Encyclopédie méthodique/Architecture/Tome 3/U

UNI

UNI. e, adjectif, participe du verbe.

UNIR, v. act. Ce mot, verbe ou adjectif, dans le langage des travaux de l’art, comme dans l’emploi qu’en sait te langage ordinaire, a deux significations, et exprime deux sortes d’effets, qui, lorsqu’on interroge jusqu’au fond, l’idée qui leur est propre, suriout par rapport aux opérations dépendantes des procédés des arts, nous semblent montrer avec plus d’évidence qu’ailleurs, que chacune de ces significations dérive d’une source commune.

Unir signifie donc d’abord, et principalement dans un grand nombre d’opérations des arts, joindre ensemble des objets divisés, donner un point de contact à des objets qui étoient dans un état d’isolement. Comme presque tous les ouvrages de la main de l’homme sont des assemblages de parties, on ne sauroit dire, sans sortir du domaine des travaux matériels et mécaniques, à combien d’ouvrages l’action d’unir donne l’existence.

Unir signifie dans une autre acception aplanir, rendre lisse, et l’on ne dira pas non plus à combien de travaux de la main on applique cette signification. On unit les bois, les pierres, les marbres, les métaux et beaucoup d’autres matières, par des procédés tendant à leur enlever les aspérités qui déroboient à l’œil l’effet du poli, dont elles sont susceptibles. On dit aussi d’un chemin, d’un terrain, qu’ils sont ou ne sont pas unis, lorsque des élévations, des scabrosités quelconques en interrompent l’unisson de superficie. Des qu’on fait disparoître ces monticules qui décomposoient le terrain, il est certain qu’on remet ensemble des parties qui étoient divisées. Le mot unir, dans la première signification, a donc pu convenir a l’opération qui empêche des parties de terrain de paroître divisées.

Comme l’application du mot unir, dans le sens de polir, n’a guère pu résulter de l’idée de donner un lieu à des parties divisées, et comme l’opération technique tend à faire disparoître d’une surface quelconque les petites élévations qu’y produit toute espèce de travail d’ébauche préparatoire, il me paroît beaucoup plus simple de penser que les ouvriers auront emprunté le mot unir, à l’opération mécanique aussi, qui fait disparoître les inégalités des terrains.

C’est en vue de celte dernière conséquence, que nous avons énoncé au commencement de cet article, l’opinion que l’une comme l’autre des acceptions du mot unir, pourroit remonter à une étymologie commune.


UNIFORME, ITÉ. s. f. La composition du mot uniforme ou uniformité, porte l’explication de sa signification élémentaire. Ce mot indique pour chaque objet, pour chaque ouvrage, une manière d’être, qui, ou dans son ensemble, présente une forme unique, ou dans ses parties, la répétition d’une seule et même manière.

Quoique le mot monotonie, par une composition tout-à-fait pareille en grec, semble indiquer, relativement aux sons, une idée entièrement parallèle, à l’idée d’uniformité par rapport aux formes, cependant il existe entre leurs acceptions, une assez grande différence. La plupart des mots se forment, se composent d’après une idée ordinairement simple. L’usage vient ensuite qui les emploie, saute d autres mots, à exprimer des idées au des modifications d’idées, qui n’ont plus un rapport exact avec leur sens primitif.

C’est ainsi que se sont diversement modifiés dans le langage, et dans l’esprit de ceux qui les emploient, les mots uniformité et monotonie. On doit dire que, monotonie, soit qu’on applique ce mot à l’art des sons, soit qu’on le transporte, par métaphore, aux autres arts, n’exprime jamais qu’un défaut, qu’un effet désagréable. Il n’en est pas de même du mot uniformité, de l’emploi qu’on en fuit sur beaucoup de points, de l’idée que l’usage lui attache en beaucoup de recontres.

Il n’y a personne qui ne sache que ce mot exprime même, dans un grand nombre d’occasions, une idée d’éloge. On s’en sert dans ce sens, lorsqu’à l’égard des personnes, on parle de l’uniformité de leur conduite et de leurs actions, avec leurs doctrines et leurs principes. De même au matériel et dans l’ordre des choses physiques, on louera l’uniformité d’un plan, d’une disposition de jardin, d’une place publique, d’une façade. C’est que l’idée d’uniformité, dans ces cas, participe de l’idée d’unité, qui se prend toujours en bonne part, et qui est une qualité principale de tous les ouvrages. (Voyez UNITÉ. ) Mais comme l’unité n’exclut point la variété, qu’au contraire, elle n’est une qualité complète, et complètement louable, qu’avec le tempérament qui lui donne toute sa valeur, il en arrive de même à l’uniformité. Elle cesse d’être agréable, et elle perd sa valeur, dès que l’esprit ou l’œil s’aperçoivent, que ce qui devroit être un lien nécessaire entre le tout et ses parties, une condition indispensable de la conformation de l’ouvrage, un résultat du besoin que l’on a de voir sans confusion, dégénère en un unisson, qui ôte jusqu’à l’envie de voir. Alors l’esprit et l’œil ne sont plus affectés que du sentiment pénible d’une répétition, ou inutile, ou excessive. L’uniformité devient ainsi un défaut.

Lorsque l’uniformité est un rapport d’égalité, entre des parties qui ont besoin d’être ainsi, pour produire l’effet d’un tout, elle est louable ; lorsqu’elle n’est qu’une redite sans objet des mêmes formes, des mêmes parties, où se répète sans sin le même motif, elle produit l’ennui, et dès-lors elle est un défaut.

Par exemple, dans le style, qu’un écrivain emploie la même tournure de phrase, la même forme de discours, les mêmes mots, si le besoin de fixer, par cette redite, l’attention se sait sentir, si ce retour au même moyen a pour objet de produire une impression plus profonde, cette uniformité dans ces cas non-seulement est admissible, elle est encore une beauté. Elle devient un vice lorsqu’elle est le résultat évident de la stérilité de l’auteur, du manque d’idées, et de la pauvreté des ressources.

De même en architecture, il y a une certaine uniformité particulière à cet art, qui est tenu de n’employer dans ses compositions qu’un assez petit nombre de caractères, tels que colonnes, chapiteaux, et autres membres, dont le répétition est élémentairement nécessaire. S’il en usoit autrement, dans tout édifice ou toute portion d’édifice, qui constitue à elle seule un tout, l’architecte ne produiroit plus l’idée d’unité et de variété, mais celle de multiplicité ; il ne seroit point de variété, mais de la bigarrure, L’uniformité dans certains cas, non-seulement y est un agrément, elle y est un besoin.

Mais suivra-t-il delà que, dans d’autres emplois, appliqués à des édifices, dont la diversité intérieure est une obligation, tel qu’un vaste palais, considéré dans sa disposition extérieure, et dans sa distribution intérieure, l’art de l’architecture soit tenu de n’avoir pour chaque corps séparé, qu’un seul dessin, pour chaque partie détachée, qu’une seule ordonnance ? Non sans doute. Il y aura dans cet édifice des membres, qui, mis en regard les uns avec les autres, comme les façades d’une grande cour intérieure, exigeront un rapport de symétrie générale, et l’uniformité des mêmes lignes qui composeront leur masse. Toutefois plus d’une variété pourra s’introduire dans les détails d’un ensemble du reste uniforme. A plus sorte raison l’architecte sera-t-il libre de manquer à l’uniformité dans les cours séparées, d’un même palais, dans les parties d’un grand corps, que le même point de vue ne rapproche pas.

A cet égard, il est même permis de dire que l’observance inviolable de l’uniformité la plus complète, appliquée à ce dernier cas, bien qu’elle procède d’un bon principe, et qu’on ne puisse point, au fond, en faire un reproche à l’architecte, est cependant susceptible de produire


une impression, propre à nous apprendre qu’il peut y avoir (pour le goût) quelque excès jusque dans le bien, et sur ce point le goût pourroit aussi se prévaloir de plus d’un jugement semblable en sait de morale.

Je veux donner de ceci un exemple, dans le grand et magnifique palais du roi de Naples bâti a Caserte par Van-Vitelli. De tous les palais connus (on parle des plus grands), il n’en est aucun qui approche de celui de Caserte, et qui puisse lui être comparé pour la grandeur de la masse, l’unité de plan, la symétrie de toutes ses façades, et l’uniformité d’ordonnance, d’aspect, d’ensemble, de parties et de détails. Cette uniformité produit la plus parfaite ressemblance entre chacune des quatre grandes cours intérieures, que divise, comme si elles étoient indépendantes l’une de l’autre, le plan ingénieux en forme de croix qu’a suivi l’architecte. Il n’y a personne qui n’éprouve en parcourant ce vaste plan, an rez-de-chaussée, l’espèce de désagrément que produit une complète identité, et ensuite celui d’une redite inutile et fatigante pour l’œil comme pour l’esprit. Cependant Van-Vitelli, quoique observateur aussi scrupuleux de l’uniformité s’est permis d’orner de colonnes et de pilastres, la façade principale de son palais qui est du côté des jardins, quoique les autres soient privées de celle décoration ; et certes personne ne trouvera là un défaut d’uniformité.

A plus forte raison l’architecte est-il libre de s’éloigner de l’uniformité, dans la distribution intérieure de toutes les pièces, dont se composera l’ensemble d’un grand palais. Il ne s’astreindra pas à les faire toutes sur un plan toujours semblable. Au contraire il se plaira à y produire et l’un aimera à y rencontrer, en les parcourant, une diversité de lignes et de contours. Un grand appartement offrira une succession de pièces, de salles, de cabinets, de galeries, où, sans affectation, se trouveront toutes les variétés de dimension, de conformation, où les formes circulaires, succéderont aux formes quadrangulaires et polygones.

Il en sera de même des élévations de toutes les divisions intérieures. Certes rien ne seroit plus fastidieux que la continuelle répétition dans chacune de ces parties, du même ordre, des mêmes profils, des mêmes motifs de décoration.

L’architecte, à l’extérieur d’un grand nombre d’édifices, a soin également de corriger ce que l’uniformité exige de similitude, de symétrie, et de régularité dans les rapports principaux, par des détails qui diversifient l’aspect, sans altérer le principe d’unité. Il seroit ridicule que les fenêtres d’un palais ne sussent pas ordonnées sur une ligne parallèle, n’offrissent point des intervalles égaux, ne sussent pas soumises à un genre d’ornemens semblables. Cependant on voit avec plaisir et dans les plus beaux édifices, des plus grandi maîtres, les fenêtres d’un même étage alterner entr’elles par des chambranles égaux de forme et de proportion, mais couronnés les uns par des frontons triangulaires, les autres par des frontons circulaires.

L’extérieur d’un édifice comporte souvent l’application de plusieurs ordres de colonnes ou de pilastres, surimposés les uns aux autres. On voit de ces devantures, où l’on s’est plu à répéter dans la décoration des étages le même ordre. C’est là sans doute de l’uniformité. Mais comme aucune nécessité, aucun besoin apparent n’a prescrit cette répétition, le spectateur ne saura aucun gré à l’architecte, d’une redite qui le force de voir trois fois la même chose, dans une élévation, laquelle, par le rapprochement de trois ordres, auroit pu lui faire éprouver avec trois impressions différentes, le plaisir de la comparaison, que des variétés de proportions, de style et de détails l’auroient mis à porté de faire.

Généralement on ne se rend pas assez compte des causes du plaisir que nous procure l’architecture surtout. Cet art est un composé de rapports. Le génie, dans cet art, est de trouver et de fixer les rapports les plus agréables, et de faire sortir leur agrément du besoin même auquel il est avant tout subordonné. Méconnoître le besoin, comme principe premier du plaisir en architecture, c’est méconnoître l’essence de cet art. De là résulte le double abus qui se présente et à ceux qui l’exercent et à ceux qui en jugent. Si vous faites par trop prédominer dans le système de l’art de bâtir, le besoin sur le plaisir, vous pouvez aller jusqu’à détruire toute impression, tout sentiment de plaisir. D’une prétendue unité trop matériellement entendue, vous tombez dans l’uniformité, et nécessairement dans son excès, savoir : l’ unisson et la monotonie. Pour vouloir que tout y soit raisonnement, on ira jusqu’à en bannir la raison ; car c’est une véritable déraison, de prétendre que l’architecture n’ait plus ni rapports variés, ni diversités de proportions, de formes, d’ornemens, et que l’œil comme l’esprit, n’y trouve plus rien à quoi se prendre, rien à comparer, rien à imaginer. Si d’autre part on donne au plaisir de la variété trop d’empire sur la raison du besoin, l’art, devenu indépendant de toute règle et de toute convention, se précipite dans les champs illimités du caprice et du désordre. Lorsque l’excès de l’uniformité prive notre œil et notre esprit du plaisir de comparer, parce que l’unisson y a détruit toute matière de comparaison, il arrive par l’excès contraire du désordre, que l’œil et l’esprit se trouvent également privés de toute action, sur l’appréciation de rapports qui, nés du hasard, ne présentent que l’image de la confusion ou d’un jeu sans règle.

De tout ceci, il doit résulter qu’en architecture, cet art, qui peut-être est de sa nature, soumis plus qu’aucun autre à l’ uniformité, ce qu’on


appelle ainsi y deviendra mérite ou défaut, selon l’application qu’on en sera aux parties qui en sont plus ou moins susceptibles, selon la mesure en plus ou moins, que la raison et le goût sauront ou ne sauront point y porter ; qu’enfin si l’uniformité participe, jusqu’à un certain point, de l’unité avec laquelle il ne faut pas la confondre, ce ne peut être qu’avec le tempérament de la variété, sans laquelle l’unité elle-même cesseroit d’être la première de toutes les qualités dans les beaux-arts.

UNITÉ, s. f. Cette qualité n’est en quelque sorte la première dans tous les ouvrages de l’art, c’est-à-dire le fondement de toutes les autres, que parce qu’elle est la plus nécessaire. Elle n’est la plus nécessaire, que parce que son principe et ses effets tiennent essentiellement à la nature de notre être, et dépendent de nos facultés, autrement dit, des moyens que nous avons de concevoir l’idée des objets, d’en recevoir ou d’en retenir les images, d’en juger et d’eu goûter les impressions.

L’unité n’est la condition principale de tout ouvrage, que parce qu’elle a son principe dans l’unité même de notre ame.

Or, cette unité de notre ame est une de ces vérités de sait, tout autant que de théorie, dont nous trouvons en nous la plus facile démonstration. Elle se révèle et se manifeste à tout instant par cette unitéd’action, dont les plus simples rapports que nous sont à tout moment nos sens, nous donnent sans cesse la preuve.

Ainsi, par exemple, chacun de nos sens nous dit qu’il ne peut recevoir également les impressions simultanées de plusieurs objets à la fois. Dans le fait, chacun le sait pour en avoir fait l’expérience ; ni deux de nos sens ne peuvent être activement occupés ensemble et tout à la fois, ni un seul ne peut être fortement affecté, dans un même moment, par plus d’une sensation. On a dit activement etfortement parce qu’à la vérité, chacun de nos sens est doué d’une faculté active, et d’une passive ; et c’est ainsi, c’est par l’effet de cette double vertu, que l’on voit conjointement deux objets séparés l’un de l’autre. Oui ; mais il y a une grande différence de vision pour chacun d’eux. Il n’y a d’intuition que pour l’un des deux. Je n’en peux regarder qu’an à la sois. Je puis entendre plusieurs chants, plusieurs discours simultanément ; mais je n’en peux écouler qu’un seul. Il y a pareille différence d’action et de signification, entre ce qu’on appelle sentir. et ce qu’on appelle odorer, entre ce qu’on appelle toucher, et ce qu’on appelle palper.

Là, comme on le voit, réside le principe de l’essence de l’unité, et de sa nécessité dans les ouvrages des arts et de l’imitation. Car il faut appeler nécessité, dans les arts, le besoin qu’ils ont de plaire, la condition sans laquelle, ou ils ne produiront point d’impressions, ou n’en produisent, que de vagues, confuses et compliquées. Il est dès-lors évident, que le premier besoin de l’ame pour jouir, des ouvrages de l’art, est d’en recevoir clairement les impressions, d’en discerner facilement l’ensemble elles rapports, et de juger sans embarras du but et des moyens employés pour lui plaire. Or, pour être ainsi affectée, l’ame ne veut être ni embarrassée, ni détournée par une complication difficile d’objets, ni distraite par une diversité d’impressions fugitives, qui ne pourroient s’adresser dans leur concours intempestif, qu’à la propriété passive de nos sens et non à leur faculté active.

Tout ce qui tend à nous prouver l’unité d’action de notre ame, dans le jugement ou la jouissance des ouvrages qu’on lui soumet ; tout ce qui démontre l’impossibilité physique où elle est de se diviser, pour donner également audience à deux sensations concurrentes, tend également à prouver le besoin l’unité dans les ouvrages de l’art, c’est-à-dire que tout ouvrage doit être conçu, composé, exécuté selon le principe de l’unité.

Or, ce qu’il faut d’abord bien comprendre, c’est quel est le sens à donnera à ce mot, et quel est l’esprit de l’unité dont il s’agit ici. Il est peu nécessaire, ce me semble, d’avertir que ce mot ne doit pas être pris dans un sens matériel ou arithmétique (ce qui serait un non sens), ni qu’il saille se figurer par l’unité, l’absence de parties dans l’objet réputé un. Au contraire, c’est précisément des parties mêmes, que comporte l’ouvrage, que résultera le mérite de l’unité, en sorte que ce mérite y sera d’autant plus grand, qu’il y aura un plus grand nombre de parties.

Il en est de l’unité, entre les parties dont un ouvrage se composera, comme de ce qu’on appelle l’unité d’action, dans une multitude de faits et de circonstances. L’unité d’action n’est pas l’action individuelle, l’action d’un seul, au contraire, c’est une action collective, quel que soit le nombre de ceux qui y participent, mais qui, par un concours bien réglé, produit un tel effet, qu’elle pareil n’être que l’action d’un seul. De même, à l’égard des êtres ou des corps organisés, l’unité ne consistera point dans l’uniformité d’action de chaque partie, mais au contraire dans une diversité de leurs emplois, diversité soumise à un principe moteur, qui fait concourir à un même but les fonctions différentes de chaque membre ou de chaque organe.

Ainsi, dans les ouvrages de tous les arts, l’unité n’est ni cette uniformité de formes, de faits, de situations, ni cette identité de personnages, d’objets, d’actions, de langage, de figures, de physionomies, d’aspects, qui ne seroit autre chose que de l’unisson. Un nombreux assemblage de figures sur une seule ligne, sous un même ni-


veau, les unes à côté des autres, présenteroit des personnages rapprochéssans être unis ; et une telle composition seroit précisément la plus éloignée de l’unité entendue moralement, parce qu’elle se borneroit à l’unité en quelque sorte matérielle et arithmétique. Elle o’auroit point de véritable unité, parce qu’elle n’offriroit véritablement point de parties, puisqu’elle ne donneroit, dans l’esprit et dans le sait de la composition, qu’une multitude d’individualités, ou des redites d’un seul et même motif. Ajoutons que, relativement au but principal de l’art, qui est de plaire à l’ame par les impressions qu’il lui sait éprouver, par l’action qu’il lui procure, le but est manqué, puisqu’il ne résulte de là, pour l’ame, que le dégoût qui accompagne la monotonie, ou le néant d’esset et d’action.

La multiplicité ou la complication d’objets est, comme on l’a déjà sait entendre, un autre moyen, quoique par un sens inverse, de détruire l’unité dans l’ouvrage de l’art. Il n’y a personne qui ne soit forcé, par le seul instinct du vrai, d’avouer que l’unité seroit violée là où, dans un seul et même ouvrage, plusieurs arts se députeraient et la conception, et la composition, et le procédé d’exécution, en empiétant sur le domaine l’un de l’autre ; que l’unité seroit violée, si deux sujets de composition occupoient le même tableau, s’il y avait plus d’un point de vue dans la perspective, si le même personnage, dans un drame, avoit plus d’un caractère, si un poème reposoit sur plus d’un événement principal. Tout le monde comprend que l’ame alors se trouve dans la situation pénible d’avoir à entendre à plusieurs à la fois ; que, partagée entre des situations et des sensations qui se disputent son intérêt, elle ne reçoit plus que des impressions rompues et incohérentes ; qu’obligée de passer plus ou moins promptement d’un objet à l’autre, elle n’en peut éprouver ni des effets entiers, ni une sensation complète. C’est là un effet que chacun éprouve dans ces collections de tableaux qui, se pressant les uns contre les autres, ne nous permettent d’être affectés fortement d’aucun, parce que l’attention s’y divise, comme elle le sait, sur tous ceux qui composent une soule, où l’on ne regarde personne, parce qu’on voit tout le mond

Qu’est-ce donc maintenant que l’unité, entendue comme principe moral de la perfection des ouvrages de l’art, et comme cause active de leurs effets, ainsi que du plaisir que l’ame y trouve ? Nous croyons pouvoir dire que l’unité est le lien qui produit un tout, c’est-à-dire l’accord des parties entr’elles et avec l’ensemble ; que son objet est de faire que tous les détails et tous les accessoires de l’ouvrage puissent être ramenés et coordonnés à un peint, qui en devienne en quelque sorte le centre ; que son action consiste particulièrement à opérer entre tous les objets, une combinaison qui soit et qui paroisse nécessaire, combinaison telle qu’on ne puisse rien en détacher, ni rien y ajouter.

Telle est effectivement la propriété de cette qualité, qu’elle nous force à opérer aussi en nous, la représentation des objets les plus nombreux, non comme isolés, mais comme dépendant les uns des autres, qu’elle nous empêche de regarder une partie, comme quelque chose d’entier et de complet.

L’objet principal de l’unité, quand l’artiste la produit dans un ouvrage, est de ne nous donner rien à y désirer, rien à en retrancher. L’unité, ou son effet, peut manquer à l’ouvrage de deux manières, ou par l’absence de ce qui lui est nécessaire, ou par la présence de ce qui est superflu. L’unité disparoîtra, ou lorsque l’ouvrage manquera de quelques-unes des parties qui peuvent faire juger de sa nature et de ce qui doit le constituer, ou lorsqu’il y aura dans l’ouvrage des parties étrangères à ce qui constitue sa nature propre.

En effet, la nature d’un objet est, à proprement parler, le fondement et la base de son unité, parce que c’est réellement dans sa nature, que se découvre la raison pour laquelle chaque partie s’y trouve, et occupe la place qu’elle doit avoir, et parce que la nature de cet objet seroit autre, si quelqu’une de ces parties, ou n’existait pas, ou y existoit autrement.

Ainsi, lorsqu’on charge un architecte de construire un édifice, son premier soin doit être de se faire une idée claire et précise de sa nature et de sa destination. Ensuite il en inventera et disposera les différentes parties, de manière que de leur réunion résulte un bâtiment qui soit précisément ce qu’il doit être. Ainsi, l’unité fondamentale d’un tableau résultera, avant tout, de l’idée nette et précise du sujet à représenter, idée qui forme sa nature, et ensuite des rapports nécessaires de chaque partie, de chaque figure, de chaque accessoire avec cette idée.

Toutes les sois que nous ne pouvons pas nous faire, dans un objet, la moindre idée de son unité, lorsque nous ne sentons pas, comment les parties diverses que nous avons sous les yeux, ou que l’on présente à notre esprit, peuvent convenir entr’elles et former un ensemble, ces parlies isolées, vues ou appréciées isolément, pourront bien nous faire du plaisir ; mais l’objet vu ou apprécié dans son entier ne pourra nous en procurer. Il s’ensuit que chaque portion séparée, dans un ouvrage, lorsqu’elle ne convient pas à l’idée d’ensemble, et lorsqu’elle n’a aucune liaison avec les autres, est par conséquent opposée à l’unité, et dès-lors est une imperfection qui doit déplaire.

Or, nous avons dit que ce désaccord des parties, on de quelqu’une des parties avec l’ensemble, peut contredire la nature d’un objet et en rompre l’unité, soit comme manquante, soit


comme superflue, comme y étant de trop, on de trop peu. Tout le monde comprend, en effet, que dans un discours sur un sujet donné, par exemple, toute narration, toute discussion étrangère à ce sujet, en détournant l’esprit de l’auditeur de ce qui doit être son but, détruira l’unité, tout autant que le pourroit faire, le manque d’un des points importans à la nature et au complément, de ce que l’orateur veut prouver ou démontrer. Des épisodes trop fréquens dans un poème, ou trop étrangers au fond du sujet ; des personnages parasites dans un drame, des figures qu’on appelle de remplissage dans la composition d’un tableau, des répétitions de membres inutiles dans l’ordonnance d’un édifice, violent, par leur redondance, la nature, et dès-lors l’unité fondamentale de l’ouvrage, tout autant que pourroient le faire des omissions, des lacunes, ou l’absence des parties nécessaires qui devroient le constituer.

Lors donc que, dans ce que nous voyons représenté, il y a l’une ou l’autre de ces deux manières de contredire l’unité, nous sommes nécessairement affectés d’un sentiment pénible et désagréable. L’artiste qui veut exécuter un ouvrage parfait, doit avoir toujours présente à l’esprit, cette maxime recommandée de tous temps à l’orateur : de dire tout ce qu’il faut, et de ne dire que ce qu’il faut. Ce qui est recommandé en pratique à l’artiste, doit être, en théorie, également nécessaire dans l’application des jugement qu’on porte de ses ouvrages. Si on ne connoît pas bien ce qui forme la nature de chaque ouvrage, on ignore élémentairement les lois de leur unité, et on ne pourra jamais en connoître ni en sentir la perfection. Voilà pourquoi il se trouve tant de divergence dans les jugemens qu’on en porte. On verra sauvent des personnes admirer la beauté d’un discours, au d’une pièce de théâtre, ou d’une peinture, parce qu’elles ont été frappées du mérite de quelques passages, de quelques situations, de quelques détails, tandis que ces mêmes ouvrages sont sur d’autres une impression désagréable. C’est que les premiers ne savent voir que des parties dans le tout, et les seconds ne veulent voir que le tout, par et dans ses parties. Or, le plaisir des uns est, à proprement parler, d’instinct et à la portée du grand nombre, tandis que le plaisir des autres n’est à la perlée que de ceux dont les sens ont été perfectionnés par l’étude et par la science.

Il est, comme on le voit, beaucoup plus facile d’analyser l’idée de l’unité, dans les beaux-arts, que d’en développer les notions principales, de montrer en quoi elle consiste, ce qui la produit et ce qui la détruit, que d’enseigner les moyens pratiques de la mettre en œuvre. Tel est le sort des idées et des notions abstraites, qu’elles ne peuvent guère s’adresser qu’au sentiment. Rien donc ne seroit plus difficile que d’enseigner didactiquement à l’artiste, les moyens de mettre en œuvre les préceptes de la théorie à cet égard. L’unité étant, si nous l’avons bien définie, et de la seule manière qui convienne à une définition (c’est-à-dire en renfermant le plus de notions dans le moindre nombre de mots), l’unité étant, disonsnous, le lien qui unit et ramène à un seul point toutes les parties d’un ouvrage, et les coordonne tellement qu’on ne puisse y rien ajouter, rien en détacher, il nous semble que l’artiste ne trouvera le secret de ce lien moral et intellectuel, qu’en ayant toujours bien présent à l’esprit, et en discernant bien, ce qui, en chaque genre, constitue la nature propre de l’objet ou du sujet sur lequel il s’exerce, et en se rendant bien compte, de ce qui d’une part est nécessaire, et de l’autre, de ce qui est inutile à son développement et à son effet, dans toutes les parties qui pourront y entrer.

On comprend que la théorie abstraite de l’unité, parviendroit à une beaucoup plus grande clarté, si l’on pouvoit en faire, par des exemples pratiques, les applications particulières à tous les cas, à toutes les circonstances particulières, à tous les faits secondaires qui, dans chacune des divisions techniques de chaque art, comporteroient des observations variées, quoique dépendantes d’un même principe. Il n’y auroit peut-être pas de sujet plus étendu, et plus hors de mesure avec l’espace d’un article de dictionnaire ; ce seroit la matière d’un vaste ouvrage.

Dans le fait, le mérite complet de l’unité résultera dans chaque ouvrage d’un art, comme dans l’art même, de l’observation de plusieurs unités, qu’on pourroit, théoriquement parlant, regarder comme secondaires. Dans l’ouvrage du peintre, par exemple, on pourroit compter, outre l’unité première de la conception, l’unité de composition, l’unité d’action, l’unité de goût et de style, l’unité de formes ou de dessin l’unité d’ajustement, l’unité de caractère, l’unité de couleur, l’unité d’exécution. C’est bien sans doute de l’ensemble plus ou moins complet de toutes ces unités, que procédera l’effet plus ou moins sensible de cette unité abstraite, qualité générale qui produit, entre les parties, cette heureuse liaison qui en fait un tout. Mais que d’observations de détail n’exigeroit pas l’analyse de tous les moyens et procédés, par lesquels chacune de ces unités se trouve produite, et de tous les défauts qui s’opposent à ce qu’elle se produise !

En ramenant ces notions à l’art de l’architecture, à peine nous permettrons-nous d’effleurer la théorie pratique des moyens propres à produire dans les ouvrages de cet art, les différentes sortes d’unitéspartielles, d’où résulte l’unité générale d’un édifice, et que nous appellerons :

Unité de système et de principe.
Unité de conception et de composition.
Unité de plan.
Unité d’élévation.


Unité de décoration et d’ornement.
Unité de style et de goût.

De l’unité de système et de principe. On appelle ainsi celle qui consiste, à ne point confondre dans le même édifice certaines diversités, qui sont le produit, chez différentes nations, d’un principe originaire particulier, et de types formés sur des modèles sans rapport entr’eux. On ne sauroit mieux faire comprendre cette unité de système ou de type, que par les exemples trop fréquens de parties restaurées ou rajoutées à des édifices gothiques, selon le système et les types de l’architecture grecque. Rien ne peut mieux donner l’idée contraire à l’unité, c’est-à-dire celle de la duplicité, ou de deux édifices en un. Mais sans aller jusqu’à un excès aussi frappant, on sait qu’il y a un grand nombre de pratiques introduites dans l’art de bâtir, qui offrent de ces contradictions de systèmes et de principes. Telle est celle qui doit sa naissance à la destruction même des monumens antiques dans le bas Empire, je veux parler des arcades élevées sur des colonnes isolées, genre de dissonance, dont le système de l’architecture grecque sait sentir tout l’abus. L’unité ne sauroit être, en sait de principe, plus sensiblement violée, que par un mélange présentant sur un même point, l’emploi de deux manières de bâtir, qui s’excluent. C’est pécher contre l’unité de système, que d’associer des arcs aigus aux ordonnances grecques ; que de placer des chapiteaux d’un ordre sur des colonnes d’un autre ordre ; que de multiplier les frontons, là où il ne peut y avoir qu’un seul comble ; que d’établir plusieurs étages de colonnes, d’entablemens, et par conséquent de planchers, au-dehors d’un édifice qui n’a point d’étage dans son intérieur, etc.

De l’unité de conception et de composition. C’est de la conception d’un monument que dépend cette unité d’intention et de vues, qui doit devenir le lien commun de toutes les parties. Aussi saut-il qu’un monument émane d’une seule intelligence, qui en combine l’ensemble, de telle manière, qu’on ne puisse, sans en altérer l’accord, ni en rien retrancher, ni rien y ajouter, ni rien y changer. C’est de cette pensée première, que dépendra l’unité de sa composition. Un très-grand nombre d’édifices, et des plus célèbres, nous découvrent la vue originaire de leur création. Formés d’abord sur un autre plan, pour une autre destination, de nouvelles vues en ordonnent l’augmentation, soit par de nouveaux architectes, soit à des époques successives. Un édifice devient alors un amalgame d’additions, ou de modifications, au milieu desquelles disparoît jusqu’à la trace de l’intention première, et par conséquent l’idée d’une liaison propre à soumettre ses parties à la loi de l’unité. On ne sauroit peut-être citer aucun exemple plus frappant du manque d’unité, dans la conception et la composition, que le palais des Tuileries à Paris, ouvrage d’un fort grand nombre d’architectes, qui surent occupes pendant une longue suite d’années, à faire, défaire et refaire, en sorte qu’avec peine y découvre-t-on aujourd’hui la conception du premier auteur. Aussi nul monument au lieu d’unité, ne donne-t-il plus l’idée de pluralité de morceaux réunis. Un exemple tout-à-fait opposé, est celui que nous avons déjà cité à l’article UNIFORMITÉ (voyez ce mot) du grand palais de Caserte, conçu, composé, exécuté et terminé dans un court espace de temps par le même architecte.

De l’unité de plan. Le plan d’un édifice, étant la base et le principe essentiel de sa constitution, c’est de cette unité, que procédera, plus qu’on ne peut le dire, l’effet de la liaison, ou de l’accord du tout avec ses parties, de cette grande raison d’ordre et d’harmonie, par quoi ou peut définir l’unité et eu rendre les préceptes sensibles. Le plan déterminant les masses extérieures, comme les distributions intérieures, le principe de son unité reposera d’abord, sur l’idée la plus claire qu’il sera possible, de la nature de l’édifice, c’est-à-dire de la raison pour laquelle chaque partie s’y devra trouver, et de la raison de ses rapports avec le tout. Voilà pour ce qui regarde l’unité de-plan, considérée dans le sens d’une théorie abstraite. Sous le rapport, plus particulièrement pratique, des combinaisons d’un plan, dans la vue de plaire à l’esprit et aux yeux, l’unité résultera d’abord de l’emploi des lignes simples, des contours réguliers, et d’une correspondance de parties faciles à saisir. La symétrie est généralement un mérite et un agrément dans un plan, par la raison qu’elle offre plus que toute autre combinaison, l’idée d’un tout achevé et complet, et qu’elle simplifie singulièrement le travail de l’esprit, qui cherche à se rendre raison des conceptions de l’architecte. L’unité toutefois n’est pas blessée par certaines dispositions qui tendent a mettre en opposition des formes différentes, et des contours divers. L’unité qui a besoin de variété s’accommode de certains contrastes dans un plan, autant qu’elle repousse cette affectation de parties rompues, de contours mixtilignes, qui semblent n’avoir été sous le crayon du dessinateur, qu’un jeu fantastique, dont le bon sens et le bon goût doivent reléguer l’abus puéril, parmi les fantaisies sans conséquence, qu’imagine le luxe mercantile pour diversifier ses produits.

De l’unité d’élévation. Ce qui constitue particulièrement dans l’architecture l’unité d’élévation, c’est d’abord une telle correspondance de l’extérieur de sa masse avec l’intérieur, que l’œil et l’esprit y aperçoivent le principe d’ordre et la liaison nécessaire, qui en ont déterminé la manière d’être. Le but principal d’une façade ou élévation de bâtiment, n’est pas d’offrir des combinaisons ou des compartimens de formes qui amusent les yeux. Là, comme ailleurs, le plaisir de la vue, s’il ne procède pas d’un besoin, ou d’une raison


d’utilité, loin d’être une source de mérite et de beauté, est tout au moins un brillant défaut. Mais là, comme ailleurs, le plus grand nombre se méprend en transposant les idées, c’est-à-dire en subordonnant le besoin au plaisir. De là cette multitude d’élévations d’édifices, dont les formes, les combinaisons, les dispositions, les ordonnances, les ornemens contre-disent le principe d’unité fondée sur la nature propre de chaque chose. Ce qui importe donc à l’unité dont nous parlons, ce n’est pas qu’une élévation ait plus ou moins de parties, plus du moins d’ornemens, c’est qu’elle soit telle que la veulent le genre, la nature et la destination de l’édifice ; c’est qu’elle corresponde aux raisons, sujétions et besoins, qui ont ordonné de sa disposition intérieure ; c’est que l’extérieur de cet édifice soit uni par le lien visible de l’unité, à la manière d’être que les besoins du dedans auront commandée.

Que s’il s’agit ensuite d’examiner les effets de l’unité d’élévation, sous le rapport d’agrément ou du plaisir qu’on trouve à un ensemble décoratif, il semble qu’on peut avancer, que ces effets seront causés principalement par l’emploi d’un seul ordre de colonnes, s’il y a lieu, par un espacement égal de ces colonnes, par leur position sur une seule ligne, sans ressaut, ni arrière ou avant-corps. Si l’édifice est à plusieurs étages, comme un palais, on satisfera beaucoup mieux à l’unité d’élévation, en subordonnant chaque étage à une seule et même disposition d’ouvertures, à une répartition de pleins et de vides, telle que le plein l’emporte sur le vide, en ménageant de grands espaces entre les étages, en soumettant la masse totale à une ligne uniforme d’entablement, en y produisant le moins de divisions qu’il sera possible.

Généralement l’unité morale dans l’élévation des édifices, participe plus qu’aucune autre, peut-être, de celle qu’on peut appeler unité matérielle ou arithmétique. C’est qu’il n’y a peut-être point d’art, plus exposé que l’architecture, à des cumulations d’objets, à des redites de formes, à des multiplicités de besoins et d’emplois, qui tendent à introduire dans les compositions, l’idée, l’apparence, et, il saut le dire, souvent aussi, la réalité, de ce qu’on peut appeler ou duplicité ou pluralité d’objets dans un même objet, d’élévations dans une même élévation. Telle est évidemment la condition, en quelque sorte obligée, des élévations d’églises, sur les nefs desquelles on voit au-dessus des combles et des frontons qui devroient terminer l’édifice, un nouvel édifice sans rapport de formes et quelquefois de proportions, avec celui qu’il surmonte. On sent que je veux parler du plus grand nombre des églises a coupoles. Non qu’un veuille prétendre qu’il n’y a aucun moyen de soumettre au principe moral de l’unité, cette double élévation, ni qu’on croie ce problème insoluble ; au contraire, la grande basilique de Saint-Pierre à Rome, nous paroît celle qui a le plus approchée de cette solution. Elle est très-certainement celle ou règne le plus de cette unité de masse et d’ordonnance, qui produit pour l’œil comme pour l’esprit, le moins de disparate entre les deux élévations. Toutefois la plupart des autres relises du même genre, me paroissent ce qu’il y a de plus propre à démontrer en quoi consiste le manque d’unité dans un édifice, et surtout dans son élévation.

De l’unité de décoration et d’ornement. Ce qu’on appelle décoration ou ornement, dans l’architecture, en est la partie nécessairement la plus arbitraire, la moins soumise à des règles fixes, celle par conséquent qui semble devoir échapper le plus aux lois théoriques ou pratiques de l’unité. Cependant telle est la nature de l’unité moralement entendue, et définie de la manière qu’on l’a fait, qu’il n’existe rien dans le domaine de la nature, et dans celui des arts ses imitateurs, à quoi on ne puisse appliquer les conséquences d’un principe qui, en tant que principe d’ordre, doit régler toutes les combinaisons, toutes les inventions de l’esprit. Or c’est parce que la décoration, de sa nature, repose sur des élémens plus fugitifs, qu’il importe davantage de la préserver du désordre qui en détruit l’effet. C’est donc à l’unité qu’il saut ramener ses compositions, toutefois dans une mesure qui lui soit applicable.

La décoration, comme toute autre partie de l’architecture, doit éprouver pour premier besoin celui de plaire, puisque c’est là son premier objet et son but essentiel. Or soit que le génie décoratif emploie dans les édifices, les grandes ressources de la peinture et de la sculpture historique ou poétique, soit qu’il se contente d’en user en caractères graphiques, si l’on peut dire, qui, sous le nom d’ornement, peuvent être introduits sur toutes sortes de membres et de parties courantes de l’ordonnance générale, il n’est pas difficile de voir comment ces ouvrages se trouveront soumis eux-mêmes aux deux conditions de l’unité. La première est celle qui établira leur liaison avec leur sujet, et avec l’ensemble où ils doivent trouver place ; la seconde, plus particulière à l’exécution, leur sera commune avec tous les autres ouvrages de l’art.

Sous le premier de ces rapports l’unité décorative consistera, avant tout, dans le choix des sujets analogues à la destination de l’édifice. L’historie et l’allégorie ouvrent au génie de la décoration des sources inépuisables d’inventions et de compositions, propres à caractériser le monument et à compléter son harmonie. Cette harmonie consistera dans une juste combinaison, et un accord avec les superficies et les emplacemens, tel que le corps même de l’architecture ne disparoisse point sous les accessoires, que ses membres n’en soient ni altérés ni rompus, que ce qui doit simplement l’orner, ne la cache point. Cette


unité d’harmonie consistera encore dans un emploi tellement modéré, tellement bien entendu des moyens de décoration, qu’une succession de parties ornées et de parties lisses, établira entre les uns et les autres, des transitions qui en seront valoir l’effet. L’excès de décoration en détruit l’impression, et l’unité morale s’en trouve également annulée, parce qu’étant, en ce genre comme en tout autre, une liaison entre des rapports, il n’y a plus lieu à cette liaison, dès que toute idée de rapport el par conséquent d’accord à disparu.

Quant à l’unité spéciale de toute décoration, considérée en elle-même, et à part de ses rapports avec l’architecture, il n’y a rien à en dire ici, puisqu’elle rentre dans la théorie générale de tous es arts.

Unité de style et de goût. On ne met ce genre d’unité au nombre de ceux qui importent à la perfection des œuvres de l’architecture, que parce qu’il est et plus facile et plus commun d’en rencontrer le défaut dans cet art, que dans tous les autres. En effet, le style et le goût de l’édifice dépendent bien sans doute de celui de l’artiste ; c’est bien lui qui, par ses projets et par leur mise en œuvre, imprime à l’ouvrage tel ou tel caractère. Mais son art est le seul qui ait besoin d’employer des mains étrangères, le seul dont la conduite et l’achèvement dépendent de circonstances, auxquelles il ne peut pas commander. Lorsqu’on sait ensuite combien de causes de changement, combien de reprises, de variations tendent à modifier les grandes entreprises, il est trop vrai de dire que jusque dans les plus célèbres, on découvre des anomalies de goût et de style, qui leur ont ôté le caractère précieux d’unité qui en devroit faire un ouvrage accompli.

A ce manque d’unité on pourroit joindre le manque d’unité d’exécution, et cet objet offriroit encore à la critique dont il s’agit ici, beaucoup de considérations, mais qui tenant peut-être de trop près au technique des procédés matériels, sembleroient sortir aussi de l’esprit d’une théorie, laquelle a eu pour objet de fixer quelques idées, sur une des qualités morales et intellectuelles de l’art, trop méconnue des artistes et de ceux qui jugent leurs ouvrages.

Sans doute cette analyse de la nature et des effets de l’unité, ne sauroit faire partie des études auxquelles l’artiste est, avant tout, obligé de se liver. Sans doute encore le sentiment du vrai et du beau, le conduit souvent à son insu par les mêmes voies au même but. Mais il n’en est pas ainsi du plus grand nombre des hommes qui jugent leur ouvrages, ni du petit nombre même de ceux qui sont appelés à leur direction, et c’est particulièrement à eux que du semblables considérations pourraient être utiles.

URNE, s. f. C’est, dans l’usage ordinaire, le nom d’un vase oblong circulaire et ayant un assez large orifice.

Dans le langage de la poésie, on donne des urnes aux fleuves, aux nymphes, aux naiades. L’urne devient alors le symbole de l’eau et de ces amas d’eau que l’on appelle de différens noms.

Dans le langage de l’archéologie l’urne est ou un symbole sépulcral, ou le dépôt des cendres d’un mort : cette dernière destination des urnes fut la plus générale et la plus multipliée. Il en est qui prétendent que ce mot, qui est urna en latin, dérive du verbe urere, brûler.

On a beaucoup trop généralement cru qu’un grand nombre du vases, qu’on découvre dans les sépultures de l’Etrurie, de la Grande-Grèce et de la Grèce, avoient été des urnes sépulcrales ; nous voulons parler de ces vases peints, qu’on appelle abusivement étrusques. Il est bien démontré aujourd’hui qu’ils n’eurent jamais la destination de recevoir des cendres, puisqu’on les trouve toujours accompagnant les corps morts avec lesquels (n’importe pour quelle raison) ils avoient été ensevelis. Si quelques-uns de ces vases trouvés par les Romains, dans d’anciennes sépultures grecques, dont le hasard leur offrit la découverte, ont pu, comme plus d’une autorité le prouve, être appliqués par eux à renfermer des cendres, ces faits isolés, loin de prouver qu’ils auroient servi précédemment au même usage, porteroient, par plus d’un motif, à croire le contraire. Au reste, le nombre immense de ces vases aujourd’hui si bien connus, dépose absolument contre cette opinion. On sait qu’ils sont tous de terre cuite peinte, el ils offrent une si grande diversité de formes, de volume et de dimension, que de beaucoup le plus grand nombre n’auroit pu servir à l’usage présumé. Enfin, il est certain qu’ils surent usités dans les temps et dans les pays où la crémation des corps n’avoit pas lieu.

La combustion et l’inhumation ayant existé chez les Romains aux mêmes époques, on trouve comme ayant été pratiqués tout ensemble l’usage des sarcophages, et celui des urnes cinéraires en marbre, dans les mêmes hypogées et les mêmes columbaria.

On peut affirmer avec quelque certitude, que le marbre fut généralement la matière des urnes cinéraires ou sépulcrales. Le nombre en est très-grand dans toutes les collections d’antiquités que chacun est le maître de consulter. Rien ne seroit plus inutile ici que la description des variétés qui s’y rencontrent. On les voit pour la plupart fermées par un couvercle. Les hypogées dont Pietro Santi Bartols nous a représenté les intérieurs, ont plusieurs rangs l’un au-dessus de l’autre, de petites niches formant un demi-cercle et une petite voûte hémisphérique. Les urnes sépulcrales occupent deux par deux ce petit espace. Elles sont renfoncées dans le massif que terminent ces petites niches, et il ne sort de ce massif que le couvercle


de chaque urne. Au-dessus de chacune de ces rangées sout des cartels à oreilles, qui portent les noms des personnages dont les cendres sont renfermées dans les urnes.

On voit ailleurs l’urne principale du chef de la famille occupant la niche du milieu, qui est ornée de pilastres portant un fronton. Cette urne étoit quelquefois d’un marbre précieux. Telle est la grande et belle urne d’albâtre trouvée dans le tombeau d’Auguste, qu’on croit avoir été celle de cet empereur, et qui orne aujourd’hui le Muséum du Vatican. Presque toutes ces urnes cinéraires sont de marbre, sont lisses, sans sculpture, et sans inscriptions, à la réserve de quelques-unes où on lit les deux lettres D. M. c’est-à-dire Diis Manibus, aux Dieux Manes.

Plus d’une matière servit toutefois à faire les urnes cinéraires. Dans le midi de la France, on trouve assez fréquemment des vases en verre d’une assez grande capacité, en forme d’urnes cinéraires, et qu’on présume avoir jadis renfermé des cendres.

Il paroît d’après les notions de l’histoire qu’on fit de ces urnes en or. Il en existe dans les recueils d’antiquité qui sont ne bronze. Enfin, sur ce point comme sur tous les autres, il y avoit des degrés proportionnés à toutes les fortunes, et l’on rencontre un assez grand nombre d’urnes cinéraires en terre cuite où le nom du potier est écrit soit sur l’anse, soit sur le fond.

L’urne funéraire entre encore dans les usages de la décoration moderne. On citeroit un nombre infini de mausolées où l’on a représenté des urnes de ce genre, tantôt isolées sur des cippes ou des colonnes, tantôt accompagnées de figures qui les portent, qui les enveloppent, ou qui paroissent les arroser de leurs larmes. L’urne, dans toutes ces compositions, n’est qu’un signe de convention, que souvent les artistes entendent assez mal pour en joindre la forme et l’idée, à l’idée et à la forme de sarcophage : ce qui est un double emploi évident, dans lequel un des deux objets doit nécessairement exclure l’autre. Là où la combustion des corps ne sauroit être d’usage, l’emploi d une urne dans les monumens funéraires, ne doit plus la faire considérer que comme un symbole auquel, vu le grand emploi qui fut sait autrefois de l’objet en réalité, on est convenu d’attacher toujours l’idée de funérailles et de mort.

USTRINUM. C’est le nom que les Romains donnoient à un lieu où l’on brûloit les corps morts.

Il paroît qu’il y en avoit de deux sortes, les uns destinés à l’usage de la combustion pour le public ; les autres, particuliers, faisant partie de quelque grand tombeau, et servant uniquement, autant qu’il est permis de le présumer, à brûler les morts qui avoient sait partie de la famille du maître de ce tombeau. Or, ce qu’on appeloit à Rome famille, comprenoit, à l’égard d’un grand personnage, jusqu’à plusieurs milliers d’individus. Il n’est point étonnant alors, que le tombeau destiné à un très-grand nombre d’individus ait eu son ustrinum particulier.

Strabon nom apprend que le tombeau d’Auguste avoit son ustrinum, où fut brûlé le corps de l’empereur. Il étoit enclavé dans l’enceinte qui environnoit le Mausoleum, et il avoit une forme circulaire.

Telle étoit, selon Winckelmann, la forme d’un ustrinum découvert dans les ruines de Velein. Le diamètre de cet espace est d’environ cent pieds, et son mur, bâti de grandes pierres de taille, a environ quatre pieds d’élévation.

C’est à peu près ainsi qu’est construit celui qui existe à Pompeia, et qui paroît avoir été l’urstrinum du tombeau qui lui est contigu. Son mur ne s’élève guère qu’à quatre ou cinq pieds, et, si l’on en croyoit l’état actuel, il auroit été couronné par de grands masques en terre cuite.

On trouve cependant, ou du moins on a cru trouver, des ustrimum dans des endroits tout-à-sait séparés des tombeaux. Tel est celui dont Fabreéti a sait mention, qui étoit isolé, et situé près de la voie Appienne, à cinq milles de Rome.

Il paroît qu’il y avoit à Rome deux ustrinum


distincts, l’un au Champ-de-Mars, l’antre aux Esquilies. Le premier auroit été pour les grands et les riches, le second pour les pauvres.

Au reste, il saut se garder de confondre, en ce genre, avec les ustrinum, qui ne dévoient pas être très-multipliés, les hypocaustes, ou fourneaux souterrains, qui existoient dans toutes les grandes maisons et dans une multitude d’autres édifices.

On doit aussi distinguer l’ustrinum du bûcher ou de la pyra. Quoiqu’on employât sans doute le bois à la combustion des corps, qu’on plaçoit sans doute sur ce ce que nous appellerions bûcher, cependant ce dernier mot, dans les usages de l’antiquité, présente non-seulement une idée à part, mais même une idée de monumens plus ou moins considérables. Au mot BUCHER, nous avions à peine effleuré les notions que ce sujet comporte ; le lecteur trouvera cette omission réparée à divers autres articles, tels que PYRA, où l’on a réuni les particularités propres au bûcher proprement dit ; mais c’est surtout à l’article MAUSOLÉE (voyez ce mot), que l’on a recueilli tout ce qui regarde le luxe et la magnificence des bûchers, considérés comme ayant été les types premiers et les modèles des plus grands mausolées.