Encyclopédie méthodique/Artillerie/Analyse des poudres, des bronzes, des artifices, &c.

Panckoucke (p. 7-10).
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ANALYSE des poudres, des bronzes, des artifices, &c. C'est l'art de déterminer la nature & les proportions des principes constituans de ces substances. Cet art, qui a fait d'immenses progrès depuis la fin du siècle dernier, donne aux officiers d'artillerie le moyen de reconnoitre avec une grande exactitude le dosage de la poudre, l'alliage des bouches à feu, la composition des artifices, &c.

Analyse de la poudre. Le procédé dont on se sert ordinairement, consiste à lessiver la poudre avec de l'eau, pour séparer le nitre, & à traiter le résidu par la potasse qui dissout le soufre & laisse le charbon. Quoique ce procédé paroisse facile, il présente des difficultés qu'on n'apprécie bien qu'en l'exécutant ; nénmoins on ne peut en condamner l'emploi, & il seroit même indispensable


d'y avoir recours si l'on vouloit obtenir directement la quantité de charbon contenue dans la poudre. Dans le cas où l'on voudroit en faire usage, il conviendroit de prendre deux portions de poudre : l'une seroit lessivée pour avoir le nitre, on sècheroit le résidu & on en prendroit le poids ; l'autre portion seroit mêlée immédiatement avec une quantité égale de potasse & un peu d'eau, & on ohaufferoit le mélange : le soufre se dissoudroit rapidement, & on laveroit ensuite jusqu'à ce que l'eau n'eût plus de saveur sulfureuse, ou mieux, ne précipitât plus en noir l'acétate de plomb. Le charbon seroit séché & posé. Le soufre s'obtiendroit en retranchant du poid» de la poudre employée & supposée bien sèche, celui du nitre & du charbon qu'on auroît obtenus ; & les résultats de l'analyse pourroient être vérifiés, en comparant le poids du soufre & du charbon laissés par la première portion de poudre, avec celui donné par la seconde.

En suiyant ce procédé, la détermination du charbon laisse de l'incertitude, qui se répète ensuite sur la proportion du soufre, & par conséquent, si l'on pouvoit déterminer directement le poids du soufre, l'analyse de la poudre en deviendroit beaucoup plus exacte. C'est pour parvenir à ce but que l'on va décrire le procédé suivant, dont l'exactitude est déjà coostatée par un grand nombre d^épreuves.

On commence par dessécher une certaine quantité de poudre, pour connoître le degré d'humidité qu'elle contient, & pouvoir déterminer avec plus de certitude la proportion du charbon, qu'on n'obtient dans ce procédé que par sosutraction. On évalue le nitre en lessivant la poudre, évaporant l'eau de lavage, & faisant fondre le résidu salin.

Pour obtenir le soufre, on mêle cinq grammes de poudre avec un poids égal de sous-carbonate de potasse pur, ou au moins ne contenant pas d'acide sulfurique ; on pulvérise exactement le mélange dans un mortier, & on ajoute ensuite cinq grammes de nitre & vingt de chlorure de sodium.

Le mélange étant rendu bien intime, on l'expose dans une capsule de platine sur des charbons ardens ; la combustion du soufre se fait tranquillement, & bientôt la masse devient blanche. L'opération est alors terminée ; on retire la capsule du feu, & quand elle est refroidie on dissout la masse saline dans de l'eau, on sature la dissolution avec de l'acide nitrique ou de l'acide hydro-chlorique, & on précipite l'acide sulfurique qu'elle contient par le chlorure de barium.

Il y a deux manières de faire cette précipitation : la première, qui est généralement suivie, consiste à metre dans la dissolution un léger excès de chlorure de barium, & à recueillir le sulfate de baryte produit. Ce procédé exige de nombreux lavages qu'on ne peut faire qu'à de longs intervalles, parce que le sulfate de baryte ne se dépose que lentement, surtout vers la fin de l’opération, époque à laquelle ce sel reste souvent en suspension, & passe même à travers les filtres le plus épais. Si on lave le sulfate de barite sur un filtre, nouvel inconvénient, il faut détacher le sulfate du filtre ou les peser ensemble, & dans l’un ou l’autre cas on peut commettre facilement une erreur, surtout si l’on n’est pas très-exercé.

L’autre manière de précipiter l’acide sulfurique, que l’on propose ici d’adopter, consiste à prendre une dissolution titrée de chlorure de barium, c’est-à-dire, dont on connoît la proportion exacte en poids de chlorure de barium & d’eau, & de verser cette dissolution dans celle qui contient l’acide sulfurique, jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus de précipité. Quand la précipitation approche de son terme, on doit ajouter le chlorure de barium par gouttes seulement ; on attend que le liquide soit éclairci avant d’en ajouter une nouvelle quantité ; ou bien, si l’on veut accélérer l’opération, on filtre une portion de la liqueur dans une petite éprouvette très-nette, & l’on verse une goutte de chlorure de barium dans la liqueur filtrée. Le même filtre peut servir pendant toute l’opération. Il n’est pas à craindre ici que le sulfate de barite passe à travers le filtre ; cela n’a lieu que lorsque l’eau ne contient plus en dissolution, ou presque plus, de matières salines ; car les sels s’excluant, en général, les uns les autres de la même dissolution, le sulfate de barite se trouve exclus du liquide, & précipité, quand celui-ci contient une certaine quantité de substances salines. La plupart des sels peuvent servir pour cet objet ; mais quand on doit peser le sulfate de barite, il faut prendre un sel volatil qu’on puisse expulser par la chaleur, comme le nitrate ou l’hydro-chlorate d'ammoniaque.

La quantité d’acide sulfurique, & conséquemment celle du soufre, est donnée par le poids du chlorure de barium employé ; car le nombre équivalent, ou le poids de l’atome du soufre, étant 20,116, & celui du chlorure de barium cristallisé 152,44, il suffira de faire cette proportion 162,44 : 20,116 :: le poids du chlorure de barium employé est à un quatrième terme, qui sera la quantité du soufre cherchée. Ce procédé, qui peut être généralisé, & dont l’utilité se fera facilement sentir dans le cas où le sulfate de barite, ou tout autre précipité entraine avec lui quelque substance étrangère, peut donner un résultat exact à un cinq centième près, & même à un millième ; mais comme on doit verser la dissolution de chlorure de barium goutte à goutte, & qu’avec un flacon cela est très-difficile, d’autant plus que les bords du goulot resteroient chaque fois mouillés de la dissolution, il est nécessaire de se servir d’une pipette formée par une petite boule portant deux tubes droits opposés, & dont l’un est effilé, pour qu’on puisse modérer plus facilement l’écoulement du liquide, en appliquant l’index sur l’ouverture de l’autre tube. Le tube effilé traverse un bouchon de liège destiné à fermer le petit flacon qui contient la dissolution, afin d’empêcher toute évaporation ; on remplit la pipette par aspiration, on applique aussitôt le doigt sur son extrémité supérieure, & on la retire avec la précaution de ne jamais lui faire toucher le goulot du flacon, pour ne pas y déposer du liquide : le flacon contenant la dissolution doit être léger, & ne contenir au plus que le double de la quantité de dissolution présumée nécessaire pour opérer la précipitation, afin de moins charger la balance qui doit en faire connoître le poids, & obtenir par conséquent plus de précision. On pèse le flacon avec sa pipette & son bouchon avant la précipitation, & on le pèse de nouveau après. On ne doit pas compter la dernière goutte, & on doit même prendre la moitié de celle ajoutée avant, & qui a terminé la précipitation. Pour faire cette correction, on fait tomber de la pipette cinquante gouttes, par exemple ; on en prend le poids, & on le divise par cinquante pour avoir celui d’une goutte.

Le nitre & le soufre étant déterminés l’un & l’autre avec précision, on obtient le charbon en retranchant leur poids de celui de la poudre soumise à l’analyse.

On a conseillé d’employer le carbonate de potasse, parce qu’il se pulvérise & se mêle mieux avec la poudre ; mais on peut aussi se servir de la potasse caustique. Dans ce cas, il est nécessaire d’ajouter un peu d’eau pour la dissoudre, & de chauffer doucement jusqu’à ce que cette eau soit évaporée, afin d’éviter les jets qui pourroient faire perdre un peu de matière. Enfin, on peut aussi employer, au lieu de capsule de platine, une capsule, un matras & même un tube de verre : à la vérité le verre se fend presque toujours par le refroidissement, mais il n’en résulte aucune perte. (Extrait des Annales de Chimie & de Physique, année 1821.)

Analyse du bronze. Comme on doit toujours faire précéder l’analyse d’un alliage de quelques essais, pour reconnoître la présence des métaux étrangers qui l’altèrent assez souvent, voici la marche qu’on pourra suivre à l’égard du bronze.

1°. On reconnoîtra la présence du cuivre par l’ammoniaque, qui a la propriété de colorer les dissolutions nitriques & sulfuriques du cuivre, en beau bleu céleste.

2°. Celle de l’étain, par l’acide nitrique, qui l’oxide avec rapidité. On distinguera l’étain de l’oxide d’antimoine, en ce que la dissolution muriatique du premier ne précipite pas par l’eau, pourvu qu’il y ait excès d’acide.

3°. Celle du zinc, par la propriété qu’il a d’être précipité en blanc par les alcalis de ses dissolutions sulfurique, nitrique & muriatique. Un excès d’alcali redissout ces précipités.

Les prussiates & les hydrosulfures les précipitent également en blanc.

4°. Celle du plomb, par l’acide sulfurique, qui le précipite en poudre blanche, à l’état de sulfate de sa dissolution nitrique.

5°. Celle du fer par l’aiguille aimantée.

6°. Celle de l’arsenic, par l’acide nitrique, qui fera passer ce métal à l’état d’acide arsenique. On saturera avec la potasse, & on versera de l’acétate de plomb dans la liqueur, où il se formera un arséniate de plomb insoluble.

7°. Celle de l’antimoine, par l’acide nitrique, qui oxide également l’étain en poudre blanche ; mais on distingue facilement ces deux oxides en les traitant au chalumeau : celui d’étain y est fixe, & celui d’antimoine, au contraire, se volatilise en répandant une forte odeur d’ail.

On ne peut confondre l’antimoine qu’avec le bismuth ; mais il est aisé de reconnoître ce dernier par la rapidité avec laquelle il se dissout dans l’acide nitrique, tandis que l’antimoine ne fait que s’y oxider, & demande l’eau régale pour se dissoudre.

8°. Enfin, les dissolutions de bismuth & d’antimoine précipitent par l’eau, après avoir rapproché la liqueur & dégagé l’excès d’acide. Il n’y a que ces deux métaux & le tellure, qui aient cette propriété ; mais le bismuth précipite en noir par l’hydrogène sulfuré, l’antimoine en jaune orangé, & le tellure en jaune doré.

Nota. On fera toutes les dissolutions à froid & à chaud dans de petits matras de verre à longs cols, & l’on se servira de capsules de porcelaine ou d’argent pour les évaporations, selon le cas. L’on n’emploira que des réactifs très-purs, & de l’eau distillée ou de pluie qui ne précipite pas par le nitrate d’argent ni par l’oxalate de potasse.

On sépare les précipités des dissolutions qui les contiennent, par la filtration. A cet effet, on se sert de deux filtres de papier non collé ; ils doivent être exactement de même poids, afin que celui extérieur puisse servir de tare, & l’on doit laver à petites eaux le précipité que le filtre intérieur contient, jusu’à ce que la liqueur qui passe soit insipide & incolore.

La dessiccation des précipités doit toujours se faire à une chaleur de 60 à 70 degrés centigrades. Avant de faire la dissolution d’un alliage, on doit le réduire, avec un ciseau ou un laminoir, en morceaux les plus minces possibles.

Procédé d’analyse. On considéra d’abord le cas le plus simple, c’est-à-dire, celui où l’alliage ne contient que du cuivre, de l’étain & du zinc.

A. On traitera 10 à 20 grammes de l’alliage, par l’acide nitrique à 22 degrés environ. Il se formera des nitrates de cuivre & de zinc solubles, & l’étain restera à l’état d’oxide dans le matras.

On filtre ensuite, on lave le précipité contenu dans le filtre, jusqu’à ce que la liqueur qui passe ne soit plus colorée par l’ammoniaque ; on fait


sécher dans une étuve ou dans une capsule, & le poids de l’oxide fait connoître celui de l’étain, sachant que 140 d’oxide représentent 100 de métal.

B. Pour séparer le cuivre du zinc, on fera chauffer la dissolution dans une capsule de porcelaine, & l’on en précipitera le cuivre par une lame de zinc qu’on aura pesée avec soin. On filtre, on lave & l’on sèche, & le poids du cuivre fera connoître celui du zinc.

C. On peut aussi avoir le zinc en le précipitant des eaux de lavage (où il est resté à l’état de nitrate), par le carbonate de soude ou de potasse. On filtre, on lave & on sèche, & le poids du carbonate de zinc (déduction faite de celui qu’on a employé pour précipiter le cuivre) donnera celui du métal, sachant que 130 de ce sel représentent 100 de zinc métallique.

Cas dans lequel l’alliage contiendroit du plomb. — Nota, On reconnoît à la cassure les cuivres jaunes où il entre du plomb ; celle de laiton, qui n’en contient pas, ne perd rien de son éclat métallique, au moins pendant quelques semaines ; tandis que la cassure de celui qui en renferme même un ou deux centièmes, noircit bientôt après avoir été faite, & passe d’un jaune citrin assez beau, à celui d’un jaune sale.

D. Après avoir séparé l’étain, comme il a été dit en A, on versera la liqueur de l’acide sulfurique en excès, pour tout convertir en sulfate ; le sulfate de plomb seul se précipitera, & son poids, après avoir été filtré, lavé & séché, fera connoître celui du métal. (139, 5 de sulfate de plomb bien séché, représentent 100 de plomb métallique.)

E. On séparera ensuite le cuivre du zinc, en se servant d’une lame de fer bien décapée & pesée avec soin, ou bien comme il a été dit B & C ; mais on précipite plus facilement le cuivre, des dissolutions sulfuriques que de celles nitriques, & ce dernier moyen est préférable quand on veut déduire de suite la quantité de zinc de celle du cuivre trouvé.

Cas dans lequel il y aurait, outre le cuivre, le zinc & l’étain, du plomb & du fer. On connoît la manière de séparer les cinq premiers métaux ; on pourroit aussi obtenir le fer de la dissolution nitrique, comme on le verra plus bas ; mais il paroît plus simple d’en déterminer les proportions par la méthode suivante.

F. On fera dissoudre une portion de l’alliage dans l’acide nitro-muriatique. Une grande partie du plomb se sépare, on précipite le reste par l’ammoniaque mis en excès, pour redissoudre le cuivre, le zinc & l’arsenic (s’il y en a) ; on obtient ainsi un précipité qui ne contient plus aucun de ces métaux. On le traite par l’acide nitrique à 22° mis en excès, pour empêcher l’oxidation du fer, & on filtre pour séparer l’étain. On fait bouillir ensuite la dissolution à plusieurs reprises, pour oxider fortement le fer, & le précipiter en poudre rouge. Quand tout le fer est ainsi séparé, on le lave, on le sèche & on le pèse. (100 d'oxide de fer, par l'acide nitrique, donnent 55,75 de fer métallique.)

G. Comme il se rencontre quelquefois des alliages plus compliqués que ceux dont on vient d'indiquer l'analyse, on a cru devoir donner une méthode générale, au moyen de laquelle on pourra déterminer la composition de tous ceux en usage dans l'artillerie, quel que soit le nombre de métaux étrangers qu'ils contiennent.

Alliage contenant huit métaux, savoir : cuivre, zinc, étain, plomb, fer, antimoine, bismuth & arsenic. H. On traitera d'abord par l'acide nitrique à 22°, & lorsque cet acide n'aura plus d'action sur l'alliage, on trouvera au fond de la dissolution, l'étain & l'antimoine oxidés, & une portion de fer & de bismuth à l'état d'arséniate. (100 d'oxide d'antimoine par l'acide nitrique, représentent 62,8 de ce métal, & 100 d'oxide de bismuth, 89,88.)

I. On traitera par l'acide muriatique ce qui n'aura pas été dissous par l'acide nitrique.

K. La présence de l'arsenic oblige à reprendre une nouvelle quantité d'alliage, que l'on traite par la potasse nitratée dans un creuset d'argent. On filtre & on lave pour séparer l'arséniate de potasse ; on sature l'excès de potasse par de l'acide nitrique, afin de séparer une petite quantité d'oxide d'étain, d'antimoine, de zinc & de plomb, que cet excès de potasse auroit pu dissoudre. On versera de l'acétate de plomb dans la dissolution, & il se précipitera un arséniate de plomb, qui, lavé & séché, représente 19, 15 d'arsenic pour 100.

Il faut bien prendre garde de ne pas mettre d'acide nitrique en excès, car il se formeroit du nitrate de plomb, & par suite de l'arséniate de ce métal.

L. Si l'on examine maintenant la dissolution muriatique I, on verra qu'elle contient l'antimoine, l'étain & le fer ; on rapprochera la liqueur pour en dégager un peu d'acide, si elle en contenoit un trop grand excès, & l'on précipitera l'antimoine par leau ; il se précipitera aussi un peu d'étain avec, à cause de leur affinité.

M. Pour séparer le muriate d'étain de l'oxide d'antimoine, oxide qui retient un peu d'acide muriatique, on le fera passer au maximum par l'acide nitrique, & alors on sublimera. Le muriate d'antimoine seul se sublimera, parce que le muriate d'étain, au maximum, n'est pas volatil.

N. Quant au fer & à l'étain, qui sont dissous dans l'acide muriatique, on les précipite par l'ammoniaque & on les sépare par l'acide nitrique, ou mieux encore, par la potasse caustique qui dissout seulement l'étain.

O. Reste la dissolution nitrique H, qui contient le bismuth, le zinc, le cuivre, le fer & le plomb.

P. On précipitera le bismuth par l'eau ; le plomb, par l'acide sulfurique, dont on mettra un excès pour faire passer à l'état de sulfate ; on précipite le cuivre par une lame de fer bien décapée & bien pesée ; & le zinc & le fer, par la potasse caustique, dont un excès redissout le zinc. seulement ; enfin, on précipite celui-ci par le carbonate de potasse, après avoir saturé la solution dans cet alcali.

Cette analyse a été extraite par M. Duffaussoy, chef de bataillon d'artillerie, des cours & expériences de MM. Vauquelin, Thenard, Gay-Lussac & d'Arcet. (Voyez, pour plus de détails, le beau Traité de Chimie par M. Thenard.)