Encyclopédie méthodique/Architecture/Tome 3/N

NAC

NACELLE, s. f. On appelle ainsi, dans les profils, un membre quel qu’il soit, creux et taillé en demi-ovale C’est ce que les ouvriers appellent gorge (voyez ce mot). On donne encore le nom de nacelle à ce que l’on entend par scotie. Voy. Scotie.


NAISSANCE, s. f. On désigne dans les membres de l’architecture, par ce mot général, le lieu d’où semble sortir, et par conséquent naître en quelque sorte, la forme de tout corps, de toute saillie qui se compose d’une partie protubérante et d’une partie rentrante. Tels sont ce qu’on appelle les corbeaux, les trompes, les consoles, et les congés.

Le mot congé est plus usité aujourd’hui que celui de naissance.

Vitruve (liv. IV, ch. 7) donne à ce que nous appelons de l’un ou de l’autre de ces termes, le nom d’apophygis, qui en grec signifie fuite. Scaliger a proposé de lire, au lieu d’apophygis, apophysis, ce qui revient au mot naissance, et signifie une éminence qui semble naître et sortir d’un corps. C’est ainsi que les anatomistes grecs ont appelé les parties les plus éminentes des os.

Naissance se dit de plus d’un objet en architecture, pour indiquer le point d’où part la courbe qui le constitue. On dit :

Naissance de colonne. C’est, dans la colonne, cette légère courbure en creux qui aboutit au petit membre carré en forme de listel, servant, si l’on peut dire, de pied à la colonne, et qui fait le commencement du fût. On la nomme aussi congé. Voyez ce mot.

Naissance de voute. C’est le commencement de la courbure d’une voûte, et qui se forme par les retombées ou premières assises, lesquelles peuvent être élevées sans le secours d’un cintre, et peuvent subsister encore après que la voûte est tombée.

Naissance d’enduit. Ce sont, dans les enduits, certaines plates-bandes au circuit des croisées et ailleurs, qui ne sont ordinairement distinguées que par du badigeon, par des panneaux de crépi, ou d’enduit qu’elles entourent.


NANNI di Baccio Bigio, architecte et sculpteur florentin. On ignore l’époque de sa naissance et celle de sa mort. Il vivoit encore au temps où Vasari, qui lui a consacré dans son ouvrage une courte notice, écrivoit les Vies des peintres. Voy. Vasari, tom. VII, pag. 96 et 97.

Nanni n’a pas laissé d’ouvrages capables de lui assurer une place distinguée parmi les architectes de son époque, et peut-être auroit-il peu mérité d’en obtenir une dans l’histoire de l’architecture, si l’homme dont il osa devenir le rival, et sur lequel il réussit par intrigue à l’emporter deux fois, ne lui eût donné une certaine célébrité.

Nanni fut, en sculpture, élève de Raphaël de Monte-Lupo. Il fit dans sa jeunesse de petits ouvrages qui donnèrent de lui d’assez grandes espérances. A Rome, il travailla sous le sculpteur Lorenzetto, exécuta quelques copies sous Michel Ange, et enfin il entra dans l’école d’architecture d’Antoine San Gallo, qui l’occupa aux travaux de l’église de Saint-Pierre, dont il avoit alors la direction.

Après la mort de San Gallo, Michel Ange, qui lui succéda, se mit, comme l’on sait, à détruire l’ouvrage de son prédécesseur. Il fit plus, il en renvoya tous les agens. Nanni fut de ce nombre. Michel Ange dès-lors eut en lui un ennemi déclaré, qui se fit le chef de tous ses détracteurs, et qui n’aspiroit à rien moins qu’à le supplanter dans la place d’architecte de Saint-Pierre.

Il réussit d’abord à se faire adjuger au préjudice de Michel Ange, mais surtout de la chose publique, la restauration du pont antique de Sainte Marie.

Michel Ange avoit commencé cette opération sous le pontificat de Paul III. Il avoit déjà procédé aux moyens de réparer les piles et d’en refaire les fondations par encaissemens. A cet effet, il avoit amassé beaucoup de grands bois de charpente et de pierre travertine, dans la vue de donner à toute cette construction la plus grande solidité. A force d’intrigues, Nanni parvint à capter la confiance d’une commission que le pape avoit chargée de la surveillance de ces travaux. Il alléguoit que Michel Ange étoit trop âgé pour s’y livrer. Il obtint enfin l’adjudication de l’ouvrage.

Son premier soin fut de vendre à son profit les matériaux qu’avoit amassés Michel Ange. Au lieu de renforcer les piles, il s’étudia à en alléger la construction en y employant une foible maçonnerie. Michel Ange avoit prédit ce qui ne tarda pas à arriver. Passant un jour à cheval avec Vasari sur le pont terminé, passons vite, lui dit-il, ce pont tremble sous nous. Effectivement, il fut renversé à la première forte inondation qui survint. Voyez Vasari, tom. VI, pag. 274.

Arrivé à un âge qui ne lui permettoit plus de porter dans la conduite des travaux de Saint Pierre l’active surveillance dont ils avoient besoin, Michel Ange prévoyoit que ses détracteurs pourroient bien profiter de son absence, soit pour lui prêter des erreurs, soit pour lui en faire commettre. Il avoit déjà présenté un successeur, qui fut trouvé trop jeune. Enfin il proposa Daniel de Volterre. Nanni avoit si bien fait, qu’il étoit parvenu à s’insinuer auprès des commissaires de la fabrique. L’ancienne cabale de San Gallo le soutenoit, et elle vint à bout de lui faire donner la préférence sur Daniel de Volterre.

Déjà il étoit à l’œuvre, et il avoit commencé de faire un pont de charpente, inutile pour le service des matériaux. Michel Ange l’apprend ; l’indignation lui rend toute la vivacité de la jeunesse. Il va sur-le-champ trouver le pape, et lui dénonce le choix que vient de faire la fabrique. On m’a donné, dit-il, un successeur; je ne sais quel homme c’est ; mais si les commissaires de votre Sainteté le connoissent, et s’ils me trouvent de trop, je demande à retourner à Florence. Le pape appaisa Michel Ange, manda les commissaires de la fabrique, pour qu’ils eussent à rendre compte de leur conduite. Ceux-ci alléguèrent des erreurs et des malfaçons dans la construction, qui, disoient-ils, menaçoit ruine. Soupçonnant bien que ces allégations pouvoient n’être que les échos de l’envie et de l’intrigue, le pape envoya vérifier par un homme de confiance, les faits avancés par les commissaires, avec injonction à Nanni d’administrer les preuves des erreurs dont on parloit. Cet éclaircissement justifia Michel Ange et dévoila les menées secrètes de Nanni qui fut ignominieusement congédié. On se rappela alors les bévues qu’il avoit commises quelques années auparavant dans la restauration du pont de Sainte-Marie ; on se souvint que, s’étant fait fort de nettoyer à peu de frais le port d’Ancône, il l’avoit plus encombré en quelques jours, que la mer ne l’avoit fait en dix ans.

Nanni fut un de ces hommes, comme il y en aura toujours, qui doivent précisément à leur médiocrité ce fonds de confiance en eux-mêmes, qui en impose à ce grand nombre d’hommes, dont le besoin est de croire au mérite sur parole, n’importe de qui, même de ceux qui se vantent eux-mêmes. Il auroit pu être bon en seconde ligne, Pour avoir voulu aspirer au premier rang, on ne sauroit lui eu donner aucun.

Si l’on juge de son goût et de son talent par quelques-uns des édifices qu’il a laissés, il fut très-certainement inférieur à tout les architectes de son époque. On ne sauroit trouver de qualité remarquable dans le palais de Ricci, situé rue Giulia. On est d’accord que la partie du palais Mattei, construite sur ses dessins, est inférieure à l’autre. Le palais Salviai, qu’il a élevé à la Longara, est sans doute un édifice important par sa musse, mais d’une disposition peu remarquable, d’un goût assez maussade ; les bossages employés dans sa façade n’y produisent que l’effet de la lourdeur, au lieu de l’impression de force et de sévérité qui doit résulter de leur emploi. Les détails de toute cette architecture ne sont d’accord avec son ensemble, que par le mauvais genre d’exécution qui est commun à toute cette ordonnance.


NAPPE D’EAU, s. f. (Arch. Hydr.) On entend ordinairement par nappe d’eau, une espèce de cascade dont l’eau tombe en forme de nappe mince sur une ligne droite, et telle est celle qu’on voit en tête de l’allée d’eau à Versailles, ou bien sur une ligne courbe ou circulaire, comme sur les bords d’un bassin ou d’une vasque ronde. Les plus belles nappes sont les plus garnies, c’est-à-dire, celles dont la lame d’eau est continue et sans interruption ni brisure; elles ne doivent pas tomber d’une grande hauteur, parce qu’elles se déchirent. Pour éviter ce déchirement, on ne donne aux grandes nappes que deux pouces d’eau par pied courant, et un aux petites nappes des buffets et pyramides. Lorsqu’on n’a pas assez d’eau, pour suivre ces proportions, on déchire la nappe, ce qui se fait en pratiquant des ressauts sur les bords de la coupe de marbre ou de plomb, découpée en forme de coquille; de manière que l’eau ne tombe que par lames interrompues, il est vrai, mais qui n’ont guère moins d’agrément qu’une belle nappe, quand elles sont bien ménagées. Quelquefois on fait courir les eaux dans un canal ondulé qui leur donne plus d’effet et de brillant. Dans les vasques de la place de Saint-Pierre, l’eau tombe en nappe lisse de la première coupe creuse sur une seconde coquille bombée et sculptée en écailles, sur lesquelles l’eau ruisselé, se brise et acquiert un effet brillanté qui contraste avec le luisant uniforme de la nappe supérieure. Quelques fontaines de Paris nous offrent d’assez belles nappes d’eau tombante, telles qu’au Château-d’eau du boulevard Bondi, et surtout à la fontaine des Innocens, où l’on a tiré un si heureux parti des façades sculptées par le célèbre Jean Goujon. On regrette que la fontaine de Grenelle ne soit pas entourée de belles nappes d’eau, qui par leur éclat et leur mouvement, ajouteroient un nouveau prix aux sculptures de Bouchardon. L’habile statuaire en sentoit bien la nécessité dans la composition de son monument dont il a fait lui-même la critique, en indiquant la place que les eaux devoient occuper, par des bouillons de marbre sculpté.

L’habile architecte à qui nous devons l’un des plus beaux monumens de Paris, l’Ecole de médecine, avoit eu l’idée de nous faire apercevoir une vaste nappe d’eau à travers les colonnes du péristyle d’un temple qu’on auroit pu nommer celui de Neptune, et dont cette nappe argentée auroit voilé le sanctuaire. Il n’a pas entièrement réalisé son projet, contrarié par des vues d’une étroite économie dans les eaux et dans la disposition pittoresque de l’édifice, qui, au moyen de jours adroitement. ménagés, auroit produit un bel effet de clair-obscur. Nous devons à la mémoire de Jacques Gondoin, ainsi qu’à l’honneur de notre goût, de ne pas laisser imparfaite une fontaine qu’il seroit aisé de rendre l’une des plus belles de la capitale

Nous devons déplorer notre pauvreté en eaux jaillissantes et tombantes, malgré les efforts de l’autorité et les promesses qu’on nous fait depuis si long-temps, lorsqu’on la compare avec la surabondance des eaux que Rome doit à la munificence des souverains pontifes, encore plus qu’à la puissance romaine. Ce luxe est porté à un tel point, qu’une grande reine, qui admiroit les jets d’eau si abondans de La place de Saint-Pierre, crut qu’on en faisait les frais pour elle, et pria qu’on mît un terme à ce jeu ruineux. Mais quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’après avoir vu les fleuves qui couloient des fontaines de Trevi, Navoue et Pauline, etc., on lui affirma, comme cela étoit vrai, que toutes ces eaux étoient pérennes. C’est donc à Rome et dans les nombreuses villa de ses environs, que l’on peut prendre une idée des plus belles et des plus vastes nappes d’eau ; comme c’est là qu’on apprendra l’art de donner aux eaux les formes, la variété de dessin des corps sur lesquels elles ruissèlent, et par des combinaisons ingénieuses de multiplier leur étendue et leur volume.

Mais que sont ces effets de l’art, comparés aux magnifiques nappes d’eau que la nature déploie avec autant de grandeur que de prodigalité dans les diverses parties du monde, et où l’on admire des effets toujours beaux, quoiqu’opposés entr’eux, et toujours variés suivant l’effet du soleil à différentes hauteurs, et le plus ou moins d’abondance des eaux qui les alimentent ? Nous ne décrirons pas la célèbre cataracte de Niagara, qui frappe de surprise, d’admiration et presque d’effroi les voyageurs ; nous nous contenterons de rappeler les cascatelles de Tivoli, célèbres à tant de titres, et par leur propre beauté et par les souvenirs qu’elles retracent. Ces fleuves semblent s’échapper des nuage qui couvrent souvent les hauteurs d’où ils se précipitent en nappes argentées, se détachant sur le fond brun et verdâtre des rochers, et sont transformés, avant d’avoir atteint le fond de la vallée, en un brouillard humide, qui se teint de toutes les nuances du prisme, ou étincèle du seu des diamans.

L’effet le plus magique des eaux tombant en nappes, est celui dont on jouit lorsqu’on peut pénétrer dans le fond d’une caverne dont l’ouverture est entièrement fermée par une nappe d’eau ; rien de plus étonnant alors que le contraste de l’obscurité de la grotte avec le riche tableau qu’offrent les rayons du soleil se jouant à travers le voile éclatant qui remplit l’espace vide, ou éclairant la campagne, qu’on aperçoit par intervalles, comme au travers d’une glace ondulée.

Les Anciens, auxquels les grandes idées sembloient familières, avoient eu celle de faire tomber la grande cascade de l’Anio du haut de constructions soutenues par des arcades où l’on pouvoit circuler, et d’où l’on voyoit le fleuve tout entier grondant sur sa tête, se précipiter devant ses yeux en une nappe immense. La beauté de ce spectacle étoit digne d’exalter l’imagination poétique des Virgile et des Horace, et Stace qui le décrit, inspiré par la sublimité du sujet, élève sa versification à la hauteur de ses modèles.

On peut encore étendre l’acception de nappe d’eau à plusieurs autres combinaisons qui sont du ressort du paysage, et dont l’architecte compositeur de jardins fait une étude particulière.

Lorsqu’on creuse un puits et qu’on arrive à la couche de glaise qui retient les eaux, on dit qu’on est parvenu à la nappe d’eau ; aussi donne-t-on ce nom à toute espèce d’eau non seulement tombante, mais encore qui s’étend horizontalement dans un espace circonscrit, où elle repose tranquille, pure, transparente, et qui réfléchit comme une glace l’azur des cieux, la verdure des arbres, ou les édifices qui ornent ses bords. La rivière de Seine, par exemple, entre le Pont-Royal et le Pont-Neuf, offroit une belle nappe d’eau, qu’on a eu le regret de voir interrompre par un nouveau pont qui n’admet d’excuse que dans son utilité.

Si cette étendue d’eau est renfermée d’une manière régulière par une construction en marbre ou en pierre, et presqu’à fleur de terre, cette nappe d’eau devient un bassin auquel on donne parfois le nom de miroir, comme celui de Marly, qui s’étendoit en face de ce château de féerie, étoit entouré de douze pavillons isolés, et qui doubloit cette brillante image dont le génie flatteur de Charles Lebrun avoit voulu faire le palais et les douze stations du dieu du soleil.

Le lac de Nemi étoit aussi nommé par les Anciens le miroir de Diane. L’on trouve cette dénomination aussi juste que pittoresque, lorsqu’on voit le croissant de cette déesse entouré du cortége scintillant des étoiles, ou plutôt de ses nymphes, se mirer avec une netteté remarquable dans cette belle et tranquille nappe d’eau.

(A. L. C.)


NARNI, l’ancienne Narnia. Petite ville à cinquante-cinq milles de Rome. Ses rues sont étroites ; elle offre peu d’édifices intéressans, avant été saccagée et détruite par les troupes des Vénitiens qui alloient joindre Charles V, assiégeant Clément VII dans le château Saint-Ange.

La ville est en pente et assez désagréable. Au bas on voit un très-beau pont antique sur la Nera : on l’appelle le pont d’Auguste. De quatre grandes arches dont il étoit composé, une seule subsiste en son entier ; des trois autres, il ne reste que les piles avec la naissance de leurs arcs. L’arche qui reste, quoique la moins considérable, est d’une grandeur et surtout d’une hauteur imposante.

Ce pont étant destiné à établir la communication entre deux montagnes fort élevées, il falloit donner aux arches cette grande élévation, et l’architecte y est parvenu, en mettant sous les piles ou pieds-droits de ses arches un grand piédestal couronné d’une cimaise, composée d’un fort talon et d’un filet.

A en juger par la situation de ce pont, par l’irrégularité et par la différence de hauteur dans les deux montagnes, on peut croire que la corniche n’étoit point horizontale, mais qu’elle étoit rampante en suivant l’inclinaison du pavé ; afin d’arriver insensiblement de la montagne la moins élevée à la plus élevée, qui se trouvoit de l’autre côté du fleuve.

La pile a sur la face trente pieds de large, et d’épaisseur vingt-quatre pieds ; l’arche a de haut quatre-vingt-sept pieds, et de large soixante pieds.

Cet édifice est bâti d’une pierre blanche, argileuse, qu’on trouve dans le pays ; elle est fort dure, serrée, compacte et d’un grain fin. Au premier coup d’œil, elle ressemble un peu au marbre ; elle est employée par blocs formant des assises de 54 centim. (1 pied 8 pouces) environ de hauteur. Les blocs paroissent posés à sec, sans aucun ciment, et ils sont liés par des crampons ou agraffes de fer fixées avec du plomb.

Sur l’imposte des arches, dans la largeur du pont, et aux faces intérieures et extérieures du piédestal, on observe plusieurs corbeaux de pierre, dont la queue fait parpaing dans la bâtisse : ils ont la hauteur d’une assise, et environ 33 centim. (1 pouce de saillie). Ils sont placés sans ordre, ce qui peut faire croire qu’ils ne sont point là comme décoration, mais qu’ils ont été faits pour servir a échafauder lors de la construction, et qu’on les a laissé subsister en cas de réparation.

Les assises des piles sont taillées en bossages ; autour de l’arc règne un archivolte, orné d’un gros filet seulement ; l’arc plein-cintre est formé de cinquante-sept voussoires, qui ont de hauteur la largeur de l’archivolte.

La position de ce pont est une des plus agréables ; il traverse une vallée arrosée par la Néra, qui, en donnant la fertilité, offre de toutes parts un riche spectacle. Des peupliers, des mûriers, des figuiers et des arbres à fruits de toute espèce font que ces belles rivières sont encore l’objet de l’étude des architectes, comme celle des peintres de paysages. Narni est à neuf milles de Terni.

Il n’y a plus dans la ville de Narni aucun vestige d’édifices antiques, si ce n’est un fragment d’aqueducs souterrains, qui offre peu d’intérêt.

Pour le pont d’Auguste, consultez l’ouvrage de Antonio Martinelli.

Descrizione di diversi ponti. Roma, 1676, in-4º.

Latium vetus, du P. Volpi.

Leandro Alberti Descrizione dell Italia.

(Huyot.)


NAUMACHIE. Edifice destiné chez les Romains à des espèces de combats, qui étoient une sorte de représentation d’un combat naval.

La forme de la naumachie êtoit celle d’un cirque ou d’un amphithéâtre, à cela près que l’area y étoit creusée plus profondément, pour y recevoir le volume d’eau nécessaire aux vaisseaux qui devoient y voguer.

Les naumachies ne furent point, dans l’origine, des édifices. Il en fut des combats sur l’eau, comme de ceux qui entroient dans tous les jeux du cirque. Avant qu’on eût construit pour ces spectacles de vastes monumens, le creux d’un vallon et des terrains façonnés par l’art pour recevoir les spectateurs, suffirent au but qu’on se proposoit.

De même pour les combats sur l’eau. On commença par creuser des bassins où l’on faisoit entrer l’eau de la rivière, et les spectateurs se rassembloient autour et sur les bords de ces lacs factices.

Entr’autres jeux que César donna au peuple romain, il lui procura le spectacle d’un combat naval, et il fit à cet effet creuser un grand bassin dans le champ de Mars. Auguste fit aussi creuser une naumachie près du Tibre, à l’endroit où, suivant Suétone, se trouva par la suite le parc ou le bois des Césars. L’empereur Claude fit servir à de semblables jeux le lac Fucin. Selon Dion Cassius, il fit entourer en partie le lac d’un amphithéâtre dont les gradins étoient en bois ; le reste de l’espace environnant se composoit de collines sur lesquelles se tenoient les spectateurs. D’autres fois on se servoit probablement de la terre qu’on avoit enlevée pour creuser le bassin, et ces déblaiemens formoient à l’entour l’élévation nécessaire pour y placer des gradins ou des siéges.

Il paroît certain que les cirques mêmes et les amphithéâtres se convertissoient en naumachies, et l’on en a acquis la preuve à l’amphithéâtre de Vespasien, par les fouilles qui depuis quelques années y ont été faites dans le terrain de son area.

Domitien est le premier qui ait construit exprès et en pierres une véritable naumachie. Elle étoit établie près du Tibre. Toutefois cet édifice ne subsista pas long-temps ; et Suétone nous apprend (Vie de Domitien, §. 5) qu’on en employa les Pierres à rebâtir les murs du grand cirque qui tomboient de vétusté. Il faut donc regarder comme à peu près imaginaires les dessins de naumachies qu’on trouve dans certains recueils d’antiquités : il ne reste à Rome aucun vestige de cette sorte d’édifice.

On auroit également de la peine à trouver quelque reste authentique de naumachie dans la plupart des villes antiques dont il subsiste des débris, quoique des traditions apocryphes y fassent souvent mention de ces monumens. Il suffit de quelques vestiges, soit de citernes, soit de bâtimens circulaires, pour faire donner le nom de

naumachie à des constructions qui n’eurent aucun rapport à cette destination.

On ne peut s’en former une idée approximative, que d’après les représentations qui s’en sont conserves aux revers de quelques médailles impériales et c’est sur ces indications qu’on a restitué des dessins de ce genre de monument, qui tenoit pour le plan de la forme des amphithéâtres, qui étoit de même environné de portiques, mais qui ne paroit point en avoir eu plusieurs rangs l’un au-dessus de l’autre.


NEF, s. f. La nef est, dans une église, la partie intérieure qui s’étend depuis la porte principale jusqu’au chœur. Le mot grec exprime à peu près la même idée, et nous donne l’étymologie de nef. C’est la navata ou nave des Italiens. Cependant, le plus ancien de nos historiens, Grégoire de Tours, nomme la nef capsum, pris ici pour coffre on charriot couvert, peut-être pour ne pas confondre un édifice sacré avec le temple de l’idole de l’Auvergne, que les Gaulois nommaient, dit-il, vasso, nom qu’on retrouve avec la même signification dans vaisseau appliqué à un édifice. Un autre écrivain de la même époque, Sidoine Apollinaire, désigne la nef par campum médium ; enfin, l’auteur des Constitutions apostoliques veut que l’église offre un parallélogramme dont l’extrémité tournée vers l’orient soit faite en poupe de navire’ Est-ce par allusion à la nef de Saint-Pierre, qu’on a voulu donner la forme et quelquefois l’apparence extérieure d’un vaisseau à nos plus anciennes églises du genre gothique ? En effet, ces arcs-boutants multipliés, et qui s’appuient et semblent se lier avec le faîte de l’édifice, ces aiguilles élancées, évidées et terminées en pointe trésaiguë, surmontées de girouettes, la forme pyramidale et surhaussée du clocher ; enfin, cette multitude d’objets qui ressemblent plus à un ouvrage d’orfévrerie qu’à une bâtisse, pouvoient de loin produire une certaine illusion qui ait fait nommer cet édifice un vaisseau.

Quoi qu’il en soit, on dit de la capacité d’une église, d’une galerie et d’une salle de spectacle, c’est un vaste, un magnifique vaisseau.

C’est aussi par analogie qu’on nomme, en français, vaisseau tout vase qui se distingue par sa grandeur, son élégance ou la richesse de sa matière.

On donnoit le nom de nef à un grand vase qui ornoit la table de nos premiers rois. Cet usage subsistoit encore il y a moins d’un siècle ; c’est, suivant le Dictionnaire de l’Académie, un vase de vermeil fait en forme de vaisseau, et où l’on met les serviettes qui doivent servir à table aux rois et aux reines. Le même usage existoit en Italie au seizième siècle ; des artistes célèbres donnèrent le dessin de ces sortes de pièces d’apparat. En 1512, les magistrats de Pérouse firent exécuter une nef d’argent du poids de 35 livres, de la composition de Pierre Pérugin, maître de Raphaël. Ou trouva seulement étrange qu’au lieu d’un vaisseau, l’artiste représentât un char, sans doute celui du Neptune, traîné par des chevaux, marins.

Revenons à la nef des églises, qui est la portion la plus vaste de l’édifice, dans laquelle le peuple se rassemble pour assister aux cérémonies du culte, c’est-à-dire, en considérant la forme du temple comme celle d’une croix latine, c’est le prolongement de la grande branche ; aussi un temple à croix grecque n’a point de nef proprement dite, chacune de ses travées étant semblable à moins qu’on n’affecte la dénomination de nef à la partie qui fait face au grand autel.

Indépendamment de la beauté du coup d’œil et de l’effet perspectif, l’église en forme de basilique semble convenir mieux que toute autre aux usages religieux, et à la libre disposition des cérémonies du culte.

On distingue la forme des églises par le nombre de leurs nefs. On dit une église simple ou à une seule nef, une église à trois et à cinq nefs. La partie du milieu, plus large, est la nef proprement dite ; les bas côtés se nomment aussi des nefs ; mais ces dernières, qui longent les murs, se nomment plus particulièrement les bas côtés. On ne trouve que peu d’exemples de la première, qui est la plus simple forme des églises, c’est-à-dire, offrant un carré long sans autres bas côtés, que des chapelles d’une pente dimension ; car, dès que l’intérieur s’élargit au-delà de la portée des bois de charpente, on fut forcé de diviser l’espace en plusieurs nefs qui sont nécessaires pour supporter les plafonds ou la retombée des cintres, et obvier à leur poussée. Cependant, Rome nous fournit quelques églises de ce premier caractère, telles que celle de Sainte-Marie in Capella du onzième siècle ; celle de San Sisto Vecchio du treizième, et une chapelle maintenant ruinée, qui se voit près du mausolée de Cecilia Metella, et qui offre cette simplicité qui caractérisait l’architecture gothique dans son premier âge. Nous pouvons en voir un exemple à Paris, dans la Sainte-Chapelle, et un autre dans l’église de Vincennes.

Quant au second genre de ces édifices, c’est-à-dire à trois nefs, nous ne serions embarrassés que du choix, même en ne citant que les plus remarquables, surtout par leur ancienneté, et la beauté ou la singularité de leurs plans.

Parfois la nef prolonge jusqu’à l’autel principal qui se trouve absolument à l’extrémité de l’édifice et au fond de l’abside en hémicycle ; c’est la forme des anciennes basiliques, qu’on retrouve dans l’église de Sainte Agathe Majeure, à Revenue, bâtie à la sin du quatrième siècle. Ici, l’application de celle forme aux temples chrétiens est d’autant plus remarquable, qu’elle s’est conservée sans altération jusqu’à nos jours. L’église du Saint-Esprit, dans la même ville, paroît encore plus ancienne que la précédente, mais la proportion en est moins simple et moins élégante.

Le premier exemple d’une église offrant la forme de la croix, forme qui est devenue par la suite caractéristique dans nos temples, nous semble être celui que nous fournit l’église de Saint-Michel in Foro, a Rimini, bâtie au cinquième siècle.

A Rome, dans l’église de Saint-Clément, modèle le mieux conservé de la disposition des églises primitives, on remarque une singulière inégalité de largeur dans les nefs latérales ; celle de droite, destinée à recevoir les femmes, est beaucoup plus étroite que l’autre nef, où se plaçoient les hommes, les catéchumènes et les nouveaux convertis. On observe aussi dans la même église, et dans la portion de la grande nef du milieu qui se rapproche du chœur ou sanctuaire, une enceinte fermée d’un petit mur en marbre à hauteur d’appui, dans laquelle se plaçoient les exorcistes et autres fonctionnaires des ordres mineurs ; le peuple pouvoit tourner autour de cet espace jusqu’au devant du presbyterium, où étoient placés la table de communion et le jubé.

On trouvoit une semblable disposition dans l’ancienne cathédrale de Ravenne, qui a été démolie en 1734 et rebâtie sur un nouveau dessin. Fondée avant le quatrième siècle, elle offroit le plus bel exemple des monumens de l’antiquité sacrée, et elle conservoit en même temps le plus de vestiges de l’antiquité profane. L’hémicycle situé au fond de l’édifice rappeloit le tribunal des Basiliques, et dans une enceinte formée par de petites colonnes, que l’on voyoit au milieu de la grande nef, on reconnoissoit l’espèce de chœur isolé qui, suivant les rites de la primitive église, occupoit cette partie que nous avons déjà signalée dans Saint-Clément.

Il nous reste à parler du troisième et plus magnifique genre de nef, c’est-à-dire, des églises à cinq nefs, ou à doubles bas côtés, formés de deux rangs de galeries ou de portiques. Telles sont la plupart des cathédrales gothiques ; mais telle étoit long-temps avant, et dès l’origine du christianisme, la fameuse église du Saint-Sépulcre, construite sous le règne de Constantin par Eustathius. La description qu’en fait Eusèbe, nous donne la plus grande idée de ce temple, et nous indique peut-être la meilleure manière de disposer les églises. Un double portique entouroit la nef et le sanctuaire ; il supportoit une double galerie, soutenue aussi par de grandes colonnes, au-dessus desquelles s’élevoit une magnifique voûte en plein cintre qui couvroit la nef, et, prenant la forme d’une coupole sur le sanctuaire, étoit supportée par douze colonnes dont les chapiteaux étoient d’argent et d’un travail merveilleux.

Ce plan, d’une extrême simplicité, ne diffère de celui de l’ancienne église de Saint-Pierre, construite à Rome aussi du temps de Constantin, que par la petite nef transversale qu’on avoit adaptée à la forme de la basilique, pour donner à l’édifice sacré l’apparence de la croix ; forme que l’on retrouve dans les plus anciennes églises, telles que Saint-Paul-hors-des-murs et Saint-Jean-de-Latran à Rome, et les cathédrales de Ravenne, de Pise, de Milan, de Séville, enfin dans celle de Notre-Dame à Paris.

On peut aussi diviser les nefs en trois sortes, relativement à l’élévation ou à la coupe de l’édifice et à la manière dont elles sont couvertes.

Les premières sont dans la forme primitive des basiliques, c’est-à-dire, un espace circonscrit par des murs en parallélogramme, et divisé dans le sens de sa largeur par deux ou quatre rangs de colonnes qui supportent la charpente à découvert, comme dans Saint-Paul-hors-les-murs, ou cachée par un plafond horizontal divisé en cuissons ou encadremens motivés par la croisure des sablières et des solives, comme à Sainte-Marie-Majeure.

Dans la seconde espèce de nefs, les colonnes reçoivent la retombée d’arcs qui supportent des murs également percés d’arcades, sur lesquels reposent des petites voûtes en arête, en arc de cloître ou en tiers-point, dit ogive. Ces constructions sont variées à l’infini dans le jeu des voûtes, leur pénétration, leurs évidemens, et surtout dans leur décoration.

Enfin, la troisième manière de couvrir les nefs consiste en une voûte en berceau à plein cintre et continue, ou divisée par de simples bandeaux qui marquent l’espacement des supports, et plus ou moins ornée de caissons, comme à Saint-Pierre de Rome.

Au reste, les constructions modernes, qui sont presque toutes dans ce système, vont motiver quelques réflexions sur la meilleure ordonnance des nefs.

C’est en effet en grande partie de leur bonne disposition, c’est-à-dire, du juste rapport entre la largeur, la hauteur et l’espacement des bas côtés, en un mot, de l’harmonie des proportions de la nef, que dépend l’effet qu’un tel édifice doit produire au premier abord.

Pour que l’impression soit favorable, il faut que le coup d’œil puisse embrasser à la fois la presque totalité de l’édifice, ou au moins que ce qu’on en voit fasse deviner le reste.

En entrant, par exemple, dans une église à trois nefs séparées par deux files de colonnes, les yeux se portent en avant et découvrent la grande nef toute entière jusqu’à son extrémité, mais ils devinent en même temps le prolongement des nefs latérales, parce qu’ils l’entrevoient à travers les colonnes. L’espace semble même s’agrandir à mesure qu’on avance ; car, s’il perd quelque chose en profondeur, il le gagne en largeur : il y a compensation, et la même idée de grandeur subsiste. Mais cette idée de grandeur est relative, et souvent elle n’est qu’apparente ; un vaste vaisseau peut paroître exigu, comme celui qui n’a qu’une petite capacité paroître avoir de la grandeur. Prenons pour point de comparaison les deux extrêmes, la basilique de Saint-Pierre, et la petite église de San Pietro in Vincoli.

Certes, tout le monde s’accorde à dire que la basilique vaticane est réellement plus vaste qu’elle ne le paroît au premier coup d’œil, tandis qu’en entrant dans Saint-Pierre-aux-liens ou éprouve un sentiment contraire et qui tient, sans aucun doute, à la bonne disposition de son ensemble et à la juste répartition de ses parties ; et quoique cette église soit l’une des moindres de Rome, quant à la superficie, il en est peu qui aient un aspect aussi majestueux et aussi grandiose.

Ne pourroit-on pas expliquer cette impression, en la rapprochant du principe que nous avons déjà émis, qu’il faut autant que possible embrasser un ensemble d’un seul coup d’œil, pour que l’esprit en conçoive une grande idée ? Les regards aiment moins à s’égarer qu’à glisser, pour ainsi dire, sans fatigue, en parcourant un long espace subdivisé par des objets tous réguliers et à une petite distance l’un de l’autre, C’est l’effet que produit la nef de Saint-Pierre-aux-liens, formée par deux rangs de colonnes sans ornemens étrangers, toutes semblables et dans une juste proportion, quant à leur espacement et à leur hauteur ; aussi découvre-t-on, dès l’abord et sans obstacle, tout l’intérieur de l’édifice.

Partagez cet espace seulement en trois ou quatre parties, ne vous sembleroit-il pas raccourci ? C’est ce qui arrive à la grande basilique de Saint-Pierre. L’énorme épaisseur des piliers qui supportent les voûtes, dissimule entièrement aux regards l’étendue des bas côtés, empêche même de juger de la grande largeur de l’église.

Supposons maintenant, qu’au lieu de quatre énormes massifs dont est flanquée la principale nef, on ait subdivisé le même espace au moyen de colonnes d’un module convenable et relatif à la hauteur de l’architrave ; certes cet espace auroit paru immense, sans cesser d’être en rapport avec les proportions de l’édifice. Cette disposition (en en supposant toutefois la possibilité) auroit eu de plus l’avantage de laisser pénétrer les regards dans le vaste enfoncement des bas côtés, et l’esprit auroit été surpris autant que charmé d’un spectacle unique au monde, et qui auroit surpassé tout ce que les Anciens avoient imaginé dans ce genre.

Depuis l’érection de l’église de Saint-Pierre, la plupart de celles qu’on a construites, sont faites sur le même modèle, c’est-à-dire, composées d’arcades fort massives, dont les pieds-droits, aussi lourds, servent d’arrière-corps a des pilastres. Il y auroit eu bien moins d’inconvénient à conserver du gothique, ou plutôt du style qui l’a précédé, ce qu’il avoit de bon : je veux parler de la légèreté des supports et du dégagement qui en résultoit. Que l’on compare les églises construites suivant le nouveau système, avec celles de Royaumont, de Long-Pont et de Sainte-Croix d’Orléans, et l’on sera forcé d’avouer qu’on ne peut entrer dans ces temples, tout gothiques qu’ils soient, sans être saisi d’admiration, par la beauté du coup d’œil qu’offre cette multitude de colonnes assises immédiatement sur le pavé, et si bien disposées en plan, qu’elles laissent voir sans embarras et d’un seul regard, toute la grandeur et toute la magnificence de ces édifices.

Des architectes modernes ont fait une application nouvelle de ces principes, pour restituer à l’ancienne galerie du Louvre une dignité et une ampleur qu’elle n’avoit pas auparavant. On s’attache pour l’ordinaire à augmenter l’effet de la longueur. Ici, où elle étoit démesurée, il s’agissoit de la diminuer en apparence ; c’est ce qu’on a cherché à obtenir avec assez d’adresse, en divisant ce long espace en travées qui, indépendamment du mérite du décor architectonique et propre au classement d’objets d’art, ont eu celui de dissimuler l’étroit du vaisseau, comparé à sa longueur démesurée.

La preuve que c’est de l’effet de la bonne proportion de la nef d’un temple, que résulte le plus ou moins d’impression qu’il produit, et que a proportion la plus anciennement adoptée est la meilleure, comme toutes les premières idées, c’est que, lorsqu’on a voulu abandonner la forme simple des basiliques et des croix latines, pour adopter la croix grecque, ce n’a été qu’au détriment de l’art. En effet, qu’on compare le plan de l’ancienne basilique de Saint-Pierre et de la nouvelle, ou des antiques temples grecs avec celui de Sainte-Sophie, bâtie lors de la décadence, certes l’avantage sera du côté de la forme longue sur la forme carrée. On l’a si bien senti lors de la construction de Saint-Pierre à Rome, qu’après l’avoir commencé sur le plan de la croix grecque, on a été force d’alonger l’un des bras de cette croix ; et quoique ce raccordement n’ait pas été exécuté avec toute l’adresse possible par Carlo Maderno, pour sauver le point de suture, le résultat en est ostensiblement meilleur.

C’est le défaut qu’on remarque dans l’église de Sainte-Geneviève de Paris, et ses proportions colossales à l’extérieur sont amoindries lorsqu’on entre dans cet édifice, à un point qui ne peut se comprendre, qu’en réfléchissant que cet effet mesquin est produit par le rapprochement du sanctuaire, qu’on est habitué dans les autres temples à voir à une distance pour ainsi dire respectueuse, et dans un lointain qui permet de se pénétrer du recueillement nécessaire avant de s’approcher des mystères sacrés.

Il résulte de ce que nous venons de dire sur les nefs et leur disposition si diverse, que malgré cette immense variété de combinaisons imaginées depuis seize siècles, l’on seroit tenté de croire qu’on n’a pas fait un seul pas vers la perfection depuis le commencement de l’ère chrétienne, et que, mettant à part le genre dit gothique, qui a pourtant son avantage, on peut citer encore comme le modèle des nefs, et peut-être dirons-nous des temples chrétiens, les basiliques de Sainte-Marie-Majeure et celle de Saint-Paul hors les murs à Rome ; bien que l’un et l’autre de ces édifices aient été construits au quatrième siècle, époque qu’on est habitué à considérer comme un temps de barbarie, et qui cependant conservoit, si ce n’est le génie, au moins la tradition des arts antiques.

(A. L. C.)

Comme il n’y a rien de plus facile que les théories abstraites ou générales, dans lesquelles l’esprit se saisit, et l’imagination s’empare d’un point de vue, qui ne permet pas de mettre en compte les besoins, les convenances, les sujétions qu’une multitude de causes locales imposent surtout à l’architecte, nous devons prévenir que c’est abstraction faite de toute considération pratique ou exécutive, qu’on a rédigé les précédentes notions.

Nul doute que l’aspect intérieur d’une nef à colonnes, entourée de bas côtés supportés sur des colonnes, n’offre à la vue bien plus de dégagement, et ne présente à l’esprit plus de moyens de mesurer tout l’espace.

A cet égard, le naos des grands temples grecs étoit ainsi disposé, du moins le plus souvent. Mais à quelques exceptions près, cet intérieur des temples grecs, où le peuple n’entroit point, où aucune cérémonie ne réunissoit la multitude, ne sauroit se comparer même à nos petites églises. A peine le naos du temple de Minerve, à Athènes, avoit-il cent pieds de long. Et puis, qui ne sait que ces temples, selon les uns n’avoient point de couvertures, selon les autres n’étoient couverts qu’en charpente et en plafonds de bois ?

Veut-on parler des premières basiliques chrétiennes, faites sans doute à l’instar des édifices de ce nom, chez les Anciens (voyez Basilique), les nefs toutes en colonnes, sur de très-vastes plans, sont d’un très-bel effet pour les yeux. Mais on oublie que pour leur donner cette élévation que l’étendue de l’espace exige, on a été contraint d’élever sur les colonnes un mur très-exhaussé, dans lequel les fenêtres sont percées, et qu’un pareil parti deviendroit fort difficile avec la construction en pierre de taille. Ajoutons que ces basiliques n’étoient couvertes qu’en bois et par des plafonds de menuiserie. Or, l’incendie de la superbe basilique de Saint-Paul à Rome qui vient d’avoir lieu, nous a expliqué la fréquence des incendies des temples antiques.

Ce seroit pour la construction en pierre, un assez beau problème à résoudre, que l’union des voûtes plein cintre en pierre de taille, sur de vastes nefs supportées par des colonnes. Il faut dire qu’il ne l’a point encore été.

Les églises gothiques ne peuvent servir à cette solution. D’abord elles n’ont point de colonnes, mais des piliers énormes ; ensuite elles n’emploient que l’arc aigu ; enfin, l’élévation très-grande des intérieurs et l’impression qui en résulte, sont achetées bien chèrement par l’aspect hideux des extérieurs, qui ne vous donne d’autre idée, que celle d’un édifice ruineux, étayé de toute part. Tel est l’effet des arcs-boutans, sans lesquels les nefs ne pourroient se soutenir.

Un temple de six cents pieds de longueur, des nefs de cent soixante pieds de hauteur, une coupole de quatre cents pieds d’élévation ; voilà Saint-Pierre. On peut ne pas vouloir de ces grandeurs-là ; mais si on en veut, il faut les faire reposer sur des massifs proportionnels.

Nul parallèle à faire entre nos temples et ceux des Anciens.

NERFS, s. m. pl. On appelle assez généralement de ce nom, dans l’architecture gothique, les moulures des arcs doubleaux des croisées d’ogives, et formerets, qui séparent les pendentifs des voûtes.

On se sert plus volontiers, dans l’architecture, du mot nervure. Voyez ce mot.

NERVURE, s. f. La nervure s’entend plus particulièrement des arêtes des voûtes ornées d’un ou de plusieurs filets. Dans les voûtes d’arête, ces ornemens sont quelquefois nécessaires pour indiquer la pénétration des portions de cercle dont elles se composent, afin d’éviter l’effet de la mollesse.

Comme le mot nervure vient de nerf, on doit entendre par nervure en général, toute espèce de moulure placée sur des parties lisses ou sur des angles, et qui semblent être comme les nerfs de l’objet. Ainsi, dans les voûtes, les nerfs ou nervures seront les parties saillantes et continues qui de fait sont les nerfs de la construction ; dans l’architecture gothique, on voit souvent des moulures qui servent à consolider les voûtes d’arêtes, en fortifiant les angles par des nervures. Les Anciens n’ont point employé ce genre de nervure' . Cependant, dans les voûtes des Thermes, on voit qu’ils ont été obligés, pour en accuser les arêtes, de pincer un peu les angles, afin de rendre sensible la pénétration, et de rectifier en même temps le défaut de la construction, qui, sans cette précaution, auroit produit un effet peu régulier et désagréable.

Dans les colonnes, on appelle nervure les côtes qu’on ajoute quelquefois aux cannelures de l’ordre corinthien, comme on le voit à celles des colonnes de la grande niche du Panthéon à Rome.

Dans les volutes du chapiteau ionique, on appelle nervure le filet qu’on met quelquefois sur l’arête de la volute, comme on le voit dans les chapiteaux ioniques grecs du temple de Minerve Poliade à Athènes.

En construction, la nervure est généralement l’arête qu’on laisse pour fortifier une partie de la pierre, particulièrement aux angles, afin d’eu faciliter la pose.

On voit des exemples de ces espèces de nervures aux architraves de quelques édifices antiques. La partie de l’architrave qui pose sur le chapiteau étant plus susceptible de s’éclater aux arêtes, les Anciens laissoient quelquefois une nervure qui avoit la forme d’un petit boudin ou baguette, afin de fortifier les angles. On voit encore de ces nervures à l’arc de Septime-Sévère, au-dessus des chapiteaux ; dans ce cas, elles n’étoient point placées comme ornement, et on les supprimoit lorsque l’édifice étoit terminé.

On se sert encore du mot nervure pour désigner, dans les feuillages des rinceaux d’ornemens sculptés, les côtes élevées de chaque feuille, et qui représentent les liges ou les espèces de ramifications des plantes naturelles.
(Huyot.)


NEUDS. Voyez Nœuds.


NICHE, s. f. On appelle ainsi un renfoncement pratiqué par la construction dans l’épaisseur des murs d’un édifice, et destiné à recevoir différens objets, tels que bustes, vases, trépieds, mais particulièrement des statues.

Vitruve n’a parlé de niches dans aucun endroit de son Traité, et nous n’aurions que des conjectures très-vagues à former sur le nom qu’on leur donna jadis, si une inscription publiée dans les Monumenti Gabini, par Visconti, ne nous apprenoit qu’on désignoit en latin les niches par le mot de Zothecœ, formé des deux mots grecs zoon, figure, et theca, repositorium, en français etui, réduit où l’on conserve.

Le mot niche est le mot italien nichia, venu sans doute de nichio, qui signifie coquille, conque marine. On donne pour raison de cette étymologie, l’idée de la ressemblance d’une statue dans sa niche, avec le poisson dans sa coquille. D’autres ont expliqué cette étymologie, par l’usage assez fréquent d’orner avec une coquille la partie demi-sphérique qui termine souvent le haut d’une niche.

La pratique des niches considérées sous le rapport de la forme simple et primitive indiquée par la définition qu’on a donnée de ce mot, paroît avoir existé à peu près partout, et plus ou moins dans toutes les architectures.

On doit ainsi reconnoître comme ayant été des niches, dans les monumens de l’antique Égypte, ces renfoncemens qu’offrent les murs, et où l’on plaçoit quelquefois les gaines des momies ; et comme quelques-uns ont prétendu voir dans ces gaines l’origine des statues (ce qui ne peut s’entendre que de l’Égypte), d’autres ont imaginé fort gratuitement, à ce qu’il paroît, d’aller puiser aussi là l’usage des niches.

Cet usage toutefois semble être du nombre de ceux qui n’ont besoin d’aucun exemple étranger, pour se produire en tout pays et s’y perpétuer.

Si l’on ne trouve à citer aucun exemple de niches dans les ruines des édifices de la Grèce, les plus anciens de ceux qui existent encore, c’est que ces édifices sont presque tous des temples, qui n’admettoient ni au dedans ni au dehors l’usage des statues placées dans des niches. Il s’en trouve toutefois de quadrangulaires au monument choragique de Thrasyllus, c’est-à-dire dans la partie de la construction qui s’adosse au rocher de la citadelle. On croit que cet édifice date de la 94e. olympiade. Le monument de Philopapus, d’une époque il est vrai postérieure, a aussi trois niches, une circulaire et deux quadrangulaires, encore aujourd’hui ornées de statues. Quand nous n’aurions pas ces exemples, il faudroit dire que tous les édifices de la Grèce, tels que Gymnases, Agora, Stades, etc., et tous les ouvrages du luxe des particuliers, ayant péri, on ne peut tirer contre l’usage des niches, dans l’architecture des meilleurs temps, aucun argument valide, de cela seul, qu’il ne s’en trouve point dans le petit nombre des monumens d’une certaine époque, dont il existe des restes.

Mais les différentes formes des tombeaux et les pratiques diverses de sépulture avoient dû rendre très-anciennement l’usage des niches familier aux Grecs et aux Romains, dans les sépulcres construits surtout pour les familles. Ces sépulcres, qu’on appela Columbaria, avoient leurs murs intérieurs ornés de petites niches destinées à recevoir les urnes où étoient déposées les cendres des morts. Très-souvent une niche beaucoup plus grande occupoit la place principale de ces chambres, et c’est là qu’étoit l’urne ou le sarcophage du chef de la famille.

On trouve des niches pratiquées dans des intérieurs de temples ou ædicules des Romains, ouvrages qui passent pour devoir être d’une construction assez ancienne.

Sur les bords du lac d’Albano, on admire un petit édifice construit en reticulatum, et qu’on croit avoir été un Nympheum. Chaque côté de son intérieur est orné de six niches, dont l’élévation annonce qu’elles furent destinées à recevoir des statues.

Le nom de ce monument en rappelle un autre situé à Nîmes, près de la fontaine, et qu’on croit aussi avoir été un temple consacré aux nymphes, bien qu’on lui donne assez ordinairement le nom de temple de Diane. Le dedans de l’édifice a les deux côtés décorés de six colonnes corinthiennes adossées aux murs. Chaque entre-colonnement est occupé par une niche du genre de celles que les Modernes appellent à tabernacle. Chacune repose sur un stylobate ; chacune est ornée d’un chambranle formé par deux pilastres soutenant un fronton alternativement angulaire et circulaire. Dans une de ces niches il doit y avoir encore des fragmens de statues.

Cette sorte de niche, des plus belles qu’il y ait dans l’antiquité, nous conduit naturellement à faire mention de l’espèce de niches encore plus magnifiques qui ornent l’intérieur du Panthéon, à Rome : elles sont aussi du genre de celles qu’on désigne par le nom de tabernacle (selon Chambray). Leur renfoncement est orné d’un bandeau et accompagné de deux colonnes corinthiennes qui supportent des frontons alternativement circulaires et angulaires. Les colonnes posent sur un stylobate, quoique Desgodets leur donne des piédestaux isolés.

On ne sauroit quitter le Panthéon sans y faire observer les deux grandes niches circulaires en plan et dans leur fermeture, qui sont sous le péristyle, une de chaque côté de la porte, et qui, sans doute, comme leur dimension l’indique, furent destinées à recevoir des statues colossales.

Il seroit aussi long qu’inutile de faire mention de tous les édifices antiques romains où l’on trouve des niches. Plus les statues se seront multipliées à Rome et dans les diverses parties de l’Empire, plus, comme cela est probable, l’usage des niches sera devenu fréquent et général. Ainsi, un des hémicycles du monument appelé le temple de la Paix, à Rome, conserve encore dans sa circonférence intérieure une rangée circulaire de douze niches.

Lorsque l’architecture eut à sa disposition une grande quantité de statues, on en fit un objet de décoration universelle. Les théâtres, les forum, les gymnases, les thermes, les tombeaux et beaucoup d’autres édifices furent ornés d’un nombre de niches proportionné au nombre des statues que le luxe public et celui des particuliers, mais surtout les spoliations de la guerre, avoient singulièrement multipliées.

Le grand usage des statues dut rendre ainsi l’emploi des niches si commun, qu’il arriva sans doute qu’au lieu de faire des niches pour les statues qu’on possédoit, on en sera venu à faire des niches pour les statues à venir. Ainsi, il en aura été de la niche, surtout dans les édifices des derniers siècles de l’Empire, comme nous voyons qu’il en est dans les édifices modernes : elle sera devenue une sorte d’ornement banal, un lieu commun de l’architecture, et les architectes en auront fait sans aucune intention d’y placer des statues.

On est fort porté à le croire en parcourant les ruines des édifices de Palmyre, de Baalbeck et de Spalatro. C’est là qu’on voit des niches de tout genre et de toute forme, placées les unes au-dessus des autres, et, à ce qu’il paroît, plutôt pour la décoration des masses et des superficies, que pour recevoir des statues.

Ainsi, un édifice de Rome, appelé l’Arc de Janus, a tous ses massifs quadrangulaires occupés par deux étages de niches ornées de coquilles dans la partie circulaire d’en haut. Quelques-unes de ces niches, c’est-à dire celles des angles, ne sont que figurées ou feintes, parce qu’effectivement l’épaisseur en cet endroit n’eût pas permis de leur donner la profondeur nécessaire pour recevoir des statues.

On retrouve l’ornement en coquilles dont on vient de parler, au plus grand nombre des niches qui décorent les monumens de Palmyre et de Baalbeck : c’est là aussi, comme à Spalaro, qu’on verra toutes les sortes de variétés que l’abus du luxe commença à introduire dans cette partie de l’architecture. Parmi un grand nombre de niches ornées de colonnes et de frontons avec beaucoup de régularité, il en est aussi dont les frontons n’ont plus de base ; il en est d’autres où les frontons éprouvent des ressauts ; d’autres où le fronton est contourné d’une manière capricieuse. Enfin, il semble que là auroit pris naissance l’usage d’employer arbitrairement et à tout propos les niches, et sans aucun autre but que celui de garnir les superficies, ou de remplir des espaces qui, sans cela, seroient demeurés lisses.

Les divers monumens qu’on vient de citer, en suivant l’ordre des temps, peuvent fournir à l’architecture les exemples et les modèles de toutes les espèces dé niches ; et sans doute ils suffiront pour faire connoître à quel genre de convenance elles doivent être assujetties, selon la nature des édifices, et selon le caractère des ordonnances qui les reçoivent. Ces convenances nous paroissent devoir être assimilées à celles d’après lesquelles se règlent la forme et la décoration des portes et des fenêtres, à quoi les niches peuvent et doivent être comparées, sous toutes sortes de rapports, destinées qu’elles sont à servir souvent de pendans, comme objets décoratifs, aux différentes ouvertures des édifices.

En effet on peut, avec toute raison, considérer la niche comme une ouverture ou un percé pratiqué dans un mur, dans un massif ; et il en est qui le sont effectivement, c’est-à-dire, où l’objet qu’on y place peut être vu de l’un et de l’autre côté. C’est ainsi qu’on prend pour de véritables niches, et ils le sont en réalité, ces percés dans l’arc appelé de Claudius Drusus, aujourd’hui Porta Maggiore, et où étoient placés jadis les trophées dits de Marius. De même, dans bien des cas, des arcades sont des niches percées, comme les niches sont des arcades fermées.

Il fut donc, et il est fort naturel encore de donner aux niches, dans la décoration de l’architecture, les mêmes variétés de caractère, de forme, d’ornemens et d’accompagnemens que l’usage a affectés aux ouvertures des fenêtres et des portes.

Ainsi, il y a des niches quadrangulaires dans leur plan et leur fermeture, qui ne reçoivent ni chambranle, ni aucune espèce d’accompagnement, et qui forment le genre le plus simple, en y joignant aussi celles qui sont circulaires en plan et cintrées par en haut, mais sans couronnement et sans encadrement.

On peut ranger dans la classe suivante les niches quadrangulaires dans leur renfoncement et leur fermeture, mais ornées de chambranles ou couronnées d’une plate-bande supportée par deux consoles, ainsi que celles dont les chambranles ornés de pilastres sont surmontés d’un fronton.

Dans la troisième classe on comprendra les niches demi-circulaires en plan, et arrondies dans leur fermeture, ornées de bandeaux, accompagnées de colonnes, et couronnées par des frontons angulaires ou circulaires.

Cette sorte de classification de niches, empruntée de la pratique reçue à l’égard des ornemens des fenêtres, comporte naturellement, comme toutes les parties de l’architecture, trois caractères qui, correspondant aux trois ordres, seront facilement mis en rapport avec les qualités qu’exigent le genre simple ou fort, le genre moyen ou élégant, le genre riche ou varié.

Les trois classes de niches qu’on vient de décrire devront donc trouver place dans les édifices, selon que le caractère de chacun de ceux-ci sera désigné par l’un ou l’autre des trois ordres dorique, ionique ou corinthien.

Dans tout ouvrage d’architecture, ou faisant partie de l’ensemble des édifices, la proportion est un élément principal du caractère qu’on doit lui donner. Ainsi il va sans le dire, que chacune des trois classes de niches déjà désignées, doit avoir une proportion, qui soit moralement en rapport avec la forme qu’on lui donne et la mesure d’ornement qui lui est affectée : on dit moralement, parce qu’au fond il appartient surtout au sentiment des convenances et au goût, de déterminer de semblables rapports.

Quelques architectes ont essayé en vain de les fixer dans leurs théories par des règles invariables. Selon eux, la règle générale seroit de donner à la hauteur des niches deux fois et demie leur largeur ; la règle particulière seroit de donner à la niche de la première classe vingt-huit parties ; à celle de la seconde, trente ; à cette de la troisième, trente-une, en prenant douze de ces parties pour la largeur du chaque niche. C’est ainsi qu’ils approprient aux proportions respectives des différentes niches, le système des proportions qu’ils appliquent aux ordres dans leurs traités d’architecture.

Toutes ces fixations proportions n’étant, à l’égard même des colonnes et des membres d’une ordonnance, que des espèces de termes moyens, établis dans les méthodes, pour servir de mesure approximative aux combinaisons de l’architecte, on comprend combien il seroit ridicule de prétendre assujettir les dimensions des niches à une échelle de proportions invariablement déterminées.

En effet, il n’y a peut-être point d’objets de


décoration en architecture qui doive être, plus que les niches, soumis aux conditions essentiellement variables, soit de l’emploi qu’on en fait lorsqu’on y place des statues, soit du lieu qu’elles doivent occuper, soit de la distance où elles se trouvent de la vue, soit des accessoires qui les environnent.

Beaucoup d’observations plus ou moins judicieuses ont été faites relativement à la pratique des niches et à leur emploi dans l’architecture ; et il faut dire qu’ici, comme sur d’autres points, des critiques beaucoup trop sévères se sont prévalus des abus que quelques-uns ont fait des niches pour en proscrire tout usage. On a soutenu que c’étoit une invention vicieuse, par cela que les niches ne devant être destinées qu’à recevoir des statues, ces statues enchâssées, si l’on peut dire, dans des renfoncemens, ne faisoient plus d’effet, et que l’œil ne pouvoit plus en embrasser les divers aspects. La chose est vraie, sans doute, et la critique auroit raison sur ce point, si toutes les statues étoient de nature à devoir être considérées de tous les côtés, et si on n’en faisoit pas tout exprès pour être enfermées dans des niches. Or, tout le monde sait que la sculpture a plus d’une manière de travailler les ouvrages, selon qu’ils figurent isolément, ou qu’ils sont destinés à servir d’ornement dans l’architecture. Condamner, pour une aussi futile raison, l’emploi des statues dans les niches, ce serait condamner l’architecture à se priver d’un de ses moyens de décoration les plus agréables et les plus utiles en même temps.

J. F. Blondel a pensé qu’on ne devoit pas pratiquer deux rangs de niches l’un sur l’autre, à moins qu’ils ne sussent séparés par la ligne d’un entablement qui annonce l’existence d’un plancher ; autrement, dit-il, la statue de la niche supérieure sembleroit avoir ses pieds posés sur la tête de la statue placée dans la niche inférieure. Il faut craindre, en architecture, autant l’absence que l’abus du raisonnement. Or, nous croyons que si la raison nous dit qu’il peut y avoir de l’inconvénient à trop multiplier les niches dans les murs ou les élévations d’un édifice, ce ne sera jamais par la considération de la position de la statue d’en haut, à l’égard de l’inférieure, que cette multiplicité blessera les yeux du spectateur.

On sera plus volontiers de l’avis de Blondel, dans les préceptes qu’il donne sur les rapports des statues avec les niches. Il s’oppose, avec raison, à ce que l’on fasse porter les pieds d’une statue sans plinthe sur la base de la niche. La plinthe effectivement est nécessaire au bon effet de toute figure en statue ; c’est sortir des conventions de la sculpture, et de l’art en général, que de prétendre à la vaine illusion qui sembleroit résulter de la privation des caractères matériels qui entrent dans les conditions de l’imitation. C’est faute de faire cette réflexion que des critiques se sont prononcés contre l’emploi des statues placées par l’architecture dans des lieux, disent-ils, où il n’est ni possible ni probable qu’un homme vivant puisse parvenir ou rester. Mais, dans la décoration architecturale, il ne sauroit jamais être question de considérer les figures comme êtres naturels et vivans ; il ne faut les voir que sous le rapport d’imitation, c’est-à-dire, comme statues.

C’est d’après cela qu’on blâmera, et avec raison, l’artiste de donner aux statues que doivent renfermer les niches, des compositions trop pittoresques, des attitudes et des mouvemens qui ambitionnent l’illusion, et qui, faisant sortir la figure des lignes de la niche, la mettent trop en saillie hors des murs ou des paremens.

Il resteroit à parler du judicieux emploi que l’architecte peut faire des niches sous le rapport de la décoration. La niche ainsi considérée, devient sans doute trop souvent (comme on l’a déjà dit) une sorte de lieu commun, un objet parasite dont on remplit le vide des superficies qu’on ne sait point occuper autrement : de-là, dans beaucoup de monumens modernes, ces niches multipliées qui sont restées sans statues, parce qu’effectivement ce n’étoit pas le besoin de statues qui les avoit fait imaginer. Aussi a-t-on déjà remarqué qu’une des meilleures destinations qu’on pût aujourd’hui donner à la sculpture, seroit de remplir toutes les niches vides que présentent nos édifices.

Au nombre des raisons qui plaident en faveur des niches dans l’architecture, il faut compter non-seulement l’heureux effet des statues comme objets décoratifs, mais l’effet plus heureux encore de leur signification, et cet effet résulte de l’analogie des sujets exprimés dans les statues avec la destination de l’édifice que ces sujets désignent et caractérisent. On dénoncera donc comme un abus trop commun dans les projets et dans leur exécution, cette habitude de faire des niches qui n’auront pas de statues, ou de les remplir par des statues qui sont sans rapport aveu la destination du monument.

Si cet effet des statues, qui devroit être la vraie raison de l’emploi des niches, étoit toujours présent à l’esprit de ceux qui font des projets d’architecture, il est probable qu’ils seroient plus économes de niches ; celles-ci, moins prodiguées, acquerroient plus de valeur, surtout si elles ne se présentoient jamais sans les statues pour lesquelles elles sont faites.

On donne aux niches différens noms, selon leur forme, leurs accompagnemens, et aussi selon les parties d’édifices ou les emplacemens qu’elles y occupent. Ainsi l’on appelle :

Niche carrée, celle qui forme dans un mur un renfoncement dont le plan et la fermeture sont quadrangulaires.

Niche ronde, celle qui est cintrée dans sa fermeture et circulaire dans son plan.


Niche rustique, celle dont le bandeau est orné de refends du de bossages.

Niche à cru, celle qui, ne portant sur aucun corps ni massif, prend naissance du rez-de-chaussée, comme sont les deux grandes niches du portique du Panthéon, ou qui repose sans plinthe sur l’appui continu d’une façade.

Niche angulaire, celle qui est prise dans un encoignement, qui, dans l’angle, est fermée par une trompe.

Niche de buste, celle qui consiste ordinairement en un petit renfoncement circulaire.

Niche d’autel, ce le qui occupe la place d’un tableau dans un retable d’autel.

Niches en tabernacle. celles qui sont décorées de chambranles, de colonnes avec frontons, et reposent sur un stylobate.

Niche en tour ronde, cette qui est prise dans le dehors d’un mur circulaire, et dont la fermeture est en saillie. On appelle niche en tour creuse, celle qui fait l’effet contraire de la niche en tour ronde.

Niche, œdicula, zotheca, loculamentum.

Les plus anciennes sont évidemment celles qui sont taillées dans la montagne même, et celles qui leur ont succédé et qu’on voit dans les excavations de la Nubie. La nécessité de faire des figures de ronde bosse fit creuser autour de ces figures nu creux qui servit à les détacher plus ou moins. On fit ces entailles carrées autour de la figure, ainsi qu’on en voit dans les excavations d’Eysenboule, de Gerche-Assan, de Déry, etc. On creusoit aussi de petites niches à l’entrée des fontaines ou des temples, et dans les tombeaux, pour y placer des lampes. Il est si naturel, lorsqu’on a un objet quelconque à placer dans un mur ou sur un rocher, d’y faire une entaille ou ronde ou carrée, que la niche en général est de la plus haute antiquité : mais l’usage d’en faire un ornement propre à l’architecture est bien moins ancien ; car on ne peut donner le nom de niches à ces excavations égyptiennes faites pour réserver les figures plus saillantes que celles qu’on voit sur les obélisques, par exemple, qu’on ne peut appeler niches. Ce sont les Grecs, je crois, qui donnèrent les premiers une proportions aux niches, selon la place qu’elles occupaient, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur des édifices. Comme ce sont eux qui firent le plus de statues ronde bosse pour faire partie des édifices, il devint naturel de leur donner une place dans la construction, ce qui donna l’origine de la niche proprement dite ; la proportion de la statue lui donna naturellement une véritable proportion, qui fut cependant assujettie à l’ordre et aux ornemens dont étoient enrichis les édifices.

Les Romains, qui ont beaucoup emprunté des Grecs dans les arts, ont souvent fait un abus de ce genre d’ornement, C’est effectivement dans l’architecture romaine que les niches donnent un caractère à cette architecture ; mais nous distinguerons deux espèces de niches, celles qui ne servent qu’à y placer des statues, et celles qui servent à différens usages, comme les exèdres, les renfoncemens plus ou moins grands, de forme carrée ou circulaire, qui se trouvent dans les murs d’une grande longueur. Les premières sont dans les temples, dans les salles, dans les basiliques, dans les entre-colonnemens des portiques, sur des murs lisses, mais doivent être généralement de la grandeur de six à sept pieds, afin d’y placer une statue grande comme nature, Elles sont prises dans les épaisseurs des murs, sont terminées par une plate-bande ou par une partie circulaire, quelquefois décorées de chambranles, de colonnes, de frontons et d’ornemens, selon leur place ou le rapport qu’elles ont avec l’architecture. Les autres niches sont vastes et descendent jusqu’au sol : elles servent à y placer des bancs, des sièges pour y réunir beaucoup de monde, comme on en voit dans les extrémités des basiliques, des églises, des tribunaux ; elles étoient appelées calcidiques, selon plusieurs commentateurs de Vitruve : les autres, placées dans les thermes, les salles de réunion, avoient la même forme, quoique moins grandes, et servoient à y placer des siéges pour les bains ou pour converser : on les appeloit exèdres. On peut encore appeler indistinctement calcidique, exèdre on niche, selon l’emploi, la forme et la décoration qu’on leur donne, ces renfoncemens qu’on voit plus particulièrement dans les édifices romains, et qui souvent sont répétés dans les enceintes de vastes édifices. Ces niches sont nécessaires à la construction et à la solidité de ces longs murs ; car, malgré la grande épaisseur qu’on leur donne ordinairement, ils ont besoin, de distance en distance, de certains points d’appui : souvent on y met des contre-forts ; mais lorsque la localité le permet, il est mieux de les remplacer par des ressauts agréablement disposés, qui servent a soutenir toute la volée du mur, qui, par son élévation et son étendue, sortiroit facilement de son à-plomb. C’est cette nécessité de former des ressauts pour la solidité des murs d’une grande étendue, qui est cause que tous les aqueducs romains ne sont jamais en ligne droite, ce qui a donné lieu à bien des conjectures. On a prétendu que c’étoit pour éviter certains courans qui se trouvoient sur son passage, ou que c’étoit afin de diminuer la rapidité de l’eau, ou pour chercher les lieux les plus élevés afin d’éviter la trop grande dépense. Il est vrai que cette dernière est souvent une des raisons ; mais la plus forte, et celle qu’on doit admettre avec le plus de probabilité c’est qu’un mur d’une aussi grande étendue, et souvent très-élevé, auroit été facilement renversé, soit par le tassement, soit par des tremblemens de terre, et que si une partie venoit à tomber, elle entraineroit bientôt, par son poids,


celle qui se trouve sur la même ligne. C’est donc pourquoi on a plié cette longue distance, en profitant effectivement des hauteurs qui pouvoient être favorables à la construction, dans les lieux où il falloit moins de fondation. Mais les diverses brisures des longs aqueducs romains sont nécessaires pour maintenir et fortifier le mur. Il n’est point jusqu’au plus simple des particuliers qui ne suive cette règle pour le paravent qui se trouve dans sa chambre pour le garantir du froid. C’est donc ce principe de solidité qui fit que les murs des Romains particulièrement, qui souvent n’otoient que de briques, avoient une infinité de renfoncemens, comme on le voit dans les enceintes des thermes.

Les niches servent encore dans la construction à ménager les matériaux, soit la pierre, soit les briques qu’on y emploie ; c’est encore une des raisons pour lesquelles les Romains en firent un si grand usage dans les énormes massifs de leurs constructions en brique. Elles servent encore dans certains cas, comme de décharge pour lier les murs et les différentes parties de muraille ; car, lorsque les murs ont une grande hauteur, il est essentiel de faire quelquefois sur la hauteur ce qu’on fait sur la largeur, c’est-à-dire, de former des arcades pour lier les murs, en rompant les assises régulières horizontales. On n’y met ordinairement que des plates-bandes ou des arcs ; mais lorsque le mur a une grande épaisseur, on peut y mettre des niches. Les niches servent encore de décharge dans les fondations, et butent les terres. On fait pour les murs de terrasse des contre-murs, ou on y place une suite de niches circulaires qui isolent les terres et empêchent lent poussée et leur humidité, comme on le voit au camp de la ville Adrienne.

Maintenant que nous avons donné une idée des niches en général, voyons comment les Anciens et les Modernes les ont employées. Il nous reste peu de niches des Grecs. Dans les temples, les statues étoient colossales et placées au fond de la cella, isolées comme au temple de Jupiter olympien et à celui de Minerve à Athènes. On voit cependant quelques niches à quelques édifices ; elles sont ordinairement carrées. Je n’en saurois citer de circulaires, les Romains en ont peu employé dans l’architecture qu’ils out empruntée des Grecs, comme dans les temples, par exemple, construits en marbre ; mais dans les grandes constructions en pierre, on peut citer celles de l’enceinte du temple de Mars vengeur : elles n’ont de grandeur que les dimensions suffisantes pour recevoir des statues grandes comme nature. Cette dimension est celle qui convient le plus aux édifices ; elle sert d’échelle, de comparaison pour établir les justes dimensions de l’édifice. Les niches de cette dimension ont été souvent, et avec profusion, répétées dans l’intérieur même des temples lorsqu’ils étoient en brique, comme on le voit encore an temple du Forum d’Antonin, appelé basilique d’Antonin ; à celui de Vénus et de Rome, construit par Adrien, en face du colisée. On voit de ces niches dans une infinité de constructions en brique, soit à Rome, dans les thermes, soit à Tivoli, dans les constructions privées de la ville Adrienne. Il est certain qu’à Rome il devoit y en avoir eu une grande quantité pour placer ce peuple de statues qu’on y voyoit. Les portiques, les basiliques, les bains, les édifices publics et privés étoient remplis de statues, qui, généralement, n’étoient pas plus grandes que nature, et qui rendoient encore plus immense la grande dimension des édifices, tels que les thermes, les théâtres, les amphithéâtres, les cirques, etc. Ces niches étoient ou rondes ou carrées ; lorsqu’elles étoient carrées en plan, elles l’étoient en élévation, et lorsqu’elles présentoient un plan circulaire, elles étoient terminées par une élévation circulaire. Quelquefois elles étoient sans ornemens, souvent ornées de chambranles, comme on en voit encore un exemple à l’arc de Janus : elles avoient aussi des colonnes et des frontons, comme on le voit au Panthéon, aux Thermes. Souvent ces colonnes posoient sur un piédestal, et avoient alternativement un fronton rond et un fronton circulaire, comme celles du Panthéon. Quelquefois placées sur une hauteur trop élevée pour avoir un piédestal, les colonnes posoient sur des consoles, comme on le voit aux thermes de Dioclétien, dans la décoration de la saçade et de l’édifice appelé le temple de la Paix, dans la niche circulaire qu’on y a ajoutée. Les Romains ont fait des niches plus grandes pour recevoir, soit des groupes, soit des statues colassles ; alors elles posoient directement sur le sol, comme on le voit dans le portique du Panhéon, où étoit la statue d’Agrippa.

Les niches d’une plus grande dimension encore servoient dans l’extrémité des temples, des basiliques ou des salles, à recevoir, ou des statues colossales, ou des sièges pour les juges, comme ou le voit dans les deux cella du temple de Vénus et de Rome, qui étoient vraisemblablement pour des statues colossales ou des groupes, dans le monument appelé le temple de la Paix, qui étoit la basilique de Constantin ; le temple de Mars vengeur ; dans les basiliques des Thermes ; dans plusieurs salles de la ville Adrienne ; dans la basilique qui est à Pompeïa : elles servoient alors pour recevoir ou les siéges des bains, ou des siéges pour les juges. Enfin, des niches plus grandes encore, étoient dans les enceintes pour servir de point d’appui aux murs, comme nous l’avons déjà dit : elles étoient ou rondes ou carrées quelquefois alternées. Lorsqu’ elles étoient d’une grande dimension, elles n’étoient point couvertes on y mettoit des siéges et des gradins ; elles servoient alors pour les entretiens, ou comme d’amphithéâtres pour, certains jeux. On les appelle plus communément exèdres. On en voit aux thermes de Caracalla et à ceux de Dioclétien. Les Grecs faisoient usage de ces sortes de niches. On en voit dans plusieurs enceintes et aux portes de ville, où le voyageur pouvoit se reposer, afin de se préparer à entier dans la ville, comme à Pompeïa, etc. Ces exèdres étoient encore dans les portiques qui servoient d’enceinte aux grands temples. Dans l’enceinte qui reste à Athènes, et qui est peut-être celle du temple de Jupiter olympien, restauré par Adrien, on voit de ces exèdres alternativement carrés et circulaires : ils étoient décorés de colonnes et couverts de peintures. Comme ils n’étoient point d’une grandeur démesurée, ils avoient une couverture en bois, richement décorée de peintures et de compartimens. Les niches, comme nous l’avons déjà dit, essentielles à la construction sont faites pour économiser les matériaux, ou pour isoler et butter les murs de terrasses ; c’est pourquoi on en voit dans les thermes et les grottes que nous conservons des Anciens, comme à la ville Adrienne et au tombeau d’Auguste, etc.

On emploie les niches avec succès dans les fontaines et châteaux d’eau : on en voit un bel exemple à la fontaine de Trévi, dans laquelle est une statue colossale de Neptune ; elle est décorée de colonnes, de caissons, de statues, d’inscriptions, etc., et bien que le goût n’y soit point d’une grande pureté, on peut dire qu’elle est d’un grand effet.

(Huyot)


NICOLAS de Pise, architecte et sculpteur florentin du treizième siècle. Il paroit qu’il naquit au commencement de ce siècle, car Vasari rapporte à l’an 1225 sa première entreprise en sculpture, qui fut à Bologne le tombeau de S. Dome nico Calagora.

Nicolas de Pise s’étoit d’abord adonné particulièrement à la sculpture, qu’il avoit apprise de certains ouvriers grecs employés aux ornemens de la cathédrale et du baptistère de Pise. C’étoit l’époque où les Pisans, dans leurs expéditions maritimes ou commerciales, rapportoient du Levant, et chargeoient sur leurs vaisseaux d’assez beaux restes et des fragmens plus ou moins précieux de sculpture et d’architecture antique, Parmi ces ouvrages, Nicolas de Pise remarqua un beau sarcophage, sur lequel étoient sculptées la chasse du sanglier et l’histoire de Méléagre. Ce monument et quelques autres objets d’antique sculpture lui inspirèrent un meilleur goût, et bientôt il surpassa tous ceux qui, de son temps, manioient le ciseau. C’est ce dont on s’aperçut dans l’exécution du tombeau dont on a parlé, et qu’il termina, en 1231, dans la ville de Bologne, où il bâtit le couvent et l’église des Dominicains.

De retour a Pise, il se livra aux travaux de l’architecture et de la construction : on lui dut d’heureux changemens dans la manière de faire les fondations. Le sol humide et inconsistant de cette ville exigeoit des précautions qui étoient tombées en désuétude. Il remit en usage la méthode d’établir les massifs des fondemens sur pilotis et d’unir ces massifs par des arcs.

C’est de cette manière qu’il éleva l’église de S. Michele in Borgo et différens palais.

Un de ses plus ingénieux monumens fut le Campanile des Augustins à Pise. Cet édifice est extérieurement octogone et circulaire en dedans. L’intérieur renferme un escalier en limaçon, formant un vide circulaire aussi qui ressemble à un puits. De quatre marches en quatre marches s’élèvent des colonnes qui supportent des arcs rampans et vont ainsi en spirale jusqu’au sommet ; de sorte que ceux qui sont, soit en haut, soit en bas, soit au milieu, se voient tous monter ou descendre. Cet escalier, comme on l’a dit à l’article Bramante (voyez Lazzari dit Bramante), servit de modèle à cet architecte pour celui qu’il exécuta au belvédère du Vatican, et fut encore imité en d’autres lieux.

Nicolas de Pise donna, en 1240, les dessins de l’église de Saint-Jacques à Pistoia, et il y revêtit la grande niche du fond en mosaïques exécutées par des artistes toscans.

A Padoue, il éleva la grande église de Saint-Antoine, patron de cette ville, et qu’on nomme par excellence il Santo. A Venise, il bâtit l’église des Frères-Mineurs. Celle de Saint-Jean, à Sienne, fut construite sur ses dessins.

De retour à Florence, il donna les dessins de l’église de la Trinité, ceux du monastère des Dames de Faenza et ceux du couvent de Saint Dominique à Arezzo, et de Saint-Laurent à Naples, où un de ses élève, nommé Maglione, fut chargé de les exécuter.

Nicolas de Pise, après avoir fait de grandes augmentations à la cathédrale de Volterre, qu’il décora à neuf, ainsi que le couvent des Dominicains de Viterbe, fut appelé à Naples, où il éleva une église et une magnifique abbaye en mémoire de la victoire remportée sur Conradin par Charles d’Anjou. Il bàtit encore l’église de Sainte-Marie d’Orviette, et enfin il se retira dans sa pairie où il mourut. La date de sa mort est inconnue.


NICOTEAUX. Voyez Pièces de tuile.


NIGETTI (Matteo), architecte florentin, mort en 1649.

Elève de Boutalenti, il eut une grande part dans la construction du palais Strozzi à Florence. Il bâtit, dans la même ville, le cloître des religieux (degli Angeli), la nouvelle église de Saint-Michel des P. Théatins, qui fut achevée par Silvani et il fit le dessin et le modèle de l’église de Tous-les-Saints des moines de l’Observance.

Cosme, premier grand-duc de Toscane, eut l’intention de donner à l’église de Saint-Laurent une troisième sacristie, de la même grandeur qua celle qu’y fit Michel Ange, mais toute revênue de marbres et de mosaïques, pour en faire le tombeau des grands-ducs de Toscane et y rassembler leurs mausolées. Vasari en fit le dessin. Lui mort, ainsi que Cosme 1er., le grand-duc Ferdinand 1er. voulut agrandir le projet de son prédécesseur. Il communiqua son idée à Jean de Médicis, aussi habile dans l’art de la guerre que dans les arts du dessin, et lui demanda un dessin et un nouveau modèle du monument par lui projeté. Jean de Médicis répondit à son désir. Ce ne fut plus une sacristie, mais une vaste et magnifique coupole qui termine l’église de Saint-Laurent.

Ce fut Nigetti qui exécuta le dessin de Jean de Médicis. Il en commença la construction l’an 1604 ; il en ordonna, composa et acheva la magnifique décoration, toute formée de l’assemblage des marbres les plus précieux, et toujours sous la direction du prince qui en avoit donné le projet.

Nigetti fut aussi sculpteur. Il s’adonna particulierement aux travaux de pierres précieuses et de marbres rares, qui ont illustré les ateliers de Florence, et on lui doit les embellissement du merveilleux Ciborium de la susdite chapelle de Saint-Laurent. (Article traduit de Milizia.)


NILLES, s. f. pl. Petits pitons carrés de fer, qui, étant rivés aux croisillons et traverses, aussi de fer, des vitraux d’église, retiennent avec des clavettes, ou petits coins, les panneaux de leurs formes.


NILS. Voyez Euripes.


NISMES, l’une des plus anciennes villes de France, particulièrement recommandable par ses monumens antiques.

Lorsque nous offrons, dans cet ouvrage, des modèles à ceux qui cultivent l’architecture, nous allons presque toujours les chercher dans la Grèce et l’Italie, nous abandonnant à la pente naturelle de l’esprit humain qui le porte à ne puiser que les choses rares et lointaines. En effet on dédaigne celles dont l’abord est facile, et l’on aime à porter ses regards sur un obscur lointain, espérant y faire de nouvelles découvertes, souvent bien futiles, il est vrai, et qui ne doivent leur importance qu’à leur étrangeté. Il en résulte que ceux qui ne voyagent que dans les livres, n’estiment un pays qu’à raison du plus ou moins de soin qu’on a mis à le décrire, et qu’un étranger, en traversant la France avec rapidité, la connoît et l’apprécie beaucoup mieux que nous-mêmes. Néanmoins le goût des antiquités a fait de nos jours quelques progrès parmi les gens qui se piquent d’instruction ; mais pourquoi perdent-elles presque tout leur prix lorsque nous les retrouvons chez nous, et par quelle fatalité avons-nous laissé détruire peu à peu la plupart de nos antiques monumens, tandis qu’en Italie on a tant pris de soin à les exhumer, à les rétablir et à les illustrer par de savantes restaurations ! Nîmes, Orange, Arles, Bordeaux et tant d’autres villes contenoient des précieux vestiges d’architecture romaine ; ils ont été presque tous mutilés ou convertis à des usages étrangers à leur destination primitive ; pendant que nous avions sous les yeux l’exemple d’une longue série de papes et de souverains d’Italie qui tous s’illustrèrent par leur amour pour les arts, et la restitution des chefs-d’œuvre de l’antiquité. Quelques-uns de nos rois, il est vrai, essayèrent de soulever le voile de barbarie qui nous déroboit nos propres richesses ; mais ce n’est que de nos jours, et seulement depuis quelques années, qu’on s’occupe avec succès de la recherche des antiques sur le sol de la France. La ville de Nîmes possédoit déjà un bel héritage en antiquités, mais elle vient de s’enrichir de monumens inconnus jusqu’à ce jour, et qui font de la Maison carrée un temple de la plus magnifique ordonnance. Nous profitons d’une Notice publiée à ce sujet pour donner une légère idée des découvertes faites en 1820 et 1821, renvoyant d’ailleurs nos lecteurs aux grands ouvrages déjà publiés sur les antiquités de cette ville.

Ce fut environ vers le milieu du dix-huitième siècle que l’on commença les travaux nécessaires pour rendre les eaux de la fontaine de Nîmes plus abondantes, et qu’on fit la recherche et la collection des monumens antiques provenant des fouilles ; mais ce ne fut que long-temps après qu’on fit prendre une direction plus uniforme aux recherches.

Le temple qu’on appelle la Maison carrée nous offre, dans sa restauration actuelle, l’un des monunmens antiques les plus complets que l’on connoisse, et qui, par ses accessoires, est devenu un modèle curieux de la disposition générale des temples antiques : car on ne met plus en question maintenant la destination primitive de cet édifice, dont on avoit fait, tantôt une basilique, tantôt un prétoire ; enfin, un temple faisant partie d’un forum. Cette dernière supposition est changée eu certitude.

La Maison carrée offre en plan un parallélogramme rectangle de 25 mètres 65 centimètres de longueur, sur 13 mètres 45 centimètres de largeur.

Trente colonnes cannelées décorent son extérieur ; le pérystile en présente six de front : on en voit onze sur les faces latérales, mais c’est à la quatrième seulement que commence l’enceinte proprement dite ou la cella ; à partir de ce point, elles sont à demi engagées dans le mur d’enceinte du corps de l’édifice. La hauteur des colonnes, est de 8 mètres 95 centimètres, base et chapiteau compris. Ceux-ci, taillés eu feuilles d’olivier, sont sculptés avec une rare précision. Les feuilles ont un grand relief, et leur proportion, leur galbe et leurs détails ne laissent rien à désirer, ainsi que les profils et le choix des ornemens de l’architecture. La frise et la corniche qui composent l’entablement ont 2 mètres 24 centimètres de hauteur.

L’intérieur de la cella u’offre maintenant que des murs nus, mais il est probable que sa décoration correspondoit à la magnificence du dehors. De nombreux fragmens de marbres précieux, trouvés dans les dernières fouilles, pourroient aider à en faire une restauration.

Au reste, les différentes révolutions que cet édifice a éprouvées, et les usages auxquels il a été successivement consacré, ont contribué à cette dévastation.

Ces vicissitudes datent de fort loin ; on pourroit les faire remonter au siècle d’Auguste. En effet, sans parler de l’établissement de la colonie, fait par cet Empereur, et de la médaille frappée en son honneur, le témoignage d’anciennes inscriptions et la découverte de lettres de métal attachées sur la frise de l’architrave de la Maison carrée, nous apprennent que cet édifice fut consacré, l’an de Rome 754, en l’houneur de Caïus et de Lucius César, enfans adoptifs d’Auguste et princes de la jeunesse ; d’où il suit que la richesse de la ville remontoit beaucoup plus haut, puisque les Nîmois étoient alors en état d’ériger un tel monument. Il paroît même démontré aujourd’hui que ce temple, avant d’être consacré aux enfans adoptifs d’Auguste, l’avoit été primitivement à une divinité ou à quelqu’autre prince : c’est ce qui résulte de la composition de l’inscription elle-même. Elle offre deux lignes, dont la seconde est coupée par l’un des bords de l’encadrement ; or, peut-on supposer que les habiles constructeurs de cet édifice aient ainsi violé les règles de la plus simple symétrie ? Il est plus naturel de penser que la flatterie a fait disparoître la première inscription pour y substituer une nouvelle dédicace : c’est ainsi que sur les épaules des statues impériales, on substituoit de nouvelles têtes à chaque changement de règne.

Vers le milieu du onzième siècle, on convertit la Maison carrée en hôtel-de-ville ; l’intérieur fut divisé en plusieurs pièces, et des fenêtres furent percées dans l’épaisseur des murs. Au commencement du seizième siècle, elle fut vendue à un particulier qui y adossa une maison ; quelque temps après, un nouvel acquéreur plus barbare convertit le sanctuaire en écurie ; enfin, en 1670, par un contraste singulier, les religieux Augustins l’achetèrent pour en faire une église, dont l’administration centrale s’empara ensuite pour y tenir ses séances publiques.

Cependant la Maison carrée, débarrassée successivement des bâtisses et des remparts qui en déroboient la vue, attira l’attention, et l’on s’indigna d’avoir laissé dépérir un si bel édifice. Un projet général de restauration fut dressé, en 1809, par M Grangent, ingénieur en chef du département. Néanmoins, les travaux ne furent commencés que long-temps après, c’est-à-dire, en 1820.

On entreprit sérieusement alors la restauration à peine commencée de l’édifice qui étoit encore enterré jusqu’aux trois quarts de sa base : on enleva les terres dans le pourtour du monument, de manière à pouvoir rétablir le stylobate et à le montrer assis sur le sol primitif. Des marbres de différentes couleurs, des tronçons de colonnes, des fragmens d’une grande frise sculptés avec goût, et plusieurs autres fragmens d’architecture antique, firent d’abord soupçonner l’existence d’un monument plus vaste ; bientôt une construction rectangle en avant et sur l’angle nord-ouest de la face principale confirma les conjectures.

La forme de cette construction trouvée à dix centimètres au-dessous de la base du stylobate, un grand conduit en pierre de taille du côté de l’ouest, un aqueduc de 44 centimètres de largeur, construit au-dessous de ce conduit, dont le fond, ainsi que les parois du mur, étoient encore revêtus de stalactites sanguines, et contenoient des touffes de poils de taureaux, donnèrent lieu de croire que c’étoit dans ce bassin qu’on égorgeoit les victimes destinées aux sacrifices.

Aucun auteur connu n’avoit fait mention d’une enceinte qui eût existé autour de cet édifice ; néanmoins on n’ignoroit pus que les temples antiques offroient quelquefois de pareilles constructions, destinées à mettre le peuple à l’abri des injures du temps pendant les cérémonies religieuses : on conjectura qu’elles devoient exister ci mais rien n’en déterminoit la forme ni la disposition.

Cependant il fut décidé que les fouilles seroient poussées aussi loin que possible, et qu’on isoleroit le monument des maisons voisines, au moyen d’un mur d’enceinte, couronné d’une grille ; ce qui amena enfin à la découverte d’une nouvelle colonnade d’enceinte, qui confirma tous les indices précédens.

Une chose digne de remarque et qui prouveroit qu’avant la construction de la Maison carrée, il existoit d’autres monumens qui annonçoient une haute civilisation et de grands progrès dans les arts, c’est la découverte d’un fragment d’un beau pavé en mosaïque, à 1 mètre 70 centimètres au-dessous de la base du stylobate et de la plate-forme de l’enceinte extérieure, ou à 60 centimètres au-dessous du sol antique.

Ces intéressantes découvertes, en faisant paroître cet édifice sous un aspect entièrement nouveau, ont donné lieu aux amateurs de l’antiquité de rechercher à quelle sorte de monument se rattachent ces magnifiques débris. Différentes opinions se sont formées à cet égard, et ont successivement partagé les suffrages et exercé la critique. M, Grangent qui a suivi avec attention les fouilles qu’il a dirigées, pense que la Maison carrée étoit un temple périptère, entouré d’une galerie couverte, destinée à servir d’abri au peuple. Cette galerie étoit elle-même enfermée dans un mur extérieur entièrement bâti en pierres de taille, et couronné d’une corniche formée seulement d’un quart de rond, d’un filet et d’une large cymaise. Cette dernière enceinte, d’environ 100 mètres, avoit, suivant M. Grangent, la forme d’un carré ; ce qui servoit à justifier l’ancien nom de Maison carrée que de vieilles chartes et les traditions lui donnoient, et qui paroissoit mal se rapporter à un édifice rectangulaire, dont la longueur étoit double de sa largeur.

Le monument qu’on nomme le Temple de Diane s’éloigne du style des constructions des autres temples de l’antiquité : les uns l’ont cru dédié à Vesta ; d’autres à Diane, à Isis et Osiris, ou aux héros némauses, et Palladio, aux dieux infernaux. On a aussi pensé que cela pouvoit être une basilique, par la conformité qu’on a cru apercevoir entre son plan et celui de la basilique d’Otricoli. Quoi qu’il en soit, l’exposition de cet édifice est tout-à-fait contraire à celle des temples, la porte d’entrée étant placée à l’orient. Aucune décoration extérieure ne semble avoir embelli ce monument. Sa distribution intérieure, sa voûte en berceau, les niches et les ornemens qui décorent les murs et le plafond, les corridors qui l’entourent, les tuyaux de descente et l’aqueduc dont il est environné, tout annonce une belle salle de thermes ou un Nymphée, opinion qui est encore confirmée par l’ornement des voûtes, où l’on voit des dauphins placés dans les rosaces et entourés de feuillages.

Ce monument devint une église, puis il fut converti en grange et en chantier ; un incendie en ruina la partie antérieure, et pendant les guerres de religion, il fut en grande partie détruit.

Le monument nommé la Tour magne, et placé au sommet d’un coteau qui domine la ville du côté du nord, étoit engagé dans les antiques murailles, mais n’avoit aucune saillie en dehors ; ce qui montre que cette tour ne faisoit point partie des fortifications. D’ailleurs, sa forme pyramidale et à pans lui donneroit plutôt l’air d’un septizone ou encore d’un tombeau.

Le corps de la tour à huit pans réguliers, orientés vers les quatre points cardinaux et leurs divisions intermédiaires, s’élevoit sur un soubassement, où l’on montoit par une pente douce du côté du couchant ; un escalier à rampes droites, avec pallier en retraite, pratiqué dans l’épaisseur du massif, mène ainsi, après avoir monté 132 marches, au sommet de l’édifice. Il avoit trois étages : le second étoit décoré, à l’extérieur, de pilastres très-serrés, avec le chapiteau & la base toscane. L’intérieur de cet étage étoit évidé par huit niches demi-circulaires distribuées à sa circonférence. L’étage supérieur étoit à jour, orné de colonnes isolées, vraisemblablement couronnées d’une petite coupole, pour abriter la figure ou le sarcophage placé à cet étage.

On n’alongera point cet article de la mention ou description des autres monumens antiques d’architecture qui existent dans Nîmes, ou qui se rapportent à cette ville. À l’article Aqueduc (Voyez ce mot), on a parlé de celui qu’on appelle vulgairement le Pont du Gard, grande et magnifique construction qui unit deux montagnes, et porte encore le canal qui conduisoit les eaux à Nîmes. Au mot Amphithéâtre, on a aussi donné les mesures de ce qu’on appelle les Arenes de Nîmes, et nous avons renvoyé, comme nous renvoyons encore le lecteur au bel ouvrage de M. Cerisseau sur les antiquités de la France. (A. L. C.)

NIVEAU, s. m. Instrument qui sert à tracer tine ligne parallèle à l’horizon, à poser horizontalement les assises de maçonnerie, à dresser un terrain, à régler les pentes et à conduire les eaux.

Il y a plusieurs sortes de niveaux. Il y a des niveaux d’air, à pendule à lunette, a pinnules etc. ; mais tous ces instrumens sont purement mathématiques, et on en trouve la description, la figure et la théorie dans les Dictionnaires de mathématiques ; c’est pourquoi nous nous dispenserons d’en faire connoître ici les formes et les particularités.

Ce qui est le principe de tous les niveaux, c’est la ligne parallèle à l’horizon. Dans l’art de bâtir, On dit poser de niveau, arraser de niveau, etc. On dit encore qu’un parterre ou qu’une allée est de niveau, quand elle est d’une égale hauteur dans toute son étendue.

On nomme niveau de pente un terrain qui, sans ressauts, a une pente réglée dans sa longueur.

On disoit autrefois liveau de l’italien livello ou libello, diminutif de libra, parce qu’un niveau se pose horizontalement comme une balance, et qu’anciennement il en avoit la figure.

Niveau de paveur. Longue règle, au milieu et sur l’épaisseur de laquelle est assemblée, à angle droit, une autre règle où est attaché en haut un cordeau avec un plomb qui pend sur une ligne de foi, tracée d’équerre à la grande règle, et qui marque, en couvrant exactement cette ligne, que la base est de niveau.

Niveau de poseur. Niveau composé de trois règles assemblées, qui forment un triangle isocèle et rectangle comme la lettre A. À l’angle de son sommet est attachée une corde où pend un plomb qui passe sur une ligne de foi, tracée d’équerre a la grande règle, et qui marque, en couvrant exactement cette ligne, que la ligne est de niveau.



NIVELER, verb. act. C’est, avec un niveau, chercher une ligne parallèle à l’horizon, en une ou plusieurs stations, pour connoître et régler les pentes, dresser de niveau un terrain et conduire les eaux.

NIVELEUR. C’est le nom qu’on donne à celui qui nivèle.

NIVELLEMENT, s. m. C’est l’opération qu’on fait avec un niveau pour connoître la hauteur d’un lieu à l’égard d’un autre.

NOBLE, NOBLESSE. L’idée de noble ou de noblesse transportée dans le langage et dans la théorie de l’art, est un emprunt fait à l’idée que l’opinion générale attache, dans l’ordre social, soit aux familles, soit aux hommes qu’une honorable perpétuité, que de grands services ou de belles actions marquent d’un caractère particulier entre les autres familles, entre les autres hommes.

Le mot noblesse, si on l’explique par son étymologie, ou si on le prend dans le sens de son acception usuelle, exprime et signifie cette espèce de qualité dont l’effet est de faire remarquer et distinguer les personnes auxquelles on applique cette dénomination.

Il fut donc naturel de l’appliquer aussi aux choses, aux travaux des hommes, et particulièrement aux ouvrages des beaux-arts, où l’on remarque des propriétés qui leur assurent une prééminence sur les autres ouvrages ; et la noblesse fut mise au nombre des qualités morales de l’imitation.

Quand on s’est ainsi rendu compte de l’idée de noblesse et de la qualité générale que le mot signifie, on éprouve, comme à l’égard de toutes les qualités dont l’expression véritable dépend du génie de l’artiste, quelque difficulté à développer par le discours, surtout dans les œuvres de l’architecture, et à faire sensiblement comprendre ce à quoi tient la manifestation de cette qualité.

S’il s’agit de la peinture ou de la sculpture, on peut plus aisément faire saisir par des exemples, et fixer par des analogies le caractère de la noblesse. Naturellement ces arts trouvent dans les signes extérieurs, dans l’apparence, c’est-à-dire dans les formes, les mouvemens, la contenance, les accessoires des personnes, le modèle de certaines qualités physiques ou sociales auxquelles on est convenu d’attacher l’idée de la noblesse du corps, de la physionomie, et celle même de l’action. Quant à la noblesse moralement entendue, c’est-à-dire celle de l’âme ou des sentimens, il est encore reconnu que ces arts n’en peuvent rendre l’idée sensible que par la noblesse extérieure des formes du corps.

L’architecture n’a pas dans la nature de modèle aussi sensible, et ainsi le type de certaines qualités y est plus abstrait, échappe plus facilement à la théorie, et peut donner lieu à plus de controverses. Il faut donc chercher les élémens de la noblesse dans un composé de quelques autres qualités propres à produire, à l’égard d’un édifice, ce même effet général dont on a parlé, savoir, celui de le faire remarquer et distinguer entre d’autres édifices.

Il nous semble que ce qu’on appelle noblesse dans un monument, ainsi que dans son effet, ne sauroit résulter d’un caractère un, absolu et exclusif ; il doit y avoir une certaine combinaison de grandeur, de simplicité, d’élégance et de richesse.

La grandeur de dimension est déjà, comme on sait, un puissant moyen, pour l’artiste, d’attirer l’attention sur un édifice, de le faire briller entre les autres, de le recommander à l’admiration. Cependant un édifice pourroit offrir de la grandeur dans les mesures, et de la petitesse dans les proportions : la grandeur proportionnelle, qui tient à l’harmonie de l’ensemble, doit donc entrer dans le caractère de la noblesse. Combien de portails d’églises plus étendus en tous sens que le portique du Panthéon à Rome, ou du Parthenon d’Albènes, ont cependant beaucoup moins de noblesse !

L’usage associe l’idée de noble à celle de simple, si fréquemment (comme lorsqu’on dit une noble simplicité), qu’il doit y avoir réciprocité, c’est-à-dire qu’on peut croire que la simplicité se mêle au caractère de la noblesse. On ne sauroit en douter quand on pense que le simple est aussi un des élémens de la grandeur moralement entendue. Très-certainement, la petitesse dans les rapports, la multiplicité des parties, la mesquinerie des détails, détruiront le caractère auquel s’attache l’idée de noble. Trop de simple y seroit aussi contraire ; ce qui signifie que la noblesse veut de l’élégance et de la richesse.

L’élégance nous paroît être une qualité qui tient le milieu entre le simple, et le riche, et qui participe des deux. L’élégance dans les manières, dans l’habillement, dans l’ornement, à quelque genre qu’on l’applique, a toujours quelque chose qui distingue et fait remarquer les personnes, les actions et les choses, ainsi que toutes les productions des arts. C’est pourquoi cette qualité paroît devoir être un des attributs de la noblesse en architecture.

On ne sauroit se refuser à mettre aussi de ce nombre la richesse, à laquelle l’instinct seul attache tant de moyens de considération et de distinction, soit dans les choses de la vie, soit dans les travaux de l’homme.

Si l’on admet cette combinaison de qualités, comme formant l’ensemble des effets qu’on exprime pur le mot noblesse, il faut dire que c’est ensuite à l’architecte à user des moyens de son art, pour en rendre le caractère sensible par la construction, l’ordonnance et la décoration, c’est-à-dire dans la disposition des masses, dans l'em-


ploi des ordres, dans l’économie des ornemens.

Il dépend souvent du pari pris relativement à ce qu’on appelle la disposition générale de l’ensemble et des parties constituantes d’un édifice, de lui imprimer ou de lui enlever le caractère de noblesse que sa destination réclame : on s’en convaincra en se rappelant ces frontispices d’églises auxquelles des étages et des percés multipliés de fenêtres et d’autres ouvertures, donnent une apparence qui les rapproche trop de l’extérieur des habitations ordinaires.

Un des moyens les plus propres à donner aux édifices, selon la nature de leur destination, le caractère de noblesse, est certainement l’emploi des ordres, soit en colonnes isolées dans les parties qui en comportent l’application, soit en colonnes engagées ou en pilastres dans les portique et autres espaces des élévations. Cet emploi proportionnel fournit à l’artiste des degrés divers de noblesse, et cette graduation résultera de la combinaison variée des qualités de grandeur, de simplicité, d’élégance et de richesse. Or, chacun des trois ordres donne des moyens de multiplier encore les nuances du caractère qu’on veut exprimer.

Chaque ordre, par les modifications des proportions et des ornemens qu’il comporte, peut rendre plus ou moins, et produire à différens degrés l’idée de noblesse. Si toutefois les qualités. d’élégance et de richesse devoient être dominantes dans l’effet du genre noble en architecture, l’ordre corinthien, par le développement de ses proportions, par la magnificence de son chapiteau, par l’abondance de ses ornemens, réclameroit peut-être la première place en fait de noblesse, comme le dorique occupe le premier rang pour la force et la gravité, comme l’ionique l’emporte sur les autres par le caractère moyen, si conforme à ce qui demande de la grâce et de la délicatesse.

Ce qui n’exclut toutefois aucun de ces orders du droit de partage dans une qualité qui doit être propre à chacun d’eux.

Il est sans doute encore d’autres moyens de donner de la noblesse à un édifice. Ils consisteront soit dans l’exposition, soit dans les corps de bâtimens qui l’annoncent on qui l’accompagnent ; mais on comprend que de tels moyens sont en quelque sorte hors de l’art, et surtout des ressources dont l’architecte peut ordinairement disposer.

NŒUDS, s. m. pl. Ce qu’on appelle ainsi dans le bois, selon l’emploi qu’on en fait et la nature de la matière, est tantôt un défaut et tantôt un mérite ou un agrément.

S’il s’agit de bois de charpente on d’assemblage, un nœud peut quelquefois en vicier la pièce et la couper, ou contribuer à sa ruine ; s’il s’agit de certains bois qu’on emploie en placage, ce qu’on appelle nœud y produit une variété et quelque soit des caprices de dessin que les amateurs recherchent, au point qu’on en est venu à contrefaire ces jeux de la nature dans des bois qui n’en avoient aucune trace.

Nœuds de marbre. Ce sont ou des corps étrangers à cette matière, ou des duretés par veines ou taches provenant des hasards, qui sont entrés dans la construction de ses élément. Les nœuds de couleur de cendre, dans le marbre blanc, s’appellent émeril. Les ouvriers donnent le nom de clous aux nœuds des autres marbres.

Nœuds de serrurerie. Ce sont les différentes divisions qui se font dans les charnières de fiches ou couplets, de portes ou fenêtres, par où le clou, ou la rivure passe. Il y a des fiches à deux, à trois et à quatre nœuds.


NOIR, sub. m. ou adj. Le noir peut être pris comme couleur, ou comme privation de lumière, et dans ces deux acceptions il s’applique à l’architecture, soit comme effet de clair-obscur, soit comme motif d’ornement.

L’absence de la lumière produisant le noir, en ce sens les ombres portées par la saillie des membres d’architecture, et les noirs qui résultent du refoulement des objets sculptés ou des vides des portes, fenêtres et autres ouvertures dans les édifices, doivent être pris en considération par l’architecte dans l’ordonnance des élévations géométrales.

Il en est de même des décorations architectoniques, où l’on doit tenir compte des ombres portées par le soleil dans l’effet d’un édifice ; plus il sera chargé de ressauts et de reliefs multipliés sur le nu du mur, et qui portent chacun leur ombre, et moins son aspect sera simple et grandiose. C’est pour cela que les architectes ne doivent pas se contenter d’exécuter leurs dessins au simple trait, mais doivent les ombrer à 45 degrés d’une manière exacte. Ces dessins, à l’effet, leur feront souvent apercevoir des défauts d’ensemble que l’exécution leur auroit révélés trop tard.

En général, plus une façade sera percée de croisées et de renfoncemens où le noir ira se loger, et moins elle aura de simplicité et d’unité d’aspect. Ce n’est pas à dire cependant qu’un mur tout lisse soit préférable à celui qui est décoré de reliefs d’architecture et de sculpture, creusé par des refends, relevé de moulures et interrompu par des percés ; car tous les objets mis en opposition avec des lisses on surfaces plates feront un très-bon effet s’ils sont distribués avec intelligence. D’ailleurs, on sait qu’en architecture les pleins doivent l’emporter sur les vides, sans cela il y auroit maigreur, et, en apparence, défaut de solidité : c’est ce qui a fait dire et adopter comme axiome, qu’il ne faut pas seulement qu’un édifice soit solide, mais qu’il faut encore qu’il le paroisse.

Le noir, considéré comme ornement, s’emploie de deux manières, soit qu’on fasse usage, dans la construction, de matériaux solides de celle couleur, tels que des marbres et des ardoises, soit qu’on leur donne cette apparence au moyen de la peinture.

Nous voyons en effet, que la plupart des mosquées de l’Egypte, de Constantinople, ainsi que les monumens moresques de l’Espagne, sont construits par assises alternées blanches et noires, ou d’autres couleurs tranchantes.

Lors de la renaissance de l’architecture, en Italie, on remarque l’influence du même goût pour les assises alternativement blanches et noires aux cathédrales de Sienne, de Milan, de Florence, etc., non-seulement dans les murs extérieurs, mais dans la construction des pilastres et des colonnes, comme au Campo-Santo de Pise et au dôme d’Orvietto.

Ce goût des tons opposés en architecture s’est conservé long-temps, et on en voit un exemple du temps de François Ier. dans la décoration du château de Chambord, où l’ardoise, adroitement appliquée sur la pierre blanche, forme des ornemens qui imitent ceux qu’on exécute dans les mosaïques et dans les pavés, avec le marbre noir et la pierre de liais.

Le marbre noir est aussi employé dans la construction des monumens funéraires, et cette couleur, considérée comme celle du deuil, remonte à une haute antiquité.

On a été jusqu’à trouver par analogie des rapports du noir avec plus d’une sorte d'idées.

On a conservé dans notre religion l’emploi du noir comme emblème de deuil, et l’on tend les églises de draperies de cette couleur en certains cas, dans les jours d’affliction et d’abstinence, mais plus particulièrement en commémoration des morts.

L’architecture s’empare quelquefois de cette lugubre décoration des temples, surtout lorsqu’il est question de faire la pompe funèbre d’un grand personnage, ou son cénotaphe : alors de vastes draperies noires, semées de larmes d’argent on d’autres attributs funéraires, couvrent les murs et jusqu’aux plafonds. Le corps est placé sur une estrade élevée, et quelquefois recouvert d’un monument temporaire orné de toute la pompe de la sculpture, et converti en chapelle ardente au moyen d’une multitude de torches, de lustres et de cierges allumés. Voyez le mot Catafalque.

(A. L. C.)


NOTRE (le) (André), né en 1613, mort en 1700.

Le Nôtre naquit à Paris. Son père, qui étoit surintendant du jardin des Tuileries, lui destina la survivance de sa charge. Pour le mettre en état d’en remplir les fonctions d’une manière distinguée, il ne négligea rien de ce qui pouvoit seconder et accroître ses heureuses dispositions. Il lui fit étudier l’architecture, cet art auquel, alors surtout, se lioit étroitement celui de la composition des jardins, vers lequel il dirigeoit son goût.

Le Nôtre voyagea en Italie, seul pays qui offrit alors à l’architecture des jardins ces grands modèles dont le goût s’est propagé dans le reste de l’Europe. Les architectes de ce temps, et dans ce pays, étoient aussi les ordonnateurs des jardins et des plantations, dont ils savoient si bien mettre l’ensemble d’accord avec l’ordonnance des palais et des maisons de plaisance. Florence, Rome, Frascati, Tivoli et d’autres villes, ont conservé jusqu’à nos jours de ces grands plans de jardins et de parcs où Le Nôtre alla former son goût. Il passe même pour avoir donné à Rome les dessins des jardins de la villa Pamphili et de la villa Ludovisi.

Indépendamment des goûts qui dominent dans chaque siècle, il faut dire que celui des grands jardins d’Italie est peut-être soumis à l’influence de quelques causes naturelles et locales qui l’ont fait naître et qui l’y perpétuent. Le pays fournit à l’ordonnance des plantations un certain nombre d’arbres toujours verts, qui empêchent les jardins d’éprouver la tristesse des hivers ; mais ces arbres, tels que les pins, cyprès, mélèzes, orangers, lauriers, etc., sont moins favorables aux variétés que l’artiste, en d’autres climats, peut tirer des nombreux arbustes, de leurs floraisons, des différences de verdure des arbres sujets à perdre leurs feuilles. Le climat plus chaud, un soleil plus brûlant, permettent aussi beaucoup moins que dans le Nord, l’emploi des prés, des gazons, qui deviennent le fond le plus agréable, et si l’on peut dire, le tapis naturel du terrain.

Le Nôtre semble avoir bien compris ce que la différence de pays et de climats lui permettoit d’emprunter à l’Italie, et ce qu’elle repoussoit aussi en France. Il n’imita des jardins italiens que la grandeur de disposition, les vastes parties de plantations, et cette magnificence de percés, de distributions soumises à un plan uniforme et symétrique, mais avec toutes les variétés de détail que l’unité comporte. Du reste, il sut assortir les compositions à ce qu’on peut appeler les matériaux de son pays. Il pratiqua de vastes ombrages, des taillis et des fourrés d’arbustes à fleurs, formant des plants irréguliers, inscrits dans de vastes espaces de lignes régulières.

Il sut éviter aussi l’abus des ornemens factices et puériles des rocailles, des jeux hydrauliques multipliés, des labyrinthes, des imitations artificielles de portiques ou de colonnades par les arbres et les massifs de verdure découpés ; du moins s’il se trouve encore de tels caprices dans ses jardins, ce sont des détails si insignifians qu’ils n’empêchent point d’y admirer la grandeur, l’unité de conception, les beaux partis de décoration, les heureux mouvemens de terrain et l’art de mettre à profit les hasards, et même les obstacles de la nature.

Ce fut à Vaux-le-Vicomte que Le Nôtre fit, en France, les premiers essais de son talent. Il sut, par des inventions nouvelles, seconder la magnificence du surintendant Fouquet. Il est certain qu’il surpassa, dans ce délicieux séjour, tout ce qui avoit été fait jusqu’alors.

Au mot Jardinage, nous avons montré que des deux genres régulier et irrégulier qui aujourd’hui divisent les amateurs de jardins, aucun des deux ne pouvoit réclamer l’exclusion de l’autre, et que ce seroit par un abus de mois et d’idées, que le jardinage irrégulier se prétendroit avoir seul les avantages de l’imitation ; qu’au contraire, par sa prétention à paroître la réalité même, il s’éloignoit d’autant plus du caractère imitatif, qu’il tomboit dans le vice de l’identité.

Ce qu’il faut dire du jardinage considéré en grand, c’est que les vastes jardins étant ordinairement des dépendances des plus grands palais, l’art de les distribuer sera toujours de la compétence de l’architecte, et que la nature n’ayant point fait de jardins qui puissent servir de points d’imitation à l’art, la disposition et la création d’un jardin est laissée au libre arbitre de l’architecte, qui, selon le caractère du palais, les besoins et les convenances des lieux et des personnes, peut employer plus ou moins de régularité, de symétrie dans l’ordonnance des plantations, plus ou moins de luxe et de magnificence dans les accessoires de leur décoration.

C’est ce qu’a fait Le Nôtre, et l’on s’en convaincroit si quelques-uns de ses plus célèbres jardins existoient encore. Ainsi le parc de Sceaux, aujourd’hui détruit, offroit, quoique dans un vaste ensemble de lignes assujetties à un plan symétrique, beaucoup plus de variétés, de détails agrestes, que le parc de Versailles, où il dut coordonner ses conceptions à la magnificence du caractère royal.

Le Nôtre sentit qu’il travailloit pour un grand roi, pour un grand siècle ; il fit preuve, dans la composition de ce jardin, d’un génie fécond en ressources. Ses inventions, nombreuses et variées, offrent des partis imposans qui furent profondément médités, sous le rapport de l’effet qu’ils devoient produire. On peut ranger dans ce nombre la création du grand canal. Le site où il a été pratiqué étoit un vaste marais : déjà, par des essais infructueux, on avoit tenté un dessèchement qui devoit coûter des sommes énormes, et dont le succès étoit douteux, Le Nôtre, au lieu de chercher à détourner les eaux de ces terres basses, où elles n’avoient aucune issue naturelle, fut les réunir, et forma le vaste canal, qui est un des plus beaux ornemens de ces jardins célèbres, dans lesquels le génie de la magnificence eut à lutter contre l’ingratitude de la position du sol et de ses aspects.

Nous avons déjà dit, à l’article de Jules-Hardouin Mansart (Voy. Mansart), qu’une opinion assez répandue attribue à Le Nôtre l’idée générale de la composition de l’édifice appelé l’Orangerie (Voyez ce mot), qui, sans contredit, est ce qu’il y a de plus remarquable dans le jardin de Versailles, et sous le rapport de l’architecture et sous celui de l’effet pittoresque. La seule chose peut-être qu’on puisse reprocher à cet ouvrage, est de se trouver placé dans un site étranger au coup d’œil général de l’ensemble, de manière que ce qu’il y a de plus admirable, c’est-à-dire la perspective de ces deux grandes montées, n’a son effet que du côté de la route qui borde le jardin en cet endroit. Tel est l’inconvénient de ces dessins trop immenses, dans lesquels il n’y a d’ensemble que sur le plan, lorsqu’en élévation les parties s’offusquent les unes les autres.

Le Nôtre créa successivement les jardins de Marly, de Trianon, de Chantilly, et donna les dessin de cette admirable disposition que présente à Paris le jardin des Tuileries, depuis le château jusqu’aux Champs- Elysées. L’étendue moyenne de ce jardin offre peut-être à l’art du jardinier la mesure la plus convenable pour faire jouir les yeux et l’esprit de l’harmonie d’un véritable ensemble, dans lequel l’esprit a conçu les détails avant que l’œil les ait parcourus, et où rien ne dérobe à la vue la liaison des parties.

Louis XIV, toujours attentif à encourager, à récompenser les hommes de mérite qui pouvoient concourir à l’illustration de son règne, donna à Le Notre une charge de conseiller : il le nomma contrôleur-général des maisons royales et des manufactures, et le fit chevalier de Saint-Lazare. Lorsqu’en 1693 le Roi eut fait quelque réforme dans cet Ordre, la décoration lui eu fut retirée, mais il reçut en échange, ainsi que Mansart, le cordon de Saint-Michel.

Si Le Nôtre fut recommandable par son talent, il le fut encore par son caractère franc, et par son désintéressement. Simple dans ses mœurs, modeste dans sa fortune, homme de bien autant qu’habile homme, il porta son art à un point de perfection auquel, depuis lui, aucune circonstance favorable n’a mis personne en France à même d’atteindre.

NOUE, s. f. C’est l’endroit où deux combles se joignent en angle rentrant, et qui fait l’effet contraire de l’arestier. On appelle noue cornière celle où les couvertures de deux corps-de-logis se joignent.

Noue est aussi le nom d’une espèce de tuile en demi-canal, pour égoutter les eaux. Quelquefois les convreurs emploient, au lieu de noues, des tuiles hachées qu’ils taillent, exprès à coups de martelet.

Noue de plomb. C’est une table de plomb au


droit du tranchis, et de toute la longueur de la noue d’un comble d’ardoise.

NOULETS, s. m. pl. Ce sont les petits chevrons qui forment les chevalets et les noues, ou angles rentrans par lesquels une lucarne se joint au comble, et qui forment la fourchette.

NOYAU, sub. m. Ce mot a été emprunté par quelques arts à la structure de certains fruits, qui renferment la substance dure et ligneuse qu’on appelle de ce nom, pour exprimer certains massifs de maçonnerie ou de pierre qui forment soit le milieu, soit le point central d’appui de diverses constructions.

Ainsi, dans l’art de fondre les statues de métal et d’en composer le moule, on forme de diverses matières ce qu’on appelle le noyau, qui n’est autre chose que la masse, laquelle formera le vide de la statue après qu’elle aura été fondue.

Dans la construction, il y a des édifices dont les murs auront double parement soit en pierre, soit en marbre, et dont l’intérieur sera rempli d’une maçonnerie de blocage ou à la rinfuse, qui forme dans la réalité un véritable noyau.

Les Romains donnoient, dans le même sens, le nom de nucleus, noyau, à ce massif qui, dans le pavage de leurs grands chemins, étoit établi entre ce qu’ils appeloient statumen ou le fondement, et la summa crusta qui étoit l’assemblage de dales ou de pierres irrégulières formant ce que nous appelons le pavé.

Le nucleus ou noyau étoit un mélange de gravier, de sables divers et de chaux, et c’étoit sur et dans cette couche que s’enfonçoient les pavés. Voyez à l’article Chemin, .

On appeloit encore noyau et les Italiens appellent ossatura, la saillie brute, soit en moellons, soit en briques, destinée à recevoir, soit en plâtre, soit en stuc, le revêtement qui doit la cacher, et recevoir à cet effet des moulures ou des profils qu’on y traîne avec des calibres, ou qu’on y sculpte sur l’enduit comme on le feroit sur de la pierre.

On appelle

Noyau de bois, une pièce de bois qui, posée à-plomb, reçoit dans ses mortaises le tenon des marches d’un escalier de bois, et dans laquelle sont assemblés les limons et appuis des escaliers. Voyez ci-après Noyau d'escalier.

Noyau de fond, Celui qui porte depuis le rez-de-chaussée jusqu’au dernier étage.

Noyau suspendu, Celui qui est conpé au-dessous des paliers et rampes de chaque étage.

Noyau à corde. Celui qui est taillé d’une grosse moulure, en manière de corde, pour conduire la main. C’est ainsi qu’on les faisoit autrefois.

Noyau d’escalier. C’est un cylindre de pierre qui porte de fond, et qui est formé par le bout des marches gironnées d’un escalier à vis. On appelle noyau creux celui qui, étant d’un diamètre suffisant, a un puisard dans le milieu, et qui retient par encastrement les collets des marches. Tel est le noyau des escaliers de l’eglise de Saint-Louis, aux Invalides.

On donne aussi le nom de noyau creux à un noyau fait en manière de mur circulaire, et percé d’arcades et de croisses pour donner du jour. Tel est celui qu’on a pratiqué aux escaliers en limace de l’église de Saint-Pierre de Rome, et à l’escalier du château de Chambord.

Il y a encore de ces noyaux qui sont carrés, et qui servent aux escaliers en arc de cloître, à lunettes et à repos. Tel est le noyau du bout de l’aile du château de Versailles, appelé l’aile des Princes, du côté de l’orangerie.

NU. Se dit, dans la construction, d’une surface à laquelle on doit avoir égard pour déterminer les saillies. On dit ainsi le nu d’un mur, pour dire la surface d’un mur qui sert de champ aux saillies.

Nu. Se prend dans le langage de la décoration comme synonyme de pauvre, comme l’opposé de riche, d’orné. Cette façade est trop nue ; il y a trop de nu dans cette ordonnance.

NYMPHÈE (Nymphœum), C’est le nom qu’on donnoit dans l’antiquité à des lieux, à des grottes et à des édifices consacrés aux nymphes.

Il y a sur l’espèce de monumens qu’on appeloit ainsi, deux sortes d’opinions, dit Fabricius : les uns veulent que c’ait été des édifices publics où se faisoient les noces de ceux qui n’avoient point de local assez grand pour cette fête ; les autres prétendent que c’etoit des lieux publics et d’agrément où l’on amenoit des eaux abondantes, non point pour l’usage des bains, comme dans les thermes, mais seulement pour l’embellissement et le plaisir de la fraîcheur, et que le nom de nymphée leur vint des statues des nymphes dont ils étoient décorés. Il ajoute qu’on ne connoît ni la forme ni la nature de ces monumens.

On s’accorde aujourd’hui à reconnoître pour avoir été des nymphées, un assez grand nombre de petits édifices que le temps nous a conservés, et qui, sans aucun doute, ont succédé aux nymphées primitifs, qui furent des grottes naturelles ou modifiées par l’art.

Les récits de Pausanias nous apprennent que rien n’étoit plus commun en Grèce que ces sortes de nymphées, on grottes consacrées aux nymphes. Près de Samicou on voyoit le nymphœum ou la grotte des nymphes Anigrides. Dans le territoire


de Thébes, il y en avoit une consacrée aux nymphes Cythéronides. Une des grottes les plus remarquables étoit celle de la nymphe Corycia sur le Parnasse. On ne finiroit pas si l’on vouloit recueillir toutes les citations de ce genre.

Le même usage régna en Italie, et le culte des nymphes n’y manqua ni de grottes, ni d’édifices construits à l’instar des grottes, dans tous les lieux qui recéloient quelque source d’eau vive.

L’usage des lustrations dans la religion des Anciens rendoit si nécessaire l’emploi de l’eau, tant de superstitions religieuses ou médicinales s’attachoient aux différentes qualités des eaux de source, que les lieux qui en recéloient quelque une devenoient presque toujours le centre de quelque cuite. De-là les édifices qui renfermèrent quelque source et remplacèrent les grottes naturelles.

L’art effectivement dut bientôt, s’emparer de ces grottes ; on les orna des statues de leurs divinités : on embellit, on tailla, on sculpta leurs parois rustiques. Il y a dans l’Attique un nymphœum ainsi orné de beaucoup de bas-reliefs et d’inscriptions. Archidamas de pherœ dont l’image se trouve parmi ces bas-reliefs, y est désigné comme étant celui qui dédia cette grotte aux nymphes.

Ce qu’on appelle près de Rome la grotte de la nymphe Egérie paroît de même avoir été un nymphœum donné par la nature, agrandi peut-être et décoré par l’art, comme le témoigne le fragment de statue qu’on y voit encore.

Il est certain que si la nature fit d’abord les frais de cette sorte de monument, l’architecture s’empara bientôt des occasions de rivaliser avec elle, par des édifices construits dans les mêmes intentions, et pour les mêmes besoins.

Tels paroissent être les deux petits monumens situés sur le bord du lac d’Albano, près du Rome ; l’un, du côté de Castel-Gandophe, l’autre du côté de Marino, et dont Piranesi a donne les plans, les détails et la description. En les appelant des nymphées, il semble leur avoir, avec beaucoup de raison, rendu leur ancienne dénomination. On ne sauroit les voir sans leur appliquer ces vers de Virgile :

Fronte sub adversâ scopulis pendentibus antrum
Intuis aquce dulces vivoque sedilia laxo.

On voit que le nymphœum de Virgile avoit reçu de l’art qui les avoit taillés dans le roc, des bancs ou des sièges pour ceux qui venoient y prendre le frais.

Cet usage étoit devenu si commun, qu’Ovide, dans des vers où il décrit un semblable monument, a soin de dire que, bien qu’il parût travaillé artificiellement, l’art n’y avoit point touché.

Vallis in extremo est antrum nemorale recessa,
A te laboratum nullâ, simulaverat artem
Ingenio natura suo, nam pumice vero
Et levibus tophis nativum duxerat arcum.

Une peinture antique du palais Barberini représente un de ces nymphées rustiques. On y voit une grotte percée dans le tuf, dont l’espèce de voûte est formée par des pierres brûtes : d’abondantes eaux y coulent de toutes parts, et sont reçues dans des bassins. Le terrain en paroit inondé et rempli d’herbages. A l’entrée de la grotte est une petite chapelle dont l’entablement est supporté par des colonnes et orné de vases.

On voit donc que les nymphées, comme on l’a dit, furent originairement des espèces de monumens naturels ou rustiques, consacrés aux nymphes, qui d'abord n’y figuroient que sous l’emblême des eaux, dont elles étoient les divinités. Leurs statues y furent ensuite placées lorsque les embellissemens de l’art vinrent, suivant l’expression de Juvénal, profaner la nature ; car c'étoit de semblables lieux que ce poête parloit dans ces vers :

In vallem Egeria descendimus atque speluncam
Dissimiles veris quanto prestantius esset
Numen aqua. viridi si margine clauderet umbres
Herba, nec ingenuum violarent marmora tophum.

Martial fréquentoit de semblables grottes sur le rivage de Bayes. Ces lieux, consacrés d’abord par la religion, servoient aussi de refuge contre les ardeurs du soleil ou les intempéries de l’air ; mais ensuite ils devinrent des rendez-vous de débauche et de libertinage, et, dans les temps de corruption, on y rechercha toutes sortes de genres d’agrémens. Enfin, la sainteté du lieu ne fut plus qu’un voile sous lequel le plaisir se cachoit plus hardiment.

Tout ce que les poëtes et les écrivains disent des nymphées, convient si bien aux deux grottes du lac d’Albano, dont on a parlé plus haut, que nous ne pouvons nous dispenser d’y ramener le lecteur.

La première de ces grottes, celle qui est située sous Castel-Gandolpho, est taillée irrégulièrement dans la montagne, et l’on y remarque une certaine réunion de l’art et de la nature : celle-ci paroit en avoir seule donné le plan irrégulier, et l’art fut obligé, dans la décoration des murs, de s’y conformer. On n’y observe aucune symétrie ni correspondance entre les niches. Trois autres grottes plus petites, percées de même, sont pratiquées dans l’intérieur de la grande. Des conduits taillés dans le roc indiquent qu’il y eut jadis des eaux abondantes qui sont aujourd’hui réduites à un filet.

La voûte est encore ornée de rocailles, faites de tuf ou de pierre-ponce. La montagne est taillée à pic en avant et autour de la grotte, pour en rendre l’entrée plus ouverte et plus dégagée. Les murailles, qui sont de briques, sont encore revêtues par endroit, ainsi que les niches, des mêmes rocailles que la voûte : mais, dit Piranesi, on est porté a croira que c’est plutôt à l’art qu’à la destruction qu’il faut attribuer ces manques de continuité dans le revêtissement. C’est qu'on auroit cherché à imiter en tout les caprices que la nature offre dans ces sortes de lieux.

Le second nymphœum, situé à la partie septentrionale du lac d’Albano, du côté de Marino, doit avoir été au nombre de ceux dont se plaignoit Juvénal, dans les vers rapportes plus haut, et oû l’art avoit caché la nature, qui, selon le poëte, devoit seule faire le charme de ces endroits. Quoi qu’il en soit du goût de Juvénal, on ne souroit s’empêcher de reconnoître, dans cet édifice, le caractère d’architecture convenable au lieu, et ce monument pourroit servir de modèle aux grottes ornées dont on embellit les jardins.

Ce nymphée eut, beaucoup plus que le précédent, la forme d’un temple consacré aux nymphes. Son plan est régulier ; il forme un carré long. Les murs sont, de chaque côté, ornés de sept niches de forme quadrangulaire : les niches du bout sont circulaires par leur plan. On descendoit dans ce lieu par un escalier composé de onze marches, et précédé d’un vestibule. Au-delà de ce qui étoit le sacrarium, on trouve encore quelques chambres, qui ne recevoient de jour que par un puits pratiqué et percé à-plomb dans le cœur de la montagne.

La construction de ce nymphée est en reticulatum qui étoit recouvert du rocailles. Son architecture a des particularités qui méritent d’être remarquées. Les pilastres des angles ont des chapiteaux dont les volutes sout ioniques ; mais elles offrent cette singularité, qu’elles prennent leur naissance ainsi que les cannelures, et s’élèvent de bas en haut, comme les feuilles et les caulicoles du chapiteau corinthien. L’architecte imagina peut-être ce chapiteau, pour le raccorder avec les consoles, qui portent l’entablement et se terminent aussi en volutes, et qui, par leur saillie, semblent être l’extrémité de poutres enfoncées dans le mur sur lequel portent les plates-bandes. Ces consoles et les quatre pilastres du bout, quoique de figure ionique, ont un entablement orné de triglyphes. Ce n’est pas le seul exemple de cette réunion qu’on puisse citer dans l’antique. Un petit tombeau à Agrigente offre des colonnes ioniques à ses quatre angles, et l’entablement est dorique, avec des triglyphes.

Il paroît que l’intérieur de Rome avoit plusieurs de ces nymphées construits et décorés par l’art, où l’on trouvait des fontaines qui, sans doute, servoient aux besoins publics,

A Nîmes, près de l’endroit qu’on appelle encore aujourd’hui la Fontaine, et d’où partent des distribuions d’eaux dans toute la ville, on voit un beau reste d’un autre petit temple qu’on dit, sans aucune raison, avoir été un temple de Diane, On croit, et avec assez de vraisemblance, que ce fut autrefois un nymphœum. Voyez Nismes.