence faisoit sur nous des impressions agréables, ou désagréables, ont excité en nous un sentiment refléchi de ces privations & de cette absence, & nous ont donné lieu de nous faire par degrés un concept abstrait du néant même : car nous nous entendons fort bien, quand nous soutenons que le néant n’a point de propriétés, qu’il ne peut être la cause de rien : que nous ne connoissons le néant & les privations que par l’absence des réalités qui leur sont opposées.

La réflexion sur cette absence nous fait reconnoître que nous ne sentons point : c’est pour ainsi 4ire sentir que l’on ne sent point.

Nous avons donc concept du néant, & : çe concept est une abstraction, que nous exprimons par un nom métaphysique, 6ç à la manière des autres concepts. Ainsi nous disons que Dieu a tiré le monde du néant.

L’usage où nous sommes tous les jours de donner des noms aux objets dés idées qui nous représentent des êtres réejs, nous a porté à en donner aussipar imitation aux objets métaphysiques’des idées abstraites dont nous avons connoissance : ainsi nous en parlons cornme nous faisons des objets réels.

L’illusion, la figure, le mensonge, ent un langage commun avec la yénté. Les expressions dont


nous nous servons pour faire connoître aux autres hommes, ou les idées qui font hors de nous des objets réels, ou celles qui ne sont que de simples abstractions de notre esprit, ont entr’elles une parfaite analogie.

Nous disons la mort, la maladie, l’imagination, l’idée, &c. comme nous disons le soleil, la lune, &c. quoique la.mort, la maladie, l’imagination, l’idée &c. ne soient point des^tres existans ; & nous parlons du phénix, de la chimère, du sohynx, & de la pierre philosophas, comme nous parlerions du lion, de la panthère, • du rhinocéros, du pactole, ou du Pérou.

La prose même, quoiqu’avec moins d’appareil que la poésie, réalise, personifie ces êtres abstraits, & séduit également l’imagination. Si Malherbe a dit que la mort a des rigueurs, qu’elle se bouche les oreilles, qu’elle nous laisse crier, &c. nos prosateurs ne discnt-ils pas tous les jours que la mort ne respecte personne ; attendre la mort ; les martyrs ont bravé la mort, ont couru au-devant de la mort ; envisager la mort sans émotion î l’image de la mort ; affronter la mort ; la mort ne surprend point un homme sage : on dit populairement que la mort n’a pas faim, que la mort n’a jamais tort.

Les payens réalisoient l’amour, la discorde, la peur, le silence, la santé, dea falus, & en faisoient autant de divinités. Rien de plus ordinaire parmi nous que de réaliser un emploi, une charge, une dignité ; nous personifions la raison, le goát, le génie, le naturel, les passions, l’humeur, le caractère, les vertus, les vices, l’efprit, le cœur, la fortune, le malheur, la réputation, 4a nature.

Les êtres réels qui nous environnent sont mus & gouvernés d’une manière qui n’est connue que de Dieu seul, & selon les loix qu’il lui a plud’établir lorsqu’il a créé l’univers, Ainsi Dieu est un terme réel ; mais nature n’est qu’un terme métaphysique.

Quoiqu’un instrament de musique dont les cordes sont touchées, ne reçoive en lui-même qu’une simple modification, lorsqu’il rend le son àxiré ou celui du fol, nous parlons de ces sons comme si c’étoit autant d’êtres réels : & c’est ainsi que nous parlons de nos songes, de nos imaginations, de nos idées, de nos plaisirs, &c. ensorte que nous habitons, à la vérité, un pays réel & physique ; mais nous y parlons, si j’ose le dire, lej langage du pays des abstractions, & nous disons, j’ai faim, j’ai envie, j’ai pitié, j’aj peur, j’ai dessein, &c. comme nous disons, j’ai une montre.

Nous sommes émus, nous sommes affectés, nous sommes agités ; ainsi nous sentons, & de plus nous nous appercevons que nous sentons ; & c’est ce qui nous fait donner des noms aux différentes espèces de sensations particulières, & ensuite aux sensations générales de plaisir & de douleur. Mais il n’y a point un être réel qui soit le plaisir, ni un autre qui soit la douleur.

Les hommes veulent savoir & connoître, & ie flattent d’être parvenus au but, quand ils n’ont fait qu’imaginer des noms qui, à la vente, arrêtent leur curiosité, mais qui au fond ne les éclairent point. Ne vaùdroit-il pas mieux demeurer en chemin que de s’égarer ? L’erreur est pire que l’ignorance : celle-ci nous laisse tels que nous sommes ; si elle ne nous donne rien, du moins elle ne nous fait rien perdre ; au lieu que l’erreur séduit l’efprit, éteint les lumières naturelles, & influe sur la conduite.

Les poètes ont amuse 1 imagination en réalisant des termes abstraits ; le peuple payen a été trompé : mais Platon lui-même qui bannissoit les poètes de fa république, n’a-t-il pas été séduit par des idées qui n’étoient que des abstractions de son esprit ? Les philosophes, les métaphysiciens, &si je l’osc dire, les géomètres même ont été séduits par des abstractions ; les uns par des formes substantielles, par des vertus occultes ; les autres par des privations, ou par des attractions. Le point métaphysique, par exemple, n’est qu’une pure abstraction, aussi-bien que la longueur. Je puis considérer la distance qu’il y a d’une ville à une autre, & n’être occupé que de cette distance ; je puis considérer aussi le terme d’où je^suis parti, & celui ou je fuis’arrivé ; je puis de même, par imitation & par comparaison, ne regarder une ligne droite que comme le plus court chemin entre deux points ; mais ces deux points ne sont que les extrémités de la ligne même ; & par une abstraction de mon esprit, je ne regarde ces extrémités que comme termes, j’en sépare tout ce qui n’est pas cela : l’un est le terme où la ligne commence ; l’autre, celui où elle finit. Ces termes, je les appelle points, & je n’attache à ce concept que l’idée précise de terme ; j’en écarte toute autre idée : il n’y a ici ni solidité, ni longueur, ni profondeur ; il n’y a que l’idée abstraite de terme.

Les noms des objets réels sont les premiers noms ; ce sont, pour ainsi dire, les aînés d’entre les noms : les autres qui n’énoncent que des concepts de notre esprit, ne sont noms que par imiration, par adoption ; ce sont les noms de nos concepts métaphysiques : ainsi les noms des objets réels, comme soleil, lune, terre, pourroient être appelles noms physiques, &c les autres noms métaphysiques.

Les noms physiques servent donc à faire entendre que nous parlons d’objets réels, au lieu qu’un nom métaphysique marque que nous ne parlons que de quelque concept particulier de notre esprit. Or comme lorsque nous disons le soleil, la terre, la mer, cet homme, ce cheval, cette pierre, &c. notre propre expérience & le concours des motifs les plus légitimes nous persuadent qu’il y a hors de nous un objet réel qui est soleil, un autre qui est terre, &c. & que si


ces objets n’étoient point réels, nos pèresn ? au> roient jamais inventé ces noms, & nous ne les aurions pas adoptés : de même lorsqu’on dit la nature, la fortune, le bonheur, la vie, la santé, la maladie, la mort, &c. les hommes vulgaires croient par imitation qu’il y a aussi, indépendamment de leur manière de penser, je ne sais quel être qui est la nature ; un autre, qui est la fortune, ou le bonheur, ou la vie —, ou la mort, &c. car ils n’imaginent pas que tous les hommes puissent dire la nature, la fortune, la vie, la mort^ & qu’il n’y ait pas hors de leur esprit une sorte d’être réel qui soit la nature, la fortune, 8íc. comme si nous ne pouvions avoir des concepts ni des imaginations, sans qu’il y eût des objets réels qui en fussent l’exemplaire.

A la vérité nous ne pouvons avoir de ces concepts à moins que quelque chose de réel ne nous donne lieu de nous les former ; mais le mot qui exprime le concept, n’a pas hors de nous un exemplaire propre. Nous avons vu de l’or, & nous avons observé des montagnes ; si ces deux représentations nous donnent lieu de nous former l’idée d’une montagne d’or, il ne s’enfuit nullement de cette image qu’il y ait une pareille montagne. Un vaisseau se trouve arrêté en pleine mer par quelque banc de sable inconnu aux matelots, ils imaginent que c’est un petit poisson qui les arrête. Cette imagination ne donne aucune réalisé au prétendu petit poisson, & n’empêche pas que tout ce que les anciens ont cru du rémora ne soit une fable, comme ce qu’ils se sont imaginés du phénix, & ce qu’ils ont pensé du sphynx, de la chimère, & du cheval Pégase. Les personnes sensées ont de la peine à croire qu’il y ait eu des hommes assez déraisonnables pour réaliser leurs propres abstractions ; mais entr’autres exemples, on peut les renvoyer à l’histoire de Valentin hérésiarque du second siècle de l’église : c’étoit un philofopphe platonicien, qui s’écarta de la simplicité de la foi, & qui imagina des s-ons, c’est-àdire des êtres abstraits, qu’il réalisoit ; le silence, la vérité, l’intelligence, le propator ou principe. Il commença à enseigner ses erreurs en Egypte, & passa ensuite à Rome où il se fit des disciples appelles Valentiniens. Tertullien écrivit contre ces hérétiques. Voye^ L’HISTOIRE DE L’EGLISE. Ainsi dès les premiers temps les abstractions ont donné lieu à des disputes, qui, pour être frivoles, n’en ont point été moins vives.

Au reste si l’on vouloit éviter les termes abstraits, on seroit obligé d’avoir recours à des circonlocutions & à des périphrases qui énerveraient le discours. D’ailleurs ces termes fixent l’efprit ; ils nous servent à mettre de l’ordre & de la précision dans nos pensées ; ils donnent plus de grâce & de force au discours ; ils le rendent plus vif, plus serre, & plus énergique ; mais on doit en connoître la juste valeur. Les abstractions sont dans le discours ce que certains signes sont en arithmétiques en algèbre & en astronomie ; mais quand on n’a pas l’attention de les apprécier, de ne les donner & de ne les prendre que pour ce qu’elles valent, elles écartent l’esprit de la réalité des choses, & deviennent ainsi la source de bien des erreurs.

Je voudrois donc que dans le style didactique., c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’enseigner, on usât avec beaucoup de circonspection des termes abstraits & des expressions figurées : par exemple, je ne voudrois pas que l’on dît en logique, l’idée renferme, ni lorsque l’on juge ou compare des idées, qu’on les unît, ou qu’on les sépare ; car l’idée n’est qu’un terme abstrair. On dit aussique le sujet attire à soi l’attribut, ce ne sont-là que des’métaphores qui n’amusent que l’imagination. Je n’aime pas non plus que l’on dise en grammaire que le verbe gouverne, veut, demande, régit, &c. Voyei.RÉGIME.

§. Abstraction, (Psychologie. Logique.) l’action d’abstraire du verbe latin abstrahere, séparer une chose d’une autre, tirer, mettre à part.

Dans son acception la plus générale, [’abstraction est l’opération par laquelle l’efprit sépare de l’idée totale d’un sujet, une partie de cette idée, pour la considérer seule, quoique la nature n’offre jamais ces idées ainsi séparées, & que leurs objets ne puistent pas même exister séparément. Ainsi, c’est par abfirtctiçn que l’on considère dans un sujet la substance sans la manière d’être, ou les.modes sans la substance, ou les relations sans penser aux modes ou à la substance ; mais ce ne îeroit pas une abstraction, si, dans un sujet composé de parties distinctes les unes des autres, & qui peuvent exister séparément, on ne faisoit attention qu’à une.des parties : les branches d’un arbre, par exemple, son tronc, ses racines, ses feuilles, sont bien les parties d’un rout ; mais ohacune a son existence propre, & peut être séparée des autres sans être pour cela anéantie. Le. soldat peut exister séparé de l’armée, & la tête séparée du corps. C’est à tort que M. Bayle, dans fa Logique, chap. ij, donne le nom d’abstraction à cette division ; cette remarque n’a pas échappé à M. le Clerc. Logica. pars prima, cap. vj. §.5.

Pour bien entendre ce que les philosophes disent de [’abstraction, il faut en distinguer de deux espèces ; l’’abstractionphysique, & [’abstraction métaphysique.

L’abstraction physique, est celle dont la logique m’apprend à faire usage dans l’examen de tout sujet particulier, dont je veux avoir une idée distincte. Elle consiste a séparer l’une de l’autre, & à considérer à-part, chacune des idées différentes que présente l’idée totale d’un individu. Un globe blanc tombant du haut d’une tour, frappe ma vue ; l’existence de ce fait, & son impression sur mes sens, me donnent une


idée composée qui me représente cet objet entier., avec toutes les circonstances qui la caractérisent, & le distinguent de tout autre individu. Si je m’en tiens à cette première vue, j’ai, il est vrai, de cet objet une idée qui me le représente tel qu’il Íst j-jcpmme un tout à part ; mais,.comme je n’ai point décomposé cette idée, elle est confuse —, je n’y distingue rien ; la brute, aux yeux de laquelle cet objet seprésente cgfnme aux miens, en a une idée aussi claire que l’est la mienne ; mais j’ai de plus que la brute, la faculté de décomposer cette idée totale, & sur-tout d’en considérer à part chaque idée partielle, que je distingue, que je sépate des autres, & que je rends seule présente à mon esprit par [’abstraction, comme si elle étoit isolée, & avoit à elle une existence réelle & indépendante— ; en conséquence je donne ou au moins je puis donner à chacune d’entr’elles un nom qui la désigne seule. Ainsi, dans le globe blanc qui tombe à ma vue, quoique je ne voie, 8oqu*il n’y ait réellement qu’un seul individu, je distingue cependant la couleur, la figure, le mouvement, &c. qui sont autant d’objets distincts d’idées que je puis examiner chacune à part, & indépendamment des autres : je pense au mouvement de ce globe, sans penser à sa figure ou à sa couleur ; j’étudie sa figure sans penser à fa couleur : je puis parcourir ainsi de fuite toutes les idées que cet objet unique offre à ma pensée, & je leur donne, dans mon esprit, par [’abstraction, une réalité, une existence à part qu’elles n’ont pas en effet.

Observez ici que quand je.ne connoîtrois, & que même il n’existeroit dans la nature que ce seul être, ensorte que je ne pourrois le comparer avec aucun autre, à aucun égard que ce soir, mon esprit pourroit également en décomposer l’idée totale, & par [’abstraction physique, séparer, étudier à part, & nommer chacune des idées partielles renfermées dans l’idée totale ; parce que l’existence des objets de ces idées partielles, & la perception que j’en ai, ne dépendent pas des autres êtres, ni de leur rapport avec celui que j’examine, ni des-idées que je puis avoir d’ailleurs : il ne s’agit dans mon esprit que de ce seul individu.

Deux traits essentiels distinguent cette première abstraction de la seconde, dont nous parlerons ensuite.

1°. L’abstraction physique n’a pour but que l’acquisition des idées distinctes que peuvent nous offrir, non pas la généralité des êtres, mais chaque individu pris à part ; ainsi elle ne nous donne que des idées individuelles.

2°. Quoique nul des objets de ces idées abstraites individuelles, que l’abstraction physique sépare de l’idée totale de l’être particulier, n’existe, & ne puisse exister à part, chacun d’eux cependant existe réellement dans le sujet dont on l’abstraìt, & y existe tel qu’il le falloit pour faire naître l’idée qui le représente, soit par son impression sur les organnes des sens, soit par le moyen de laTeflexion sur ce que nous scnrons en nous — mêmes ; la nature fournit individuellement la cause vraie dé chacune de ces idées. L’abstraction physique ne s’exerce donc que sur les idées des individus, & dans chaque individu elle n’y distingue & n’en sépare que les idées dont les objets y sont réellement. Ainsi, dans le cas supposé, l’objet que je considère, & dont par l’abstraction je sépare les idées partielles, est uniquement ce globe blanc & tombant, & non un autre ; c’est fa couleur, fa figure, son mouvement, & non la couleur, la figure ou le mouvement d’un autre : or cette couleur blanche, cette figure sphérique, ce mouvement de chute, sont des choses réelles ; les causes des idées que j’en ai, existent effectivement dans cet individu indépendamment de tout autre être ; c’est dans l’état naturel des choses, &non dans mon imagination, que j’en puise les idées : & c’est par cette raison que je donne à cette opération de l’efprit le nom d’abstraction physique.

Nous observerons ici, par rapport au langage, que l’on dit faire abstraction, non pasde l’idée que l’on sépare pour la considérer seule, mais de celles dont on la sépare, & que l’on ne considère point.

C’est à [’abstration physique que nous devons toutes nos idées distinctes ; sans elles nous n’en aurions que de confuses, nous ne nous élèverions pas au — dessus des notions de la brute qui, selon les apparences, bornée à distinguer un individu d’un autre, est comme le pense M. Locke, incapable de décomposer & d’abstraire les idées. C’est Í>eut-être à ce défaut que tant de gens doivent eur stupidité, leur manque de mémoire, leur incapacité ; ils ne distinguent rien dans l’idée composée d’un individu, ou s’ils y apperçoivent divers objets d’idées différentes, comme la figure, la couleur, le mouvement, c’est d’une manière trèsimparfaite, sans les distinguer réellement l’une de l’autre, sans les abstraire, & sans avoir jamais de chacune des idées claires & séparées.

Du défaut d’abstraction physique doit naître aussi îe manque de mots pour exprimer les idées abstraites de substance, de mode, de relation, que l’on peut distinguer dans l’idée totale de chaque individu : je ne puis pas donner des noms propres à des idées que je ne distingue pas les unes des autres. De-là sans doute la pauvreté de la langue des nations sauvages& ignorantes ; la richesse au contraire des langues que parlent les gens savans, naîtra de la cause opposée. Lorsqu’en décomposant une idée totale, je découvre clairement différens objets d’idées distinctes que j’abstrais les unes des autres, & dont je me fais un concept à part, chacune de ces idées claires est une richesse nouvelle ajoutée à mes connoissances, & son nom un nouveau mot dont ma langue s’enrichit. C’est pour avoir abs-


trait l’idée de la figure du globe tombant ; qucj.ai acquis l’idée & le nem de la figure sphérique.

C’est enfin à cette opération de l’efprit que nous devons le pouvoir de définir, de décrire & d’analyser ; puisque ces actes consistent dans l’énumération exacte des idées claires que l’on distingue dans l’idée totale du sujet que l’on veut faire connoître distinctement,.&que l’on ena abstraite.

Quelque avantage que l’efprit humain retire de l’usage de [’abstraction physique, pour perfectionner les idées & les rendre plus distinctes, on peut cependant en abuser, & de l’abus qu’on en fait naissent nombre d’erreurs dans les sciences. Cet abus consiste à donner à ces idées abstraites une réalité, une existence à part qu’elles n’ont points & à les considérer en conséquence séparément de l’individu dans, & par.Iequel, chacun des objets de ces idées existent. On le fait l’idée abstraite de la matière ou de la substance d’un individu, sans penser à ses modes & : à ses relations ; & en se^ forme bientôt je ne fais quelle idée obscure d’une substance dépouillée de toute manière d’être & de toute relation ; en même — temps on se forme l’idée toute aussi obscure de ces modes & de ces relations, comme de quelque 1chose qui existoit à part sans la substance, & qui va s’y joindre pour que cette substance devienne un tel individu ; ne considérant pas que nulle substance n’existe ni ne peut exister sans quelque manière d’être & sans quelque relation ; & que les modes & les relations, sont, non des substances, mais la manière dont existent les substances, soit en elles — mêmes, soie par rapport aux autres substances.

D’un autre côté, faisant attention aux diverses idées qui sont excitées dans notre esprit, soit par la réflexion qui s’exerce sur ce que noús sencans audedans de nous, soit par la sensation que npus fait éprouver un être dont nous sentons les effets, nous avons supposé autant d’êtres différens dans un individu que nous avons eu par lui d’idées différentes ; chacun de ses modes s’est offert à nous, siu> tout depuis que nous avons donné un nom à chacune des idées qu’ils nous ont fait naître, comíme un être séparé, réel & indépendant ; & par une suite de cette erreur, nous avons fait souvent de l’être le phw simple un être composé de plusieurs êtres. Ainsi l’abus de [’abstraction a dû conduire au pelythéisme. Ainsi l’abus des distinctions que la théologie introduit dans les attributs de Dieu, pour soulager l’efprit humain, produiroit à-peuprçs le même effet dans l’opinion d’un homme trop simple & tropí borné, qui considéreroit la miséricorde, la justice, la sainteté, la bonté, la sagesse dans Dieu & fa volonté, comme autant d’êtres distincts, agissantséparément & indépendamment l’un de l’autre, qui quelquefois même sont en opposition, pourne ças dire en contradiction.Dieu ne scroit un plus seul être i mais un composé de divers êtres qui ont un département séparé & distinct. Il en est de raeme par rapport à notre ame ; « Je crains dit M. Locke, que la manière dont on.parlé des » facultés de l’ame, n’ait fait venir à plusieurs « personnes l’idée confuse d’autant d’agens qui »  » existent distinctement en nous, qui ont différen— » tes fpnctions SÍ différens pouvoirs, qui com— » mandent, obéissent, & exécutent diverses choisi », comme autant d’êtres distincts ; ce qui a » produit quantité de vaines disputes, de discours. » obscurs., & pleins d’incertitude sur les questions » qui se rapportent aux différens pouvoirs de l’a— » meM— Rien n’est mieux fondé qu’une telle crainte : lì l’on n’étoit pas tombé dans l’erreur dont je parle, auroit-on proposé & agité comme trèsimportantes ces questions sur lesquelles on est si fort divisé ? Si le jugement appartient à l’cntendement ou à la volonté ? s’ils sont l’un & l’autre également actifs, également libres ? si la volonté est capable de connoissance, ou si ce n’est qu’une faculté aveugle ? si l’entendement guide la volonté & la détermine, ou si la volonté est indépendante de l’entendement, &c. ? S’exprimeroit-on autrement quand l’ame scroit un être composé de divers êtres, comme le jugement, l’entendement & la volonté, & que ces êtres existeroient aussi séparément dans l’ame, qu’un père de famille, fa femme, son fils & son valet existent séparément & individuellement dans une même maison ? Aulieu qu’il falloit se souvenir que toutes les idées abstraites n’ont de réalité distincte que dans notre esprit ; que les diverses idées que la connoissance que— nous avons d’un individu nous donne, ne font le fruit que de diverses faces sous lesquelles nous l’envisageons, & des diverses impressions qu’il peut faire sur nous, par un effet de la puissance qui est en lui de les produire, & en nous de les recevoir ; que nous ne sommes venus à les distinguer, & à leur donner des noms, que par l’incapacité où nous sommes de voir en même-temps, & par un seul acte de l’efprit, un sujet sous toutes les faces, & de nous en faire, sans [’abstraction, des idées distinctes. Sa substance, ses modes, ses relations ne sont point différens êtres, mais un seul & même être, qui n’existe point autrement. Envain l’on distingue en Dieu des attributs physiques, des attributs moraux, & dans chacune de cesclasses, divers attributs|particuliers ; il n’y a rien en Dieu de réellement distinct. L’être éternel est en même-temps l’être juste ; le Dieu saint & sage, est en même — temps l’être immortel & bon 5il n’est jamais l’un sans l’autre, il ne laisse pas une de ses perfections à part, & ne s’en dépouille pas pour en exercer une autre. Ce sont là les attributs, les pouvoirs divers d’un être simple ; c’est son essence. L’homme a la faculté de marcher, de chanter, de parler, de penser, de choisir, de vouloir ; ce, sont bien dans notre esprit différentes facultés, mais non pas différens êtres : cet homme qui marche, qui chante, qui parle, est le même que celui qui pense, qui choisit, qui Veut. C’est la réunion de tout ce que nous distin-


guons dans un sujet qui en constitue l’être ; y ajouter eu, y retrancher, c’est en faire un être différent : çe n’est donc pas strictement de Dieu que vous parlez quand, vous livrant au goût de l’abstraction, vous parlez d’un être qui n’a qu’une bonté, ou une justice, ou une miséricorde, ou une sainteté sans bornes : qui dit Dieu, parle d’un être qui est souverainement parfait : qui dit amey parle d’un être intelligent ; toutes les facultés ©u qualités diverses que nous lui attribuons, ne sont que les suites ou effets nécessaires de ce qu’elle est.

Quelque loin que nous-poussions l’anaiysc & la décomposition d’une idée totale, avec quelque foin que nous ayons étudié chacune des idées partielles qu’elle renferme, quelque distinctement que par [’abstraction nous les ayons considérées, ne nous flattons pas d’avoir jamais acquis une idée parfaitement complette d’un individu quelconque : l’efprit le plus pénétrant ne parviendra jamais jusqu à une connoissance parfaite d’aucun des êtres que nous offre la nature. Le premier principe des substances, ou ce qu’on nomme l’essence des substances, nous fera toujours caché 5 ainsi quelque distincte que nous paroisse l’idée que par [’abstraction physique nous nous sommes formée d’un être, ne jugeons pas témérairement que nous l’avons approfondi, & qu’il ne nous reste plus rien à y connoître : tant que l’essence même nous est inconnue, nous sommes forcés de convenir qu’il peut y avoir dans cette essence des côtes qui ont échappé à nos regards, & qui nous fourniroient bien de nouvelles idées que nous ne soupçonnons pas, si le voile qui nous cache l’essence de la chose étoit levé : il n’y a que les idées que nous formons nous-mêmes, dont nous puissions dire que nous les connoissons entièrement.

Tant que nous nous en tenons à cette première abstraction, nous avons, il est vrai, des idées distinctes des individus : mais comme elle ne fait aucune comparaison d’un individu à un autre, pour en saisir le résultat, nous n’avons toujours par son moyen que des idées individuelles ; & tant que mon esprit est borné aux idées des individus, un objet ne m’aide point à en connoître un autre : chaque idée que je découvre dans le dernier objet que j’examine, est pour moi une idée toute nouvelle, qui appartient en propre à l’idée totale de cet individu : elle est elle-même une idée individuelle, pour laquelle je dois inventer un nouveau nom, & il m’en faudra inventer autant que la nature m’offrira d’idées individuelles dans l’immense variété des êtres : mais quelle imagination scroit capable de les inventer ? Quelle mémoire pourroit les retenir ? & quels organes suffiroient à les prononcer ? Non — seulement la neige, les lis, le papier, le linge, la craie, le lait, le plâtre, &c. auront leurs noms propres, mais encore chacun des modes de ces substances, qui ne s’offre à l’efprit que comme mode d’un tel individu. La blancheur, par exemple, qui est commune à ces divers êtres, ne pourra pas être désignée par un —nom :  ! commun, elle exigera Un nom particulier danschaque fub stancedònt elle-sera un mode., Jè n’àia-— rai nulle mesure", huile 1notion^ 1 nUiîteidée-íCom-’mune à laquelle jépuisse rapporterplusd’un sujet :. chacun me paroitra isolé-& : sans rapport ; &moneíprit accablé par la multitude de ces idées individuelles, qu’aucune classification ne rassemble sous une idée commune, sous une dénomination générale, n’y verra aucun ordre, & se perdra dans ce cahos immense : mais dès que je viens à comparer entr’eux les êtres, non-seulement sous leur idée totale & individuelle, mais aussiparles idées partielles que j’ai abstraires de l’idée totale ; quand, par exemple, je compare l’idée de la substance, ou des modes, de la couleur, ou de la figure, ou du mouvement, ou des relations d’un individu, avec l’idée de la substance, ou de la couleur, ou de la figure, ou du mouvement d’un autre individu, je reconnois bientôt dans l’idée de l’un des idées que j’avois déjà découvertes dans celle de l’autre ; j’y vois des traits de ressemblance plus ou moins nombreux ; un troisième me les représente encore, puis un quatrième, un dixième, un centième, un millième m’offrent successivement le même objet d’idée, quoique diversement accompagné chez chacun d’eux ; séparant cette idée de toutes celles qui s’offrent à moi dans ces objets, mais qui ne se ressemblent pas, je la considère seule, je l’isole de tout ce qui l’accompagnoit, & je m’en fais une idée à part, à laquelle je donne un nom qui la désigne également par-tout où son objet existe : ce n’est plus une idée individuelle, c’est une idée commune & générale qui convient à tous les êtres en qui son objet se trouve, quelque différens qu’ils soient à tout autre égard. La blancheur n’est plus un mode particulier du papier sur lequel j’écris maintenant, c’est le nom d’une idée commune à tous les objets blancs, au lait, à la neige, au plâtre, au linge, au lis, à tous les papiers blancs de l’univers. Je vais plus loin encore, & séparant l’idée de blancheur de l’idée de tous les êtres qui l’ont excitée chez moi, par leur impression sur mes sens, je me la représente ellemême comme être à part, réel, isolé dans mon esprit ; par ce moyen, j’ai l’idée abstraite métaphysique de la blancheur, j’en ai une idée que je nomme universelle ou générale, parce qu’elle me représente la blancheur par-tout où existe l’objet qui m’en peut procurer la sensation. L’opération de l’efprit par laquelle je me forme ainsi des idées générales, universelles, séparées de celles de tout individu, est ce que nous nommons abstraction métaphyfique.

L’abstraction métaphysique est donc l’acte de l’efprit qui, séparant de l’idée d’un individu ce qu’il a de commun avec d’autres, en forme une idée commune à tous, qui ne représente plus aucun individu, mais uniquement les trairs par lesquels ces divers êtres se ressemblent. Tant que je me suis


borné à décomposer-Tidée deirnoi, & ! à séparer 1 \ par ïabstraction physique chacune des idées que jme.s sens.<8z-lesentiment-intime de ce qui sc’passe | en-moii, pô’u-vtíient— me découvrir, jéirne íuisifor— ; mé une idée distincte, mais individuelle, qui ne i représente-que moi-î’je me fuis-donné, ou au moins j’ai pu me donner un nom, celui d’homme v’•de même j’ai pu— donner un nom particulier à chacune des idées partielles que j’ai.distinguées : -8c abstraites de mon idée totale, corps organisé, ame raisonnable, sensibilité physique, sentiment moral, action corporelle,’mouvement spontané, pensée, volonté, plaisir, peine, crainte, désir,. &cc. je n’ai eu besoin que de m’étudier moi seul_, pour parvenir à me former par [’abstraction physique toutes ces idées ; j’ai vu d’autres individus, mais ne les comparant poirit avec moi, je nèles : ai considérés que comme d’autres individus qUi n’étoient point moi : dans l’idée de chacun d’eux étoient renfermées les idées de tout ce qui les fait être tels individus & non d’autres : je leur ai donné aussi à chacun des noms, Pierre, Alexandre, Frédéric, Louis, & ces noms se terminent à ces individus, & n’en désignent point d’autres. Mais enfin à force de voir ces individus &r un nombre infini d’autres, & venant à les comparer, en dé— : composant l’idée totale de chacun d’eux, & en m’en formant par [’abstraction physique des idées distinctes, j’ai apperçu que ces individus se-ressembloient par nombre d’endroits ; j’ai reconnu dans eux les mêmes objets d’idées partielles que j’avois découverts en moi : malgré quelques différences de taille, de couleur, d’habillement, d’attitude, de lieu, de temps, &c. qui m’empêchent de lés confondre, je retrouve chez tous un corps organisé, une ame raisonnable, une sensibilité physique, un sentiment moral : je rassemble tous ces traits communs, j’en forme une idée qui ne renferme que ces traits-là, & à laquelle je trouve que tous ces êtres particuliers participent égarement. Je leur donne à tous, comme à moi, le nom commun d’homme ; & ce nom ne désigne plus’un tel être particulier, mais tous ceux qui participent à l’idée générale que je me fuis formée ; cette idée même à laquelle je compare désormais tous les individus que je vois, se présente à mon esprit comme quelque chose de déterminé, de réel, d’existant à part, comme une mesure commune pour juger de tous les êtres avec lesquels je me compare : cette idée reçoit de moi un nom qui semble augmenter encore la réalité imaginaire de l’existence de son objet, je la désigne par le mot humanité, par lequel je veux marquer l’idée composée de tous les traits par lesquels tous les hommes se ressemblent, & jamais ceux qui les distinguent les uns des autres. Voyei ci-après ABSTRAIT^ & ABSTRAITE.

Ce qui n’étoit donc d’abord qu’une idée individuelle, devient par [’abstraction métaphysique telle que nous l’avons définie, une idée plus ou moins moins générale, selon qu’elle convient à un plus I x>u moins grand nombre d’individus. Ainsi l’àbs— I traction métaphysique & l’acte par lequel l’efprit généralise ses idées, ne sont qu’un seul & même, acte, qui., sous l’une & l’autre dénomination, consiste à former, par la réunion des traits semblables que l’on découvre en divers sujets, des idées qui leur conviennent également à tous, & par le nom qu’on donne à ces idées, nous procurer un mot commun qui les désigne tous, sans aucun égard aux traits par lesquels ils sont distingués les uns des autres.

Employant le terme d’homme pour désigner un certain objet déterminé, tous les objets semblables pourront être représentés par ce même terme. Si l’ame porte ensuite son attention sur tout ce qui est renfermé dans l’idée particulière de l’homme qu’elle a sous les yeux, & que par [’abstraction physique, elle s’en forme autant d’idées séparées, à chacune desquelles elle donne un nom, elle trouvera dans ces idées partielles les élémens d’une idée abstraite métaphysique, au moyen desquels elle s’élèvera par degrés aux notions les plus universelles.

Détachant donc de l’idée particulière d’un certain homme ce qu’elle a de propre ou d’accidentel, & ne conservant que ce qu’elle a d’essentiel, ou plutôt de commun à tous les hommes que je connois, mon ame se formera l’idée de l’homme en général. Si je ne fixe mon attention que sur la nutrition, le mouvement, le sentiment, j’acquerrai l’idée plus générale d’animal. Si je me borne à ne considérer dans l’homme & dans les animaux, que cet arrangement des parties physiques, qui rend les corps propres àcroître par une nourriture quelconque, qui s’incorpore en ewx, j’acquerrai l’idée plus générale encore de corps organisé, qui conviendra aux hommes, aux animaux brutes & aux plantes. Laissant là l’idée d’organisation, pour ne considérer que l’étendue & la solidité, mon ame se formera l’idée plus universelle de corps en général. Faisant encore abstraction de l’étendue solide, pour ne m’arrêrer qu’à l’existence seule, l’ame acquerra l’idée la plus générale de toutes, celle de l’être. Par ces exemples de [’abstraction métaphysique, on peut aisémentjXomprendre comment l’ame humaine s’est formés cette immense quantité d’idées abstraites qui’sont presque toujours l’objet de sesméditations & de son étude, & dont les termes qui les désignent composent presque toute la richesse des langues.

C’est au moyen de cette opération que, sans surcharger les langues de tous les mots nécessaires pour égaler le nombre des individus, nous pouvons tous les désigner, & que, sans avoir une idée de chacun d’eux, nous nous les représentons tous ; c’est par elle que saisissantles traits par les/ quels les êtres sc ressemblent, nous les avons rangés sous des classes dont les limites sont marquées ; (JeìàJes genres & iès espèces diverses, qui nous


facilitent si fort l’étude & la connoissance de ce nombre immense de choses que la nature présente à nos regards ; par-là nous établissons entre nos idées des rapports qui nous représentent les rapports des êtres entr’eux, & leur enchaînement ; nous transportons dans nos idées l’ordre qui règne dans la nature ; nous ne courons plus le risque de nous perdre dans la foule inòmbrable des êtres ; ils se présentent à nous chacuri dans son rang & dans l’ordre convenable, pour que nous les distinguions. Sans les classifications, que scroit toute l’histoire naturelle ? Et comment, sans [’abstraction métaphysique, aurions — nous pu ranger nos idées par classes ? Comment aurions-nous distingué sans elle ces traits communs aux êtres de même genre ou de même espèce ? Au lieu que par le secours de [’abstraction, nous pouvons nous représenter distinctement tout le spectacle de la nature, chaque genre, chaque classe, chaque espèce supérieure & inférieure, chaque division Zc four —division ; chaque idée distincte ayant un nom co/inu, que la mémoire retient aisément, nous pouvons sans peine parler avec clarté de diverses choses, dont nous n’aurions jamais pu sans confusion faire le sujet de nos conversations, ni l’objet de nos jugemens. Sans [’abstraction métaphysique, nous ne pouvons juger que des individus que nous connoissons ; mais ayant généralisé nos idées, nous pouvons juger de rous les individus de l’espèce, pourvu que nous ne prononcions à leur égard que sur les idées distinctes que nous en avons acquises.

Quelque avantage cependant que nous tirions de la capacité d’abstraire, quelque supériorité que nous ayons à cet égard sur les brutes, n’oublions pas d’un côté, que cette faculté ne nous est nécessaire qu’à causes des bornes de nos connoissances ; & de l’autre, que l’abus qu’il est si facile d’en faire, est pour nous une source funeste de disputes vaines & d’erreurs dangereuses.

Incapables de voir d’un coup-d’œil & distinctement toutes les faces d’un sujet, toutes les idées partielles renfermées dans l’idée totale, il a fallu, pour en acquérir la connoissance, le décomposer & en séparer chaque idée par [’abstraction physique ; trop bornés pour voir & examiner tous les êtres, tous les faits individuels, nous avons diî nous restreindre à l’étude d’un très-petit nombre, d’après lesquels nous jugeons de tous les autres que nous croyons leur être semblables ; notre mémoire étant trop foible pour rappeller toutes les circonstances particulières, & les modifications propres à chaque individu, & tous les caractères qui les distinguent les uns des autres, nous les retranchons par ^abstraction métaphysique, nous le ? laissons à part comme s’ils n’existoient pas, & nous nous bornons à çe qui nous a paru être essentiel & commun à chacun d’eux. Rien de tel n’est nécessaire, & n’a lieu dans l’intelligence suprême ; sa connoissance infinie comprend tous les individus ; il ne lui est pas plus difficile de penser à tous en même-temps, que de ne penser qu’à un seul, de voir toutes les faces d’un sujet, que de n’en envisager qu’une seule ; au lieu que la capacité de notre esprit est remplie, non-seulement lorsque nous pensons à un seul objet, mais même lorsque nous ne le considérons que par un seul endroit.

Des notions qui partent d’une telle origine, ne peuvent être que défectueuses, & vraisemblablement il y aura du danger à nous en servir sans précaution ; l’expérience ne nous en a que trop souvent convaincus, & il est du devoir d’un philosophe de se tenir en garde contre les erreurs qui peuvent en naître. Nous allons parcourir en peu de mots les différens pièges que nous tend l’agrément des idées universelles.

1°. L’abstraction métaphysique, en généralisant nos idées, a donné plus d’étendue à nos connoissances, &ca ouvert un champ plus vaste à nos méditations. Il est flatteur pour notre esprit de pouvoir, au moyen des classifications sous lesquelles « ous rangeons tous les êtres, embrasser la nature entière : nous en sommes, ou au moins nous en paroissons plus savans, plus profonds : nous faisons, d’après ces idées universelles, des règles générales en plus petit nombre, nous portons des jugemens plus étendus, notre paresse, ou plutôt la foible portée de notre esprit en est flattée ; mais en nous applaudissant de notre science spéculative, nous sommes forcés à chaque pas de déplorer notre peu d’habileté dans la pratique. Etendre nos idées générales n’est pas perfectionner nos idées individuelles, & cependant ce n’eíî jamais d’une manière générale & universelle que nous agissons, mais toujours dans les cas particuliers, & envers tel ou tel individu. Or, ces trais particuliers, ces différences propres, ces circonstances individuelles, dent nous faisons abstraction pour généraliser nos idées, modifient si considérablement & de tant de façons différentes dans chaque individu, l’objet de l’idée métaphysique que nous nous sommes faite par Yabstraction, que ce qui étoit vrai à l’égard de l’idée générale, ne l’est plus à l’égard de l’individu. Si, pour juger sainement d’une chose dans chaque cas particulier, il faut la connoître sous toutes ses faces ; sipour réussir à produire tel effet désiré sur tel individu, ilfautavoir une idée la plus exacte possible du sujet surlequel on veut agir, & des moyens que l’on emploie, on devra convenir que le plus habile dans chaque genre d’occupation, & dans chaque cas particulier, ne fera pas celui qui aura le plus d’idées abstraites métaphysiques, & les notions les plus universelles, mais celui qui aura le plus d’idées distinctes individuelles. De-là vient, par exemple, que tant de savans médecins, dont les jugemens généraux sont des oracles, & qui dans la spéculation l’emportent sur tous les autres, ont si peu de succès & montrent une capacité au-dessous du médiocre dans la cure des maladies pour lesquelles les particuliers les consultent. De là tant de systèmes de


législation, d’éducation, d’économie, qui, aussi long-temps que l’on s’en tient aux idées générales, paraissent bien liés & infaillibles, qui cependant, lorsqu’on vient à en faire l’application aux cas particuliers, sont absolument impraticables. De la tant de machines inventées avec esprit, mais qui, pour avoir été construites d’après des idées purement métaphysiques, ont prouvé ce que nous avons dit, que ce ne sont pas les idées universelles, mais le plus grand nombre d’idées distinctes individuelles, qui font l’homme habile, dans chaque genre d’occupation, dans chaque cas particulier. Les défauts dont nous avons parlé viennent de ce que l’on ne se souvient pas comme on le devroit, i°. que les abstractions ne sont que dans notre esprit & jamais dans la nature ; qu’il n’exiite point d’être métaphysique, aucun objet général, mais seulement des individus ; que la nature n’agit jamais par classe, mais par individus ; & que l’idée abstraite universelle est, dans chacun des êtres, modifiée par tant de circonstances propres, que l’on ne saura établir aucune règle générale d’une application sûre, sur la seule idée universelle formée par [’abstraction métaphysique. On oublie, i°. que quelque profondément que l’on ait médité sur les êtres d’une même espèce, quelque soin qu’on ait apperté à rassembler daiis l’idée universelle tous les traits qu’on suppose leur être essentiels, & qu’on voit leur être communs à tous, jamais cette idée universelle ne nous représentera leur essence, & par conséquent ne nous mettra èn droit de dire sans témérité : Je ne vois rien de plus que cela dans môn idée, donc il n’y a rien de plus que cela dans les êtres qu’elle doit me représenter, donc tels êtres ne peuvent produire ou souffrir quetels effets précisément. 30. Que c’est moins par rapport à leur nature réelle, que par rapport à nos connoissances, que nous rangeons les êtres dans différentes classes subordonnées ; un œil plus perçant, des sens plus délicats, plus de pénétration dans l’efprit, nous feroient appercevoir, entre des êtres que nous croyons semblables, des différences qui nous obligeroient à les ranger dans d’autres classes distinctes de toutes les autres : nous verrions qu’il n’est pas dans la nature deux êtres parfaitement semblables ; que chacun a des rapports, des influences, des qualités, des facultés, des pouvoirs différens} nous voyons des ressemblances, & nous en concluons précipitamment, que les différences dont nous faisons abstraction, ou que nous n’avons pas apperçues, ne sont rien 5 en conséquence, nous croyons pouvoir attendre les mêmes effets de chacun des individus que nous rangeons dans la même classe, & nous nous trompons.

2°. Une seconde erreur qui naît de l’habitude des abstractions, & de l’abus des idées universelles, consiste à regarder chaque genre, chaque espèce, chaque classe d’êtres, comme faisant un : orps à part, qui agit en bloc, qui forme dans la nature une province isolée,.qui ne tient qu’à elle-même, & qui suit en corps une même loi générale ; au lieu que dans le vrai, nul être n’agit en général, nul genre, nulle espèce n’agit en corps : chaque individu agit individuellement, par une suite de ce qu’il est, comme étant un tel être & non un autre, déterminé en tout sens, qui existe en ce moment en tel lieu, avec tels caractères, tels rapports qui lui sont propres, & qui a en conséquence des influences particulières, dont l’effet est détruit, si vous lui substituez un autre individu. Cet être tel qu’il existe est aussi différent dans sa place, de tout individu de son espèce, relativement aux effets qu’il produira, que s’il étoit d’une espèce différente ; c’est de l’oubli de cette verité qu’est sans doute venue l’erreur si commune aujourd’hui chez les philosophes à la mode, qui, pour combattre le système consolant d’une providence particulière, enseignent que Dieu n’agit que par des loix générales ; supposant qu’il ne connoît la nature que par les idées universelles, qu’il ne fait attention qu’aux genres & aux espèces & jamais aux individus, ne faisant pas réflexion que ces classifications, ces idées universelles ne sont dues qu’aux bornes de notre esprit, & qu’elles ne peuvent avoir lieu dans l’intelligence infinie à qui tout est présent ; qui découvrant toutes les différences qui distinguent un individu d’un autre, ne peut jamais les confondre ; qui par conséquent n’a jamais besoin d’abstractions, & d’idées universelles pour étendre ses connoissances, pour prévenir la confusion dans ses idées, & pour soulager sa mémoire. Chaque individu est pour lui un être à part, un agent déterminé, dont les rapports, l’influence, les modifications, sont fixées par ce qu’il est précisément.

3°. Une troisième erreur due à l’abus des abstractions métaphysiques, consiste à donner à nos idées universelles abstraites une existence hors de nous, une réalité distincte des individus, qui nous ont fourni les idées simples dont nous composons l’idée générale. On semble soupçonner hors des individus je ne sais quelle essence qui va se placer dans chaque être, & à laquelle ensuite vont se joindre les modifications qui font qu’un tel individu est tel & non un autre. De là tous ces termes inintelligibles des scholastiques, nature universelle, relations, formalités, qualités occultes, formes substantielles, espèces intentionnelles. De là tant de questions vaines & absurdes sur le néant, sur les êtres possibles, sur les créatures non existantes encore. De là la fameuse controverse entre les nominaux & les réalistes. Peut-être même les modernes ne sont-ils pas exempts de cette erreur ; au moins ne paroit-il pas qu’ils emploient toujours, comme ils le devroient, les mots d’être, par exemple, de substance, d’espèce, de genre, d’essence, &c. pour être seulement les noms de certaines collections d’idées simples, mais ils semblent vouloir désigner par-là je ne sais quelles réalités existan-


tes hors d’eux. Voyez Locke, Essai sur l’entendement humain. Condillac, Essai sur l’origine des connoissances humaines, sect. 5. Clerici, opéra Philosophica. Pars prima Logica. Wats, Philosophical. Worcks, Essai III. Wats, Logick. Bonnet, Essai de Psychologie.

ABSTRAITS en Logique. Les termes abstraits sont ceux qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination. Ainsi beauté, laideur, sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent, & que nous trouvons beaux ; il y en a d’autres au contraire qui nous affectent d’une manière désagréable, & que nous appelions laids. Mais il n’y a hors de nous aucun être qui soit la laideur ou la beauté. Voyez Abstraction.

Abstrait (terme). Logique. On entend par-là, tout terme qui est le signe d’une idée abstraite. Il y aura donc autant de diverses sortes de termes abstraits qu’il y aura de différentes idées abstraites ; puisque chacune d’elles doit avoir un nom qui la fixe dans notre mémoire, & qui lui donne dans notre esprit une réalité qui lui manque hors de nous. Nulle Part la nature ne nous offre l’objet isolé & subsistant d’une idée abstraite. Voyez Abstraction, Abstraite. Tous les termes de la langue sont ou individuels ou abstraits, les individuels désignent chacun un individu distinct ; ce sont ceux que l’on appelle noms propres, tels que Cicéron, Virgile, Bucéphale, Londres, Rome, Seine, Tibre. Les autres sont des termes abstraits, parce qu’ils ne désignent pas des individus, mais des idées communes à plusieurs. Tous les substantifs de cette espèce qui désignent des idées universelles, des espèces ou des genres d’êtres, se nomment chez les grammairiens, noms appellatifs, tels que poisson, cheval, homme, ville, rivière, &c. mais en philosophie on nomme abstraits, généralement tous les termes qui désignent quelque idée abstraite, de quelque nature qu’elle soit, de substance, de mode, de relation, soit qu’elle se rapporte à des êtres existans substantiellement, soit qu’elle n’ait d’existence que dans notre esprit, comme sont les mots corps, esprit, étendue, couleur, solidité, mouvement, vie, mort, pensée, volonté, sentiment, honneur, vertu, tempérance, religion, &c. Les pronoms, les adjectifs, les nombres, les verbes, les adverbes, les conjonctions, les prépositions, les particules, sont des termes abstraits, puisqu’ils ne désignent point par eux-mêmes d’individus, mais des idées communes à plusieurs, formées dans notre esprit par abstraction.

Entre ces termes, les scholastiques en ont distingué deux sortes, qu’ils ont opposées l’une à l’autre, dont l’une forme une classe des termes qu’ils nomment abstraits, & l’autre celle des termes qu’ils nomment concrets.

Les abstraits, selon eux, sont les termes qui expriment les modes ou les qualitésd’un être, sans aucun rapport à l’objet en qui se trouve ce mode ou cette qualité, ce sont les noms substantifs en grammaire ; tels sont les mots blancheur, rondeur, longueur, sagesse, mort, immortalité, vie, religion, soi, 8cc.

Les concrets sont ceux qui représentent ces modes, ces qualités avec un rapport à quelque sujet indéterminé, ou autrement ceux qui représentent le mode comme appartenant à quelque être ; Sz ces termes sont ceux que les grammairiens nomment adjectifs, quoiqu’assez souvent ils soient employés comme substantifs, tels sont, blanc, rond, long, sage, mortel, mort, immortel, vivant, religieux, fidèle, &c. quoique les termes sage, fou, philosophe, lâche, 8cc s’emploient souvent comme substantifs, ils font cependant termes concrets, parce qu’ils ont leurs termes abstraits correspondans, sagesse, folie, philosophie, lâcheté, &c.

Après ces explications, que nous ne saurions étendre sans répéter ce que nous avons dit sous abstraction, ëz ce que nous dirons sous iàées abstraites, il ne nous reste qu’une ou deux remarques à faire sur ies termes abstraits.

1°. Un terme abstrait peut quelquefois être employé comme nom propre & individuel, en y ajoutant quelque mot qui eii restreigne le sens à un seul individu, ou en indiquant quelque circonstance qui produise le même effet dans l’efprit de ceux qui la connoissent. Ainsi, père, mère, femme, sœur, maison sont des termes généraux, des termes abstraits : ils deviendront individuels, si je dis, par exemple, mon père, ma mère, ma femme, fa sœur, la maison de saint — Paul. De même si, étant à Paris, je dis, le roi, la rivière, chacun fait que je parle de Louis XVI, de la Seine, quoique ces termes roi, rivière, soient des termes généraux qui, en tout autre cas, désignent chaque roi, chaque rivière, &c.

2°. De même des termes individuels, des noms propres peuvent devenir des termes universels & abstraits, parce qu’ayant pris, de l’être unique que chacun désigne, les caractères les plus frappans qui les ont distingués, on en fait un concept à part, auquel on donne ce nom propre individuel, & on emploie ce nom propre à désigner tout autre être qui lui ressemble par ces traits caractéristiques. Ayant saisi, par exemple, dans l’idée individuelle A’Alexandre, les idées partielles d’ambition, de valeur entreprenante, dans l’idée de César, celle d’un général parfait, qui joint la science militaire, l’étude des belles — lettres, La prudence, l’activité au courage héroïque ; j’emploie les mots Alexandre & César, comme des noms communs qui ne désignent que des traits distinctifs de ces individus : je les emploie dans ce sens, & je dis de Chades XII, c’est [’Alexandre du nord ; de Frédéric III, c’est un César. C’est dans ce même sens que l’on dira d’un pol’tique fourbe, cruel, qui emploie la trahison & le crime, c’est un Machiavel.

3°. C’est à l’existence des termes abstraits que


nous devons ces figures poétiques, qui consistent à personnifier des idées purement intellectuelles ; — la mort, la religion, la discorde, la nature, la superstition, &c. Peut — être est — cë à l’abus de ces termes que l’on a dû le polythéisme « absurde de tant de peuples, parce que l’on a personnifié les attributs divins Scies divers actes de la providence. On’a bientôt oublié que ces termes ne désignoient que’, des idées abstraites, &ç non des êtres réels existans à part.

4°. Enfin, il faut observer que l’on ne peut fixer le sens des termes abstraits, qu’en détaillant les diverses idées simples dont la réunion constitue l’idée abstraie, qu’on désigne par leur moyen ; mais si l’objet que signifie ce terme abstrait, n’est lui-même qu’une seule idée simple, ce qui a lieu dans les noms des sensations simples, comme rouge, verd, doux, aigre, chaud, froid, on ne peut pas les définir ; il faut’les expliquer par d’autres termes, ou présenter l’objet même, & le faire agir sur les sens. Anc. Encyclop. (G. M.)

ABSTRAITE (idée), Logique. C’est celle qui nous représente seulement une partie des idées simples que nous distinguons dans l’idée totale d’un individu. Nous acquérons ces idées par le moyen de l’abstraction. Voyez ci-dessus ce mot.

Comme il y a deux sortes d’abstractions, l’abftraction physique qui nous donne les idées abstraites individuelles, & l’abstraction métaphysique qui nous procure les idées générales ou universelles ; il y a aussi deux sortes d’idées abstraites considérées relativement à leur origine. Les idées abstraites individuelles sont celles que j’acquiers par la décomposition de l’idée totale d’un individu unique, que j’examine seul, en lutmême, sans rapport à aucun autre qu’à moi, soit que cet individu soit moi— même, soit qu’il existe hors de moi.

Les idées individuelles abstraites sont’les élémens de toutes les autres idées que je puis avoir, de toutes les connoissances que j’acquiers, de toute la capacité intellectuelle qui me distingue des brutes. Je dois ces idées, soit à mes sens qui reçoivent des impressions qui se communiquent à mon ame, & lui donnent ces idées qui lui représentent, ou qu’elle croit lui représenter les objets. qui les occasionnent ; soit à ce sentiment intime qu’elle a de ce qui se passe en elle — même, de ce qu’elle sait, de ce qu’elle souffre. Si chaque individu ne l’affectoit que d’une seule manière, elle n’auroit de chacun qu’une idée simple, indivisible, dont elle ne pourroit rien abstraire ; mais chaque individu, chaque être l’affectant de diverses manières, faisant sur elle des impressions différentes, soit momentanées, soit successives, elle distingue ces impressions, elle les considère à part, &r se forme par ce moyen des idées abstraites. Une boulèts’offre à mes regards, & repose sur ma main ; te m en forme une idée d’après les impressions qu elle fait sur mes sens ; je distingue ces impressions, fa rondeur, fa blancheur, fa pesanteur : 1 —chacune de cesidées, ou plutôt les causes qui les ! foht— naître en moi, je les nomme modes de cette substance : ces modes me paroissent attachés à cet — individu dpnt je dis qu’il est rond, qu’il est blanc, qu’il est pesant : cet individu me paroît être quelv que chose à qui ces qualités appartiennent : or, ce quelque chose, je le nomme subfiance, & c’est de cette substance que je dis qu’elle est ronde, blanche & pesante ; je la touche, je la remue ; je vois qu’il y a entt’clle & moi un rapport qui fait qu’elle agit sur mes sens Sc que j’agis sur elle ; par-là je forme l’idée des relations, de lieux, de causes, <d’effets : de même je fais atten i >n à ce qui se passe tn moi : je sens un être qui pense tantôt à une chose, tantôt à une autre ; qui éprouvé quelquefois du plaisir, quelquefois de la douleur : cet être est toujours le même : je le considère seul, Sc sous : cette face qui me le représente comme subsistant y par lui-même, je dis que c’est une substance : je considère à part ses pensées, ses scntimens divers ; je sens qu’ils appartiennent à cette substance, & qu’ils sont différentes manières dont elle existe ; je les regarde comme des modes de cette substance : je dis qu’elle pense, qu’elle sent du plaisir, de la douleur : je sens que ces modes se succèdent, commencent & finissent, durent plus ou moins ; ^’acquiers par-la l’idée des relations de temps, de durée, de succession.

Toutes nos idées abstraites peuvent se réduire à ces trois classes ; les substances, les modes, les — relations.

Les idées que nous aquérons par l’abstraction. physique — peuvent être ^simples ou composées. Elles sont simples lorsqu’elles ne nous représentent qu’un seul & unique objet indivisible ; il n’y a que les idées abstraites des modes, lorsqu’on les considère chacun à part, qui soient des idées simples ; & elles —nous sont fournies, ou par les sens « qui reçoivent l’impression des objets extérieurs, ou par le sentiment intime de ce qui se passe en nous. Une couleur, un son, le goût, l’étendue, "la.solidité, le mouvement, le repos, le plaisir, la douleur, 8rc. sont des idées simples. Au contraire, les idées abstraites de substance Sc de relation sont toujours des idées composées, de même que celles des modes mixtes, comme la. vérité, la religion, l’honneur, la foi, la gloire, la vertu, Sec.

Nous pouvons augmenter le nombre des idées abstraites que nous fournit un individu, en poussant aussi loin qu’il est possible la décomposition, non-seulement de l’idée totale, qui est toujours composée, mais encore de chaque idée partielle, qui peut encore elle-même être composée, & nous offrir diverses idées distinctes qu’elle renferme. La figure sphérique, par exemple, que je considère à part dans une boule d’or, peut m’offrir les idées de centre, de circonférence, de rayons, &c.


On a donné le nom de pénétration à la faculté de l’efprit qui développe, Sc découvre dans chaque sujet qu’il étudie, toutes les différentes idées —qu’il est possible d’y distinguer ; &c le plus haut degré de la pénétration d’esprit consiste à réduire toutes les idées composées aux idées, simples qui leur servent d’élémens. Je dirai avec M. Bonnet : « Plus un génie a de profondeur, plus il décom— » pose un sujet. L’inteiligence pour qui k décom— » position de chaque sujet se réduit à l’unité, est : « l’inteiligence créatrice « . En effet, il n’y a qu’elle pour qui chaque sujet ne renferme pas des objets d’idées dans le fond desquels il n’est pas possible de pénétrer. Pour elle seule, au moins, les substances ne sont pas un mystère impénétrable.

Les idées abstraites métaphysiques supposent les idées abstraites individuelles : celles — ci sont les élémens de celles-là. Nous les nommons également idées générales, idées universelles, parce qu’elles sont celles qui ne nous représentent que ce qui est commun à plusieurs êtres, faisant abstraction de ce qui est particulier à chacun d’eux.

Dans toute idée abstraite métaphysique, il faut considérer, i°. la (compréhension, & l’étendue de l’idée ; i°. son degré d’abstraction plus ou moins. grand.

1°. La compréhension de l’idée abstraite métaphysique est l’assemblage des idées partielles que nous reunissons dans l’idée universelle, pour représenter, comme dans un seul tableau, les traits que nous regardons comme étant communs à tous les êtres d’une même espèce, ou que nous voulons ranger dans la même classe. Ainsi quand je dis un être, ou simplement [’être, la compréhension de cette idée se borne à la seule idée de l’existence. Si je dis animal, la compréhension de cette idée renferme tous les traits qui d’stinguent un animal de tout être qui n’est pas ua animal ; ainsi il y aura les idées d’existence, d’étendue —, d’organisation, de nutrition, de mouvement, de sentiment ; si je dis homme, à çette idée d’animal en général, je joindrai celles d’une certaine figure, d’un certain arrangement de parties, Sc d’ame raisonnable unie à un corps organisé.

L’extension ou étendue de l’idée abstraite métaphysique, est l’assemblage ou le total des êtres diyers, des différens individus, auxquels l’idée est applicable ; ainsi l’idée de l’être s’étend à tous les êtres, à tout ce qui existe, de quelque nature qu’il soit. C’est, de toutes les idées, la plus générale, la plus étendue. L’idée d’animal s’étend à tous les animaux, c’est-à-dire à tous les êtres en qui on trouve l’existence, l’étendue, l’organisation, le mouvement, le sentiment, 8cc. Tidée d’homme s’étend à tous les hommes qui’existent.

C’est en travaillant, par la méditation, sur la compréhension 8í l’étendue des idées abstraites métaphysiques, que notre esprit range les erres par classes, genres, espèces, &c. Plus nous avons approfondi Sc décomposé l’idée de divers individus qui nous sont connus, pour y^distinguer toutes les idées simples & distinctes qu’ils offrent à notre méditation ; plus nous sommes en état de rendre exacte 8cprécise la distribution que nous en faisons par classes, moins nous courons de risque de mettre dans le même genre ou la même espèce, comme semblables, des êtres qui, mieux connus, nous offnroient des différences assez essentielles pour exiger d’en faire des classes à part, ou de les rapporter à d’autres.

La compréhension de l’idée en resserre ou en étend l’extension, selon qu’elle est plus ou moins composée, c’est à-dire selon qu’elle renferme un plus ou moins grand nombre d’idées distinctes. Qu’à l’idée de l’être, je n’en joigne aucune autre ; qu’elle ne renferme que la feule idée de l’existence ; j’aurai l’idée abstraite de la plus grande étendue, puisqu’elle s’appliquera à tout ce qui existe. Qu’à l’idée d’existence sc joigne celle d’étendue solide, de divisibilité, d’impénétrabilité, j’aurai une idée universelle moins étendue, puisqu’elle ne conviendra qu’aux corps. Qu’à ces idées renfermées dans la compréhension de l’idée de corps, je joigne celle de fusibilité, de malléabilité, de pesanteur, je resserre l’étendue de cette idée en augmentant sa compréhension ; elle ne convient plus qu’à cette sorte de corps qu’on nomme métaux. Que j’y ajoute encore celle d’une plus grande pesanteur, de la couleur jaune Sc brillante, de la fixité ; je restreins l’idée de métaux, à l’idée de celui-là seul que l’on nomme or. Plus donc, dans l’idée abstraite métaphysique, je fais entrer d’idées qui en augmenrent la compréhension, plus par-’.à je restreins son étendue ou extension.

2°. Les idées abstraites peuvent avoir différens degrés d’abstraction, selon que ce qu’elles représentent à l’efprit s’éloigne plus ou moins de l’idée complette d’un individu : si je ne retranche ou n’abstrais rien de l’idée de Louis XVI, mais que dans la compréhension de l’idée que j’en ai, je rassemble sans exception tous les traits, toutes les idées distinctes que m’offre fa personne, j’ai une idée individuelle qui ne convient qu’à ce seul objet : si je retranche de cette idée celle du nusnero de son nom, pour ne conserver que ce qu’il a de commun avec tous les rois de fa maison qui se sont nommés Louis, l’idée que je me forme par-là est une idée abstraite, qui convient à tous les rois de France qui se sont nommés Louis, Si je retranche de cette idée ce qui n’a été commun qu’aux rois nommés Louis, pour ne garder que ce qui est commun aux rois de France de la race Capétienne, j’aurai une idée plus abstraite, d’une compréhension plus restreinte, mais d’une plus grande étendue, qui embrassera tous les rois qui ont régné çn France depuis Hugues Capet. Si je


retranche ou abstrais-de cette idée tout ce qui est. particulier à chaque race, pour ne joindre à l’idée de roi que c elle de la domination sur Je royaume de France, mon idée sera.plus abstraite’, Sc conviendra à tous les rois de France sans exception. Que j’abstraise encore de cette idée toute idée de domination sur un pays plutôt que sur un autre, toute idée du temps ancien ou moderne, mon idée devient toujours plus abstraite, d’une compréhension moins composée, mais en même-temps d’une étendue plus vaste, puisqu’elle sera applicable à rous les rois qui ont règne sur la terre depuis le commencement, _ & qui régneront jusqu’à la fin. Voilà une première face sous laquelle on peut envisager les idées abstraites, , Sc qui nous les offre comme plus ou moins abstraites, relativement à leur compréhension Sç à leur étendue. Plus la compréhension est restreinte, plus l’extension augmente, plus l’idée est abstraite.

Les idées métaphysiques sont aussi plus ou moins abstraites, relativement à la nature des objets qu’elles représentent.

1°. Les idées métaphysiques moins abstraites, sont celles qui représentent les diveiscs natures communes des êtres, Scqui sont formées sur les modèles des individus existans réellement dans la nature : telles sont les idées générales d’homme, de cheval, de pigeon, de métal, d’esprit. On peut donner à ces idées le nom d’idées abstraites corporelles ou spirituelles, suivant la nature corporelle ou spirituelle des êtres qu’elles comprennent dans leur extension, quoiqu’elles ne représentent pas parfaitement ces êtres, puisque, dans leur compréhension, on ne fait entrer que les idées des traits par lesquels chacun des individus de l’espèce se ressemblent.

2°. On peut placer dans le second rang des idées abstraites, celles qui ont pour objet les modes, les propriétés des êtres, envisagées en général & séparément des substances, ou les substances des êtres considérées en général Sc séparément "dés qualités, des propriétés Sc des modes ; comme sont les idées abstraites de figure, de couleur, de mouvement, de la puissance, de l’action, de l’existence, de l’étendue, de la pensée, de substance, d’essence, Sec.

3°. Moins les objets des idées abstraites ont de réalité, & plus est considérable leur degré d’abstraction : je serai donc autorisé par cette règle, à placer dans un troisième rang, Sc, par-là même, d’assigner un degré plus élevé d’abstraction aux idées qui n’ont pour objet que les relations qui subsistent ou peuvent subsister entre les êtres : je les acquiers en comparant un être à un autre, en observant les circonstances dans lesquelles un être est par rapport à l’autre, & enfin en séparant l’idée de ces relations de celle des êtres entre lek quels je les ai a.ppercues : telles font les idées de cause, d’effet, de ressemblance, de différence, de tout, de partie, &c.

4°. Si tes idées de cause, de substance, de mode, sont déjà par elles-mêmes des idées abstraites ; les idées de causalité, de substantialité, de modalité, seront plus abstraites encore ; car ces mots ne signifient pas la chose même, mais seulement une manière de considérer une choie comme substance, comme mode. Dans ce • rang, on peut mettre les idées générales de genres, d’espèces, de nom, de pronom, de verbe, 8cc. Scune multitude d’autres idées qui entrent dans le discours des gens du commun aussi bien que des savans.

Remarquons ici que les idées de cause, d’effet, de substance, de mode, de différence, de ressemblance & autres de cette espèce, ont ceci de particulier, par une suite de leur plus grand degré d’abstraction, qu elles sont toujours les mêmes, soit qu’on les tire de l’idée d’un être corporel ou d’un être spirituel, ou qu’on les y rapporte, & qu’ainsi elles sont d’une espèce différente des autres idées abstraites dont nous avons parlé d’abord, & qui sont moins abstraites, moins générales ; ces dernières sont nécessairement corporelles ou intellectuelles, selon la nature de l’objet dont on. les a abstraites. Que je regarde l’épée comme la cause de la blessure, ou mon ame comme la cause de ma pensée, ou Dieu comme la cause de l’univers, l’idée abstraite de causeest toujours la même. Mais que je pense au mouvement, à la couleur, à l’étendue, mon idée serapporte nécessairement à un corps ; que je parle de pensée, de volonté, de désir, mon idée se rapporte nécessairement à un esprit.

Finissons cet exposé, en remarquant qu’aux sensations & au sentiment intime de ce qui se passeen nous, que M. Locke indique comme les deux seules sources’de nos idées, on peut ajouter, comme une troisième source féconde d’idées d’un genre particulier, l’abstraction, quoiqu’elle doive avoir pour s’exercer, les matériaux fournis par la sensation ou la réflexion ; car il est certain que les sens Scle sentiment intime ne nous fourniront jamais seuls des idées abstraites. Anc. Encyclop.

* Des abstractions.

§. I. Nous avons vu que les notions abstraites


se forment en cessant de penser aux propriétés par où les choses font distinguées, pour ne penser qu’aux qualités par où elles conviennent. Cessons de considérer ce qui détermine une étendue à être telle, un tout à être tel, nous aurons les idées abstraites d’étendue 8c, de tout ([1]).

Ces sortes d’idées ne sont donc que des dénominations que nous donnons aux choses envisagées par les endroits par où elles sc reffemblent : c’est pourquoi on les appelle idées générales. Mais ce n’est pas assez d’en connoître l’origine, il y a encore des considérations importantes à faire sur leur nécessité, & sur les vices qui les accompagnent.

§. II. Elles sont sans doute absolument nécessaires. Les hommes étant obligés de parler des choses, scion qu’elles diffèrent ou qu’elles conviennent, il a fallu qu’ils pussent les rapporter à des classes distinguées par des signes. Avec ce secours ils renferment dans un seul mot ce qui n’auroitpu, sans confusion, entrer dans de longs discours. On en voit un exemple sensible dans l’usage qu’on fait des termes de substance, esprit, corps, animal. Si l’on ne veut parler des choses qu’autant qu’on se représente dans chacune un sujet qui en soutient les propriétés Scles modes, on n’a besoin que du mot de substance. Si l’on a en vue d’indiquer plus particulièrement l’espèce des propriétés & des modes, on sc scrt du mot d’esprit ou de celui de corps. Si en réunissant ces deux idées, on a dessein de parler d’un tout vivant, qui sc meut de lui même & par instinct, on a le mot d’animal. Enfin, selon qu’on joindra à cette dernière notion les idées qui distinguent les différentes espèces d’animaux, l’usage fournit ordinairement des termes propres à rendre notre pensée d’une manière abrégée.

§. III. Mais il faut remarquer que c’est moins par rapport à la nature des choses que par rapporr à la manière dont nous les connoissons, que nous en déterminons les genres & les espèces, ou, pour parler un langage plus familier, que nous les distribuons dans les classessubordonnées les unes aux autres. Si nous avions la vue assez perçante pour découvrir dans les objets un plus grand nombre de propriétés, nous appercevrions bientôt des différences entre ceux qui nous paroissent les plus conformes, & nous pourrions en conséquence îes sous-diviscr en de nouvelles classes. Quoique différentes portions d’un même métail soient, par exemple, semblables, par les qualités que nous leur connoissons, il ne s’enfuit pas qu’elles le soient par celles qui nous restent à connoître. -Si nous savions en faire la dernière analyse, peut-être trouverions-nous autant de différence entr’elles, que nous en trouvons maintenant entre des métaux de différente espèce.

§. IV. Ce qui rend les idées générales si nécessaires, c’est la limitation de notre esprit. Dieu n’en a nullement besoin ; sa connoissance infinie comprend tous les individus, Scil ne lui est pas plus difficile de penser à tous en même-temps, que de penser à un seul. Pour nous, la capacité de notre esprit est remplie, non-seulement lorsque nous ne pensons qu’à un objet, mais même lorsque nous ne le considérons que par quelque endroit. Ainsi nous sommes obligés, pour mettre de l’ordre dans nos pensées, de distribuer les choses en différentes classes.

§. V. Des notions qui partent d’une telle origine, ne peuvent être que défectueuses ; Scvraisemblablement il y aura du danger à nous en servir, si nous ne le faisons avec précaution. Aussi ies philosophes sont-ils tombés à ce sujet dans une erreur qui a eu dé grandes suites : ils ont réalisé toutes leurs abstractions, ou les ont regardées comme des êtres qui ont une existence réelle, indépendamment de celle des choses (i). Voici, je pense, ce qui a donné lieu à une opinion aussi absurde.

§. VI. Toutes nos premières idées ont été particulières ; c’étoient certaines sensations de lumière, de couleur, 8cc. ou certaines opérations « deTame. Or toutes ces idées présentent une vraie réalité, puisqu’elles ne font proprement que notre être différemment modifié. Car nous ne saurions rien appercevoir en nous, que nous ne le regardions comme à nous, comme appartenant à notre être, ou comme étant notre être de telle ou telle façon ; c’est-à-dire, sentant, voyant, Sec. Telles sont toutes nos idées dans leur origine.

Notre esprit étant trop borné pour réfléchir en même-temps sur toutes les modifications qui peuvent lui appartenir, il est obligé de les distinguer, afin de les prendre les unes après les autres. Ce qui sert de fondement à cette distinction, c’est que ses modifications changent, Sc se succèdent continuellement dans son être, qui


lui paroît un certain fonds qui demeure toujours le même.

Il est certain que ces modifications’, distinguées de la sorte de l’être qui en est-ié sujet, n’ont pks aucune réalité. Cependant-d’esprit ne peut pas réfléchir sur rien ; car ce scroit proprement ne pas réfléchis. Comment donc ces modifications, prises d’une manière abstraite, ou séparément de l’être auque-I elles appartiennent, & qui neleur convient qu’autant qu’elles y sont renfermées, deviendront-elles l’objet de l’efprit ? C’est qu’il continue de les regarder comme des êtres. Accoutumé, toutes les fois qu’il les considère comme étant à lui, à les appercevoir avec la réalité de.son être, dont pour lors elles ne sont pas distinctes, il leur conserve, autant qu’il peut, cette même réalité, dans le temps même qu’il les en distingue. 11sc contredit : d’un côté, il envisage ses modifications sans aucun rapport àjon être, Sc elles ne sont plus rien ; d’un autre côté, parce que le néant ne peut se saisir, il les regarde comme quelque chose, & continue de leur attribuer cette même réalité avec laquelle il les a d’abord apperçues, quoiqu’elle ne puisse plus leur convenir. En un mot ces abstractions, quand elles n’étoient que des idées particulières, sc sont liées avec l’idée de l’être, Sc cette liaison subsiste.

Quelque vicieuse que soit cette contradiction, elle est néanmoins nécessaire. Car si l’efprit est trop limité pour embrasser tout-à-la-fois son être & ses modifications, il faudra bien qu’il les distingue, en formant des idées abstraites : &, quoique par-là les modifications perdent toute la, réalité qu’elles avoient, il faudra bien encore qu’il leur en suppose, -parce qu’autrement il n’en pourroit jamais faire l’objet de fa réflexion.

C’est cette nécessité qui est cause que bien des philosophes n’ont pas soupçonné que la réalité des idées abstraites fût l’ouvrage de l’imagination. Ils ont vu que nous étions absolument engagés à considérer ces idées çomme quelque chose de réel, ils s’en sont tenus là ; &., n’étant pas remontés à la cause qui nous les fait ^percevoir sous cette fausse apparence, ils ont conclu qu’elles étoient en effet des êtres.

On a donc réalisé toutes ces notions ; mais plus ou moins selon que les choses, dont elles sont des idées partielles, paraissent avoir plus ou moins de réalité. Les idées des modifications ont participé à moins de degrés d’être que celles

(1) Au commencement du douzième siècle les péripatéticiens formèrent deux branches, celle des nominaux & ceíle des réalistes. Ceux-ci soutenoient que les notions générales que l’école appelle nature universelle, relations, formalités & autres, sont des reahtes_distinctes des choses. Ceux-là au contraire pensoient qu’elles ne sont.que dés noms par où on expr/me détentes mameres de concevoir, & ils sappuyoient sur ce principe, que la nature ne f.ûi rien en loutenir viin C’étoit’une bonne thcíe, pat une assez mauvaise raison ; car c’étoir convenir que ces réalités étoient possibles, & que, pour les taire exister, il ne falloit que leur trouver quelque utilité. Cependant ce principe étoit appelle le rasoir des no— ZmZà^í^ ? « ï c » deuxJset> «  « "/> vive qu’on en vint aux mains ea Allemagne, & qu’en France Louis XI fut oblige de défendre ia lecture des livres des nomjnaux,’.. des substances, & celles des substances finies en ont encore moins que celle de l’être infini (i).

§. VII. Ces idées réalisées de la forte ont été id’une fécondité merveilleuse. C’est à elles que nous devons l’heureuse découverte des qualités occultes, des formes substantielles, des espèces intentionnelles :. ou, pour, ne parler que de ce qui est commun aux. modernes, c’est à elles que nous devons ces genres, " ces espèces,’ces essences 8cces différences, qui sont tout autant d’êtres qui vont se placer dans chaque substance, pour la déterminer à être ce qu’elle est. Lorsque les philosophes sc servent de, -ces mots être, substance, essence, genre, espèce, il ne faut pas s’imaginer qu’ils n’entendent que certaines collections d’idées simples qui nous viennent par scn— —sation & par réflexion ; ils veulent pénétrer plus avant, Sc voir dans chacun d’eux des réalités spécifiques. Si même nous descendons dans un plus gtand détail, & que nous passions en revue les noms des substances ; corps, animal, homme, , métal, or & argent, Sec. Tous dévoilent aux yeux des philosophes des êtres cachés au reste des hommes.

Une preuve qu’ils regardent ces mots comme iigne de quelque réalité, c’est que, quoiqu’une substance ait souffert quelqu’altération, ils ne laissent.pas de demander si elle appartient encore à la même espèce, à laquelle elle se rapportoit avant ce changement:question qui deviendroit superflue, s’ils mettoient les notions des substances & celles de leurs espèces dans différentes collections d’idées simples. Lorsqu’ils demandent si de la neige Si de la glace font de l’eau ; fi un foetus monstrueux— est un homme; Ji Dieu, les esprits, les corps, ou même le vuide font des subfiances, il est évident que la question n’est pas fi ces choses conviennent avec des idées simples rassemblées. sous ces mots eau, homme, substancej elle sc résoudrait d’elle-même. H s’agit de savoir si ces choses renferment certaines essences, certaines réalités qu’on suppose que ces mots eau, homme, substance signifient.

§. VIII. Ce préjugé a fait imaginer à tous les philosophes qu’il faut définir les substances par a différence la plus prochaine & la plus propre à en expliquer la nature. Mais nous sommes encore à attendre d’eux un exemple de ces sortes de définitions. Elles seront toujours défectueuses parl’impuissance où ils sont de connoître lesessences:impuissance dont ils ne se doutent pas, parce qu’ils sepréviennent pour des idées abstraites qu’ils réalisent, & qu’ils prennent ensuite pour l’essence même des choses.

§. IX. L’abus des notions abstraites réalisées se montre encore bien visiblement, lorsque les


philosophes, non contens d’expliquer à leur manière la nature de ce qui est, ont voulu expliquer la nature de ce qui n’est pas. On les a vus parler des créatures purement possibles, comrsie des créatures existantes, Sc tout réaliser jusqu’au néant d’où elles sont sorties. Où étoient les créatures, a-t-on demandé, avant que Dieu les eût créées ? La réponse est facile; car c’est demínder où elles étoient avant qu’elles fussent ? à quoi, ce me semble, il suffit de répondre qu’elles n’étoient nulle part.

L’idée des créatures possibles n’est traction qu’une abs— réalisée, que nous avons formée en cessant de penser à l’existence des choses, pour ne penser qu’aux autres qualités que nous leur connoissons. Nous avons pensé à l’étendue, à la figure, au mouvement Sc au repos des corps, Sc nous avons cessé de penser à leur existence. Voilà comment nous nous sommes fait l’idée des corps possibles:idée qui leur ôte toute leur réalité puisqu’elle les suppose dans le néant ; & qui, par une contradiction évidente, la leur conserve, puisqu’elle nous les représente comme quelque chose d’étendu, de figuré, Sec.

Les philosophes n’appercevant pas cette contradiction, n’ont pris cette idée que par ce dernier endroit. En conséquence, ils ont donné à ce qui n’est point les réalités de ce qui existe, & quelques — uns ont cru résoudre d’une maíiière sensible les questions les plus épineuses de la création.

§. X. « Je crains, dit Locke, que la manière » dont on parle des facultés de l’ame, n’ait fait » venir à plusieurs personnes l’idée confuse d’au— = » tantd’agens qui existent distinctement en nous, » qui ont différentes fonctions & différens pou— » voirs, qui commandent, obéissent & exécutent « diverses choses, comme autant d’êtres distincts; *>ce qui a produit quantité de vaines disputes, " de discours obscurs Sc pleins d’incertitude sur » les questions qui se rapportent à ces différents » pouvoirs de l’ame « .

Cette crainte est digne d’un sage philosophe ; car pourquoi agiteroit-on comme des questions fort importantes, si le jugement appartient à l’en^ tendement ou à la volonté ; s’ils font l’un & l’autre également actifs ou également libres ; fi la volonté estcapable de connoissance, ou si ce n’est qu’unefaculté aveugle ; si enfin elle commande à l’entçnde-— ment oufi celui-ci la guide & la détermine, ? Si par entendement & volonté, les philosophes ne vouloient exprimer que l’ame envisagée par rapport à certains actes qu’elle produit ou peut produire, il est évident que le jugement, l’activité Sc la liberté appartiendroient à l’entendement, ou ne lui appartiendroient pas, scion qu’en parlant de cette faculté, on considérerait plus ou moins de

(I) Descartes lui-même raisonne de la sorte. ces actes. Il en est de même de la volonté. Il suffit, dans ces sortes de cas, d’expliquer les termes, en déterminant par des analyses exactes les notions qu’on se fait des choses. Mais les philosophes ayant été obligés de sc représenter l’ame par des abstractions, ils en ont multiplié l’être, Sc l’entendement & la volonté ont subi le sort de toutes les notions abstraites. Ceux même, tels que les cartésiens, qui ont remarqué expressément que ce ne sont point là des êtres distingués de l’ame, ont agité toutes les questions que je viens de rapporter. Ils ont donc réalisé ces notions abstraites contre leur intention, Sc sans s’en appercevoir. C’est qu’ignorant la manière demies analyser, ils étoient incapables d’en connoître les défauts, Sc par conséquent de s’en servir avec toutes les précautions nécessaires.

§. XI. Ces sortes d’abstractions ont infiniment obscurci tout ce qu’on a écrit sur la liberté : question où bien des plumes ne paraissent s’être exercées, que pour l’obscurcir d’avantage. L’entendement, disent quelques philosophes, est une faculté qui reçoit les idées ; Sc la volonté est une faculté aveugle par elle-même, Sc qui ne se détermine qu’en conséquence des idées que l’entendement lui présente. Il ne dépend pas de l’entendement d’appercevoir ou non les idées & les rapports de vérité oude probabilité qui sont entr’elles. U n’est pas libre, il n’est pas même actif ; car il ne produit point en lui les idées du blanc Sc du noir, & il voit nécessairement que l’une n’est pas l’autre. La volonté agit, il est vrai : mais aveugle, par ell : -même, elle fuit le dictamen de l’entendement ; c’est-à-dire, qu’elle se détermine conséquemment à ce que lui prescrit une cause nécessaire. Elle est donc aussi nécessaire. Or si l’homme étoit libre, ee scroit par l’une ou l’autre de ces facultés. L’homme n’est donc pas libre ?

Pour réfuter tout ce raisonnement, il suffit de remarquer que ces philosophes sc font, de l’entendement Sc de la volonté, des fantômes qui ne sont que dans leur imagination. Si ces facultés étoient telles qu’ils se les représentent, sans doute que la liberté n’auroit jamais lieu. Je les invite à rentrer en eux-mêmes, Sc je leur réponds que, pourvu qu’ils veuillent renoncer à ces réalités abstraites, & analyser leurs pensées, ils verront’les choses d’une manière bien différente. Il n’est point vrai, par exemple, que l’entendement ne soit ni libre, ni actif ; les analyses que nous en avons données, démontrent le contraire. Mais il faut convenir que cette difficulté est grande, si même elle n’est insoluble dans l’hypothèsc des idées innées.

§. XII. Je ne sais si, après ce que je viens de dire, on pourra enfin abandonner toutes ces


abstractions réalisées : plusieurs raisons mè font ? appréhender le contraire. Il faut se souvenir que nous avons dit (i) que les noms des substances tiennent dans notre esprit la place que les sujets occupent hors de nous : ils y sont le lieu & le soutien des idées simples, comme les sujets le font au-dehors des qualités. Voilà pourquoi nous sommes toujours tentés de les rapporter à ce sujet, Sc de nous imaginer qu’ils en expriment la réalité même.

En second lieu, j’ai remarqué ailleurs (z) que nous pouvons connoître toutes les idées simples dont les notions archétypes se sont formées. Or l’essence d’une chose étant, selon les philosophes, ce qui la constitue ce qu’elle est, c’est une conséquence que nous puissions, dans ces occasions, avdir des idées des essences : aussi leur avonsnous donné des noms. Par exemple, celui de justice signifie l’essence du juste, celui de sagesse, l’essence du sage, 8cc. C’est peut-être là une des raisons qui a fait croire aux scholastiques que pour avoir-des noms qui exprimassent les essences des substances, ils n’avoient qu’à suivre l’analogie du langage. Ainsi ils ont fait les mots decorporéité, d’animalité, Sc d’humanité, pour désigner les essences du corps, de [’animal Sc de l’homme. Ces termes Jeur étant devenus familiers, il est bien difficile de leur persuader qu’ils sont vuides de sens.

En troisième lieu, il n’y a que deux moyens de se servir des mots ; s’en servir après avoir fixé, dans son esprit toutes lesidées simples qu’ils doivent signifier, ou seulement après les avoir supposés signes de la réalité même des choses. Le premier moyen est, pour l’ordinaire, embarassànt j parce que l’usage n’est pas toujours assez décidé. Les hommes voyant les choses différemment, selon l’expérience qu’ils ont acquise, il’est difficile qu’ils s’accordent sur le nombre & sur la qualité des idées de bien des noms. D’ailleurs, lorsque cet accord se rencontre, il n’est pas toujours aisé de saisir, dans fa juste étendue, le sens d’un terme : pour cela il faudrait du temps, de l’expé-, rience, Sc de la réflexion. Mais il est bien plus commode de supposer dans les choses une réalité dont on regarde les mots comme les véritables, signes ; d’entendre^ par ces noms, homme, animal y Sec. une entité qui détermine & distingue ces choses, que de faire attention à toutes les idées simples qui peuvent leur appartenir. Cette voie satis-, fait tout-à-la-fois notre impatience & notre curiosité. Peut-être y a-t-il peu de personnes, même parmi celles qui ont le plus travaillé à se défaire de leurs préjugés, qui ne sentent quelque penchant à rapporter tous les noms des substances à des réalités inconnues. Cela paraît même dans des cas où iTest facile d’éviter l’erreur, parce que nous savons bien

(i) Section 4. pag. 182. (2) Section 3, pag, 168. que les idées que nous réalisons, ne sont pas de véritables êtres. Je veux parler des êtres moraux, tels que la gloire, la guerre, la renommée, auxquels nous n’avons donné la dénomination d’être, que parce que dans les discours les plus sérieux, comme dans les conversations les plus familières, nous les imaginons sous cette idée.

§. XIII. C’est là certainement une des sources des plus étendues de nos erreurs. Il suffit d’avoir supposé que les mots répondent à la réalité des choses, pour les confondre avec elles, Sc pour conclure qu’ils en expliquent parfaitement la nature. Voilà pourquoi celui qui fait une question, & qui s’informe de ce qu’est tel ou tel corps, croit, comme Locke le remarque, demander quelque chose de plus qu’un nom, Sc que celui — ci qui lui répond, c’est du fer, croit aussi lui apprendre quelque chose de plus. Mais avec un tel jargon il n’y a point d’hypothèse, quelqu’inintelligible qu’elle puisse être, qui ne se soutienne. Il "ne faut plus s’étonner de la vogue des différentes sectes.

§. XIV. Il est donc bien important de ne pas réaliser nos abstractions. Pour éviter cet inconvénient, je ne connois qu’un moyen, c’est de savoir développer l’origine Sc la génération de toutes nos notions abstraites. Mais ce moyen a été inconnu aux philosophes, & c’est envain qu’ils ont tâché d’y suppléer par des définitions. La cause de leur ignorance à cet égard, c’est le préjugé où ils ont toujours été qu’il falloit commencer par les idées générales:car, lorsqu’on s’est défendu de commencer par les particulières, il n’est pas possible d’expliquer les pius abstraites qui en tirent leur origine. En voici un exemple.

Après avoir défini l’impossible, par cequi implique contradiction ; le possible par ce qui ne Cimplique pas, Sc l’être par ce qui peut exister, on n’a pas su donner définition de l’existence, sinon qu’elle est le complément de la possibilité. Mais je demande si cette définition présente quelqu’idée ; Sc si l’on ne scroit pas en droit de jetter sur elle le ridicule qu’on a donné à quelques-unes de celles d’Aristote.

Si le possible est ce qui n’implique pas contradiction, la possibilité est la non-implication de contradiction. L’existence est donc le complément de la non — implication de contradiction. Quel langage ! en observant mieux l’ordre naturel des idées, on auroit vu que la notion de la possibilité ne se forme que d’après celle de l’existence.

Je pense qu’on n’adopte ces sortes de définitions que parce que, connoissant d’ailleurs la chose définie, on n’y regarde pas de si près. L’esprit qui est frappé de quelque clarté la leur attribue, & ne s’apperçoit point qu’elles sont inintelligibles. Cet exemple fait voir combien il est important de s’attacher à ma méthode; c’est-à-dire, de substituer toujours des analyses aux définitions des philosophes. Je crois même qu’on devrait porter le scrupule jusqu’à éviter de sc servir des expressions dont ils paraissent le plus jaloux. L’abus


en est devenu si familier, qu’il est difficile, quelque soin qu’on sc donne, qu’elles ne fassent mal saisir une pensée au commun des lecteurs. Locke en est un exemple.’II est vrai qu’il n’en fait pour l’ordinaire que des applications fort justes:mais on l’entendroit dans bien des endroits avec plus de facilité, s’il les avoit entièrement bannies de son style. Je n’en juge au reste que par la traduction.

Ces détails font voit quelle est l’influence’des idées abstraites. Si leurs défauts ignorés ont fort obscurci toute la métaphysique, aujourd’hui qu’ils sont connus, il ne tiendra qu’à nous d’y remédier. Origine des connoissances hum. de l’abbé de Condillac.

ACCESSOIRE, adj. (terme de logique.) C’est tout ce qui ayant quelque liaison avec le sujet dont il s’agit, n’est cependant point essentiel à ce sujet, quant à la manière actuelle de le considérer, ni nécessaire à l’inteiligence de ce qu’on en dit ; ensorte qu’on peut le passer sous silence comme non existant, sans altérer l’idée que l’on doit s’en faire, ni diminuer la clarté du discours qui doit l’expliquer. Dans ce sens [’accessoire est l’opposé du fond, de l’essentiel, — du principal de la chose dent il est question.

Dans l’exposition d’un sujet, on fait souvent entrçr des idées accessoiresqui ne font qu’alonger le discours, distraire l’attention de ceux qu’on veut instruire, Sc donner le change à des esprits peu justes qui prennent [’accessoire pour le principal, Sc ne retiennent rien de ce qui devoit [es mettre au fait du fond de la chose.

Dans les disputes, il arrive souvent que l’on attaque [’accessoire, Sc que l’on perd de vue. l’essentiel. Ancienne Encyclop. (G. M.)

ACCIDENT, (Métaphysique), ce mot se prend en différens sens par les philosophes.

i°. Dans son acception la plus générale, il désigne tous les modes ou Jes manières d’être d’une chose, par opposition à la substance considérée abstractivement. C’est dans ce sens que les aristotéliciens emploient le mot accident, lorsqu’ils divisent tous les êtres en substance Sc accident. C’est aussi dans ce sens que Wolf Sc ses disciples s’en servent, renfermant sous ce mot les modes Sc les attributs des substances. Laccident, dit Wolf, Phil. prima §. 779, est tout ce qu’on ne sauroit, attribuer à un sujet sans supposer auparavant quelque ch&se dans ce sujet. Or il faut toujours supposer l’existence du sujet, avant que de lui attribuer quelque manière d’être; Sc cette, existence ou cette substance de la chose, est la seule idée qu’il faille nécessairement supposer. C’est-là aussi l’idée que Locke en donne dans son Essai sur l’entendement humain, Hv. II, chap. 23. Avec quelque soin, dit-il, que nous fassions l’analysc de l’idée que nous avons de la substance} nous devons toujours reconnoître que nous n’en avons point d’autre que celle de je ne fais quel sujet inconnu, que nous supposons être le soutien des qualités qui font capables d’exciter en’nòus.des idées simples ; qualités qu’on nomme communément des accidens. Le père Buffier , un des métaphysiciens qui a le plus simplifié les idées abstraites , 8c qui me paraît avoir pour Tordinaire répan- du h plus de jour fur ces objets obscurs, est dans les mémes idées à cet égard que les philosophes que nous venons de citer : il prend aussi le mot accident dans ce sens général , peut - être même lui donne - t - il plus d’étendue encore, Traité des premières vérités , part. II, chap. xi , §. 334. Je cherche ici, dit-il, quelles idées Tefprit humain peut sc former naturellement sous ces teimesfubstances Se accident. Après y avoir pensé, je n’ai pu rien concevoir par substance , sinon ce qui répond à Tidée d’être, que je dépouille de toutes modifications ou ma-nières d’être, pour le considérer seulement en tant que susceptible de ces modifications ou manières d’être. La substancedonc , considérée précisément en tant que substance , n’est qu’une idée abstraite ; car il n’existe point naturellement 8c réellement de substance qui ne soit que substance , sans être revêtue de ses modifications, lesquelles, suivant les idées que nous en pouvons naturellement avoir,ne sont que la substance considérée par ses divers endroits. C’est ce qui s’appelle tantôt des qualités, tantôt des modes ou des modifications, tantôt des attributs ou adjoints , tantôt des circonstances ou accidens de la chose. Dans ce premier sens du mot accident, opposé à celui de substance, il paroît que nous ne connoissons dans chaque chose que les accidens ; 8e que Tidée de la substance, n’est dans le fond que la simple idée abstraite de Texistence : sous ce point de vue il faut prendre garde de ne pas confondre la substance avec Tessence ; car dans Tidée de Tessence réelle d’une chose , entre nécessairement celle des attributs, modifications , manières d’être 8c celle de tous les accidens essentiels de cette chose ; au lieu que dans Tidée de substance telle que nous la considérons ici, par opposition aux accidens, nous ne pouvons rien distinguer que la feule idée d’existence, puisque nous en séparons celle de toute espèce de modification. Une autre attention qu’il faut avoir en traitant de la substance Se des accidens, consiste à se souvenir que ce sont ici des idées abstraites, qui n’ont point hors de nous d’objet réel correspondant, 8c existant à part, comme existent à part dans Técriture ou le discours les mots accident Sc substance. En effet, nulle substance n’existe qu’elle n’existe d’une certaine manière, avec telle modification , qualité, attribut, relation. Nulle manière d’être, nul attribut , nul accident ne peut exister sans une substance dont il est [’accident, la modification (i). Les accidens ou les modifications ne sont donc réellement I que la substance elle-même modifiée ; 8c la substance | n’est réellement que Têtre même modifié de telle ou telje manière. La" substance ne peut donc pas exister fans les accidens, ni les accidens fans la substance. Je ne nie pas’ cependant qu’une substance ne puisse exister dans un lieu , fans que j’en apperçoive ks accidens. Si la lumière est un être répandu par-tout dans Tespace , mais dont Teffet lumineux ne sc fait appercevoir qu’autant que cet être reçoit un ébranlement qui parvient jusqu’à mes yeux, cette lumière existera autour de moi fans que j’en apperçoive les accidens, aussi longtemps qu’ils n’agiront pas fur mes yeux ; mais Ta substance de cette lumière n’existera pas fans les accidens. La forme de ses parties, leur position respective, subsiste avec la substance, quoique je ne Tapperçoive pas ; car si une substance existoit quelque part sans ses propres accidens , mais avec ceux d’une autre , elle ne scroit plus telle substance que Ton annonçoit d’abord , mais elle scroit la substance dont elle auroit les accidens , puisque les accidens ne sont que la substance modifiée, c’est-à-dire , un être qui existe de telle manière. Un cercle ne peut pas exister cercle Se avoir les accidens d’un triangle ; car si Tespèce renfermée dans la circonférence a les acciaens d’un triangle , c’est un triangle Sc non pas un cercle. Si ce qui existe en tel lieu a les accidens d’une pierre, ce n’est pas de Tor, c’est une pierre. Mais, dira-t -on , la toute-puissance divine ne peut elle pas faire que Tor existe avec les accidens d’une pierre , en-sorte que les accidens de Tor Se la substance de la pierre soient anéantis, 8c qu’il n’existe plus dans ce lieu que la substance de Tor Se les accidens de la pierre ? Je me garderai bien de dire , la toute-puissance peut ou ne peut pas’faire une telle transmutation ; mais je dirai toujours. i°. II n’y a point d’accidens là où rien n’existe. z°. Rien n’existe là où il n’y a aucune manière d’être , aucun accident. j°. Les accidens qui existent ne sont que la substance même modifiée. 40. Ce qui constitue Tessence d’une substance , c’est la manière d’être, ou la réunion de ses accidens. c °. Ce sont les accidens seuls d’une substance quipour moi constituent • un tel être, et non unautre. Là oùiln’y aque les accidens d’une pierre, il n’y a pour moi qu’une pierre , Sc. il est impossible que j’y conçoive autre chose qu’une pierre , enserre que si là où existoit un morceau d’or, c’est-à-dire un être dont les accidens sont ceux de Tor, on fait exister les accidens d’une pierre, cet être n’est plus pour moi de Tor, c’est une pierre. Je terminerai ces réflexions par la pensée du père Buffier :.la modification de la^ substance n’étant que la substance même modifiée , demander lì la modification peut sc trouver sans la substance, c’est demander si la modification peut être sans la modification , si la substance peut se trouver sans la substance. Chap. 21 de la IL partie , §.338. fI) On sent que nous a’eniendons point parkr ici de l’ordre surnature), ni de mystère, qui ceûeroit del’êrre, si-tór qu’il serait 1°. Pour répandre plus de jour sutcétte matière, il faut considérer que le terme accident seprend souvent dans un sens plus restreint, pour désigner les attributs non essentiels, d’une chose ; c’est-à-dire ces qualités , attributs,

modifications,

ma-

nière -d’être ; fans lesquelles une chose reste la même pour le fond. Le mouvement dans une -

boule d’or, peut continuer,

cesser, sc ralentir,

s’accélérer,

changer de direction,

fans que pour

cela cette boule cesse d’être une telle boule d’or. Du papier peut être bleu, blanc, rouge ou noir, Jans cesser d’être du papier. On peut nommer ces manières d’être modifications accidentelles. Une chose peut exister fans telle ou telle modification de cette espèce, la recevoir ou la perdre sans ceffer d’être la même substance. Si au contraire la modification à laquelle^e pense fait partie de ce qui est essentiel à la choie , celleci ne peut pas exister fans cet accident, parce qu’alors il est un accident essentiel. On auroit moins disputé sur les accidens , si Ton avoit bien distingué dans tous les cas ces deux genres de modifications. Je doute au moins que l’on eût jamais agité de part Se d’autre avec vivacité cette question ; la substance peut-elle exister sans ses modifications , ou les modifications fans la substance ? La réponse eût été aisée. S’agit-il des modifications essentielles, des accidens, en général ? nulle substance n’est possible sans eux, à moins que vous n’admettiez ia possibilité de. Texistence, là où vous ne"*

supposez aucune manière

d’être. Sagit - il des modifications accidentelles ou non essentielles ? une substance peut en être dépouillée sans cesser d’être la meme. Remarquez cependant que cette assertion n’est pas vraie absolument. On peut ôter à une substance un attribut non essentiel, une modification accidentelle sans la détruire ; mais vous ne pouvez détruire un de ces accidens fans le remplacer par un autre. On peut bien concevoir une substance dont on ne considère que Tessence, ou les attributs essentiels , mais ce n’est que par Tabstraction de toutes les modifications accidentelles qui n’en existent pas moins, Sc fans lesquelles il n’est pas possible que la substance existé. On peut les changer ; mais la destruction de Tune est toujours la production d’une autre. La boule d’or reste la même, quoiqu’elle cesse d’être en mouvemenr, mais la cessation du mouvement est le commencement du repos. La couleur, la figure, la solidité,de Tor, ne peuvent cesser d’être , que parce qu’une autre couleur, une autre figure, un áutre degré de solidité , succèdent à ces premières. Si la substance ne peut exister sans les accidens , les accidens , de quelque nature qu’ils soient, ne peuvent pas non plus exister fans la substance, fans un être dont ils soient les modifications essentielles ou accidentelles ; là où rien n’existe , il ne sauroit y avoir de manière d’exister. Ici on apperçoit dans les raisonnemens de certaines personnes Tabus des abstractions. S etant accoutumés à penser abstractivement à la substance Se aux accidens de la substance , quelques -

uns

ont regardé ces derniers comme des êtres à part qui pouvoient exister fans la substance, Sc pour preuve, ils ont dit que la blancheur d’un tel iis existoit fans lui, puisqu’elle existoit dans un autre lis , ou dans quelqu’autre objet qui a , dit-oh , la blancheur du lis. Mais je dirai ici av*c le père Buffier, que la blancheur du premier lis n’est pas la blancheur du second, puisque celie-là n’est que le premier lis qui est blanc, celle-ci n’est que le second lis qui est blanc aussi, fans qu’il y ait rien de commun entre l’un Sc l’autre, mais seulement une entière ressemblance de couleur. La blancheur de l’un n’est que la substance même modifiée d’une telle manière : la blancheur du seconâ n’est que la substance même du second modifiée d’une même manière. Pour que [’accident de Tua fût [’accident de l’autre, il faudrait que .la substance de celui-ci fût la substance de celui-là, puisque la modification

de la substance n’est que la

substance même modifiée. Mais les substances ne sc communiquent pas ; la substance d’un être n’est pas la substance d’un autre être. Les accidens de l’un ne peuvent donc pas être les accidens de l’autre , ils peuvent seulement être semblables. 3°.

Je ne fais pas trop ce que quelques théologiens ont voulu dire quand ils ont parlé d’accidens absolus, c’est-à-dire , d’accidens ou de modifications qui ont une existence propre, qui leur permet de subsister lors même que la substance qu’ils modisioient n’existe plus , à moins qu’ils n’entendent par-là les accidens qui consistent dans Tapplication d’une substance modifiée, sur une autre substance aussi modifiée, dont la première devient une nouvelle modification j

comme quand sur mon corps je mets des habitsdont il sc trouve alors revêtu ; en conséquence de quoi je dis de mon corps , qu’il est habillé j. dans ce cas, Thabillement est un accident du corps habillé, un accident qui peut subsister , séparé de la substance qu’il modifioit lorsqu’il lui était joint ; il en est de même de tout mélange d’une substance avec une autre qu’on lui unit ,, ou qu’on incorpore en elle pour lui donner une nouvelle modification,

comme quand je mélange

des couleurs différentes ; mais alors cette nouvelle modification n’est que Tunion de deux. oui plusieurs substances, dont chacune a ses propres. accidens aussi-bien que fa propre substance. Dépouillé de mes habits , je reste nud, 8c j’existe encore ; mes habits séparés de moi ne me revêtent plus, cependant

ils subsistent encore ; mais,

s’ils subsistent, c’est qu’ils sont eux-mêmes une substance qui a scs accidens : détruisez-en la substance , vous en anéantissez les accidens , vous ne pouvez plus m’en revêtir i ils ne sauraient subsister sans elle , ni elle fans eux. La difficulté se retrouve donc par rapport aux substances modi fiantes , tòut comme quand il n’étoit question que de la substance simplement modifiée ; & on ne donnera jamais à Tefprit Tidée d’un accident qui existe fans une substance.

Ces différens sens qu’on peut donner au terme accident, rentrent tous dans Tidée générale qu’Aristote attacheit à ce mot, lorsque considérant tous les êtres, il les divisoit en deux classes , la substance 8e les accidens. Cette dernière, savoir celle des acc’-dens, sc subdivisoit en neuf autres qui, en y ajoutant celle de la substance , formoient dix classes d’objets d’idées : classes que les aristotéliciens nommoient catégories, Se qui sont connues dansl’école

sous le nom des dix

catégories d’Aristote ou des dix prédicamens , qui sont i°.

la substance ; 2°. la quantité ; 30. la qualité, 40. la relation ; r°. Taction ; 6°. la passion ; 70. le lieu ; 8°. le temps ; 90. la situation ; io°. les accompagnemens extérieurs : les neuf derniers prédicamens étoient renfermés sous le terme Á’accidens.

40. Enfin le terme accident s’emploie pour désigner la yc Sc dernière classe des idées abstraites métaphysiques. Ces cinq classes ou, degrés d’abstractions métaphysiques, en commençant par les idées les plus universelles , pour descendre à celles qui le sont le moins, sont le genre , Tespèce , la différence , le propre Se [’accident. On entend, par ces mots , ces attributs des choses que nous avons nommés modifications accidentelles, Se dont le caractère consiste en ce que ces attributs peuvent être détruits , fans que la substance cesse d’être la même , soit que ces modifications soient des substances telles que les habits , les cheveux, soit qu’ils soient des modifications inhérentes à la substance, comme la couleur du papier, la rondeur par rapport à de la^ cire , le mouvement dans une pierre. Dans le langage ordinaire des philosophes qui n’emploient pas les termes scholastiques , le mot accident sc prend toujours dans ce dernier sens , pour désigner ce qui n’est pas essentiel à la chose dont il s’agit.

Dans le cours ordinaire de la vie , le mot accident sc prend dans un sens différent, pour marquer un événement que Ton n’avoit pas cherché à procurer , auquel on ne s’attendoit pas , 8c qui cause quelque dommage. Une chúte_j un incendie , une rencontre funeste sont des accidens. Ancienne Encyclop. (G. M.)

AFFECTION, s. f.,

pris dans fa signification

naturelle Se littérale, signifie simplement un attribut particulier à quelque sujet, Se qui naît de Tidée que nous avons de son essence. Voyei AT-TRIBUT.

Ce mot vient du verbe latin affcere, affecter, Tattribut étant supposé affecter en quelque sorte le sujet par la modification qu’il y apporte. Affection, en ce sens, est

synonyme à propriétéj

Voyei PROPRIÉTÉ , Seç.

Les philosophes ne sont pas d accord fur le nombre de classes des différentes affections qu’on doit reconnoître.

Selon Aristote elles sont, ou subordonnantes , ou subordonnées. Dans la première classe est le mode tout seul ; Sc dans la seconde , le lieu, le temps 8c les bornes du sujet.

Le plus grand nombre des péripatéticiens partagent les affections en internes, telles que le mouvement Se les bornes ; Se externes, telles que la place 8e le temps. Selon Sperlingius, il est mieux

de diviser les affections en simples ou unies, Se en séparées ou désunies. Dans la première classe, il range la quantité, la qualité, la place Sc le temps ; 8c dans l’autre , le mouvement Se le repos. Sperlingius paroît rejetter les bornes du nombre : des affections, Se Aristote Sc les Péripatéticiens, la

quantité Se qualité : mais il n’est pas impossible de concilier cette différence , puisque Sperlingius ne nie pas que Je corps ne soit fini ou borné : ni’ Aristote 8c ses sectateurs , qu’il n’ait le quantum^ Se

le quale, Ils ne diffèrent donc qu’en ce que l’un" n’a pas donné de rang propre Se spécial à quelques ; affections à qui l’autre en a donné. -On distingue aussi les affections en affections du corps Se affections de Tame. Les affections du corps sont certaines modifications,

qui sont occasion-

nées ou causées par le mouvement en vertu duquel un corps est disposé de telle ou telle manière. Voyei CORPS , MATIÈRE , MOUVEMENT , MODIFICATION , 8cc.

On subdivise quelquefois les affections du corps en premières Se secondaires.

Les affections premières sont celles qui naissent de Tidée de la matière , comme la quantité 8c la’ figure ; ou de celle de la forme, comme la qualité 8c la puissance ; ou de Tune Se l’autre, comme le mouvement, le lieu 8c le temps. Voye^ QUAN-TITÉ, FIGURE , QUALITÉ, PUISSANCE, MOU-VEMENT , LIEU , TEMPS.

Les secondaires ou dérivatives sont celles qui. naissent de quelqu’unes des premières , comme la. divisibilité, la continuité, la contiguité , les bornes , Timpénétrabilité, qui naissentjde la quantité, la régularité Se Tirrégularité, qui naissent de la figure, la force Se la santé, qui naissent de la qualité, 8cc. Voyei DIVISIBILITÉ , 8cc. Les affections de Tame sont ce qu’on appelle plus, ordinairement passion. Voye^ PASSION. ( On a conservé ici cet article de philosophie scolastique, dont il y en a eu un grand nombre dans l’ancienne Encyclopédie,

que pour faire

sentir qu’on ne doit pas avoir de regret pour tout ce qu’on s’est cru ’obligé de supprimer dans ce genre. Nous avons aujourd’hui trop de bons articules dans les métaphysiciens modernes, pour

qu’il soit permis de s’arrêter encore à des notions si çbscures Sc à un style si ridicule. )

Affection ? ( Phisiol. ) Se peut preadre en gé- neral pour ^impression que les êtres qúì sont ou au dedans de nous, ou hors de nous, exercent fur notré ame. Mais [’affection se prend plus communément pour ce sentiment vif de plaisir & d’a*version que les objets, quels qu’ils soient, occasionnent en nous} on dit d’un tableau qui repré<fente-des êtres, qui dans la nature offensent les sens, qu’on en. est affecté désagréablement. On dit.d’une action héroïque, ou de son récit, qu’on en est affecté délicieusement.

Telle est notre construction,qu’à Toccasion de

cet état de Tame , dans lequel elle ressent de Tamour ou de la haine, ou du goût ou de Taversion , il sc fait dans le corps dés mouvemens musculaires , d’où , selon toute apparence , , dépendent de ces scntimens. La joie n’est jamais fans Uné grande dilatation dans le coeur , le pouls s’élève , le coeur palpite jusqu’à sc faire sentir ; la transpiration est si forte, qu’elle

peut être suivie de la défaillance Se même dé la mort. La colère suspend ou augmente tous les mouvemens , fur-tout la circulation du sang ; ce "qui rend le corps chaud, rouge, tremblant, 8cc.....

Or il. est évident que ces symptômes seront plus ou moins viôlens, selon lá disposition des parties 8c lé méchanisine du corps. Le méchánisiné est rarement tel que la liberté de Tame en soit suspendue à Toccasion des impressions. Mais on ne’ peut douter que Cela n’arrive quelquefois : c’est dans le méchanisine du corps qu’il faut chercher la cause de la différence de sensibilité dans différens hommes, à Toccasion du même objet. Nous ressemblons en cela à des instruméns de musiqiíe, dont lès cordes sont diversement tendues ; les objets extérieurs font la fonction d’archets fur ces cordes, 8c nous rendons tous des sons plus ou moins aigus. Une piquûre d’épingle fait jetter des cris à une femme mollement élevée ;. un coup dé bâton rompt la jambe à Epictète fans presque Temouvôir. Notré .constitution , notre éducation , no%principes, nos systèmes , nos préjugés , tout modifie nos affections , 8c les mouvemens du corps qui en sont les suites. Le commencement de affection peut être si vif, que la loi, qui le qualifie de premier mouvement , en traite les effets comme des actes non libres. Mais. il est évident, par ce qui précède ,.que le premier 1

mouvement est plus ôu moins durable , selon la différence des constitutions 8c d’une infinité d’áutres circonstances. Soyons donc bien réservés à juger les actions occasionnées parles passions violentes. II vaut mieux être trop indulgent que trop sévère ; supposer de la foiblesse dans les hommes que de la méchanceté, 8c pouvoir rapporter fa circonspection au premier de ces scntimens plutôt qu’au second ; òn a pitié des foibles ; on déteste les médians, 8c il me semble que Tétat de la commisération est préférable à celui de la haine. . AFFIRMATIF,

IVE’,

adj. qui affirme.

Raisonnement affirmatif, ( logique. ) celui par lequel on prouve qu’une idée , qui est Tattribút, est renfermée dans un autre qui est le sujet -, eh faisant voir que cette première est renfermée dans une autre idée, qui elle-même est renfermée dans le sujet. A, qui désigne Tattnbut, est contenu

dans B ; B, avec tout ce qu’il contient, est ren-

fermé dans C, qui est le sujet : donc A est Contenu dans C ; c’est ce qu’il falloit prouver. Ne

pas punir les innocens, est une idée renfermée dans Tidée de-juste ; Tidée de juste est renfermée dans Tidée de Dieu : donc Tidée de Dieu renferme Tidée d’un Etre qui ne punit pas les innocens. Le raisonnement affirmatif peut être uni-’

versel ou particulier,

Se c’est la conclusion qui

détermine à cet égard le caractère du raisonnement, qui est universel> si la conclusion etì universelle ; Se particulier,

si la conclusion est pattiçtir

lière.

Tout animal est sujet à la mort, toiit homme est un animal ; donc tout homme est sujet, à la mort,

est un raisonnement affirmatif universel.

Tout ’être doué, de raison est comptable de ses actions ; Pierre est doué de’ raison , donc Pierre est comptable de ses actions, est un raisonnement affirmatif particulier.

Comme un -raisonnement est un assemblage de propositions , tout’ ce que nous dirons ci-dessous au mot proposition affirmative , doit s’appliquer ici aux raisonnemens.

Pour que le-raisonnement affirmatif’soit bon, il faut qu’il porte les caractères énoncés dans la définition que nous eh avons donnée , c’est-à-dire ì que Tattnbut soit renfermé dans Tidée moyenne , 8c Tidée moyenne dans le sujet ; & se souvenir qu’il ne dépend pas de notre volonté, ni des termes que nous assemblons pour exprimer un raisonnement, que cesidées soient renfermées les unes dans les autres ; mais que cela dépend uniquement de la nature même des choses ; 8c que raisonner ainsi que juger , c’est Voir que les choses sont réellement scelles que nous nous les représentons. , (G. M.)

Proposition affirmative , ( Logique. ) c’est une phrase qui exprime un jugement affirmatif, ou une affirmation. Comme dans toute affirmation il y a au moinsdeux idées-qui s’pffrentàl’ame, & qu’elle

distingue ; quoiqu’elles sc présentent à elle comme ne faisant qu’un seul Se unique tout, Tune étant renfermée dans l’autre, avec tout’ce qaelle renferme elle même , il faut aussi, pour l’exprimer , que la proposition ait au moins deux expressions pour nommer, Sc les idées qui sont contenues 8e Celle qui les contient : il faut de plus un troisième terme qui indique cette liaison, cette union’intime des deux idées qui les identifie en quelque sorte, Sc ce terme, doit être exprimé 011au moins^ tellement fous-enièndu, qufel’on né puisse pas né le point appercevoir."

De ces deux termes d’une pro-

position , Tun qui se nomme’ le sujet, désigne toujours l’objet, dont l’idée que nous en avons .renferme l’idée de l'autre : le second terme, qui,sc nomme l’'attribut, désigne l’idée qui s'offre à J'ame comme renfermée & contenue dans celle - du sujet ; Dieu est juste, Dieu est le sujet : juste .est l’attribut ; le verbe est, sert à indiquer affirjnativement l’union des deux idées : dire, Dieu est juste, c'est dire, je vois en Dieu tout ce qu'on nomme justice, ou l’idée que j'ai de Dieu •renferme l’idée que j'ai de la justice ;-je ne saurois avoir l’idée de Dieu, sans avoir l’idée d'un Etre juste.

Il est, au sujet des propositions affirmatives, __ quelques observations à faire' pour en déterminer le sens : nous avons cru devoir les insérer ici.

Les propositions affirmatives' peuvent être générales, comme quand je dis, tout vrai Chrétien est un honnête homme ; ou particulières, comme quand je dis, quelque honnête homme n'est pas chrétien.

Si dans une proposition affirmative générale on fait entrer une négation „ in proposition devient alors négative particulière : tout chrétien est honnête homme, est une proposition générale affirmative ; en y mettant la négation, j'en fais une négation particulière ; tout chrétien n'est pas honnête homme, qui ne signifie autre chose sinon quelque chrétien n'est pas honnête homme.

Dans toute proposition affirmative, l’attribut est pris dans toute'sa compréhension, c'est-à-dire, que je regarde le sujet comme> contenant tout ce que signifie l’attribut, toutes les idées essentielles qui sont renfermées dans celle de l’attribut, Se qui la constituent. Ainsi quand je dis, le vrai chrétien est honnête homme, j'attribue au chrétien tout ce .qui entre dans l’idée d'honnête homme. Sera-t-il nécessaire d'observer ici qu'il ne faut pas, dans ce cas, confondre l'étendue de l’idée avec fa compréhension !. Car, dans ce dernier exemple,,je .n'ai pas voulu idire qu'un :chrétien étoit tout honnête hpmme. r."i existe, mais qu'il étoit tout ce qui constitué un honnête homme ? ' ' .

Mais le sujet différant en cela de l’attribut est pris dans la proposition affirmative, scion toute l’extension qu'il a dans la proposition. Si je dis : tout homme est mortel, je veux dire, tout être qui est homme renferme toutes les idées qui constituent celle d'un être mortel.

L'extension de l’attribut est resserrée par celle du sujet, & n'en doit pas avoir davantage. Si dis : les je hommes sont des animaux, le terme animaux ne désigne pas tous les êttes qui sont animaux, mais seulement les animaux qui sont hommes.

On voit par ces observations, suries propositions affirmatives, combien il importe de se faire une juste idée de la compréhension & de l’extension


de nos idées ; -8c de pousser cette connoissance, sur chaque sujet dont nous parlons, aussi loin que nous en sommes capables. Car souvent, faute d'avoir bien saisi la compréhension entière de nos idées, ou leur extension complette, nous attribuons à un être une qualité qui ne lui convient qu'en partie ; ou bien nous attribuons une qualité à toute une classe d'êtres, tandis qu'elle n'existe réellement que dans quelques-uns. Anc. Encyclop. (G. M.)

AFFIRMATION, s. f. (Logiq. Psychol.) terme abstrait qui, étant employé pour exprimer ce qui sc-passe dans l’ame, doit désigner l’etat de l’ame qui voit & qui sent qu'elle voit, qu'une idée est renfermée dans une autre idée ; que l’jdee, de bonté, par exemple, est renfermée dans l’idée de Dieu ; que l’idée de désordre moral^ est ^ renfermée dans l’idée de mensonge ; c'eft-là précisément ce qui fait l’essence de ['affirmation : elle n'est pas une action, un mouvement volontaire de l’ame, mais elle en est un sentiment qui, dans son essence, emporte aussi peu un acte de l’ame, que la connoissance, l’idée, la perception d'une chose qui lui est présente, ou le sentiment de ce. qui se passe eh elle. Une boule de cire parfaitement blanche & exactement ronde s'offre à ma vue ; je la vois blanche, je la vois ronde ; je sens que je la vois telle ; j'y découvre ces deux propriétés, ou autrement je sens qu'elles font sur moi une impression qui me prouve leur existence. Dans le fond, c'est-là ce qui s'appelle unjugement affin matif, tant que par ces mots jé veux désigner uniquement ce qûí se passe dans mon ame. Un jugement affirmatif, ou une affirmation, n'est donc dans mon ame qu'une connoissance intuitive, oú un sentiment clair de l’existence d'une idée dans une autre idée, ou de l’objet d'une idée dans l’objet d'une autre idée. La négation ou le jugement négatif,, pris dans le même sens, ne sera dónc que la connaissance intuitive, où le sentiment clair de l’absence pu non-existence d'une idée dans une autre idée, ou de l’objet d'une idée dans l’objet d'une autre idée. Je vois, je connois, je sens que la droiture n'est pas dans la trahison, que l’idée d'équité n'est pas renfermée 4ans l’idée de larcin, que l’objet de l’idée d'étendue n'est pas renfermé dans l’objet de l'idée de pensée.

L'affirmation, sous ce point de vue, n'est connue que de moi seul ; je veux la faire connoître aux autres, je dois l’exprimer par des mots qui indiquent aux autres ce que je vois, ce que je connois, ce que je sens ; les mots par lesquels je l’exprime, forment ee qu'on nomme une proposir don qui est affirmative, si je vois une idée renfermée dans une autre idée ; négative au contraire, si je vois une idée absente d'une autre idée, & non renfermée en elle. Le jugement affirmatif exprimé, ou cette affirmatióii manifestée au-dehors pat la parole, n'emporte, d'autre action de l’ame que celle qui met en mouvement, les organes de la parole, pour prononcer ce que je viens de nommer une proposition.

A certain égard cependant, [’affirmation, aussit bien que là. négation, c’est-à-dire, tout jugement peut dépendre de la volonté, & exiger, , pour avoir-lieu, un acte libre & volontaire de l’ame : niais c’est uniquement dans des cas où ni l’une ni l’autre idée ne s’est.offerte assez clairement à l’eíprit, pour qu’il ait vu d’abord ce qui en étoit ; dans ce cas, il peut dépendre de ma volonté d ! êxaminer mieux chacune de ces idées, jusqu’à ce que je voie, que je connoisse, que je sente réellement que telle idée en renferme une autre : niais dès qu’une fois j’ai vu, connu Se senti, j’ai aussi jugé 8e affirmé ; [’affirmation, le jugement & la vue ne sont ainsi dans mon ame qu’une feule Sc unique chose, à laquelle mal-à-propos on a donné différens noms. \J affirmation exprimée dépend alors de la volonté ; je puis dire, ou ne pas dire ce que je vois être, selon que je le veux ; mais ma volonté ne change rien à ce que je vois réellement. J’ai fait un crime digne de châtiment, en vain je dis, j’affirme qu’il est injuste de me punir, mon ame confirme le contraire, c’est-à-dire,’voit l’idée de justice renfermée dans l’idée de ma ; punition, & il ne dépend pas de moi de ne le point voir.

On ne doit pas définir [’affirmation un acte de l’ame qui juge, mais l’état de l’ame qui voit que telle chose est. Dans ce sens, il vaudroit mieux employer lé mot de jugement —, Sc sc souvenir que juger ce n’est pas agir, mais sentir & voir, Se que la volonté n’y a d’autre part que de nous faire examiner avec attention les choses sur lesquelles il nous importe devoir la vérité.

Dans le raisonnement, l’affirmation est, tout comme dans le jugement, la vue réelle ou crue telle, la connoissance, le sentiment intime qu’une idée est renfermée dans une autre, avec cette différence, que dans ce dernier en voyant l’une en voit l’autre la contenir, ou y être contenue ; au lieu que, dans lé raisonnement, je vois la troisième dans la seconde, Sc la seconde dans la première. La seconde sert à l’ame de moyen de voir la troisième idée dans la première ; je vois l’idée de la figure sphérique renfermée dans l’idée d’une surface dont tous les points sont également éloignés du centre, Se je vois l’idée de tous les points de la surface également éloignés du centre dans une masse de cire : je vois donc l’idée de la figure sphérique renfermée dans la masse de cire en question ; si-tôt que ce rapport est mis devant mes yeux, qu’on l’a fait connoître à mon ame, je n’ai pu m’empêcher de voir que cette masse de cire étoit sphérique. Je dirai donc ici du raisonnement ce que j’ai dit plus haut sur le jugement ; [’affirmation en elle — même est un état, une’vue, une connoissance, un sentiment * involontaire.de l’ame qui voit le vrai. Exprimer


un raisonnement ne sera qu’indiquer le-rapport que l’ame voit, Se la manière par le secours de i laquelle’l’ame voit le rapport entre trois idées, dont la troisième.est contenue dans la seconde, & celle-ci, corítenant la troisième, est comprise’dans la première.

Il ne faut donc pas pírler de [’affirmation comme d’une action libre de l’amé, mais^omrne d’un état de l’ame, qu’elle peut, si elle veut, manifester au-dehors, ou déguiser par up discours qui l’exprime, ou qui ne le représente pas. Je n’ajoute plus sur ce sujet qu’une remarque : c’est que par la.définition même de [’affirmation, ellé ne peut avoir lieu qu’autant. que nous avons au moins deux idées dans l’efprit, dont l’une renferme l’autre, Se que nous pouvcns ou croyons voir l’une renfermée dans l’autre, pour ne faire ensemble >, par rapport à l’ame, qu’un seul tout, un seul objet d’idée composée ; tandis que, poulies sens qui voient le jugement écrit, ou qui l’entendent prononcer, elles forment un.assemblage de pièces séparées, mais liées ensemble par une copule. Anc. Encyclop, (G. M.)

AFFIRMER, v. act. {en Philos.) c’est exprir mer la connoissance Sc le sentiment que l’on a, ©u que l’on fait semblant d’avoir, qu’une telle idée est renfermée dans telle autre idée. Dans la morale Sc dans le discours ordinaire, c’est dire d’une manière positive qu’une chose est.

On affirme ou simplement, en disant que la chose est de cette manière, ou par serment, en demandant que Dieu, qui sait tout Sc qui déteste le mensonge, nous punisse comme il le jugera à propos, si le fait n’est pas tel que nous le disons être.

Dans l’un Sc dans l’autre cas, celui qui affirme, pour être innocent dans son affirm’tion, doit être bien instruit de ce dont il parle, ensorte que chacune des circonstances, dont il fait mention, lui soit connue telle qu’il la décrit : en second lieu, que son affirmation ne porte absolument que sur cda seul qui lui est réellement connu : en troisième lieu, qu’il soit bien convaincu que ce qu’il affirme est exactement conforme à ce qu’il connoît.

AGIR, (métaphysique). Qu’est-ce qu’agir, ? C’est, dit-on, exercer une puissance ou faculté ; & qu’est — ce que puissance ou faculté ? C’est, dit — on, le pouvoir d’agir ; mais le moyen d’entendre ce que c’est que pouvoir d’agir, quand on ne fait pas en— — core ce que c’est qu’agir ou action ? On ne dit donc rien ici, si ce n’est un mot pour un autre : l’un obscur, Sc qui est l’état de la question ; pour un autre obscur, Sc qui est également l’érat de la question.

Il en est de même pour tous les autres termes • qu’on a coutume d’employer à çe sujet. Si l’on dit qu’agir c’est produire un effet, 8e en être la : cause efficiente & proprement dite, je demande, • i°. çp que ç’çst que produire i°. ce que c’est que l’effet ; 3°. ce que c’est que cause ; 4°. ce que c’est que cause efficiente, & proprement dite.

Il est vrai que dans les choses matérielles & en certaines circonstances, je puis me donner une idée assez juste de ce que c’est que produire quelque chose & en être la cause efficiente, en me disant que c’est communiquer de sa propre substance à un être censé nouveau. Ainsi la terre produit de l’herbe qui n’est que la substance de la terre, avec un surcroît ou changement de modifications pour la figure, la couleur, la flexibilité, Sec.

En ce sens là je comprends ce que c’est que produire ; j’entendrai avec la même facilité ce que c’est qu’effet, en^disant que c’est l’être dont la substance a été tirée de celle d’un autre avec de nouvelles modifications, ou circonstances ; car, s’il ne survenoit point de nouvelles modifications, la substance communiquée ne différerait plus de celle qui communique.

Quand une substance communique ainsi à une autre quelque chose de ce qu’elle est, nous disons qu’elle agit : mais nous ne laissons pas de dire qu’un être agit en bien d’autres conjonctures, où nous ne voyons point qu’une substance communique rien de ce qu’elle est.

Qu’une pierre se détache du haut d’une roche, & que dans fa chute elle pousse une autre pierre qui commence de la sorte à descendre, nous disons que la première pierre agit sur la seconde : lui a-telle pour cela rien communiqué de sapropre substance ? c’est, dira-t-on, le mouvement de la première qui s’est communiqué à la seconde ; Sc c’est par cette communication dé mouvement que la première pierre est dite agir ? Voilà encore de ces discours où l’on croit s’entendre, Sc où certainement on ne s’entend point assez ; car enfin comment le mouvement de la première pierre se communique t il à la seconde, s’il ne sc communique rien de la substance de la pierre ? C’est comme si l’on disoit que la rondeur d’un globe peut se communiquer à une autre substance, sans qu’il sc communique rien de la substance du globe. Le mouvement est-il autre chose qu’un pur mode ? Se un.mode est — il réellement & physiquement autre chose que la substance dont il est mode ?

De plus, quand ce que j’appelle en moi mon ame ou mon esprit ; de non pensant ou de non voulant à l’égard de tel objet, devient pensant ou voulant à l’égard de cet obiet ; alors d’une commune voix il est dit agir. Cependant & la pensée & la volition, n’étant que les modes de mon esprit, n’en sont pas une substance distinguée : & par cet endroit encote agir n’est point communiquer une partie de ce qu’est une substance à une autre substance.

De même encore si nous considérons Dieu en tant qu’ayant été éternellement le seul être, il se trouva par fa volonté avec d’autres êtres que lui, qui surent nommés créatures & nous disons encore


par là que Dieu a agi ; dans cette action ce n est point non plus, la substance dé Dieu qui devint partie de la substance des créatures. On voit par ces différens exemples que le mot agir ; forme, des idées entièrement différentes : ce qui est tresremarquable.

Dans le premier, agir signifie seulement ce qui sc passe quand un corps en mouvement rencontre un second corps, lequel, à cette occasion, est, mis en mouvement, tandis que le premier cessé’d’être en mouvement, ou dans un si grand mouvement.

Dans le second, agir signifie ce qui se passe en moi, quand mon ame prend une des deux modifications dont je sens par expérience qu’elle est susceptible, Scqui s’appelle penséeou volition.

Dans le troisième, agir signifie ce qui arrive, quand, en conséquence de la volonté de Dieu, il se fait quelque chose hors de lui ; Or ences trois exemples, le mot agir exprime trois idées tellement différentes, qu’il ne s’y trouve aucun rapport, sinon vague Scindéterminé, comme il est aisé de le voir.

Certainement les philosophes, & en particulier les métaphysiciens demeurent ici en beau chemin. Je ne les vois parler ou disputer que d’agir & d’action ; & dans aucun d’eux, pas même dans M. Locke, qui a voulu pénétrer jusqu’aux derniers replis de l’entendement humain, je ne trouve point qu’ils aient pensé nulle part à exposer ce que c’est qu’agir.

Pour résultat des discussions précédentes, disons ce que l’on peut répondre d’intelligible à la question. Qu’est-ce qu’agir ? Je dis que par rapport aux créatures, agir est engénéral, la disposition d’un être en tant que, par son entremise, il arrive actuellement quelquechangementy car il est impossible de concevoir qu’il arrive naturellement du changement dans la nature, que ce ne soit par un être qui agisse ; Se nul être créé n’agit qu’il n’arrive du changement, ou dans lui-même, ou au dehors.

On dira qu’il s’ensuivrait que la plume dont j’écris actuellement devrait être censée agir, puisque c’est par son entremise qu’il se fait du changement sur ce papier, qui de non écrit devient écrit. A quoi je réponds, que c’est de quoi les philosophes doivent convenir, dès qu’ils donnent à ma plume en certaine occasion le nom de causeinstrumentale ; car si elle est cause, elle a un effet, Se tout ce qui a un effet agit.

Je dis plus : ma plume en cette occasion agit aussi réellement Se aussi formellement qu’un.feu souterrain, qui produit un tremblement de terre ; car ce tremblement n’est autre chose que le mouvement des parties de la terre, comme les traces formées actuellement sur ce papier ne sont que de l’encre mue par ma plume, qui elle-même ell mue par ma main, il n’y a donc de différence, sinon que la cause prochaine du mouvement de la terre est plus imperceptible, mais elle n’en est pas moins réelle.

Notre définition convient encore mieux à ce qui est dit agir à l’égard des esprits, soit au dedans d*eux-mêmevs par leurs pensées & volontés, soit au dehors par le mouvement qu’ils impriment à quelque corps ; chacune de ces choses étant un changement qui arrive par l’entremise de l’ame.

La même définition peut convenir également bien à l’action de Dieu dans ce que nous en pouvons concevoir. Nous concevons qu’il agit en tant qu’il produit qUelque chose hors de lui ; car alors c’est un changement qui se fait par le moyen d’un être existant par lui — même. Mais avant que Dieu eût rien produit hors de lui, n’agissoit-ilpoint, & auroit — il été de toute éternité sans action ? Question incorjjpréhensible, si, pour y répondre, il’faut pénétrer l’essence de Dieu ; impénétrable dans ce qu’elle est par elle-même, les savans auront beau nous dire sur ce sujet que Dieu de toute éternité agit par un acte simple, immanent & permanent ; grand discours, Sesi l’on veut respectable, mais sur lequel nous ne pouvons avoir des idées claires.

Pour moi qui, comme le dit expressément l’apôtre saint-Paul, ne connoît naturellement le Créateur que par les créatures, je ne puis avoir d’idée de son actionnatutellement qu’autant qu’elles m’en fournissent ; & elles ne m’en fournissent point sur ce qu’est Dieu, sans aucun rapport à elles. Je vois bien qu’un être intelligent, comme l’auteur des créatures, a pensé de toute éternité. Si l’on veut appeller agir, à l’égard de Dieu, ce qui est fimplement penser ou vouloir, sans qu’il, lui survienne nulle modification, nul changement, je ne m’y oppose pas ; & si la religion s’accorde mieux de ce terme agir, j’y ferai encore plus inviolablement attaché : mais au fond la question ne fera toujours que de nom ; puisque, par rapport aux créatures, je comprends ce que c’est qu’agir, Sc que c’est ce même mot qu’on veut appliquer à Dieu, pour exprimer en lui ce que nous ne comprenons point.

Au reste je ne comprends pas même la vertu & le principe d’agir dans les créatures ; j’en tombe d’accord. Je fais qu’il y a dans mon ame un principe qui fait mouvoir mon corps ; je ne comprends pas quel eri est le ressort : mais c’est aussi ce que je n’entreprends point d’expliquer. La vraie philosophie se trouvera fort abrégée, si tous les philosophes veulent bien, comme moi, s’abstenir de parler de ce qui, manifestement, est incompréhensible.

Pour finir cet article, expliquons quelques termes familiers dans le sujet qui fait celui de ce même article.

1°. Agir, comme j’ai dit est, en général, par rapport aux créatures, ce qui se passe dans un être par le moyen duquel il arrive quelque changement.


2°. Ce qui survient par ce changement s’appelíe effet, ainsi agir & produire un effet, c’est la même chose.

3°. L’être considété entant que c’est par luî qu’arrive le changement, je l’appelle cause.

4°. Le changement considéré au moment même ou il arrive, s’appelle, par rapport à la cause, action.

5°. L’action, en tant que mise oufreçue dans quelque être, s’appelle passiony Sc en tant que reçue dans un être intelligent qui lui-même l’a produite, s’appelle acte y de sorte que, dans les êtres spirituels, on dit d’ordinaire que [’acte est le terme de la faculté agissante, & [’action l’exercice de cette faculté.

6°. La cause considérée au même temps, pat rapport à l’action 8e àl’acte, je l’appelle causalité. La cause considérée en tant que capable démette causalité, je l’appelle puissance ou faculté. Anc. Encyc.

AME, s. f. Ord. encycl. Entend. Rais. Philos. ou science des Esprits, de Dieu, des Anges, de l’Ame. On entend par ame un principe doué de connoissance & de sentiment. Il se présente ici plusieurs questions à discuter : 1°. quelle est son origine : 2°. quelle est sa nature : 3°. quelle est sa destinée : 4+. quels sont les êtres en qui elle réside.

Il y a eu une foule d’opinions sur son origine ; Sc certe matière a été extrêmement agitée dans l’antiquité tant payenne que chrétienne. Il ne peut y avoir que deux manières d’envisager [’ame, ou comme une qualité, ou comme une substance. Ceux qui pensoient qu’elle n’étoit qu’une pure qualité, comme Epicure, Dicéarchus, Aristoxène, Asclépiade Sc Galien, croyoient Sedévoient nécessairement croire-qu’elle étoit anéantie à la mort. Mais la plus grande partie des philosophes ont pensé que [’ame étoit une substance. Tous ceux qui étoient de cette opinion, ont soutenu unanimement qu’elle n’étoit qu’une partie séparée d’un tout ; que Dieu étoit ce tout, Scque [’ame devoit enfin s’y réunir par voie de réfusion. Mais ils différaient entr’eux sur la nature de ce tout ; les uns soutenant qu’il n’y avoit dans la nature qu’une feule substance, les autres prétendant qu’il y en avoit deux. Ceux qui soutenoient qu’il n’y avoit qu’une feule sustance universelle, étoient de vrais athées : leurs sentimens & ceux des Spinosistes modernes sont les mêmes ; SeSpinosa sans dorjte a puisé ses erreurs dans cette source corrompue, de l’antiquité. Ceux qui soutenoient qu’il y avoit, dans la nature deux substances générales, X)ieuSç la matière, concluoient en conséquence de cet axiome fameux, de rien rien, que l’une Se l’autreétoient éternelles : ceux— çi formoiçiit la classe des philosophes théistes Sedéistes, approchant plus ou, moins suivant, leurs différences subdivisions, de ce qu’on appelle le spinofifme. Il faut remarquer que ; tous les ssntimeus des anciens sur Ja nature dé Dieu, tenoient beaucoup de ce système absurde. La seule barrière, qui soiçnt entr’eux & Spinosa, Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/57 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/58 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/59 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/60 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/61 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/62 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/63 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/64 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/65 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/66 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/67 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/68 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/69 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/70 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/71 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/72 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/73 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/74 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/75 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/76 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/77 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/78 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/79 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/80 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/81 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/82 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/83 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/84 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/85 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/86 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/87 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/88 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/89 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/90 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/91 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/92 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/93 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/94 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/95 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/96 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/97 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/98 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/99 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/100 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/101 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/102 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/103 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/104 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/105 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/106 n%

AME

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plus convenables , pour faire couler les esprits dans les muscles des jambes ; d’où fuit le transport de la machine du chien vers la viande qu’on lui montre ? Je ne vois point de raison physique qui montre que Tébranlement de ce nerf,,-transmis jusqu’au cerveau , doit faire refluer les esprits animaux dans les muscles qui produisent ce transport utile à la machine. Quelle force pousse ces esprits précisément de ce côté-là ? Quand on auroit découvert la raison physique qui produit un tel effet, on en chercheroit inutilement la cause

finale. La machine insensible n’a aucun intérêt, puisqu’elle

n’est susceptible d’aucun bonheur ; rien , à proprement parler,

ne peut être utile

pour elle.

II en est tout autrement dans Thypothèse du méchanisme réuni avec un principe sensitif ; elle est fondée sur une utilité réelle , je veux dire , sur celle du principe sensitif, qui n’existerait point s’il n’y avoit point de machine à laquelle il fut uni. Ce principe étant actif, il a le pouvoir de remuer les ressorts de cette machine ; le Créateur les dispose de manière qu’il les puifle remuer utilement ponr son bonheur , Tayant construit avec tant d’art, que d’un côté ks mouvemens qui produisent dans Yame des sentiments agréables tendent à conserver la machine, source de ces sentimens ; 8c que , d’un autre côté, les désirs de Yame qui répondent à ces sentiments , produisent dans la machine des mouvemens insensibles , lesquels, en vertu de Tharmonie qui y règne, tendent à kur tour à la conserver en bon état,

afin d’en tirer pour Yame des sensations agréables. La cause physique de ces mouvemens de Tanimal si sagement proportionnés aux impressions des objets, c’est Tactivité de Yame elle-même, qui a la puissance de mouvoir les corps ; elle dirige 8e modifie son activité conformément aux diverses sensations qu’excitent en elle certaines impressions externes, dès qu’elle y est involontairement

appliquée ; impressions qui , selon qu’elles sont agréables ou affligeantes pour l’ame , sont avantageuses ou nuisibles à la machine. D’un autre côté à cette force, toute aveugle qu’elle est, sc trouve soumis un instrument si artistement fabriqué , que d’une telle fuite d’impressions que fait fur lui cette force aveugle, résultent dés

mouvements également réguliers Se utiles à cet agent.

Ainsi tout sc lie 8c.se soutient : Yame, en tant que principe sensitif, est soumise à un méchanisme qui lui transmet d’une certaine manière Timpression des objets du dehors ; en tant que principe actif, elle préside elle-même à un autre méchanisme qui lui est subordonné, Se qui, n’étant pour elle qu’instrument d’action , met dans cette action toute la régularité nécessaire. L’amt de la bête étant active te sensitive tout ensemble, réglant son action fur son sentiment, 8c trouvant dang h disposition de sa machine, 8c de quoi

sentir agréablement, Sc de quoi exécuter utilement, Se pour elle, Se pour le bien des autres parties de Tunivers,

est le lien.de ce double mé-

chanisme ; elle en est la raison Se la causc finale dans Tintention

du Créateur.

Mais , pour mieux expliquer ma pensée, , supposons un de ces chef-d’oeuvres de la méchanique, où divers poids Se divers ressorts sont si industrieuscment

ajustés , qu’au moindre mouve-

ment qu’on lui donne il produit les effets ks plus surprenans 8e les plus agréables à la vue ; comme vous diriez une de ces machines hydrauliques dont parle M. Régis, une de ces merveilleuses horloges , un de ces tableaux mouvans, une de ces perspectives animées : supposons qu’on dise à un enfant de presser un ressort, ou de tourner une manivelle,

Se qu’aussi-tôt on apperçoive des décorations superbes 8c des paysages rians ; qu’on voie remuer Se danser plusieurs figures ; qu’on entende des sons harmonieux , 8cc. cet enfant n’est-il pas un agent aveugle par rapport à la machine ?

II en ignore parfaitement la disposition. ; 

il ne sait comment Sc par quelles loix arrivent tous ces effets qui le surprennent ; cependant,il est la cause de ces mouvemens ; en touchant un seul ressort, il a fait jouer toute la machine ; il est la force mouvante qui lui donne le branle. Le méchanisme est Taffaire de Touvrier qui a in^ venté cette machine pour le divertir ; ce méchanisme que Tenfant ignore est fait pour lui, Se c’est lui qui le fait agir fans le savoir. Voilà Yame des bêtes : mais Texemple est imparfait. ; il faut supposer qu’il y ait quelque chose à ce ressort d’où dépend le jeu de la machine , qui attire Tenfant, qui lui plaît Sc qui Tengage à le toucher. II faut supposer que Tenfant s’avançant dans une grotte i à peine a-t -il appuyé son pied fur un certain endroit où est un ressort, qu’il paraît un Neptune qui vient le menacer avec son trident ;-qu’effrayé de cette apparition , il fuit vers un endroit où un autre ressort étant pressé , fasse survenir une figure plus agréable , ou fasse disparaître la première. Vous voyéz que Tenfant contribue à ceci. comme un agent aveugle , dont Tactivité est déterminée par Timpression agréable ou effrayante que lui causent certains objets. L’ame de la bête est de même,

Sc de-là ce merveilleux

concert

entre Timpression des objets Se ks mouvemens qu’elle fait à leur occasion. Tout ce que ces mou- : vemens ont de sage 8e de régulier est sur k compte de l’inteiligence suprême qui a produit la machine par des vues dignes de fa sagesse Sc de sa bonté. L’ame est le but de la machine ; elle en est la force mouvante ; réglée par le méchanisme, elle le règle à son tour- II en est ainsi de Thomme à certains égards dans toutes les actions ou d’habitude , ou d’instinct : il n’agit que comme principe sensitif ; il n’est que force mouvante brusquement déterminée

par

la sensation : ce que Thomme est -, à certains égards, les bêtes le sont en tout ; & AME AME 70 . péut-êtré que si dans Thomme le principe intelligent 8c raisonnable étoit éteint," on n’y verroit pas moins de mouvemens raisonnés., pour ce qui regarde les biens du corps , ou , ce qui revient à la même chose , pour T utilité du principe sensitif qui resterait seul, que Ton n’en remarque dans les brutes. Si Yame des bêtes est immatérielle, dit-on, si c’est ^1 esprit comme notre hypothèse le suppose, elk est donc immortelle 0 8e vous devez nécessairement lui accorder le privilège de Timmortalité, comme un apanage inséparable de la spiritualité de sa nature. Soit que vous admettiez cette conséquence , soit que vous preniez le parti de la nier, vous vous jettez dans un terrible embarras. L’immortalitédel’ame des bêtes est une opinion trop choquanre Sc trop ridicule aux yeux de la raison même , quand elle ne seroit pas proscrite par une autorité-supérieure , pour Toser soutenir sérieusement ; VOUS- voilà donc réduit à nier la conséquence , ’ 8c à soutenir que tout être immatériel n’est pas immortel : mais dès lors vous anéantissez une des plus grandes preuves que la raison fournisse pour Timmortalité de Yame. Voici comme Ton a coutume de prouver ce dogme : Yame ne meurt pas avec k corps , parce qu’elle n’est pas Corps, parce qu’elle n’est pas divisible comme lui, parce qu’elle n’est pas un tout tel que le corps humain, qui puisse périr par le dérangement ou la séparation des parties qui le composent. Cet argument n’est solide, qu’au cas que k principe fur lequel il roule le soit aussi ; savoir , que tout ce qui est immatériel est immortel, 8e qu’aucune substance n’est anéantie : mais ce principe sera réfuté par Texemple des bêtes ; donc la spiritualité de Yame des bêtes ruine les preuves de Timmortalité de Yame humaine. Cela seroit bon si de ce raisonnement nous concluions Timmortalité de Yame humaine ; mais il n’en est pas ainsi. La parfaite certitude que nous avons de Timmortalité de nos âmes ne sc fonde que fur ce que Dieu Ta révélée : or la même révélation qui nous apprend que Yame humaine est immortelle , nous apprend aussi que celle des bêtes n’a pas le même privilège. Ainsi , quoique Yame des bêtes soit spirituelle , 8e qu’elle meure avec le corps, cela n’obscurcit nul- lement Je dogme de Timmortalité de nos âmes , puisque ce sont-là deux vérités de fait dont la certitude a pour fondement commun le témoignage divin. Ce n’est pas que la raison ne se joigne à la révélation pour établir Timmortalité de nos âmes , mais elle tire scs preuves d’ailleurs que de la spiritualité. U est vrai qu’on peut mettre à la tçte des autres preuves la spiritualité ; il faut aguerrir les hommes contre les difficultés qui les étonnent ; accoutumés , en vertu d’une pente qui leur est naturelle , à confondre Yame avec le corps ; voyant du moins , malgré leur distinction , qu’il n’est pas possible de ne pas sentir combien le corps a d’empire fur Yame , à quel point il influe fur son bonheur 8e sur sa misère, combien la dépendance mutuelle de ces deux substances est étroite , on sc persuade facilement que leur destinée est la même ; 8c que puisque ce qui nuit au corps blesse-Yame, ce qui détruit le corps doit aussi nécessairement la détruire. Pour nous munir contre ce préjugé , rien n’est plus efficace que le raisonnement fondé sur la différence essentielle de ces deux êtres, qui nous prouve que l’un peut* subsister sans l’autre. Cet argument n’est bon qu’à certains égards, Sc pourvu qu’on ne le pousse que jusqu’à un certain point. Il prouve seulement que Yame peut subsistes après la mort ; c’est tout ce qu’il doit prouver : cette possibilité est le premier pas que Ton doit faire dans Texamen de nos questions, Se ce premier pas est important. C’est avoir fait beaucoup que de nous convaincre que notre ame est’hors d’atteinte à tous ks coups qui peuvent donner la mort à notre corps. Si nous réfléchissons fur la nature de Yame des bêtes , elle ne nous fournis rien de son fonds qui nous porte à croire que fa spiritualité la sauvera de Tanéantissement. Cette ame, je Tavoue, est immatérielle ; elle a quelque degré d’activité Sc d’intelligence, mais cette intelligence se borne à des perceptions indistinctes ; cette activité ne consiste que dans des désirs confus , dont ces perceptions indistinctes sont le motif immédiat. Il est très-vraisemblable qu’une ame purement sensitive, 8c dont toutes ks facultés ont besoin , pour se déployer , du secours d’un corps organisé , n’a été faite que pour durer autant que ce corps : il est naturel qu’un principe uniquement capable de sentir, un principe que Dieu n’a fait que pour Tunir à certains organes, cesse de sentir Se d’exister , aussi-tôt que ces organes étant dissous, Dieu fait cesser Tunio’n pour laquelle seule il l’avoit créé. Cette ame purement scnsitiye n’a point de facultés qu’elle puisse exercer dans Tétat de séparation d’avec son corps : elk ne peut point croître en félicité non plus qu’en connoissance , ni contribuer éternellement, comme Tame humaine, à la gloire du Créateur , par un progrès éternel de lumières Se de vertus. D’ailleurs elle ne réfléchit point ; elle ne prévoit ni ne désire Tavenir ; elle est toute occupée de ce qu’elle sent à chaque instant de son existence ; on ne peut donc point dire que la bonté de Dieu Tengage à lui accorder un bien dont ell§ ne saurait se former Tidée, à lui préparer uflsiavenir qu’elle n’espère ni ne désire. L’immortalité n’est point faite pour une telk ame ; ce n’est point un bien dont elle puisse jouir ; car , pour jouir de ce bien , il faut être capable de réflexion , il faut pouvoir anticiper par la pensée sor Tavenir le plus reculé ; il faut pouvoir se dire à soi-même , je fuis immortel ; Se, quoi qu’il arrive , je ne cesserai jamais d’être, Se d’être besreux. L’objectîon prise des souffrances des bêtes e% la plus redoutable de toutes celles que Ton piiâTe 8o

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AME

faire contre la spiritualité de leur ame : elle est d’un si grand poids , que les Cartésiens ont cru la pouvoir tourner en preuve de leur sentiment, seule capable de les y retenir, malgré les embarras insurmontables où ce sentiment les jette. Si ks brutes ne sont pas de pures machines, si elles

sentent,

si elles connoissent, elles sont susceptibles de la douleur comme du plaisir ; elles sont sujettes à un déluge de maux , qu’elles souffrent sans qu’il y ait de leur faute, Se fans Tavoir mérité, puisqu’elles sont innocentes , Sc qu’elles n’ont jamais violé Tordre qu’elles ne connoissent point. Où est en ce cas la bonté , où est T équité du Créateur ? Où est la vérité de ce principe , qu’on doit regarder comme une loi éternelle de Tordre ? Sous un Dieu jufie , on ne peut être misérable sans [avoir mérité. Mais ce qu’il y a de pis dans leur condition,

c’est qu’elles souffrent dans

cette vie fans aucun dédommagement dans une autre, puisque leur ame meurt avec le corps ; Se c’est ce qui double la difficulté. Le père Makbranche a fort bien poussé cette objection dans fa défense contre ks accusations de M. de la Ville.

Je réponds d’abord que ce principe de S. Augustin ; savoir , que fous un Dieu jufie on ne peut être misérable sans l’avoir mérité, n’est fait que pour ks créatures raisonnables, Se qu’on ne saurait en faire qu’à elles seules d’application juste.

L’idée de justice, celle de mérite Se de démérite, suppose qu’il est question d’un agent libre, Se de la conduite de Dieu à Tégard de cet agent. II n’y a qu’un tel agent qui soit capable de vice Sc de vertu,

Sc qui puisse mériter quoi que ce soit. La maxime en question n’a donc aucun rapport à Yame des bêtes. Cette ame est capable de sentiment ; mais elle ne Test ni de raison, ni de liberté , ni de vice , ni de vertu j n’ayant aucune idée de règle, de loi, de bien ni de mal moral, elle n’est capable d’aucune action i moralement bonne ou mauvaise. Comme chez elle le plaisir ne. peut être récompense, la douleur n’y peut être châtiment : il faut donc changer la maxime, Se la réduire à celle-ci ; savoir, que, sous un Dieu bon, aucune créature ne peut être nécessitée à souffrir sans.Tavoir mérité : mais bien loin que ce principe soit évident, je crois être en droit de soutenir qu’il est faux. L’ame des brutes est susceptible de sensations , Se n’est susceptible que de cela» : elle est donc capable d’être heureuse en quelque degré. Mais comment le scra-t-elle ? c’est en s’unissan.t ì un corps organisé ; sa constitution est telle que la perception confuse qu’elle aura d’une certaine suite de mouvemens, excités par ks objets extérieurs dans le corps qui lui est uni, produira chez elk une sensation agréable : mais aussi, par tine conséquence nécessaire, cette ame , à Toccasion de son corps, sera susceptible de douleur comme de plaisir. Si la perception d’un certain iprdre de ntouvemens lui plaît, il faut donc que la ’

perception, d’un ordre de mouvemens tout différens Tafflige Sc la blesse : or, scion les loix générales de la nature , ce corps auquel Yame est unie doit recevoir assez souventdes impressions de

ce dernier ordre , comme il en reçoit du premier , Se par conséquent Yame doit recevoir des sensations douloureuses,

aussi bien que des sen-

sations agréables. Cela même est nécessaire pour Tappliquer à la conservation de la machine, dont son existence dépend, Se pour la faire agir d’une manière utile à d’autres êtres de Tunivers ; cela d’ailleurs est indispensable : voudriez -vous quecette ame n’eût que "des sensations agréables ? II faudroit donc changer le cours de la nature , 8c suspendre les loix du mouvement ; car les loix du mouvement produisent cette alternative d’impressions opposées dans les corps vivans, comme elles produisent celles de leur génération 8c de leur destruction : mais de ces loix résulte le plus grand bien de tout le système immatériel Sc des intelligences qui lui sont unies ; la suspension de ces loix renverserait tout. .Qu’emporte donc la juste idée d’un Dieu bon ? c’est que, quand il agit, il tende toujours au bien , Sc produise un bien ; c’est qu’il n’y ait aucune créature sortie de ses mains, qui ne gagne à exister plutôt que d’y perdre. Or telle est la condition

des bêtes ; qui

pourroit pénétrer leur intérieur, y trouveroit

une

compensation des douleurs 8c des plaisirs , qui tournerait toute à la gloire de la bonté divine ; on y verroit que , dans celles qui souffrent inégalement , il y a proportion , inégalité , ou de plaisirs ou de durée ; 8e que k degré de douleur qui pourroit rendre leur existence malheureuse , est précisément ce qui la détruit : en un mot, si Ton déduisoit la somme des maux, on trouveroit tou* jours au bout du calcul un résidu de bienfaits purs,.dont elles sont uniquement redevables à la bonté divine ; on verroit que la sagesse divine a su ménager les choses, ensorte que., dans tout

individu sensitif, le degré de mal qu’il souffre , fans lui enlever tout Tavantage de son existence , tourne d’ailleurs au profit de Tunivers. Ne nous imaginons pas aussi que les souffrances des bêtes ressemblent aux nôtres : ksbêtes ignorent un.grand nombre de nos maux , parce qu’elles n’ont pas les dédommagemens que nous avons ; ne jouissant pas des plaisirs que la raison procure , . elles n’en

éprouvent pas les peines : d’ailleurs la perception des bêtes étant renfermée dans’k point indivisible du présent , elles souffrent : beaucoup moins que nous par les douleurs du même genre ; parce que Timpatience

8e ; la crainte de, Tavenir

n’aigrit point leurs maux,

Se qu’heureusement

pour elles il leur manque une raison ingénieuse à se les grossir.

Mais n’y a-t-il pas de la cruauté Sc de Tinjustice à faire souffrir des âmes Se à les anéantir, en dé-

truisant leur corps pour conserver d’autres corps ? n’est-ce pas un renversement visible de Tordre , que AME

AME

Si

que-l’on» d’une mouche,

qui est plus noble que

le plus noble des corps, puisqu’elle est spirituelle, soit de’truite afin que la mouche serve de pâture à Thirondelle,

qui eût pu se nourrir de toute autre chose ? Est-il juste que Yame d’un poulet souffre Se meure, afin que le .corps de Thomme soit nourri ? que Yame du cheval endure mille peines & mille fatigues durant si long-temps, pour fournir à Thomme Tavantage de voyager commodément ?

Dans cette multitude d’âmes qui s’anéan- • 

tissent tous les jours pour les besoins passagers des corps vivans, peut-on reconnoître cette équitable Sc sage subordination

qu’un Dieu bon Sc

juste doit nécessairement observer ? Je réponds à cela-que Targument seroit victorieux , si les âmes des brutes sc rapportoient aux corps Sc sc terminoient à ce rapport ; car certainement tout être

spirituel est au-dessus de la matière. Maïs, re-

marquez-le bien , ce n’est point au corps comme corps que se termine Tusage que le Créateur tire de cette ame spirituelle,

c’est au bonheur des êtres

intelligens. Si le cheval me porte, Sc si le poulet me nourrit,

ce sont bien là des effets qui se rapportent directement à mon corps : mais ils sc terminent à mon ame , parce que mon ame seule en recueille Tutilité. Le corps n’est que pour Yame, les avantages du corps sont des avantages propres à Yame ; toutes les douceurs de la vie animale ne font que pour elle, n’y ayant qu’elle qui puisse sentir, Sc par conséquent être susceptible de félicité-. La question reviendra donc à savoir si Yame du cheval, du chien, du poulet ne peut pas être d’un ordre assez inférieur à Yame humaine , pour que le Créateur emploie celle-là à procurer même la plus petite partie du bonheur de celle-ci, fans violer les règles de Tordre 8c des proportions. On peut dire la même chose de la mouche à Tégard de Thirondelle , qui est d’une nature plus excellente. Pour Tanéantissement,

ce n’est point un

mal pour une créature qui ne réfléchit point fur son existence, qui est incapable d’en prévoir la

fin, 8c de comparer , pour ainsi dire, Têtre avec le non-être , quoique pour elle Texistence soit un bien, parce qu’elle sent. La mort, à Tégard d’une ame sensitive , n’est que la soustraction d’un bien qui n’étoit pas dû ; ce n’est point un mal qui em--

poisonne ks dons du Créateur,

Se qui rende la

créature malheureuse. Ainsi, quoique ces âmes 8c ces vies innombrables que Dieu tire chaque jour du néant, soient des preuves de la bonté divine, leur destruction journalière ne blesse point cet attribut : elles sc rapportent au monde dont elles font partie ; elles doivent servir à Tutilité des êtres qui le composent ; il suffit que cette utilité n’exclue point la leur propre , Sc qu’elles soient heureuses en quelque mesure, en contribuant au bonheur d’autrui. { On trouvera ce systêmeplus développé Se plus étendu dans Je traité de Tessai philosophique fur Yame des bêtes de M. BoUiíkt , d’bù ces réflexions ont été tirées. } Encyclopédie. Logique & métaphysique. Tom. L’amusement philosophique dujP. Bougeant Jésuite , sur le langage dés bêtes, % eu trop de cours dans le monde pour ne pas mériter dé trouver ici fa place. S’il n’est vrai, du moirts M’est ingénieux. Les bêtes ont elles Une àme, ou n’en ont - elles point ? question épineuse Se embarrassante , surtout pour un philosophe chrétien. Descartes fur ce principe,

qu’on peut expliquer toutes les actions des bêtes par ks loix de la mécHànique , a prétendu qu’elles n’étoient que dé simples machines, de purs automates. Notre raison semble se révolter contre un tel sentiment : il y a même quelque chose en nous qui sc joint à elle pour bannir de la société Topinion de Descartes. Ce n’est pas un simple préjugé , c’est une persuasion intime , un sentiment dont voici Torigine. II n’est pas possible que les hommes avec qui je vis soient autant d’automates ou de perroquets instruits à mon insçu. J’apperçois dans leur extérieur , des tons Sc des mouvemens qui’paraissent indiquer

une ame : je vois régner un certain fil d’idées qui suppose la raison : je vois de la liaison dans ks raisonnemens qu’ils me font, plus ou moins d’esprit dans les ouvrages qu’ils composent. Sur ces apparences ainsi rassemblées, je prononce hardie ment qu’ils pensent en effet. Pëut-être que Dieu pourroit produire un automate en tout semblable au corps humain, lequel , par les seules loix du méchanisme, parleroit , fereit des discours suivis , écrirait des livres très-bien raisonnés. Mais ce | qui me rassure contre toute erreur, c’est la véracité de Dieu. II me suffit de trouver dans mon ame le principe unique qui réunit 8e qui explique tous ces phénomènes qui me frappent dans mes semblables, pour me croire bien fondé à soutenir qu’ils sont hommes comme moi. Orles bêtes sont, par rapport à moi, dans le même cas. Je vois un chien accourir quand j.e Tappelle , me caresser quand je le flatte , trembler 8e fuir quand je le menace , m’obéir quand je lui commande,

Se donner tou-

tes les marques extérieures de divers sentimens de joie, de tristesse , de douleur, de crainte, de

désir, des passions de Tamour 8c de la haine ; je conclus aussi-tôt qu’un chien a dans lui-même un principe de connoissance Se de sentiment, qdel qu’il soit. II mé suffit que Yame que je lui suppose soit Tunique raison suffisante qui sc lie avec toutes ces apparences 8c tous ces phénomènes qui me frappent ks yeux , pour que je sois persuadé que ce n’est pas uné machine. D’ailleurs une telle machine entraînerait avec elle une trop grande composition de ressorts , pour que cela puisse s’alliet avec la sagesse de Dieu, qui âgit toujours par les voies les plus simples. II y a toute apparence que Descartes, ce génie si supérieur , n a adopté un système si peu conforme à nos idées , que commé un jeu d’esprit, Se dans la feule vue de contredire ks péripatéticiens , dont en effet k sentiment fur la connoissance dés bêtes n’est pas soútenabk. Ii vaudroit encote mieux s’en tenir aux machines L

L 8a

A M.E

AME

de .Descartes ;, si Ton n’avoit à leur opposer que ia forme substantielle des péripatéticiens , qui n’efl ni esprit ni matière.. Cetfe .substance mitoyenne est une chimère,-

un être de raison dont nous

n’avons ni idée ni sentiment. Est-ce donc que les bêtes auroient une ame spirituelle comme Thomme ?

Mais si cela est ainsi , leur ame sera donc inv 

mortelle Sc libre ; elles seront capables de ;mériter ou de démériter,, dignes de récompense ou de châtiment ; il leur faudra un paradis, ou un enfer. Les bêtes seront donc une espèce d’hommes, ou

les hommes une espèce de- bêtes ; toutes conséquences insoutenables dans les principes de la religion. Voilà des difficultés à-étonner ks esprits les plus hardis, mais dont on trouve le dénouement dans le fystême de notre Jésuite. En effet, pourvu que Ton.se prête à cette supposition, que Dieu a logé des démons dans le corps des bêtes , on.conçoit fans peine.-comment ks bêtes peuvent penser, connoître ,• sentir, Se avoir une ame spirituelle,

sans intéresser les dogmes de la religion. Cette supposition n’a rien d’absurde ; elle coule même des principes de la religion. Car enfin , puisqu’il est prouvé , par plusieurs passages de TE7 çriture, que les démons ne souffrent point encore toutes les peinesde !’enfer,8equ’i !sn’y seront livrés

qu’au jour du jugement dernier , quel meilleur usage la justice divine pouvoit-elle faire de tant de légions d’esprits réprouvés 3 que d’en faire servir une partie à animer des millions de bêtes de toute espèce, lesquelles remplissent Tunivers, 8e font admirer la sagesse 8e la toute-puissance du Créateur ? Mais pourquoi les bêtes , dont Yame vraisemblablement

est plus parfaite que la nôtre, n’ont-elles pas tant d’esprit que nous ? Oh ! dit le P. Bougeant, c’est que, dans les bêtes comme dans nous , les opérations de Tefprit sont assujetties aux organes matériels de la machine, à laquelle il est uni ; Se ces organes étant dans les bêtes plus grossiers Sc moins parfaits que dans nous, il s’enfuit que la connoissance, les pensées Se toutes les opérations spirituelles des bêtes , doivent être aussi moins parfaites que les nôtres. Une dégradation si honteuse pour ces esprits superbes , puisqu’elle les réduit à n’être que des bêtes 3 est pour eux un premier effet de la vengeance divine, qui n’attend que le dernier jour pour se déployer fur eux d’une manière bien plus terrible.

Une autre raison qui prouve que les bêtes ne font que des démons métamorphosés en elles , ce sont les maux excessifs auxquels la plupart d’entr’dles sont exposées, Se qu’elles souffrent réellement. Que les chevaux sont à plaindre , disons-nous, à la vue d’un cheval qu’un impitoyable charretier accable de coups ! qu’un chien qu’on dresse à la chasse est misérable ! que le sort des bêtes qui vivent dans les bois est triste ! Or, si les bêtes ne sont pas des démons, qu’on m’explique quel crime elles ont commis pour naître sujettes à des’maux si cruels ? Cet exces de maux est dans tout autre fystême un mystère incompréhensible ; au lieu que dans k sentiment du père Bougeant, rien de plus aisé à comprendre. Les esprits rébelles méritent un châtiment encore plus rigoureux : trop heureux que leur" supplice soit différé ; en un mot, la bonté de Dieu est justifiée ; Thomme lui-même est justifié. Car quel droit au’roit-il de donner la mort sans nécessité , Sc souvent par pur divertissement,

à des millions de

bêtes, si Dieu ne Tavoit autorisé ? Se un Dieu bon Sc juste auroit-il pu donner ce droit à Thomme , puisqu’après tout les bêtes sont aussi sensibles que nous-mêmes à la douleur 8e à la mort, si ce n’étoient autant de coupables victimes de la vengeance divine ?

Mais écoutez , continue

notre philosophe ,

quelque chose de plus fort Se de plus intéressant. Les bêtes sont naturellement

vicieuses : les bêtes

carnacières 8c les oiseaux de proie sont cruels ; beaucoup d’insectes de la même espèce se dévorent les uns ks autres ; les chats sont perfides Se ingrats ; les singes sont malfaisans ; ks chiens sont envieux ; toutes sont jalouses 8c vindicatives à

Tex.cès , fans parler de beaucoup d’autres vices que nous leur connoissons. II faut dire de deux choses Tune : ou que Dieu a pris plaisir à former les bêtes aussi vicieuses qu’elles sont, 8c à nous donner dans elles des modèles de tout ce qu’il y a de plus honteux ; ou qu’elles ont comme Thomme un péché d’origine,

qui a perverti leur première

nature. La première de ces-propositions fait une

extrême peine à penser , Se est formellement contraire à TEcriture-sainte

, qui dit que tout ce qui

sortit des mains de Dieu à la création du monde.,, étoit bon Sc même fort bon. Or siks bêtes étoient telles alors qu’elles sont aujourd’hui ,

comment

pourroit-on

dire qu’elles fussent bonnes Sc fort ’

bonnes ? Où est le bien qu’un singe soit si malfaisant , qu’un chien soit si envieux, qu’un chat

soit si perfide ? U faut donc recourir à la seconde proposition , Se dire que la nature des bêtes a été comme celle de Thomme corrompue par quelque péché d’origine 5 autre supposition qui n’a aucun fondement, Se qui choque également la raison Sc la religion. Quel parti prendre ? Admettez le fystême des démons changés en bêtes, tout est expliqué. Les âmes des bêtes sont des esprits rébelles qui se sont rendus coupables envers Dieu. Cé péché dans les bêtes n’est point un péché d’origine ; c’est un péché personnel qui a corrompu ; Se perverti leur nature dans toute fa substance r. de là tous les vices que nous leur connoissons. Vous êtes peut-être inquiet de savoir quelle est la destinée des démons après la mort des bêtes. Rien de plus aisé que d’y satisfaire. Pythagore enscignoit autrefois qu’au moment de notre more nos

«ww^passent.dans un corps, soit d’homme., soit de bête.,

pour recommencer,

une nouvelle

vie , S : toujours ainsi successivement jusqu’à la. Sa AME

AME

8 ?

des siècles. Ce fystême, qui est insoutenable par rapport aux hommes , Se qui est d’ailleurs prof-’ crit par la religion , convient admirablement bien aux bêtes, selon je père Bougeant, Se ne choque ni la religion ni la raison. Les démons, destinés de Dieu à être des bêtes, survivent

né-

cessairement à leur corps, Sc cesscroient.de remplir leur destination,

fi,, lorsque leur premier

corps est détruit, ils ne passoient aussi-tôt dans un autre pour recommencer à vivre sous une autre forme.

Si les bêtes ont de la connoissance 8e du sentiment, elles doivent conséquemment avoir en-

tr’elks,

pour leurs besoins mutuels , un langage intelligible. La chose est possible ; il ne faut qu’examiner si elle est nécessaire. Toutes les bêtes ont de la connoissance, c’est un principe avoué ; Sc nous ne voyons pas que Tauteur de la nature ait pu leur donner cette connoissance pour d’autres fins que de les rendre capables de pourvoir à leurs besoins , à leur conservation , à tout ce qui leur est propre 8c convenable dans leur condition , Sc la tonne de vie qu’il leur a prescrite. Ajoutons à ce principe,

que beaucoup d’espèces de bêtes sont faites pour vivre en société, Sc les autres pour vivre du moins en ménage, pour ainsi dire , d’un mâle avec une femelle , Se en famille avec leurs petits jusqu’à ce qu’ils soient élevés. Or, si Ton suppose qu’elles n’ont point entr’elles un langage , quel qu’il soit, pour s’entendre ks unes les autres, on ne conçoit plus comment kur société pourroit subsister : commentles castors, par exemple, s’aideroient-ils les uns les autres pour se bâtir un domicile,

s’ils n’avoient un langage très-net Sc aussi intelligible pour eux que nos langues le font pour nous ? La connoissance , fans une communication réciproque par un langage sensible 8c connu, ne suffit pas pour entretenir la société, ni pour exécuter une entreprise qui demande de l’union Se de l’inteiligence.

Comment ks loups

concerteraient-ils

ensemble des ruses de guerre

dans la chasse qu’ils font aux troupeaux de moutons , s’ils ne s’entendoient pas ? Comment enfin des hirondelles

ont-elles pu se parler,

former

toutes ensemble le dessein de claquemurer un moineau qu’elles trouvèrent dans le nid d’une de leurs camarades , voyant qu’elles ne pouvoient l’en chasser ? On pourroit apporter mille autres traits semblables pour appuyer ce raisonnement. Mais ce qui ne souffre point ici de difficulté , c’est que si la nature les a faites capables d’entendre une langue étrangère , comment leur auroit-elle refusé ta faculté d’entendre 8e de parler une langue naturelle ?

car les bêtes nous parlent 8e nous entendent 

fort bien.

Quand on fait une fois que les bêtes parlent 8c s’entendent, la- curiosité n’en est que plus avide de connoître quels sont les entretiens qu’elles peuvent avoir entr’elles. Quelque difficile qu’il soit d’expliquer leur langage Sc d’en donner le dictionnaire , le père Bougeant a osé le te.nter. Ce qu’on peut assurer, c’est que leur langage doit être fort borné, puisqu’il ne s’étend pas au-delà des besoins de la vie ; car la nature n’a donné aux bêtes la faculté de parier, que pour exprimer entr’elles leurs désirs Sc leurs scntimens, afin de pouvoir satisfaire par ce moyen à leurs besoins Se à tout ce qui est nécessaire pour leur conservation : or tout ce qu’elles pensent, tout ce qu’elles sentent, se réduit à la vie animale. Point d’idées abstraites par conséquent, point de raisonnemens métaphysiques , point de recherches curieuses fur tous ks objets qui les environnent,

point d’autre science

que celle de sc bien porter,

de se bien conserver,

d’éviter tout ce qui leur nuit, Sc de se procurer du bien. Ce principe une fois établi, que les connoissances, ks désirs , les besoins des bêtes, 8c par conséquent leurs expressions , sont bornées a ce qui est utile ou nécessaire pour kur conservation ou la multiplication

de leur espèce ; il n’y a

rien de plus aisé que d’entendre çe qu’elles veulent se dire. Placez-vous dans les diverses circonstances où peut se trouver quelqu’un qui neconnoît Sc qui ne fait exprimer ses besoins : 8e vous trouverez dans vos propres discours [’interprétation de ce

qu’elles sc disent. Comme la chose qui les touche le plus est le désir de multiplier kur espèce , ou du moins d’en prendre les moyens , toute leur conversation roule ordinairement sur ce point. On peut dire que le P. Bougeant a décrit avec beaucoup de vivacité leurs amours , Se que le dictionnaire qu’il donne de leurs phrases tendres Sc voluptueuses , vaut bien celui de Topera. Voilà ce qui a révolté dans un Jésuite, condamné par étan à ne jamais abandonner son pinceau aux mains de i’amour. La galanterie n’est pardonnable, dans

un ouvrage philosophique , que lorsque Tauteur de Touvrage est homme du monde ; encore bien des personnes l’y trouvent-elles déplacée. En prérendant ne donner aux raisonnemens qu’un tour léger 8e propre à intéresser par une sorte de badinage, souvent on tombe dans le ridicule ; Sc toujours-on cause du scandale , si Ton est d’un état qui ne permet pas à Timagination de sc livrer à ses saillies. Il paroît qu’on a censuré trop durement .notre Jésuite , sur ce qu’il dit que les bêtes sont animées par des diables. Il est aisé de voir qu’il n’a jamais regardé ce fystême que commeune imagination bisarre Se presque folle. Le titre d’amusement qu’il donne à son livre , 8c les plai-^ fanteries dont il

Tégaye , font assez veir qu’il ne le croyoit pas appuyé fur des fondemens assez solides pour opérer une vraie persuasion. Ce n’est pas que ce fystême ne réponde à bien des difficultés, 8e qu’il ne fût assez difficile de k convaincre de faux rmais cela prouve seulement qu’on» peut assez bien soutenir une opinion chimérique’ pour embarrasser des personnes d’esprit, mais

non pas assez bien pour les persuader. Il n’y a , dit M. de Fontenelk dans une. occasion à-peu.-’ Li 84

AME

AME

près semblable , que la vérité qui persuadé, même sans avoir besoin de paraître avec toutes ses preuves ; elle entre si naturellement dans Tefprit , que , quand on Tapprend pour la première

fois, il semble qu’on ne fasse que s.’en souvenir. Pour moi, s’il m’est permis de dire mon sentiment , je trouve, ce petit ouvrage charmant- Serrés-agréablement tourné. Je n’y vois, que deux défauts ; l’un d’être Touyrage d’un religieux, ; Se l’autre k bisarre assortiment des plaisanteries qui y sont semées avec des objets qui touchent à la religion, Se qu’on ne peut jamais trop respecter. Ane. Encyclop. (X.)

Observations fur diverses questions agitées dans les précédens articles de /’ame.

  • C’est une question parmi les philosophes de

savoir si le sens de la vue scul peut nous faire connoître,

indépendamment du toucher, Texistence des objets extérieurs. Voici quelques réflexions fur ce sujet.

II est certain que la vue seule, indépendamment du toucher, nous donne Tidée de l’étendue, puisque l’étendue est Tobjet nécessaire de la vision , Se qu’on ne verrait rien , si on ne le voyoit étendu. Je crois même que la vision doit nous donner Tidée de l’étendue plus promptement que k toucher, parce que la vue nous fait remarquer plus promptement 8c plus parfaitement que k toucher,

cette contiguité Sc en même-tems cette distinction départies,

en quoi l’étendue consiste.

De plus la vision feule nous donne Tidée de la couleur des objets. Supposons maintenant des parties de Tesoace , différemment colorées Sc exposées à nos yeux ; ta différence des couleurs nous fera remarquer nécessairement les bornes ou limites qui séparent deux couleurs voisines , Se par conséquent nous donnera une idée de- figure ; car on conçoit une figure, dès qu’on conçoit des bornes en toutscns. Jusques-là nous ne voyons point encore, il est vrai, que ces portions d’étendue figurées 8e colorées soient distinguées de nous-mêmes. Mais , soit par le mouvement de notre ’

corps, soit par le mouvement des corps qui nous environnent,

nous appercevons bientôt qu’il y a quelques-unes de ces portions d’étendue figurées & colorées que nous voyons toujours, Sc qui

nous affecte constamment de la même- manière , tandis que les autres varient continuellement, Se nous offrent fans cesseun nouveau spectacle. N’estce pas une raison suffisante pour conclure la différence de Tétendue qui est nôtre, d’avec celle qui est hors de nous ? U me paroît au moins certain qu’étant bornés à la vision , nous remarquerions deux sortes d’étendue , dont l’une ne nous abandonnerait jamais, 8c l’autre paroîtroit 8c disparoîtroit successivement ; que , dans cette étendue mobile Se variable, nous distinguerions des parties placées ks unes hors des autres, Sc par con- í séquent aussi plus ou moins distantes de la portion d’étendue qui nous est toujours présente. Supposons maintenant que nous puissions, parle scul acte de notre volonté,

rapprocher ou éloi-

gner cette dernière portion d’étendue de celles qui Tenvironnent, tandis que nous ne pouvons ni la rapprocher ni Téloigner elle-même , ni, en un mot, empêcher qu’elle ne nous soit toujours présente , pendant que les autres k sont ou cessent de Têtre à notre volonté ; n’en concluons - nous pas que ces portions d’étendue environnantes font réellement distinguées de nous ? « Cette conclusion,

dira-t-on peut être, n’est

»

pas exacte ; tout ce que nous pouvons conclure « de la manière différente dont les parties de Té-’ ?

tendue nous affectent, 

c’est qu’il y a des par.-

"

ties de nous-mêmes qui sont permanentes, Sc

» d’autres qui sont variables ". Mais, quand nous

appercevons par le toucher des portions de matière qui nous rendent sensation pour sensation , 8e d’autres qui ne nous la rendent pas , pourquoi ne conclurions-nous pas aussi qu’il y a une portion de nous mêmes qui nous rend sensation pour sen* sation , Se une autre portion qui la donne sans la recevoir ? Cependant nous ne tirons pas cette conclusion , Se nous concluons au contraire que ces portions d’étendue qui nous procurent des sensations simples Sc fans réplique , ne nous appartiennent point. Ne sommes-nous donc pasautonsës à conclure aussi que ces portions d’étendue , qui sont tantôt présentes, tantôt absentes pour nous, sont distinguées de nous-mêmes ? Je conviendrai fans peine que cette conclusion n’est pas démonstrative , pourvu qu’on m’accorde en même temps qu’elle nous entraîne avec autant de force que Tévidence même.

Si j’ose dire la vérité , il me semble que comme nos sensations ne nous démontrent p»int enrigueur qu’il y a des êtres différens de nous , ces mêmes sensations ne nous démontrent pas non plus en rigueur où sc termine notre corps ; que nous acquérons cette coniioissance par des raisonnemens qui ne sont d’abord que des soupçons , des conjectures , mais des conjectures que Texpérience répétée Se Taccord des autres- sens confirment. Je dis [accord des autres sens. Car il est d’abord évident, par tout ce que nous venons de dire du sens de la vue, que ce sens Sc celui du teuchers’accorderont parfaitement ensemble pour nous faire juger de ce qui est notre corps Se de ce qui ne Test point. A Tégard de Todorat, de Touie Se du goût, quoique ces trois sens ne puissent nous donner par eux-mêmes aucune notion de Texistence des objets, extérieurs, je crois qu’ils servent a nous eh assurer-,

quand nous la con-

noissons ou la soupçonnons déja par d’autres scns^ Un’homme qui n’auroit que le sens du toucher, joint à celui de Todorat ou de Touïc , s’appercevroit bientôt que , dans Todeur qu’il sent ou le son qu’il entend , il y a deux_choscs à distinguer > AMË

AME

g ?

la sensation qu’il éprouve,

& un objet différent

de lui-même qui lui cause cette sensation. Aussi peut-on dire que ks sensations de Todorat, de l’ouïe,

du goût, de la vue sont tout-à-la-fois aidées Se troublées par le toucher ; aidées, en ce que le toucher nous fait connoître Texistence des corps- qui occasionnent

en nous ces sensations ;

troublées , en ce que Texistence de ces corps une fois connue par le toucher , fait juger au vulgaire ce qui n’est pas ; savoir , que ks odeurs, les sons, les saveurs, les couleurs appartiennent aux objets extérieurs Sc non pas à nous ; au lieu que ces sensations Se celle de la Yue même, ( au moins dans ks premiers instans ) si elles étoient feules ,.

Se que le toucher ne s’y mêlât pas, nous -apprendraient,

ce qui est cneffet, que les odeurs, les. sons, les saveurs, les couleurs n’existent «que dans nous-mêmes.

Òn peut remarquer,

au reste, que le goût n’est

qu’un toucher modifié : la raison qui a porté les philosophes à en faire un sens particulier , c’est i°.

que Torgane du goût est affecté à une partie feule de notre corps,

tandis que le toucher est

attaché à toutes les autres indistinctement ; 2°. que

cette espèce de toucher,

exclusivement affectée

à une partie de notre corps, produit en nous une sensation particulière

qui se joint au toucher ,

mais qui en est différente. Observons cependant à cette occasion que, si on établissoit la différence de nos sens fur celle de nos sensations , il faudroit admettre bien plus de cinq sens , même en ne mettant pas de ce nombre celui que Bacon Se d’autres philosophes après lui ont appelle le sixième sens, je veux dire, le sens physique de Tamour. La sensation de chaleur, par exemple ,

Sc. celle du froid sont absolument différentes de celle du toucher ; 8c, si nous les rapportons communément à ce dernier sens, c’est parce que, pour Tordinaire,nous éprouvons cette sensation dans les parties extérieures de notre corps, qui sont Torgane du toucher ; car d’ailleurs, le toucher , considéré en lui-même,

ne nous donne proprement

qu’une sensation , celle de Timpénétrabilité Se de la résistance plus ou moins grande des corps , d’où nous concluons la réalité de leur existence. Les sensationsqlte nous acquérons, ou que nous pouvons acquérir en touchant un corps , comme celle du froid, du chaud, du sec, de Thumide, Sec.

font aussi différentes de la sensation du toucher même , que la sensation du goût , quoique cette dernière sensation dépende aussi du toucher. St, d’un côté ,i on peut multiplier le nombre de nos sens au-delà de celui que les philosophes ont fixé, on peut, sous un autre point de vue, réduire tous les sens à une espèce de toucher ; ce toucher s’exerce , ou d’une manière immédiate , comme dans k goût Se le toucher proprement dit, ou d’une manière médiate , comme dans la vue , Touie 8c Todorat-,

par le moyen de quelque ma-

tière invisible que le corps lumineux ,. sonore ou

odoriférant , envoie ou fait agir fur rios organes.

Mais outre ces cinq sens, il en est un qu’on peut appeller interne, qui est comme intimement ré-.,

pandu dans notre substance , Sc dont le siège se trouve à la fois dans toutes les parties externes 8c internes de notre corps. Ce sens ne peut être rapporté ni médiatement ni immédiatement au toucher ; il résulte de la disposition actuelk» des parties intérieures ou extérieures de notre propre corps , Sc produit en nous , en conséquence de cette disposition , des sensations agréables ou pénibles, fans que les autres corps occasionnent ces sensations par kur action fur nos organes, ou du, moins par une action sensible. Ce sens, interne a encore cela de particulier , qu’au lieu que les autres sens agissent fur notre ame, fans en recevoir mutuellement aucune impression ; Taction- du sens interne fur Yame , Se de Yame íur le sens interne est réciproque , c’est-à-dire , que tantôt la disposition de Yame est produite par la manière dont le sens interne est affecté , tantôt la disposition du sens interne par celle de Yame. C’est vers la région de Testomse que ce sens interne paroît fur-tout résider. Nous pouvons nous en assurer dans les émotions vives de Yame , de quelqu’espèce qu’elles soient : Teffet de ces émotions vives porte presque toujours fur cette région, Se nous fait éprouver,

dans les parties qui

en font voisines , une pesanteur , une dilatation , un resserrement, en un mot, une impression sensible, Sc différente , suivant la nature de Témotion qui Ta occasionnée.

Cette région semble donc être le siège du sentiment , comme les organes de nos sens celui de nos sensations , 8e le cerveau celui de nos pensées. Mais , à Toccasion de ces différentes parties de notre corps, auxquelles nous rapportons les impressions ou ks idées qui nous affectent , qu’il nous soit permis de faire une remarque qui paroît avoir»échappé à tous les métaphysiciens. La sensation Se la pensée , que les philosophes semblent avoir confondues 8e regardées comme du meme genre , n ont pourtant aucun rapport entr’elles ; car quel rapport entre la vue d’une couleur,

paf exemple,

Sc Tidée de l’îhjuste ?

Pourquoi donc ces mêmes philosophes, si atten-

tifs à démêler les défauts de rapport entre les’" choses , 8e en conséquence à assigner de fa différence entr’elles,

n’ont-ils pas distingué la substance qui sent de la substance qui pense, par la même raison qu’ils ont distingué la substance pensante de la substance étendue ; la pensée pure Sr simple n’ayant guères plus d’analogie avec la sensation qu’avec l’étendue ? Ce n’est pas tout. Les sentimens qui affectent notre ame, soit purement passifs comme la joie , soit actifs comme le désir, n’ont aucun rapport ni aucune ressemblance entr’eux , ni avec la sensation 8e la pensée ; pourquoi donc les philosophes n*ònt-ils pas aussi atSri

AME

AME

tribué ces scntimens à quelque nouveau principe, "distingué du principe qui sent Sc de celui qui pense ? Serait-ce parce que chaque sentiment suppose toujours une sensation ou une pensée qui J’accompagne ou la précède

Mais chaque sensa-

tion suppose toujours dans Torgane matériel un ébranlement qui la précède ou Taccompagne ; 8c cependant cette sensation n’appartient pas à Torgane ébranlé. Allons plus loin. Nous rapportons la sensation à cet organe, quoiqu’elle n’y appartienne pas ; n’y a-t-il donc pas une sorte de rapport , du moins apparent,

entre Tébrankment Sc

Ja sensation ? Au lieu qu’il n’y a pas même Tapparence du rapport entre la sensation de la vue, ’

de Touïe , Sec. 8c la volonté de faire quelqu’action, Pourquoi donc ne regardons -

nous pas la

sensation Se la volonté comme appartenantes à différens principes ? Si la faculté de sentir étoit unie à toutes les parties de la matière, Sc la faculté de vouloir à quelques-unes seulement, nous re-

garderions vraisemblablement

cette dernière fa-

culté comme appartenante à un principe différent de celui auquel nous rapportons nos sensations ; 8e peut-être serions-nous tentés (quoique fans fondement) d’attribuer les sensations à la matière même.

Ces réflexions avoient probablement frappé les anciens , lorsque, dans leur philosophie suranée, ils distinguoient

Yame raisonnable qui pense, de Yame sensitive qui ne fait que sentir ; 8e le chancelier Bacon paroît ne pas s’écarter de cette idée, lorsqu’il distingue la science de l’ame en science du souffle divin , d’où est sorti, dit-il, Yame raisonnable , Se science de Yame irrationnelle, qui

nous est , dit il, commune avec les brutes, Se qui est produite du limon de la terre. On ne peut, ce me semble , attribuer guères plus clairement à la matière la faculté de sentir ; 8e il faut avouer que cette idée , si elle n’avoit pas d’ailleurs d’autres inconvéniens, fournirait

la réponse à une des

plus fortes objections qu’on peut faire contre l’ame des bêtes ; car si cette ame n’étoit que matière , elle périrait naturellement

avec k corps. Il est

vrai que les animaux paraissent avoir encore autre chose que des sensations , Sc être susceptibles d’une sorte de raisonnement qu’on ne peut attribuer qu’à une substance pensante. Aussi Descartes , qui regardoît la faculté de penser Se celle de sentir comme Tattribut d’une seule Se même substance , a refusé tout-à- .fait Tune Se l’autre faculté aux animaux , coupant ainsi le noeud gordien pour s’en débarasser. Mais il paroît que jusqu’à lui les idées des philosophes n’étoient pas bien fixées fur la différence ou Tidentité de Yame sensible Se de Yame raisonnable. Il ne faut peut-Être , pour s’en convaincre , que sc rappeller ce principe trivial Se de tous les temps, que la raison est ce qui distingue Thomme de la brute ; par Je mot raison , on n’a pu entendre que la faculté de penser,,

en tant qu’elle est distinguée de celle de sentir. Encore ne ’faut-il pas entendre ici par faculté de penser, ce que cette expression signifie à la rigueur ; mais seulement la faculté de penser perfectionnée Se rendue capable de s’étendre audelà des besoins naturels : car, pour la faculté de connoître ks vrais besoins de Tindividu , leur nature, leur étendue, leurs limites, 8e les moyens d’y satisfaire , avouons - le à la honte de notre espèce , cette faculté paroît plus parfaite dans les animaux que dansks hommes.

Mais,

dira-t -on,

au lieu d’attribuer

à deux

principes différens la sensation Se Tébrankment de Torgane , tandis qu’on attribue au même principe des choses aussi différentes que la sensation Se la pensée , ne seroit-il pas plus court 8c plus simple de rapporter tout à un même principe, ébran-

lement , sensation , pensée , affections , Sec. cette manière de raisonner seroit, ce»me semble, peu philosophique,

indépendamment

même des

inconvéniens qui en résulteraient pour la religion. Bien loin de prétendre tout réduire à la matière, plus j’approfondis la notion que je m’en forme , plus cette notion me paroît un abyme d’obscurité. Le philosophe qui affirmerait qu’il n’y a qu’une substance, 8e celui qui voudrait en ad-

mettre trois, quatre ou davantage , scroient également téméraires. De bonne foi , avons - nous même une idée claire de ce que c’est que substance , pour être si hardis dans nos assertions ? II n’y a qu’à écouter les définitions que ks philosophes en donnent. La substance , disent les uns, est ce qui existe par soi-même. On croirait qu’ils veuient parler de Dieu ; car if n’y a que •Dieu qui puifle exister par soi-même. La.substance , disent les autres, est ce qui existe en soimême ; cela n’est - il pas bien clair ? Qu’est-ce qu’exister en soi ?, On sent bien que, par cette façon de parler,

on veut distinguer la substance qui existe indépendamment de la modification ,

d’avec la modification

qui ne peut exister sans la ;

substance ; mais Tidée qui reste de la substance en est-elle plus nette ? Faites abstraction de toutes ks modifications Tune après l’autre ; imaginez que ce que vous appeliez substance ou sujet de ces modifications en soit dépouillé successivement, il ne vous restera phis Tidée de rien, Se-la substance ne sera plus qu’un mot que vous prononcerez. Pour le faire sentir par un exemple , demandons aux philosophes çe que c’est que la matière. Ils nous diront que c’est une substance étendue 8c impénétrable.

Otez Timpénétrabilité , qui est la modification distinctive par laquelle l’étendue simple est rendue matière , il nous restera l’étendue." Otez encore l’étendue qui, suivant la plupart au moins des philosophes

modernes , ne constitue

point Tessence de la matière , il ne reste plus au^ cun objet, aucune idée dans Tefprit ; 8c , quand il resterait l’étendue , c’est-à-dire une portion de Tespace , il faudrait encore savoir si cette por, tion de Tespace, Sc Tespace

mê-me , sont, que,* Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/116 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/117 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/118 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/119 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/120 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/121 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/122 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/123 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/124 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/125 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/126 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/127 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/128 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/129 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/130 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/131 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/132 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/133 Page:Encyclopédie méthodique - Logique, T1.djvu/134 Page:Encyclopédie méthodique - 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  1. (i) Voici comment Locke explique le progrès de ces sortes d’idées. « Les idées, dit-il, que les enfans se font des personnes avec qui ils conversent, sont semblables aux personnes mêmes, & ne sont que particulières. Les idées qu’ils » ont de leur nourrice & de leur mère, sont fort bien tracées dans leur esprit, &, comme autant de fidèles tableaux, y représentent uniquement ces individus. Les noms qu’ils leur donnent d’abord, se terminent aussi à ces individus : ainsi les noms de nourrice & de maman, dont se servent les enfans, se rapportent uniquement à ces personnes. Quand après cela, le temps & une plus grande connoissance du monde leur a fait observer qu’il y a plusieurs autres êtres qui, par certains communs rapports de figure & de plusieurs autres qualités, ressemblent à leur père, à leur mère & autres personnes qu’ils ont accoutumé de voir ; ils forment une idée à laquelle ils trouvent que tous ces êtres particuliers participent également, & ils lui donnent, comme les autres, le nom d’homme. Voilà comment ils viennent à avoir un nom général & une idée générale. En quoi ils ne forment rien de nouveau ; mais écartant seulement de l’idée complexe qu’ils avoient de Pierre, de Jacques, de Marie & d’Elisabeth, ce qui est particulier à chacun d’eux, ils ne retiennent que ce qui leur est commun a tous ». Liv. III, chap. 3, §. 7.