Encyclopédie méthodique/Architecture/Tome 3/W

WIC


WICKAM (Guillaume.), Architecte anglais, né en 1324 et mort en 1404.

Il est sinon le plus ancien architecte de l’Angleterre, du moins le plus ancien de ceux dont l’histoire des arts fasse une mention tant peu détaillée. Ce n’est pas qu’il faille le regarder, comme ayant fait une profession ni expresse ni exclusive de l’architecture ; tant s’en faut, qu’au contraire le peu qu’on sait sur son compte, nous le fait connoître comme ayant fourni une carrière assez traversée d’accidens divers, et remplie de travaux fort différens. À cette époque d’ailleurs le goût et le savoir de la bâtisse se lioit à beaucoup d’autres occupations.

Wickam avoit montré de bonne heure de si heureuses dispositions pour les belles-lettres et pour les sciences mathématiques, étant simple étudiant dans l’Université d’Oxford, qu’Edouard III ayant entendu parler de lui, prévenu encore en sa faveur par sa belle figure, le prit à son service. Ce prince l’employa avec succès dans plusieurs affaires politiques. Wickam avoit réuni aux diverses connoissances qu’il avoit embrassées, l’étude de l’architecture. Le roi le nomma surintendant de ses bâtimens et forêts. Ce fut en cette qualité qu’il fut chargé de donner les plans, et d’exécuter la construction du royal château de Windsor, masse assez grandiose qu’il acheva dans l’espace de trois années. Quelques courtisans jaloux de son crédit et de sa fortune essayèrent de le desservir auprès d’Edouard. Ils saisirent le prétexte d’une inscription susceptible d’un sens un peu équivoque, et que Wickam avoit fait placer sur le palais. Mais leurs efforts furent inutiles.

Comme il avoit embrassé l’état ecclésiastique, il parvint à se faire adjuger d’exellens bénéfices. Il devint secrétaire d’état, garde du sceau privé, évêque de Winchester, grand-chancelier, et finalement président du conseil privé.

Mais le vent de la fortune changea pour lui ; elle lui retira tout ce qu’elle lui avoit donné. Dépouillé de toutes ses charges et en butte à la persécution, il se retira dans son évêché, où il établit un collège dont il fut le fondateur et en même temps l’architecte. Il en fonda bientôt un autre à Oxford et le fit également construire sur ses dessins. Un nouveau tour de la fortune lui rendit la faveur de la cour, et il fut rétabli dans toutes les charges qu’on lui avoit enlevées.

Il paroît toutefois que Wickam, désabusé de l’ambition, avoit formé la résolution de ne plus s’exposer aux hasards d’une mer toujours orageuse. L’état ecclésiastique lui offroit un port assuré contre tous les dangers. Il s’y réfugia ;


ayant fait vœu de vivre désormais selon l’esprit de son état, il se retira de la cour, et ne s’occupa plus que de travaux utiles, et d’actes de bienfaisance.

Le savoir de l’architecture lui procuroit un double moyen de satisfaire ce noble penchant et le besoin de soulager les malheureux ; car en élevant d’utiles édifices, il donnoit auisi du travail et fournissoit des ressources à l’indigence. Ce fut sur ses plans et ses dessins que fut construite la magnifique cathédrale de Winchester, qui le cédoit de peu à l’ancienne église de Saint-Paul à Londres, avant l’incendie de 1622 qui la consuma.

On doit présumer, en pensant à l’époque où vécut Wickam, que le goût et le style des édifices qu’il éleva tint plutôt du gothique, alors surtout en crédit chez les Anglais, que de celui qui commençoit à refleurir en Italie. Mais chaque pays ayant appliqué à ce genre de bâtir son propre caractère, on ne peut méconnoître que le style de Wickam, comme celui du plus grand nombre des édifices gothiques anglais, diffère principalement, par beaucoup de pureté, par une grande économie de détails, par plus de simplicité, et n’offre ni cette surcharge de sulptures informes, ni cette maussade profusion de mauvais ornemens, qui, presque partout ailleurs, désignent les compositions et l’exécution des extérieurs d’églises.

Malgré les grands biens et les œuvres de charité qu’il ne cessoit de faire, Wickam ne put encore imposer silence à ses ennemis. De nouvelles accusations lui furent intentées. Nous en ignorons l’objet ; mais le parlement prononça son innocence. On s’accorde à dire qu’il étoit juste, mais sévère. Nous savons en outre qu’il se prononça avec rigueur contre l’hérésiarque Wiclef, qui finit par opérer dans toute l’Angleterre un soulèvement général. De telles circonstances nous expliquent, comment la justice et la sévérité peuvent devenir des sujets d’accusation.

WIT (Pierre de.) Architecte flamand qui vécut dans le seizième siècle.

Nous trouvons dans le recueil des Memorie degli Architetti antichi e moderni, de Milizia, que Pierre de Wit naquit à Bruges en Flandre, et alla de bonne heure en Italie pour se former au dessin. Il se sixa surtout à Florence, et y entra dans l’école de Vasari. On prétend qu’il surpassa bientôt son maître sous le rapport de la couleur, sans perdre un peu de cette sécheresse de contour qui est particulière au goût florentin A cette école, il devint, selon l’usage assez général du siècle, peintre, sculpteur et architecte, et habile dans les trois arts. Sa réputation s’étendit bientôt en Allemagne. Il fut appelé à Munich par le duc de Bavière Albert V. Son neveu le duc Maxmilien, grand amateur d’architecture qu’il avoit même la prétention de professeur, s’empressa d’employer de Wit à la construction de l’immense palais qu’il éleva dans cette ville, vers la fin du seizième siècle. Le prince voulut en être le principal architecte. On ne doute pas cependant que de Wit, à qui l’on est forcé d’attribuer la décoration de l’intérieur de l’édifice, n’ait eu aussi une grande part dans la composition de son plan. On donne toujours comme étant exclusivement son ouvrage, l’escalier qui passe pour être dans son genre un chef-d’œuvre. Aujourd’hui il a perdu de son importance, parce que les changemens survenus dans ce grand ensemble en ont placé l’entrée dans un autre endroit.

On vante comme un des principaux ouvrages de cet artiste, et comme un monument capital en son genre, le mausolée qu’il éleva à l’empereur Louis de Bavière, dans l’église de Notre-Dame à Munich, morceau, dit-on, qui seroit digne de figurer dans les temples les plus magnifiques. Un fort grand nombre de statues de bronze forme la principale décoration du mausolée. On est tenté de regretter qu’il n’ait pas pour accompagnement une architecture d’un goût qui lui soit mieux assorti. Mais Notre-Dame de Munich est une de ces cathédrales gothiques dont la beauté principale est dans la grandeur que l’on donnoit alors assez ordinairement à de semblables vaisseaux.

Mais la grandeur de dimension toute seule ne suffit pas à la beauté ni à la majesté d’un temple. Entre toutes les autres grandeurs qui manquent aux églises gothiques, sans parler de celle des proportions, de celle de style et du goût, il faut compter celle de la décoration. Or il est certain que le gothique en manque totalement, et c’est là un de ses plus graves, défauts. Ajoutons qu’il ne pouvoit pas l’éviter ; car en ces temps il n’y avoit aucune possibilité d’y appeler ces arts qui qui seuls possèdent le secret et les moyens de la décoration : et c’est peut-être ce qu’il y a de plus heureux pour l’effet de l’intérieur des églises gothiques. Mieux vaut cette pauvreté, si l’on en juge par ce qu’offre de hideux et de révoltant le luxe de leur prétendue sculpture à l’extérieur.

Cette dernière réflexion nous est suggérée par l’auteur même auquel nous avons emprunté le peu de notions que nous avons reproduites sur Pierre de Wit.

WREN (CHRISTOPHE.) Né en 1632, mort en 1723.

Les renseignemens historiques que nous con-


noîssons, sur la vie et les ouvrages de Christophe Wren, et sur ses premières années, ne nous apprennent point quel avoit été son maître dans l’art de l’architecture, ni même s’il en eut un. On peut présumer d’après les diversités nombreuses d’études et de sciences auxquelles sa jeunesse avoit été livrée, qu’il dut uniquement aux mathématiques, d’être initié aux connoissances de cette partie de l’art de bâtir, qui est soumise aux lois du calcul, connoissances auxquelles le génie ne supplée pus toujours, mais qui réciproquement ne sauroient remplacer le génie pour les grandes entreprises de l’architecture. Lorsqu’en ce genre, l’étude et la nature auront réuni dans le même homme, et avec une juste combinaison, les dons du savoir, et ceux de l’imagination, il devra naître de là, si les circonstances lui sont favorables, un grand architecte.

Christophe Wren fut un de ces rares exemples, et les besoins de son siècle, concoururent à développer chez lui les heureuses dispositions, qui n’attendoient que l’occasion propre à les faire briller.

Il naquit à East Knoyle, dans le comté de Wilts. Son père, doyen de Windsor, étoit d’une ancienne famille originaire de Danemarck, qui s’étoit établie en Angleterre dans le diocèse de Durham. Dès l’âge le plus tendre il annonça la plus grande aptitude aux sciences, surtout aux mathématiques, et on l’admit comme gentilhomme pensionnaire au collége de Wadham à Oxford. Il n’avoit que treize ans lorsqu’il construisit une machine pour représenter le cours des astres, et divers instrumens d’astronomie, mieux divisés ou plus commodément suspendus que ceux qui existoient alors. A seize ans, il avoit déjà fait des découvertes dans l’astronomie, la gnomonique, la statique, la mécanique, et à peine âgé de vingt-cinq ans, il professoit ces sciences à Oxford au collége de Gresham. Bientôt il obtint la chaire de droit civil dans l’Université de cette ville, et une place à la Société royale de Londres qui venoit d’être établie.

Jusqu’ici nous ne voyons rien qui eût pu prédire qu’il deviendroit un des premiers architectes et de son pays et de son siècle.

Vers 1665 il fit un voyage à Paris, dans la vue, dit-on, d’y examiner l’état des arts, qui commençoient à y fleurir sous les auspices d’un nouveau règne. Un grand événement le rappela promptement dans sa patrie. Effectivement l’année suivante, 1666, fut celle du terrible incendie qui consuma la plus grande partie de la ville de Londres. Ce malheur et le besoin non-seulement de le réparer, mais de le faire servir à l’amérioration, comme à l’embellissement de cette capitale, éveillèrent le génie de Wren, et lui révélèrent des talens dont le principe avoit jusqu’alors sommeillé en lui. Il imagina un plan général de reconstruction, de la ville.

On peut dire de presque toutes les grandes villes, excepté d’un fort petit nombre, qu’elles ne furent et ne sont autre chose qu’un agrégat fortuit et successif de constructions ajoutées les unes aux autres, sans aucun dessin, sans aucune prévision de l’avenir. C’est souvent lorsqu’il n’y a plus de remède à leurs irrégularités, qu’on cherche les moyens toujours lents d’en redresser les rues et d’en symétriser les aspects. Wren crut qu’il falloit saisir l’occasion du malheur arrivé pour soumettre la réédification de Londres à un système d’ensemble, qu’en vain on attendroit des volontés particulières.

Son plan présenta de longues et larges rues, coupées à angles droit, des projets d’églises, de places, de monumens publics dans de belles positions. Des portiques variés selon les quartiers servoient de point de vue, en divers lieux, aux rues principales. Jamais programme plus vraiment idéal ne fut conçu et pour un but moins imaginaire. Il fut gravé en 1724, et l’on peut juger encore aujourd’hui, de l’impression qu’il dut faire à l’époque où il fut présenté au parlement. Il y devint le sujet d’une longue discussion. Deux opinions opposées s’y combattirent, les uns appuyèrent le projet de Wren, les autres soutinrent Qu’il falloit rebâtir sur l’ancien plan. Un troisième parti, comme cela arrive souvent, se plaça au milieu des deux et fit prévaloir son opinion. On prit une portion du nouveau plan, on en conserva une de l’ancien, et Londres manqua pour toujours l’occasion d’être le chef-d’œuvre de toutes les villes. Cependant ce qu’on adopta du projet de Wren, quant à la largeur des rues, à la grandeur des places, et à une construction en matériaux plus solides (l’ancienne étoit toute de bois), n’a pas laissé de rendre encore cette ville, une des plus remarquables de l’Europe, sinon pour l’architecture, du moins pour la régularité, l’alignement, la disposition des rues et des places.

Si Londres manqua l’avantage que lui eût procuré l’adoption du grand projet de Wren, elle y gagna toujours d’apprendre qu’elle avoit en lui un homme né pour les grandes choses. Lorsque la nature produit de pareils hommes, il semble que la société ne manque pas non plus de faire naître le besoin d’ouvrages qui soient à leur niveau. On remarque que les grandes entreprises et les grands artistes se sont toujours rencontrés, et dans cette coïncidence, on ne sauroit dire de quel côté est le premier moteur.

Jean Denham, architecte du roi, étant mort en 1668, Wren lui succéda, fut fait chevalier, et eut dès-lors la direction d’un grand nombre d’édifices publics.

Cependant Londres étoit à peine sortie de ses cendres, et déjà on projetoit d’y élever un monument qui devoit présager la grandeur future de cette ville. Il ne s’agissoit de rien moins que


de rivaliser avec la vaste basilique de Saint-Pierre de Rome : Christophe Wren fut chargé de cette noble entreprise, et dès 1675, il jeta les fondemens de Saint-Paul. On croit que dans un premier modèle qu’il composa, il avoit voulu se rapprocher des plans et du style des temples de l’antiquité. Mais l’Angleterre avoit subi pendant plusieurs siècles, comme tout le nord de l’Europe, les habitudes du genre de bâtir gothique. Les constructeurs des églises de ce genre, libres des sujétions d’une ordonnance régulière, et par conséquent de tout rapport de proportion entre les plans et les élévations, s’étoient plu à chercher la beauté et à la placer uniquement dans la grandeur linéaire, c’est-à-dire dans la longueur et la procérité des intérieurs. Wren adopta donc en plan, la disposition du plus grand nombre des églises, qui ordinairement se composent de deux parties d’une longueur égale, le chœur et la nef, que divisent (ainsi qu’on les appelle) les deux bras de la croisée.

La longueur de Saint-Paul, qui est de 450 pieds français, offre dans le milieu de cet espace une coupole de 98 pieds français de diamètre et de 208 pieds français de hauteur. Un rang de bas-côtés règne dans toute la longueur de l’église, qui se termine au bout du chœur par une apside (ou rond-point), et qui commence en avant de la nef, par un grand et spacieux vestibule. L’ordonnance intérieure est en arcades, dont les piédroits reçoivent des pilastres corinthiens, avec un entablement fort régulier. Au-dessus de est entablement règne un attique continu, sur lequel s’élève la voûte avec les fenêtres qui éclairent l’intérieur. La coupole a été fort ingénieusement construite dans une forme pyramidale que les yeux ne sauroient découvrir, et qui a singulièrement épargné l’effort de la poussée latérale.

La critique d’un semblable monument comporteroit de nombreuses et importantes considérations, que l’on ne sauroit même effleurir ici. Nous nous bornerons en peu de mots à une seule, celle qui est à la portée du plus grand nombre, je veux dire l’impression générale ou l’effet de cette architecture tant au-dedans qu’au-dehors.

S’il s’agit de l’impression que le spectateur reçoit de l’aspect intérieur, nous nous permettrons de dire qu’il est généralement médiocre. On n’y est véritablement frappé d’aucune sorte de grandeur, d’aucun caractère bien prononcé, soit de force ou de sévérité, soit d’élégance et de richesse. Les sens et l’esprit y voudroient ou plus de simplicité, ou plus de variété. Quelque chose de nu, de pauvre et de froid s’y fait sentir. En un mot, on entre dans Saint-Paul sans étonnement, on en sort sans admiration.

Quant au mérite et à l’effet de l’architecture, l’extérieur nous paroît l’emporter sur l’intérieur. Nous le disons d’abord de la coupole, dont la forme, la courbe et la décoration sont fort belles ; dont l’ensemble, bien qu’on puisse le trouver découpé par la saillie de la colonnade qui l’environne, ne laisse pas de produire un tout très-harmonieux. Pour ce qui est de la masse extérieure de l’église proprement dite, il est possible de blâmer dans son ajustement l’application des deux ordres de pilastres l’un au-dessus de l’autre. Le goût scrupuleux de ceux qui mettent avant tout autre mérite, celui de l’unité, regrettent que deux ordres qui, dans cette position signifient deux étages, se trouvent au-dehors d’un édifice qui intérieurement n’a point d’étages. Cependant le parti général de toute cette masse, considérée abstraction faite du rapport qu’on vient d’indiquer, est d’un style sage, d’une bonne composition et d’une exécution aussi pure que précieuse. On aime à y remarquer à l’extrémité de chaque croisée, les petits avant-corps circulaires en colonnes qui leur servent de portiques.

Malheureusement pour cette église, comme à l’égard de beaucoup d’autres, ce qu’on peut le moins y louer, c’est son frontispice avec les deux clochers, composition banale, sans effet et sans grandeur, mais résultat en quelque sorte nécessaire de la sujétion imposée par la hauteur de l’édifice. Le manque d’espace a frustré ce monument d’une place suffisante pour qu’on puisse en embrasser convenablement l’ensemble. Le lieu qu’il occupe étant dans la cité, le quartier de Londres le plus resserré, Wren ne put pas remédier à cet inconvénient.

L’église de Saint-Paul, construite toute en pierre de Portland, a eu toutefois l’avantage d’avoir été par lui commencée, conduite et terminée en trent-cinq années, c’est-à-dire par un seul et même architecte, et ce qu’on a observé encore, par un seul et même entrepreneur, avantage très-rare dans les grands édifices, et auquel celui-ci doit certainement, de n’offrir aucune de ces disparates de manière et de goût, produits naturels des modifications que ne manquent presque jamais d’introduire dans la conduite de l’ouvrage les architectes qui s’y succèdent. Comme église, à part les critiques qu’on en peut faire (et quel édifice en est exempt ?) Saint-Paul se place sons plus d’un motif, mais surtout pour l’importance et la grandeur, au second rang, c’est-à-dire immédiatement après Saint-Pierre de Rome.

Wren an même temps élevoit un autre monument qui dans son genre, du moins pour la hauteur, ne devoit point avoir de rival. Je veux parler de cette colonne qu’on appelle à Londres du nom seul deMonument, et que l’on construisit en pierre, à l’endroit même où avoit commencé l’incendie dont a parlé, pour perpétuer le souvenir de ce mémorable fléau. Sa hauteur est de 188 pieds français en y comprenant le piédestal et le couronnement. On prétend dans plus d’un ouvrage (et il nous semble sans aucune raison), que cette colonne est de l’ordre toscan. Outre


que nous ignorons ce qui peut caractériser, dans une colonne, ce prétendu ordre, d’invention tout-à-fait arbitraire, nous pensons qu’une colonne monumentale, et par conséquent isolée, et par conséquent indépendante de toutes les autres parties constitutives d’un ordre, ne sauroit être assujettie aux proportions et au caractère qui le distinguent. Ce n’est guère alors que par son chapiteau et par sa base que la colonne de Londres peut se faire reconnoître, et il semble que ces deux objets, ainsi que ses cannelures, doivent la désigner comme appartenant à l’ordre dorique des Modernes.

Elle pose sur un piédestal de 37 à 38 pieds de haut et de 19 pieds 6 pouces en carré. La face principale est ornée d’un bas-relief en marbre, où la sculpture & représenté d’un côté la destruction des maisons parle feu, et de l’autre leur réédification. Diverses figures allégoriques enrichissent cette composition, au milieu de laquelle on voit le roi Charles II, auquel on présente le plan de la reconstruction de la ville. Aux quatre angles du socle en forme de congé qui termine par en haut le piédestal, sont sculptés quatre animaux qui sont des salamandres, emblèmes du feu. Le sût de la colonne a 14 pieds de diamètre.

Le tailloir qui termine le chapiteau supporte un corps circulaire, que surmonte un grand vase de bronze d’où sortent des flammes. L’intérieur de la colonne renferme un escalier en bois, composé de 345 marches de 9 à 10 pouces de large sur 5 à 6 pouces de haut.

Généralement l’exécution de l’ouvrage est large, correcte et de bon goût. Il ne manque encore à l’effet qu’on devroit recevoir de son ensemble, qu’une place en rapport avec la dimension d’un monument aussi colossal.

Un des plus remarquables édifices d’Oxford est dû au génie de Wren. C’est celui qu’on appelle le Théâtre, nom qu’on lui a donné, parce que d’un côté sa forme extérieure est circulaire, et aussi à cause de l’usage qu’on en fait pour les exercices littéraires de l’Université, et les réunions d’assemblées destinées au soutien des actes publics, quelquefois à l’exécution des concerts. Il fut commencé en 1669, aux dépens de Gilbert Sheldon, archevêque de l’Université d’Oxford.

Ce bâtiment, qui peut contenir, tant sur ses degrés que dans ses tribunes, quatre mille personnes, formeroit un ovale régulier, si le côté qui regarde la bibliothèque Boldeienne n’avoit été fait en ligne droite sur cette dernière face. Il présente à rez-de-chaussée un beau frontispice avec colonnes et pilastres d’ardre corinthien. De semblables pilastres, au nombre de quatre, supportent un fronton dans l’étage supérieur. La partie circulaire dont on a parlé, est en arcades au rez-de-chaussée, avec fenêtres carrées au-dessus. Une enceinte, circulaire aussi, sert de clôture à côté de l’édifice, et y produit une fort heureuse décoration. Sur un petit mur à hauteur d’appui, et bâti dans le même plan, c’est-à-dire circulairement, s’élèvent quatorze grands termes, que surmontent des bustes de philosophes d’une proportion colossale. Ces termes quadrangulaires sont engagés par leur partie inférieure dans le petit mur d’appui, sur lequel sont scellés des grilles qui s’étendent d’un terme à l’autre, et qui s’y appuient.

Parmi les monumens de Wren qui ont acquis de la célébrité, et qu’on se plaît encore aujourd’hui à vanter, comme une de ses productions les plus recommandables du côté de l’art et du goût, quoique l’œuvre soit d’une médiocre importance, on doit placer l’église de Saint-Etienne de Wallbrook. Elle mérite effectivement d’être citée, à Londres surtout, où, excepté l’église gothique de Westminster et celle de Saint-Paul, presque toutes les autres, quant à leur étendue, ne seroient ailleurs que de simples chapelles. Celle de Saint-Etienne se fait remarquer par l’élégance de sa nef à deux étages de colonnes et de pilastres d’ordre corinthien qui portent une voûte. La nef est accompagnée de bas-côtés. Il y a une croisée au centre de laquelle s’élève une petite coupole, dont la hauteur, en y comprenant celle de la lanterne, est de de 58 pieds. L’élévation de la tour, y compris sa balustrade, est de 70 pieds. Si l’on donne à cette église la part d’éloges qui lui est due, il faut toutefois faire remarquer l’admiration exagérée avec laquelle d’Argenville, sur la foi sans doute du petit-fils de Christophe Wren, avance qu’il n’y a pas en Italie un édifice moderne, qu’on puisse lui comparer pour le goût et les belles proportions.

Une autre église de Wren est citée parmi les plus remarquables de Londres, mais particulièrement pour sa tour, qui est la plus haute de la ville. Elle a plus de 200 pieds français d’élévation, et se compose de plusieurs étages diversement ornés d’architecture, qui se terminent par une flèche très-alongée, avec une grosse boule de bronze portant un dragon de même métal doré, d’environ 10 pieds de long.

On peut s’étonner qu’il n’ait point été fait de recueil gravé des édifices que cet architecte, dans le cours d’une longue vie, paroît avoir construits en divers lieux de l’Angleterre. On en est réduit à de simples mentions de son biographe, mentions insuffisantes pour faire juger de la valeur d’ouvrages qui, s’ils se sont conservés, auront dû éprouver plus d’un changement.

Pour ne rien omettre cependant de ce qui peut donner quelque idée de la féconde activité de Wren, nous citerons, parmi les nombreux travaux qui remplirent sa carrière :

La douane du port de Londres, ornée de deux ordres d’architecture. L’inférieur est eu colonnes toscanes, l’étage supérieur a des pilastres ioniques qui supportent des frontons. Du côté du couchant la façade, de 57 pieds français de long, offre des


galeries en arcades, soutenues par des colonnes. La longueur totale de l’édifice est de 180 pieds français.

Le palais royal de Winchester. Il est bâti sur la croupe d’une montagne extrêmement escarpée, et n’a point de jardin. Le roi Charles II avoit choisi cet emplacement pour la beauté de sa situation, et il vouloit qu il fût terminé dans l’espace d’une année : s’il eût été achevé, il auroit égalé les plus beaux palais de l’Europe. Du côté de la ville, il présente deux ailes de bâtiment séparées par une vaste cour. Un grand escalier conduit à une salle des gardes, qu’accompagnent seize pièces, tant à droite qu’à gauche. On rejette sur l’incommodité de l’emplacement et sur la précipitation de l’exécution le plus grand nombre des défauts qu’on reproche à cet ensemble.

Le palais épiscopal de Winchester. On le regarde comme une des meilleures productions de Wren.

La façade de l’appartement du roi à Hamptoncourt. C’est celle qui donne sur le parterre et sur la Tamise. Elle a 300 pieds. L’entrée du grand escalier qui conduit à l’appartement du roi, est sous un portique d’environ 90 pieds de long, formé par une colonnade ionique.

Le mausolée de la reine Marie à Westminster. Il a été exécuté sur les dessins de Wren.

L’hôpital de Chelsea, fondé pour les invalides de terre par Charles II, est on des édifices de Londres dont on admire également et la masse extérieure et la distribution interne.

L’hôpital de Grecuwich, pour les invalides de mer, fut commencé en 1699. Wren passe pour avoir coopéré à son exécution, et sans aucun émolument. Ce ne fut pas le seul ouvrage où, mu par le seul amour du bien public, il ait consacré gratuitement ses veilles, et donné des preuves de son désintéressement.

Nul architecte peut-être ne porta jamais cette qualité plus loin, et cependant il lui arriva une fois d’encourir le soupçon du défaut opposé. Tandis qu’il poussoit avec la plus grande activité les travaux de Saint-Paul, on répandit le bruit, qu’ayant de trop forts appointemens, il traînoit exprès l’ouvrage eu longueur. Un acte du parlement, daté de la neuvième année du roi Guillaume, ordonna la suspension par moitié de ses honoraires, jusqu’à ce que l’église fût achevée. Ces honoraires toutefois ne se montoient qu’à deux cents livres sterling par an. Wren supporta patiemment cette injustice, et ne répondit à la calomnie que par le silence.

Chargé d’innombrables travaux, occupé du soin de la construction des cinquante-une paroisses de Londres, car il étoit non-seulement le premier, mais peut-être, dans toute l’acception du mot, le seul architecte de son pays, Wren réunissoit au talent et à la science de son art, le caractère le plus propre au rôle qu’il étoit appelé à jour. La nature l’avoit doué d’une humeur égale, et d’une tranquillité d’ame qu’aucune sorte d’événement ne pouvoit altérer. Aussi étoit-il de ces hommes que rien ne peut détourner de leur but, dont rien ne peut ni déranger, ni retarder, ni accélérer la marche. On croit voir que sa valeur ne fut pas justement appréciée de son vivant ; et cela fut peut-être dû aussi, de sa part, à une modestie excessive, qui alloit jusqu’à la timidité. C’est une espèce de tort aux talens supérieurs, vis-à-vis surtout du grand nombre, c’est-à-dire des ignorans, que cette méfiance qu’ils ont d’eux-mêmes, et ce dédain de la louange, qu’ils cherchent plus à mériter qu’à obtenir. La médiocrité qui se vante, l’emportera toujours en renommée, éphémère à la vérité, sur le vrai talent, qui ne veut de la gloire qu’après le succès.

Soit indifférence pour les hommages contemporains, soit amour de la retraite, soit caprice de la fortune, qui aime à changer de favoris, Wren se survécut en quelque sorte à lui-même. Après avoir employé plus de cinquante années dans les travaux les plus pénibles et les plus honorables, il passa les derniers temps de sa longue vie, oublié de son pays, et comme travaillant à s’oublier lui-même. On ignore les raisons qui lui firent ôter en 1718, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, la charge de directeur-général des bâtimens du roi. Il prit le parti de se retirer à la campagne, où il ne s’occupa plus que de la lecture.

Wren avoit épousé Foy, fille du chevalier Thomas Coghill de Bleckington, dans le comté d’Oxford, dont il eut un fils nommé Christophe, comme lui. Devenu veuf peu de temps après, il épousa en secondes noces Jeanne, fille de mylord Fitz Williams. Il fut trois fois député au parlement.

Malgré les pronostics d’un tempérament délicat, et qui sembloit dans sa jeunesse disposé à la consomption, un régime de vie sage et réglé


l’a conduit jusqu’à l’âge de quatre-vingt-on ze ans Il fut enterré sous le dôme de Saint-Paul, privilège exclusif qui lui fut accordé, ainsi qu’à sa famille, pour honorer sa mémoire. Voici l’épitaphe qu’on lit sur sa pierre sépulcrale, et qui, comme on va le voir, remplace bien honorablement pour lui le luxe d’un mausolée.

Subtus conditur hujus ecclesiae et urbis conditor
Christophorus Wren. Qui vixit annos ultra nonaginta
Non sibi, sed bono publico.
Lector si monumentum requires
Circumspice.
Obiit 25 Feb. Anno 1723. AEtatis 91.

Wren ne fit rien imprimer lui-même de ses ouvrages. Quelques-uns de ceux qu’il avoit composés ont été publiés par d’autres. On cite de lui :

1°. Une relation de l’origine et des progrès de la manière défaire passer les liqueurs dans les vaisseaux du corps animal. Cette fusion ne diffère point de l’injection qui se fait dans les abcès, les ulcères, etc.

2°. Lex naturae de collisione corporum.

3°. Descriptio machinae ad terendas lentes hyperbolicas.

4°. Description de l’église cathédrale de Salisbury.

Tous ces ouvrages ont été insérés dans les Transactions philosophiques.

James Elme, architecte anglais, a publié, en 1823, des mémoires sur la vie et les ouvrages de sir Christophe Wren, 1 vol. in-4o.

Une vaste collection de ses plans et dessins a été achetée par le collége d’All-Souls, d’Oxford, et déposée dans fa bibliothèque, où l’on voit aussi son buste.

Son fils Christophe Wren, membre du parlement, mort en 1747, a recueilli sur sa famille des détails bibliographiques, qui ont été publiés en 1750, in-fol. avec des portraits.