Encyclopédie anarchiste/Laboratoire - Langage

Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 1172-1184).


LABORATOIRE n. m. (du latin laboratum ; de laborare, travailler, rad. labor). Se dit d’un local disposé en vue d’un travail défini et muni des instruments et appareils appropriés. S’emploie plus particulièrement pour désigner les ateliers spéciaux où se font des travaux et recherches scientifiques, des opérations et expériences de chimie, de physique, de biologie, de physiologie, d’électricité, etc. Le cabinet de travail d’un écrivain, d’un chercheur érudit, peut être, en ce sens et par extension, son « laboratoire ». Aux lieux où s’accomplissent des transformations, des combinaisons similaires s’applique aussi, par analogie, l’expression de laboratoire : au sein de la terre, parmi les éléments en perpétuelle modification, fourmillent les laboratoires naturels.

A côté des usines de produits chimiques ou métallurgiques, pour les besoins de leur production, nombreux sont de nos jours les grands établissements scientifiques ou d’instruction munis de laboratoires ouverte à l’enseignement. Depuis le sanctuaire mystérieux de l’alchimiste, aux fourneaux inquiétants et au mobilier symbolique, et les premiers cabinets du physicien où se déroulaient plutôt des fantaisies de physique amusante, le caractère des laboratoires s’est curieusement et puissamment modifié. Un matériel toujours accru y facilite des investigations savantes, vérificatrices et créatrices. Ici les éprouvettes, les cornues, les creusets, les alambics, les bocaux, les balances et les chalumeaux, là les seringues à injections, les sondes, les scalpels, les appareils électro-physiologiques, etc. Une technique toujours plus fouillée et étendue préside, avec le concours d’instruments de précision, à des expériences riches d’imprévus, grosses de conséquences incalculables. On peut dire qu’aujourd’hui une curiosité permanente surveille les révélations de laboratoires singulièrement actifs et que toute une vie artificielle, à dessein suscitée, y palpite sous la volonté du cerveau humain peu à peu enrichi et fortifié de con naissances, appuyé sur de solides jalons.

« Il n’y a pas de plus beau spectacle, dit Larousse, que celui d’un laboratoire fréquenté par des gens ardents, curieux, amoureux de savoir, disposés à tous les sacrifices, pourvu qu’une telle abnégation profite à la science, enchaînes aux longueurs d’une besogne rebutante et souvent périlleuse, attentifs à toutes tes voix quelquefois imperceptibles qui se peuvent faire entendre dans ce sanctuaire de l’investigation. Le vulgaire est étonné quand il entre dans ces chambres encombrées et souvent infectes, où les ustensiles de toute forme et les ingrédients de toute couleur sont là dans le feu, ici dans la glace, ailleurs dans les chairs sanglantes ou putréfiées, employés à produire quelque résultat ou à révéler quelque mystère ; où l’observation épie, provoque, accélère, ralentit, mesure les mouvements et les manifestations phénoménales, où le théoricien soumet au contrôle de l’expérience les conceptions nées dans les embrasements de son foyer cérébral et assiste, anxieux et ému, au duel de l’inexorable fatalité extérieure avec les aperceptions de cette fatalité intime qu’on appelle la pensée. »

Le nombre des « initiés » aussi s’est accru et si le nombre encore restreint de ces chambres d’étude et le cercle de la jeunesse prenant part à leurs séances est trop minime à notre gré, si l’abord même des laboratoires revêt une solennité trop distante et comme religieuse, nous concevons une ère où, librement accessibles à une progéniture admise enfin au savoir légitime, ils seront le pivot d’une culture vivante et familière… Le laboratoire sera le soutien animé de l’éducateur, et s’y contrôleront, pour tous — et hors des pressions de l’égoïsme et des calculs de l’intérêt — tant de notions aujourd’hui abandonnées à la souveraineté du dogme.

Pour souligner l’importance pratique — déjà réalisée — des laboratoires, signalons que « leur office n’est pas borné à la découverte des lois spéculatives et des vérités abstraites. Ils sont le champ où germent les inventions fécondes et les applications brillantes qui engendrent la richesse des nations. La science des laboratoires a substitué à l’empirisme des anciennes industries des procédés rationnels, et une certitude réfléchie aux tâtonnements séculaires des arts utiles. On ne citerait pas une grande application industrielle qui n’ait sa source dans un laboratoire et bien souvent, la découverte qui a provoqué une telle application a semblé tout d’abord inutile et vaine au point de vue du profit matériel » (Larousse). Et quand on songe à tout ce qui pourrait rejaillir de bienfaisant, pour la collectivité, de tant de découvertes détournées de leur portée générale au seul avantage de bénéficiaires isolés, quand on sait qu’elles favorisent, la plupart du temps, de grotesques et malsaines fortunes individuelles là ou tant d’humains trouveraient un soulagement à leurs maux, un allègement à leurs tâches pénibles, une détente à des conditions de vie déprimantes, avec quelle impatience n’essayons-nous pas de découvrir les symptômes si rares encore, d’une conséquence, d’une utilisation rationnelle et humaine des apports précieux de l’activité des laboratoires.

Parmi les laboratoires parisiens, qui sont en France les plus marquants (notons à part les laboratoires d’études naturalistes situés aux abords des côtes, tels ceux de Roscoff, Concarneau, Villefranche-sur-Mer, Banyuls-sur-Mer, Wimereux, etc.), citons celui de l’École pratique de la Faculté de médecine, centre des études de physiologie et d’anatomie générale où travailla Robin, celui du Collège de France où le grand physiologiste Claude Bernard fit ses principales découvertes, où vint aussi Magendie. Le laboratoire de l’École de médecine connut les recherches triomphantes de Wurtz sur les ammoniaques, les glycols, les urées composées, etc., et vit passer les Lieben, les Craft, les Harnitz-Harnitzkv, les Oppenheim. Quoique plus spécialement affectés à l’enseignement, les laboratoires de l’École normale supérieure, de la Sorbonne, de l’École de Pharmacie ont été les témoins des travaux des Sainte-Claire-Deville (sur la fusion des métaux et la dissociation des vapeurs), des Pasteur sur les fermentations). Les Thénard, les Gay-Lussac ont travaillé dans ceux de Polytechnique et de la Sorbonne. C’est à celui de l’École de Pharmacie et du Collège de France que Berthelot a réalisé ses remarquables synthèses, à ceux du Muséum et des Gobelins que Chevreul étudia les corps gras, etc… Les Facultés des sciences, dans les Universités de province, ont également leurs laboratoires de chimie et le plus grand nombre des Facultés de médecine ont aussi un laboratoire de physiologie, destiné à la pratique des vivisections.

Depuis longtemps, les savants français et la partie du public qui s’intéresse aux conditions qui leur sont faites se sont plaints et se plaignent encore de l’insuffisance et de la pauvreté des laboratoires de leur pays. C’est devenu lieu commun que de parler de « la grande pitié des laboratoires de France ». Et leur misère a pu servir, ces temps derniers, de publicité à un journalisme éhonté… Quand on sait la haute valeur humaine de ces foyers d’interrogation scientifique (je ne parle pas ici des antres où opèrent les chimistes criminels qui mettent leur gloire à doter les nations d’un arsenal de toxiques et à combiner ces gaz foudroyants que les oiseaux de mort porteront à travers les peuples en vagues d’anéantissement), quand on pénètre les bienfaits qui peuvent en surgir pour une humanité encore languissante et douloureuse, on ne peut, sans une bouffée de honte pour notre temps, songer que les laboratoires délaissés par ceux qui ont la charge du bien public sont à la merci de précaires interventions charitables. Alors que des milliards sont allègrement consacrés aux œuvres de destruction, à la multiplication des engins meurtriers, à l’entretien de contingents formidables de parasites armés, il paraîtra invraisemblable aux générations futures qu’on ait pu marchander les crédits et laisser pâtir, dans une humiliante mendicité, les chantiers où l’intelligence humaine accroît notre plus riche et notre meilleur butin…

Que diraient aujourd’hui — en face d’une situation inchangée, d’une incurie chronique — ceux-là qui, il y a cinquante ans, frappés déjà de la pénurie des soins affectés à des œuvres si précieuses et des sommes intimes — ailleurs jetées aux gouffres, dilapidées sans compter dans une gabegie permanente — apportées à l’édification et à l’entretien des laboratoires, s’écriaient : « Pour donner une impulsion énergique et salutaire aux recherches scientifiques, il faut réorganiser complètement l’enseignement supérieur, en décupler le budget et créer d’opulents sanctuaires pour les ouvrir à deux battants à tous les chercheurs qu’embrase le feu sacré de la découverte. C’est ce qui ne pourra être accompli que par un gouvernement convaincu de la haute importance des sciences spéculatives et assez libéral pour ne pas marchander l’argent aux savants qui veulent se consacrer à la besogne difficile de l’expérimentation féconde. D’ici là, beaucoup de savants seront dans une gêne voisine de la misère et renonceront, faute de ressources, faute d’instruments de travail, à la vérification expérimentale des idées que leur suggère une pensée toujours en travail, une vive et lumineuse conception des lois du monde. » Après un Palissy brûlant ses meubles, les Curie pleurant sur leur tâche arrêtée !… Les gouvernements avaient, d’ailleurs, besogne plus pressante ; avec les milliards trempés dans le sang des peuples, ils propageaient les charniers. Et ils ne marchandaient pas l’argent, ma foi. Après s’être servis royalement — démocratie oblige ! — nos gouvernants le dispersaient entre les mains des professionnels de l’armée et des fournisseurs de matériel de guerre. Aujourd’hui encore, si les laboratoires végètent, anémiques, on ne chôme pas sur les chantiers de la marine et dans les firmes d’avions et les fonderies du Creusot n’ont pas besoin d’implorer les commandes…

A l’étranger, chez les Germains et les Anglo-Saxons notamment, en Amérique aussi, dans la Russie nouvelle (tant il est dit que les nations latines : France, Espagne, Italie, monuments de verbiage stérile, le bureaucratisme et de furia militaire se laissent incorrigiblement distancer), les laboratoires sont davantage à l’honneur. On ne leur ménage pas les sacrifices et des efforts constants en assurent le progrès. Les Universités, au dehors, ont des laboratoires de physique, de chimie, des instituts anatomiques et physiologiques où de nombreux travailleurs ont à leur disposition les ressources nécessaires à la recherche. « Pour ce qui concerne, en particulier, les laboratoires de physiologie, il semble que c’est en France, la patrie des premiers grands expérimentateurs de la vie, de Bichat, de Legallois et de Magendie, qu’on aurait dû fonder des établissements aussi utiles au progrès de la médecine. Il n’en a rien été et ce sont nos voisins qui nous ont donné l’exemple de l’expérimentation suivie, publique et régulière… »

Par delà « nos » frontières, on trouve des laboratoires qui sont de véritables palais, et dont la construction a coûté des millions. Bonn, Berlin, sont en Allemagne des centres de chimie magnifiques où peuvent œuvrer, dans l’aisance, des équipes de savants. Les grandes cités universitaires d’Autriche et d’Allemagne, de Suisse aussi, ont également des laboratoires importants qui gardent la mémoire des Liebig, des Bunsen, des Wœhler et de tant d’autres… Les laboratoires de physiologie sont particulièrement bien installés à l’étranger. Vaste est celui de Petrograd, celui d’Utrecht est un modèle. Florence même nous dépasse. En Allemagne : à Heidelberg, Berlin, Leipzig, Vienne, Tübingen, Munich, Göttingen, etc., s’érigent des laboratoires richement organisés pour les études sur la vie.

Pour insuffler aux laboratoires, enfin partout multipliés, l’enthousiasme de la vie saine, pour les situer à leur place, qui est première, et les ouvrir à leur véritable rôle, si fécond, il faudra l’atmosphère d’une société libérée des petitesses de l’argent, de la corruption des affaires et des sophismes patriotiques, des hostilités de la convoitise et des basses émulations de la vanité, de toutes les contraintes qui freinent l’humanité dans sa marche, des déviations qui la désorientent et la déciment, qui la jettent loin des chemins normaux où l’effort des cerveaux les mieux doués assure des conquêtes utiles pour l’espèce toute entière. — Lanarque.


LABYRINTHE n. m. (étymologie probable : latin labyrinthus ou grec laburinthos, même sens. Certains le rattachent aux deux mots égyptiens labari et thi, ville ou monument de Labari, roi d’Égypte). On donnait ce nom dans l’antiquité à des salles et galeries souterraines, suites de tombeaux, exagérément ramifiées, et cette appellation s’est étendue, plus tard, à des édifices conçus sur le même plan ou à des agencements qui rappelaient le dédale trompeur des labyrinthes anciens. Des cinq plus fameux dont on a conservé les noms, deux appartiennent à l’Égypte : le labyrinthe de Mendès, dans l’île du lac Mœris et le labyrinthe des Douze, ainsi nommé parce qu’il fut construit, vers 660, par les douze seigneurs qui régnaient alors sur l’Égypte. Il y avait aussi le labyrinthe de Crète, près de Gnosse, construit dans les carrières et destiné à la sépulture des rois : la fable l’attribuait à Dédale et y plaçait le Minotaure ; puis le labyrinthe de Lemnos, qui semble avoir été une grotte de stalactites, abri mystérieux du culte des Cabires, et enfin le labyrinthe de Clusium, que l’on attribuait à Porsenna, et qui dut être un de ces hypogées étrusques dont on a découvert un si grand nombre de nos jours…

De ces labyrinthes, les auteurs antiques abondent en descriptions enthousiastes et ils en vantent la richesse. Mais il est curieux qu’aucun de ces édifices n’ait laissé de traces et qu’on ne soit d’accord sur aucun de leurs emplacements. Verrons-nous un jour des fouilles exhumer ces substructions grandioses ?… Hérodote a décrit celui des Douze, qu’il dit avoir visité au milieu du ve siècle av. J.-C. et il lui attribue, outre douze grandes salles parallèles précédées d’un portique de colonnes monolithes, plus de trois mille chambres dont la moitié, souterraines, servaient, assure-t-il à la sépulture des rois et des crocodiles sacrés. Pline en parle également et Strabon, qui déclare l’avoir connu encore sous Auguste. Mais Hérodote, Strabon, Pomponius, Diodore de Sicile, Manéthon, Démostélès, Lycéas sont en désaccord — si l’on s’attache à leurs récits — quant au fondateur dont une pyramide abritait la momie.

Le plus fameux des labyrinthes antiques, si l’on en croit les poètes qui, à profusion, l’ont chanté, fut celui de Crète. Selon la mythologie, il aurait été construit, par ordre du roi Minos, pour servir de repaire au Minotaure. Dédale en aurait tracé le plan, d’après celui du labyrinthe qu’il avait vu en Égypte, près du lac Mœris. C’était un édifice élevé sur le sol à ciel ouvert. Thésée, guidé par le fils d’Ariane, parvint jusqu’à la retraite du Minotaure et le tua. Ovide, qui le dépeint dans ses Métamorphoses, nous conte que l’inventeur put à peine en sortir tant son art fut extrême. Demoustier, dans ses Lettres à Émilie, le compare au cœur de l’infidèle. Les Pline, les Diodore, n’en voient de trace que dans la légende et il semble qu’on puisse se trouver en présence d’une tradition purement poétique

Les églises offrent souvent, vers la fin du xiie siècle, des ornements en forme de labyrinthes. La cathédrale de Chartres en possède un en sa nef, qu’on dénommait la lieue et où se voyaient, jadis, Thésée et le Minotaure. Il en est aussi en celles de Reims, Poitiers, Auxerre, Amiens, etc. Certains y ont vu des réminiscences païennes, d’autres des rappels d’emblèmes du temple de Jérusalem. Plus simple nous paraît de les attribuer à une fantaisie, familière aux artistes du temps, dont l’imagination se donnait, à travers les œuvres sacrées, si souvent libre cours et qui dotèrent les édifices du culte des scènes les plus audacieuses et les plus hétéroclites…

Les labyrinthes optiques sont des enchevêtrements de glaces qui donnent naissance à des perspectives que le visiteur prend tour à tour pour des chemins. L’horticulture a ses jardins-labyrinthes dont les plus célèbres furent ceux de Versailles et de Choisy. Du premier seulement nous restent des plans et gravures, des descriptions (proses de Perrault, fables de Benserade) et un poème de Delille.

Au figuré, on appelle labyrinthe une complication d’objets parmi lesquels la pensée tâtonne et se fourvoie. Des difficultés, des questions obscures, un réseau d’idées enchevêtré, voire de propositions contradictoires sont aussi qualifiées de labyrinthe : « Le système général des sciences et des arts, dit d’Alembert, est un labyrinthe où l’esprit s’engage sans connaître la route qu’il doit tenir. » Lemercier proclame que « le doute fut le premier pas vers les découvertes, dans le labyrinthe de la vérité ». Du cœur humain, Voltaire dira qu’il est « un labyrinthe dont il n’est pas aisé de démêler les tours et détours ». Dans l’inextricabilité du labyrinthe, le philosophe voit l’image de l’esprit humain en proie aux illusions et aux égarements multipliés : « Nous naissons, dit à ce sujet Condillac, au milieu d’un labyrinthe où mille détours ne sont tracés que pour nous conduire à l’erreur. » Balzac estime aussi qu’ « il n’est pas un fourré qui ne présente quelque analogie avec le labyrinthe des pensées humaines ». Nombreuses sont les tournures littéraires qui font appel à des comparaisons similaires. — L.


LÂCHETÉ n. f. (lat. laxitas, relâchement, de laxus, lâche). La lâcheté, qu’il ne faut pas confondre avec la poltronnerie — réflexe passager de la peur qu’ébranle l’imprévu — est non seulement un manque naturel de courage, mais souvent une pusillanimité de parti-pris. « La peur tient à l’imagination, la lâcheté au caractère » dit Joubert. C’est par instinct seulement ou par tempérament que le poltron se dérobe au péril ; le lâche s’y soustrait par calcul. Alors qu’à certaines défaillances physiques vont l’excuse de la spontanéité et le bénéfice de la franchise, il y a dans la lâcheté une préméditation et une méthode — un système pourrait-on dire — qui révèlent à la fois les tares et les dangers du vice. Plus encore que la lâcheté qui est effacement d’excessive prudence, retraite voulue en face de dangers redoutés, est avilissante et constitue un amoindrissement de la personnalité, cette lâcheté active —qui imprègne tout l’être moral — par laquelle certains ne reculent pas devant une infamie pour réussir, rampent pour atteindre à la fortune, se prosternent devant les grands quitte à se venger sur les humbles des bassesses que leur esprit d’intrigue ou leur servilisme leur fait commettre. Pire que la lâcheté du pauvre (que son ignorance, le défaut de cohésion avec ses pareils, le préjugé d’une sorte de fatalité de sa condition amènent à un acquiescement permanent à des formes manifestement iniques) est ce souple abandon, habile et circonstancié, de l’arriviste, de l’avide ou du dominateur qui supputent les avantages de leur servilité provisoire et monnaient par avance leur abaissement.

Généralement, couardise physique et lâcheté morale vont de pair. Elles enveloppent et pénètrent l’individualité, lui impriment le sceau du renoncement, l’écartent des actions viriles par lesquelles l’homme, au prix de souffrances souvent, se redresse et s’affirme. Dans l’atmosphère de la moralité courante, distante par tant de points de la moralité théorique, officielle, il flotte, en dépit d’une absolution de fait qui est une adhésion cynique à tout ce qui revêt les apparences de la force et se couvre des attributs du succès, une sorte de réprobation séculaire, un mépris latent pour la lâcheté. Parmi les humains qui admettent la situation de fait du parvenu et pressent la main de celui qui s’est traîné jusqu’au pinacle par ses abdications, ceux-là en qui toute dignité n’est pas obnubilée par les altérations d’un régime d’appétits, ressentent en sa présence le malaise qu’on éprouve au contact de la fourberie et le souvenir — indélébile — de déchéances échelonnées sur le parcours. Rares d’ailleurs sont les lâches qui revendiquent crûment la légitimité de leurs procédés et plastronnent avec ostentation de gloire, poussent le cynisme jusqu’à revêtir le manteau de Nessus de leurs trahisons…

« C’est une lâcheté que de trahir un parent, un ami, un bienfaiteur. Partout et toujours, c’est une lâcheté de faire ce que la raison condamne. » (Senancour). Que de trahir quiconque, devrait-on dire, et de faire ce que réprouve le sentiment averti de justice, que de faillir à la loyauté. Plus odieuse si possible est la lâcheté qui s’abrite derrière l’anonymat pour atteindre ses visées. Sur la voie aux scrupules piétinés, n’est-il pas comme obligé que, dans un cortège renforcé de toutes les connivences, la cruauté aussi accompagne, en complice, la lâcheté ? « Les lâches sont cruels » soulignait Voltaire… La lâcheté est un mal endémique qu’ont connu tous les temps et sur une échelle trop vaste :

« Je ne trouve partout que lâche flatterie
Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie » (Molière)

Les peuples, comme les individus, ont donné le spectacle de lâchetés séculaires. Esclaves, faux affranchis, fonctionnaires domestiqués, assemblées dociles ont fait à des tyrans parfois débiles l’offrande des volontés du, nombre et se sont inclinés sans combattre devant les arrêts du despotisme. La lâcheté favorise et renforce les institutions d’écrasement : sans elles s’effriteraient, impuissantes à vaincre, les dictatures dont la passivité multipliée des hommes assure le triomphe.



Lâche signifie proprement : qui est insuffisamment tendu ou serré : une ceinture, un ventre, une étoffe sont lâches ; c’est aussi un affaiblissement caractéristique.

En botanique, le terme désigne des inflorescences écartées : ombelle lâche. La grappe du faux cytise est lâche. C’est aussi de la paresse, un fléchissement d’activité, de vigueur : quelqu’un de lâche au travail : « mener une vie obscure, lâche, inutile » (Massillon) ou (Fléchier) : « Sa retraite ne fut ni lâche, ni obscure »… En littérature, c’est un manque d’énergie, de concision, de fermeté condensée : « toutes ces expressions impropres, hasardées, lâches, négligées, employées seulement pour la rime, doivent être soigneusement bannies » (Voltaire). Dans les Beaux-arts, l’expression s’applique aux œuvres dont le trait est faible, le dessin hésitant, l’effet mou : « la gravure lâche alourdit, ôte la souplesse, et fatigue l’œil » (Diderot), etc. — Lanarque.

LÂCHETÉ. Pour manœuvrer le pantin populaire nos moralistes officiels usent de ficelles, pudiquement voilées par les philosophes universitaires en mal d’avancement, ainsi que par la presse dénommée de gauche et, cela va sans dire, par les écrivains qui font la cour à notre riche et dévote Académie, cette coquette sur le retour. Ce qui plaît aux chefs, ce qui favorise leur volonté de jouissance ou de puissance voilà le bien moral, d’après ces plats valets ; ce qui nuit à leur prestige, à leurs plaisirs, à leur ambition, voilà le mal. Par crainte d’effaroucher les esprits simplistes on évite d’énoncer ce principe essentiel de l’éthique gouvernementale, mais il inspire toutes les appréciations que l’on porte sur la personne ou la conduite des subordonnés. Actes, sentiments, idées, deviennent saints, justes, bons, dans la mesure où l’exige l’intérêt de ces messieurs du Gouvernement et de l’Église ; s’ils leur déplaisent ou les contrecarrent, bien vite on les porte sur le catalogue des vices ou des crimes. Parfois des contradictions éclatent, et des manières d’agir comme des états d’âme identiques sont qualifiés vertueux et coupables tout ensemble ; il suffit de les baptiser d’un nom différent pour que le public n’y voie rien et que les intellectuels eux-mêmes s’y laissent prendre. Pendant la guerre, quand les ministres fuyaient à Bordeaux ou que le Grand Quartier Général s’évitait tout bombardement, par accord tacite avec l’adversaire, c’était prudence disait-on ; mais l’on appelait lâche le déserteur à qui sa conscience interdisait de tuer d’autres hommes ses frères. Qu’un politicien abandonne ses idées pour parvenir, qu’un écrivain sacrifie, sans conviction, aux goûts de l’heure qu’un patron requière la force armée contre des ouvriers qui réclament un juste salaire, la presse n’a que sourires pour ces hommes dépourvus d’énergie, par contre elle accable qui ne se soumet aux caprices du maître, l’esprit assez indépendant pour dire : « Je n’obéirai pas ». Courage et vertu abritent depuis des siècles, sous leur manteau tutélaire, les pires orgies guerrières, les crimes innombrables de soudards déchaînés ; des fous inconscients du danger, des ambitieux sanguinaires sont proclamés héros par l’ignorance populaire. Artistes, historiens, prêtres, éducateurs magnifient la séquelle des conquérants illustres, des généraux fameux qui se firent un piédestal de milliers de cadavres humains. La lâcheté du troupeau qui se laisse conduire par de tels bergers s’appelle, au dire de nos moralistes, résignation sainte, discipline glorieuse, loyauté patriotique, comme la lâcheté des forts se dénomme prudence. Et les coupables sont les insoumis, les révoltés qui déclarent avec Lucifer « je ne servirai pas », oubliant que, selon saint Paul, toute autorité vient de Dieu. Avec les autres pères de l’Église, saint Augustin voyait encore dans l’esclavage un mal nécessaire, conseillant la soumission aux maîtres même injustes. Et l’on sait à quelle abdication immonde aboutit l’obéissance qui réduit le moine à n’être qu’un aveugle instrument dans la main de ses supérieurs.

Absence d’énergie volontaire, la lâcheté c’est le respect des lois iniques (la lâcheté par excellence est le respect des lois, disait Élisée Reclus), l’aplatissement devant les autorités civiles et religieuses, l’abdication des idées personnelles par intérêt ou par peur. Lâches, les prêtres (ils sont légion dans le haut clergé), qui vivent de l’autel sans croire ; lâches les savants, les écrivains, qui taisent la vérité ou propagent le mensonge, afin de ménager la clientèle riche et d’être reçus dans les salons ; lâches le juge, le patron, l’administrateur qui sacrifient l’innocent à des rancunes politiques ou religieuses ; lâches tous les pleutres riches, titrés, bien-pensants qui disent éternellement : « je n’ose » ; lâches doublement ces larbins de la presse gouvernementale qui encouragent le soldat à mourir, le père de famille à procréer, quand eux-mêmes sont à l’abri et restent célibataires. En voyant combien fréquente la veulerie parmi ceux qu’on dénomme intellectuels, on est conduit à penser que si la science est bonne elle ne suffit pas à rendre un homme supérieur. L’aristocratie de l’esprit, dont rêvent les partisans de l’École Unique, vaudrait-elle mieux que les aristocraties actuelles ? J’en doute. D’abord parce que sélectionnée par des concours et des examens, procédés absolument incapables de faire découvrir les cerveaux vraiment doués ; nous en avons des preuves quotidiennes. De plus, je ne crois pas que, prise seule, l’intelligence suffise. Dans un essai (Métrique Morale), j’ai longuement indiqué pourquoi, et depuis j’ai insisté dans maints articles sur cette idée « Savoir et talent ne valent que dans la mesure où ils permettent d’adoucir la souffrance humaine ; au service d’un égoïsme sans scrupule, ils deviennent les pires auxiliaires du crime ». L’acuité de l’esprit comme la richesse de la mémoire s’allient souvent à une ambition sans frein ou à une irrémédiable sécheresse du cœur. Les intelligences supérieures vont parfois fort loin dans la voie de l’iniquité, et les souffrances des peuples furent généralement le prix de la vanité satisfaite des grands. Malgré les plus belles qualités intellectuelles, ce sont des despotes en germe ceux que n’anime pas un large sentiment de fraternité humaine, ce sont des forts peut-être, mais tout disposés à brimer les faibles. Pour eux, l’autorité devient un commode moyen d’asservir et d’exploiter les masses. Elle est condamnable l’éloquence qui accuse des innocents ; il devient nocif le sociologue que réjouit la souffrance des humbles.

La science, bonne à condition d’être au service d’une volonté compatissante, devient un instrument de torture ou d’esclavage entre des mains expertes au crime. Choisit-on pour cuisinier un empoisonneur parce qu’il est chimiste émérite ? L’intelligence d’un ministre ou sa culture étendue n’ajoute-t-elle pas au danger, quand il fait œuvre rétrograde. Ni l’éloquence, ni l’habileté, ne manquent habituellement aux hommes d’État, mais la simple honnêteté leur fait souvent défaut. L’exemple de l’ancienne Chine n’encourage pas davantage à tenir compte de la seule valeur intellectuelle ; malgré la difficulté des examens imposés aux mandarins de tous grades, l’administration fut plus mauvaise qu’ailleurs dans le Céleste Empire. Les meilleurs sont avant tout ceux qu’animent des sentiments généreux et humains. Une élite d’égoïstes habiles, cultivés, détenant les hautes situations et les postes de commandement, pourrait faire courir des dangers terribles au bonheur des humbles comme à la tranquillité du monde. Les exemples abondent de parvenus, enfants du peuple, qui furent les oppresseurs de leurs frères.

Et je m’élevais contre le mur de la vie privée qui dissimule légalement toutes les lâchetés de nos politiciens. « Celui qui n’aspire point à commander les autres n’a pas à subir leurs critiques : il a droit au silence et à la paix. Médisance et calomnie empoisonnent déjà trop d’existences pour qu’il soit utile d’accorder une prime à la délation. Mais, lorsqu’il s’agit d’un homme qui aspire à devenir l’arbitre de la destinés des autres, ce mur de la vie privée n’a plus de raison d’être. Quiconque a le droit d’être renseigné sur la moralité profonde du législateur ou du juge qui dispose des biens, de l’honneur, de la vie même de ses concitoyens. N’est-il pas inadmissible que les gouvernants, dont les moindres désirs ont des répercussions si redoutables, prétendent se soustraire au contrôle des faits et gestes les plus révélateurs de leur mentalité vraie ? Et dire que tous les partis politiques s’accordent pour perpétuer cette sinistre farce ! » Inutile d’ajouter que les bons apôtres de la Chambre et du Sénat sont trop adroits pour se soumettre à un contrôle permettant de mesurer leur degré d’hypocrisie. On sait que le monde politique est par excellence celui de la veulerie.

L’Église, toujours experte dans l’art d’utiliser les vices, a su tirer également un merveilleux parti de la lâcheté coutumière du bipède humain. Pour se faire obéir au doigt et à l’œil, elle fabriqua l’enfer, vaste rôtissoire, où le Dieu de Miséricorde s’occupe à cuire éternellement ses créatures mises à la broche. Quant au purgatoire d’où les prêtres vous tirent à volonté, il permet d’extorquer mille dons, mille aumônes des fidèles apeurés. Et c’est dans l’esprit incapable de critique, dans le cerveau tendre de l’enfant que l’on dépose ces monstrueuses insanités ; sans action sur l’homme réfléchi, elles s’impriment dans l’imagination horrifiée des jeunes et durent dans l’inconscient, prêtes à revenir aux instants de faiblesse ou à l’heure des dissolutions finales. En réclamant pour elle seule le droit d’enseigner, l’Église montre qu’elle ne s’illusionne pas sur la vraie raison d’être de son autorité. Quoiqu’elle dise aux dévotes, elle n’attend rien de Dieu ; elle attend tout de la déformation imprimée, dès la première heure, au cerveau des enfants que lui confient des parents insensés. Car la foi disparue, les dogmes mis en doute, elle sait qu’une peur instinctive persistera presque toujours chez celui qu’elle a façonné. Les néo-catholiques, si nombreux dans la bourgeoisie, la presse, l’Université, et qui détiennent le monopole des honneurs académiques, nous présentent la religion tout au moins comme une poésie respectable, qui soutient le faible et enchante l’âme du fort ; ils s’en tiennent à l’enseigne de la boutique et ne voient pas qu’elle est pleine de reptiles hideux. Au fond l’homme religieux n’est qu’un lâche ; Dieu règne par la peur ; le servilisme habite l’âme de l’immense majorité des croyants. — L. Barbedette.


LACONISME n. m. (grec laconismos). Brièveté d’élocution qui parfois nuit à la traduction de la pensée et rend cette forme inférieure en exactitude aux tournures explicites. Le laconisme peut constituer une insuffisance d’expression au contraire de la concision qui est une concentration gravitant autour de l’essentiel. Cependant il en diffère surtout en ce que cette dernière a pour contraire la diffusion plutôt que la longueur du discours. Dans l’antiquité, notamment, qui en fut le berceau, le laconisme était riche des qualités qui confèrent à un exposé resserré la puissance et la rapidité. Le laconisme était moins négligence, satisfaction d’àpeu-près que recherche assidue d’une forme enfermée dans les limites de l’indispensable et qui, avec énergie et sans dispersion oiseuse, épouse le sujet et s’applique à atteindre le but. On ne peut demander au laconisme que des vertus utilitaires et non les attributs qui font le charme du style. Les beautés littéraires, comme en comporte par exemple la phrase limpide et brève d’un Voltaire ou le tour ramassé, lapidaire de nos auteurs de maximes sont étrangères aux propos laconiques et ne les habitent que par accident. Le laconisme s’accompagne inévitablement de sécheresse et de froideur et ne peut s’embarrasser des figures rythmées de la narration. Il convient éminemment aux proverbes, aux sentences, aux devises armoriales, aux inscriptions monumentales. Deux écueils, d’autre part, menacent le laconisme : l’obscurité et l’affectation.

Le mot tire son origine de la réputation qu’avaient d’en faire usage, avec un à-propos tout particulier, les peuple de la Laconie, voire les Lacédémoniens, les Spartiates. L’esprit du « multa paucis » est l’essence même du laconisme et devrait inspirer la manière de nos orateurs. Si les joutes du prétoire devenaient laconiques, si les assemblées parlementaires, notamment, si fécondes en prolixes stérilités, introduisaient dans leurs délibérations un laconisme rigoureux, c’en serait fini de cette grandiloquence pompeuse et vide, qui auréole la vanité des champions de l’éloquence. Mais un Parlement pratique, aux séances de labeur précis et aux échanges expurgés de fioritures oratoires, aurait la valeur symbolique d’une révolution.

Pour revenir aux sources et fixer notre définition par quelques exemples, rappelons que les Lacédémoniens usaient parfois de monosyllabes décisifs. Si (non) répondirent-ils à Philippe de Macédoine les sommant de lui ouvrir l’accès de leur territoire et les menaçant, s’ils s’y refusaient, de tout mettre à feu et à sang. Léonidas réplique à Xerxès, qui lui ordonnait de rendre les armes : « Viens les prendre ! » On cite aussi comme des modèles du genre le veni, vidi, vici (je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu) de César et le « Sinon, non » des Aragonais, lors de l’investiture de leurs rois… « Ea rus » (je pars à la campagne), écrivait, à la suite d’un défi, Voltaire à Piron. « I » (va), répondit Piron, que son laconisme majeur faisait vainqueur du tournoi. — L.


LACTÉE (Voie), n. f. (lactée, du latin lactis : lait). Dans la bande blanchâtre qu’on aperçoit pendant les nuits sereines, suspendue sur la voûte céleste, la mythologie grecque, écho poétisé du balbutiement de l’homme primitif, a voulu voir quelques gouttes de lait tombées du sein de Junon allaitant Hercule.

Fable, miracle, religion, en un mot ignorance doublée de crainte, voilà ce qui est à l’origine de l’interprétation des phénomènes de la nature et des rapports de l’homme avec le monde environnant.

Les siècles et les millénaires ont rétréci, tout en allongeant au delà de nos conceptions, la vision du ciel étoilé que la découverte du télescope et du spectroscope commencent à préciser.

Pour la science contemporaine, cette bande blanchâtre est notre Voie Lactée, dont le grand Herschell a été le Christophe Colomb et où on compte déjà plus de deux milliards de soleils. (Dans un espace de quinze degrés de long sur deux de large, Herschell a dénombré jusqu’à 50.000 étoiles et le nombre s’accroît à mesure avec la puissance des télescopes).

Du fait que nous voyons cette bande blanchâtre de toute la surface de la rotondité de la Terre, il ressort, d’une évidence mathématique, que notre Soleil avec toutes ses planètes est profondément plongé dans la Voie Lactée.

La Voie Lactée est une immense agglomération de soleils ou d’étoiles, à forme lenticulaire, d’une longueur d’au moins 25.000 et d’une épaisseur de 5.000 années de lumière dans laquelle notre soleil se trouve à une distance d’environ 400 années de lumière du centre.

Toutes les étoiles que la vision humaine non armée du télescope est susceptible d’embrasser appartiennent à la Voie Lactée proprement dite.

Mais il est probable, pour ne pas dire certain, que les Nuées de Magellan, le Grand et le Petit Nuage, découvertes par Magellan, en 1521, lors de la première circumnavigation de notre terre forment, avec les amas d’Hercule et d’autres amas stellaires, comme les faubourgs de la Voie Lactée, et que tout ce système de mondes, divisés en une infinité de sous-groupements, s’étend dans l’espace à plus de cent mille années de lumière.

Dans le Grand Nuage de Magellan, soit dit entre parenthèses, se trouve la plus grande étoile connue, la super-géante S. Dorade, dont le diamètre dépasse 300 millions de kilomètres (celui du Soleil n’est, que de 1.391.000 kilomètres) et la luminosité 600.000 fois celle de l’astre du jour, c’est-à-dire d’autant de fois que celle du Soleil dépasse la luminosité de la pleine Lune.

À ce sujet, le regretté Camille Flammarion, que continue sa vaillante compagne, a écrit : « Le rayon lumineux qui part aujourd’hui de S. Dorade n’atteindra la Terre que dans cent mille ans. D’ici là, les théories astronomiques et toutes les idées actuelles des habitants de la Terre se seront quelque peu modifiées. Les générations de ce lointain futur formeront un autre monde sur notre monde… »

Au delà, l’espace paraît privé d’étoiles sur des espaces énormes par rapport aux dimensions de la Voie Lactée.

Plus loin, bien plus loin, à la limite de nos calculs actuels, nous trouvons, à des millions et des millions d’années de lumière, les nébuleuses spirales, dont plusieurs centaines de mille ont été repérées. Elles sont posées comme des escargots argentés dans le jardin des étoiles et constituent des systèmes en tout analogues à notre Voie Lactée et de dimensions comparables aux siennes.

Toutes ces voies lactées avec leurs nébuleuses résolubles et résolubles, la nôtre y comprise, se meuvent dans l’espace à raison de 600 à 1.000 kilomètres par seconde, tandis que la vitesse des étoiles ne dépasse guère, en moyenne, 20 à 60 kilomètres dans le même laps de temps.

Les soleils ou étoiles (c’est tout un) sont les atomes, les voies lactées : les molécules de l’Univers et l’homme est leur image en raccourci. — Frédéric Stackelberg.


{{brn} Les Grecs donnaient à cette couronne d’étoiles de nom de Galaxie (du mot gala, lait) et les astronomes l’ont quelquefois désignée ainsi. Les Romains l’appelaient via lactea (d’où voie lactée) et ce nom est le plus employé de nos jours, tant dans la langue scientifique que dans le langage vulgaire. Dans sa course à travers le ciel, la voie lactée (qui varie de position avec les étoiles fixes, qu’elle suit dans leur marche) rencontre un grand nombre de constellations. Partant de Cassiopée, elle traverse Persée, Orion, les Gémeaux, le Grand Chien ou Syrius, le Centaure, la Croix et le triangle austral ; de là elle continue sa route en passant par le Scorpion, le Sagittaire et, se divisant en deux branches, elle rencontre l’Aigle, la Flèche, le Cygne, le Serpentaire, Céphée et revient enfin à Cassiopée, après avoir décrit son cercle entier. Comme toutes les apparences célestes, la Voie Lactée a servi, dans l’antiquité de point de départ aux fictions poétiques : suivant Ovide, c’était le chemin du palais de Jupiter ; d’autres poètes en rapportaient l’origine à l’embrasement causé par Phaéton : d’autres encore à quelques gouttes de lait échappées des mamelles de la chèvre Amalthée, qu’Hercule laissa tomber de sa bouche, lorsque Junon, apaisée, vint présenter le sein au fils de sa rivale… Si la science a rejeté dans la Fable ces légendes imagées, réponses sommaires à la curiosité de nos ancêtres, elle a, par contre, par ses explications positives, ouvert des horizons infinis aux générations futures et étendu devant l’esprit humain un champ de découvertes illimité. Pour être traversée de chiffres effarants, la poésie de l’espace n’en demeure pas moins attirante et son merveilleux s’élargit…


LACUNE n. f. (latin lacuna : proprement petit lac, de lactus, lac). Espace vide dans l’intérieur d’un corps. Les corps lacunaires (minéralogie) sont composés de cristaux agglomérés qui laissent entre eux des intervalles. En botanique, on désigne ainsi des cavités pleines d’air qui constituent des solutions de continuité dans le tissu cellulaire des plantes. Par suite de l’accroissement plus rapide dans un sens que dans un autre ou de la destruction d’une partie du tissu végétal, la tige des graminées, des bambous par exemple, se creuse intérieurement et les sucs déposés en nœuds y limitent des espaces fistuleux irréguliers. Ailleurs, comme dans le noyer, la moelle du canal médullaire se rompt, laissant entre ses fragments des lacunes occupées par des gaz. En anatomie, on donne ce nom à des cavités des membranes muqueuses dont les parois secrètent une humeur visqueuse…

Par analogie, on appelle ainsi une solution de continuité, une interruption dans le corps d’un ouvrage ou le texte d’un auteur. Il y a, par exemple, dans la chronologie des anciens empires d’Orient des lacunes devant lesquelles les érudits demeurent perplexes. « Parmi les ouvrages qui nous sont venus de l’antiquité, un assez grand nombre en effet sont incomplets et présentent des lacunes qu’on ne pourra sans doute jamais remplir. En des siècles où l’imprimerie était inconnue et où les œuvres manuscrites étaient très rares, comparativement à nos produits typographiques, il est arrivé que de précieux écrits se sont perdus en totalité ou en partie. Les chrétiens des premiers siècles n’ont pas peu contribué à la destruction de ces monuments anciens, qui n’étaient à leurs yeux que des œuvres ennemies de la religion nouvelle et, par conséquent, dignes d’être anéanties. Les moines utilisèrent parfois les vieux manuscrits profanes, pour y écrire des psaumes, des compositions ascétiques, etc… On est parvenu à retrouver, sous leur écriture, les textes primitifs, et c’est ainsi que plusieurs ouvrages, on parties d’ouvrages importants, ont échappé à l’oubli. Il y a des lacunes dans Aristote, dans Tite-Live, dans Vélléius Paterculus. Des copistes, voulant réparer des lacunes, ont souvent mis beaucoup d’inepties là où il y a lieu de croire que les auteurs avaient mis d’excellentes réflexions. Le roman grec de Daphnis et Cloë, par Longus, offrit, jusqu’à P.-L. Courier une lacune considérable, dont ce savant helléniste découvrit le texte dans un manuscrit de la bibliothèque de Florence. L’histoire des Égyptiens présente de nombreuses lacunes. » (Lachâtre). Ceux qui admettent, ou estiment possible, l’existence de Jésus-Christ, rencontrent dans sa vie, entre douze et trente ans, une lacune qui accroît singulièrement le nombre des conjectures formées sur la période de gestation du christianisme. Les siècles ont ainsi, comme les souvenirs humains, des lacunes susceptibles de n’être jamais comblées.


LAÏCISATION n. f. Le fait de remplacer, par un personnel laïque, les congréganistes dans les écoles, les hôpitaux, etc…

Jusqu’à la grande Révolution française, le rôle des congréganistes était très important dans l’État. Les ordres religieux tenaient l’enseignement primaire, secondaire et même supérieur ; Albert le Grand, Abélard, Roger Bacon étaient des moines. L’assistance aux pauvres et aux malades était aux mains du clergé. Le clergé séculier possédait les registres des baptêmes qui tenaient lieu d’état civil.

La substitution de la République au régime monarchique et féodal a eu pour conséquence la laïcisation. La religion cesse d’être un appareil d’État pour devenir une affaire privée ; le moine et le prêtre sont remplacés par des fonctionnaires publics, neutres en principe au point de vue religieux, tout au moins dans l’exercice de leurs fonctions.

L’Église catholique a vu d’un très mauvais œil la laïcisation qui lui enlevait une partie de sa puissance. Les pauvres institutrices primaires des années 1880 à 1890 ont eu une vie très dure. Le clergé tout puissant dans les campagnes ameutait contre elles les paysans. Celle qui venait remplacer les religieuses dans l’école était boycottée ; les commerçants refusaient de lui vendre des aliments, elle était en butte à l’injure, à la calomnie, parfois aux voies de fait.

Dans les hôpitaux, la laïcisation marche très lentement ; encore aujourd’hui, nombre d’hôpitaux de province sont tenus par des sœurs.

La laïcisation de l’enseignement primaire a eu de très heureux effets. Certes l’école laïque a aussi ses dogmes ; elle ment aux enfants en leur présentant des images fausses de la société où ils doivent vivre. Elle leur fait adorer la patrie, le drapeau ; mais enfin l’affranchissement religieux est déjà un résultat. C’est l’école laïque qui a affermi la République, qui, toute mauvaise qu’elle soit, vaut mieux que la monarchie. Il ne faut pas oublier que la France est le pays le moins religieux du monde et il faut en savoir gré à l’école laïque.

Dans les hôpitaux, les religieuses exercent une pression odieuse sur les pauvres malades pour les amener à se soumettre aux pratiques du culte. Elles épouvantent les mourants avec l’évocation de leur fin prochaine, pour les forcer aux derniers sacrements. L’homme en soutane noire vient se dresser au lit du moribond terrorisé, véritable fantôme de la mort elle-même.

Les cléricaux n’ont pas manqué de reprocher au personnel hospitalier sa dureté, son incurie, sa vénalité. Reproches justifiés, surtout avant la guerre. Les infirmiers étaient des hommes inférieurs, qui n’avaient pas appris de métier ; les infirmières venaient des campagnes ; beaucoup étaient illettrées ou presque. Les traitements étaient dérisoires, la nourriture grossière ; le logement, un dortoir infect dans les combles de l’hôpital.

Mais il ne faut pas oublier que les religieuses tenaient le rôle de surveillantes ; elles ne se chargeaient pas des besognes grossières de propreté qui étaient laissées au personnel laïc.

Forcée d’accepter la laïcisation, l’Église a changé de méthode. Elle s’applique à conquérir le personnel laïque de l’enseignement primaire et malheureusement elle y réussit.

La dictature intellectuelle qui a sévi pendant la guerre a amené une forte régression.

En outre le parti radical, artisan de la laïcisation, s’est endormi sur ses lauriers et l’Église en a profité pour reconquérir peu à peu le terrain perdu. On n’a rien fait pour donner un intérêt à la vie de la pauvre institutrice isolée dans son école de village. La République parlementaire l’a traitée avec indifférence parce que, femme, elle n’était pas électeur. Aujourd’hui, l’Église va la trouver ; une société secrète, les Davidées, couvre la France de ses sections ; l’institutrice est enrôlée dans l’armée cléricale. Des professeurs d’école normale primaire affichent ouvertement leur catholicisme.

Le gouvernement ferme les yeux. Il a rétabli l’ambassade du Vatican ; il paie des congrégations missionnaires pour aller enseigner aux peuples attardés l’absurdité religieuse.

C’est que la République capitaliste a compris que la religion est un frein social. Dans sa terreur du communisme, elle abandonne la laïcisation. — Doctoresse Pelletier.


LAÏQUE adj. et subst. (lat. laicus, grec laikos, de laos, peuple). Au sens strict, est laïque tout chrétien qui n’appartient pas à la hiérarchie ecclésiastique ; d’où le nom de frères lais ou laïcs, donné dans les couvents aux imbéciles qui ne reçoivent point les ordres sacrés et se bornent à remplir le rôle de domestiques. D’après le droit canon, sœurs de la charité, frères des écoles chrétiennes, tous les moines non tonsurés, ainsi que l’armée des nonnes restent dans le rang des laïques, malgré les immenses services qu’ils rendent au catholicisme. Pour être clerc, il faut avoir reçu au moins les ordres mineurs ou la tonsure. Ce dernier grade n’est qu’un signe de prise de possession par les autorités ecclésiastiques ; aussi le donnait-on autrefois, presque au sortir du berceau, aux enfants nobles que l’on destinait à la cléricature. Comme les ordres mineurs, il n’engage ni au célibat, ni à aucune des obligations contractées par le prêtre ou le simple sous-diacre ; mais il permettait autrefois de se soustraire aux tribunaux civils, d’obtenir des bénéfices ecclésiastiques et même d’arriver cardinal. Il n’a plus d’importance aujourd’hui que pour les séminaristes assez bêtes ou assez fourbes pour accepter de devenir les fonctionnaires dociles du Vatican.

Le mot laïque a pris un sens bien différent ; il sert à qualifier, à notre époque, toute personne ou toute chose n’étant pas d’Église. Sans être prêtres, les frères ignorantins, les jésuites de robe courte, les convers de tout ordre, parfois les sacristains, prétendent se séparer du monde profane et rentrer dans la tribu de Lévi. En s’affublant de cornette et de voile, les femmes elles-mêmes s’imaginent devenir personnes sacrées, oublieuses que l’Église les a pour jamais exclues de sa hiérarchie. Car devant le flot montant de l’incrédulité populaire, et pour flatter la vanité d’ouailles assez sottes pour les servir, les autorités ecclésiastiques acceptent de réserver l’épithète de laïques aux hommes, aux doctrines ou aux institutions que n’inspirent pas les idées théocratiques. À lire les écrivains bien pensants, il appert que laïc est, pour eux, synonyme de criminel ou de diabolique ; en conséquence ce maladroit adjectif ne convient plus lorsqu’il s’agit de benoîts serviteurs de messieurs les curés.

« Au temps où l’Église était toute puissante, elle s’était profondément séparée de la masse populaire et avait constitué une sorte de société à part, avec des institutions spéciales, à elle propre, et surtout elle n’avait pas négligé de se donner tous les avantages qui lui semblaient de nature à assurer sa domination. Dans l’origine, elle avait été pauvre, faible, populaire alors ; devenue puissante, elle cessa d’être libérale et protectrice comme auparavant. Il n’y eut, au contraire, jamais un gouvernement plus avide de pouvoir ni plus jaloux de ses prérogatives ; et, au lieu de rester peuple, de se maintenir dans ce fécond et vivifiant milieu social, elle s’isola de plus en plus, ayant soin de tracer sur tous les points, autant que possible, des lignes de démarcation entre elle-même et le peuple ; elle ne voulut ni porter le même nom que lui, ni vivre de la même vie. Il y eut alors la condition ecclésiastique et la condition laïque, deux juridictions, deux sortes, sinon deux natures de biens, les uns avec privilèges, les autres avec charges, etc. « Tout laïque, dit un ancien règlement, qui rencontrera en chemin un prêtre ou un diacre, lui présentera le cou pour s’appuyer ; si le laïque et le prêtre sont tous deux à cheval, le laïque s’arrêtera et saluera révéremment le prêtre ; si le prêtre est à pied et le laïque à cheval, le laïque descendra et ne remontera que lorsque l’ecclésiastique sera à une courte distance, le tout sous peine d’être interdit pendant aussi longtemps qu’il plaira au métropolitain ». Il faut convenir que l’Église et le clergé en ont un peu rabattu depuis, mais ce n’est pas assurément de leur plein gré. Rois et peuples ont eu à lutter successivement et tour à tour pour échapper à ce joug qui durant des siècles, opprima l’Europe corps et âme, à un degré inouï. » (Lachâtre).

Pleine de défiance pour le simple fidèle, tant qu’elle fut maîtresse, poussant la tyrannie jusqu’à interdire l’enseignement public à quiconque n’était pas clerc, l’Église a besoin présentement de ces laïcs si méprisés. On sait que les rois de France étaient chanoines de Rome par droit de naissance ; quiconque est riche ou influent aujourd’hui revêt la dignité de camérier du pape ou de chevalier d’un ordre romain. La jeunesse dorée fournit des brancardiers pour Lourdes, des moniteurs pour le catéchisme, des rabatteurs bénévoles pour toutes les œuvres sacerdotales. Aussi la prélature reconnaissante décerne-t-elle à cette ribambelle calotine les titres de croisés eucharistiques, de pages du Christ, de chevaliers de la croix. Élevés au-dessus du vulgum pecus, ces auxiliaires du clergé ont leur place marquée en fait, sinon en droit, dans la hiérarchie lévitique qui descend, par échelons successifs, des cardinaux aux vulgaires mouchards de sacristie.

C’est en matière d’enseignement que l’Église s’est déclarée le plus violemment hostile à l’esprit laïc. Comprenant que des intelligences adultes et normales ne sauraient admettre son absurde credo, elle réclama de bonne heure le droit exclusif d’ouvrir des écoles et d’instruire les enfants. Puis, ses prétentions admises, elle se garda de mettre la science à la portée du populaire. Sans doute Charlemagne, dont l’Église fit un bienheureux, malgré ses cinquante bâtards, imposa à des évêchés et à des monastères, l’ouverture de quelques écoles ; il en fonda même dans son palais. Mais ces écoles, fort peu nombreuses, furent bientôt supprimées par ordre de Benoît d’Aniane, dans les couvents bénédictins ; et le concile d’Aix-la-Chapelle, en 817 décida qu’on ne recevrait plus de laïques dans les écoles claustrales ; elles ne devaient s’ouvrir qu’aux enfants destinés à la cléricature. Adalbéric, évêque de Laon, avouait au début du xie siècle que « plus d’un évêque ne savait pas compter sur ses doigts les lettres de l’alphabet » ; et, des nombreux moines de Saint-Gall, un seul pouvait lire et écrire en 1291. Dans le haut moyen-âge, si les ecclésiastiques arrivaient en général à lire, un grand nombre ne savaient pas écrire. A partir du xiiie siècle, il y eut des écoles de village, mais les élèves n’y apprenaient souvent pas à lire ; ils se bornaient à réciter des prières et des formules de catéchisme. Quant aux Universités, qui devinrent florissantes à cette époque, c’étaient des institutions essentiellement religieuses, dont les professeurs portaient soutane et n’enseignaient qu’avec une permission expresse des autorités ecclésiastiques. La faculté de théologie tenait le premier rang, et celle des arts s’appliquait exclusivement aux matières utiles pour le sacerdoce : grammaire latine, rhétorique, dialectique, plain-chant, étude du calendrier liturgique. La philosophie, réduite à n’être que la servante de la théologie, tournait à vide, s’arrêtant à des jeux de mots, à des chicanes sans grandeur, à des puérilités indignes d’hommes raisonnables.

Et jusqu’à la fin du xviiie siècle, l’Église réussit à maintenir son droit exclusif d’enseigner. Pour lutter contre le protestantisme, les Jésuites organisèrent les écoles secondaires au xvie ; leurs méthodes furent imitées dans les établissements tenus par le clergé. Quant à l’enseignement primaire, il resta aux mains des frères des Écoles chrétiennes, fondés par Jean-Baptiste de la Salle, en 1680. Avec Condorcet apparaît, sous la Révolution, l’idée d’un enseignement laïc. Chaque religion, pensait-il, devait être prêchée « dans les temples par ses propres ministres », mais on ne saurait admettre « dans l’instruction publique, un enseignement religieux qui, tout en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions ». « Cette proscription doit s’étendre même sur ce qu’on appelle religion naturelle ; car les philosophes théistes ne sont pas plus d’accord que les théologiens sur l’idée de Dieu, et sur ses rapports moraux avec les hommes. C’est donc un objet qui doit être laissé, sans aucune influence étrangère, à la raison et à la conscience de chaque individu. » Condorcet veut la même neutralité à l’égard des opinions politiques, mais il réclame l’enseignement d’une morale fondée « sur nos sentiments naturels et sur la raison ». Napoléon, tout en gardant la haute main sur les écoles, y rendit obligatoire l’instruction religieuse ; pour former des sujets fidèles et des fonctionnaires obéissants, il estimait le catéchisme un adjuvant de premier ordre. L’enseignement redevint confessionnel et prêtres, frères, nonnes firent, en grand nombre, partie du personnel universitaire. Naturellement la Restauration vit croître l’influence calotine ; les éducateurs de tout grade et tout ordre furent à la merci de l’Église. En 1833, la loi Guizot prescrivit la fondation d’une école par commune ; la gratuité de l’enseignement primaire, proclamée en 1848, disparut avec l’Empire, mais la loi Falloux permit au clergé d’ouvrir des écoles pour y façonner à sa guise les jeunes cerveaux. Sous le second Empire, l’Église fut maîtresse de l’enseignement, même universitaire ; en 1875, elle obtint de pouvoir créer des facultés libres. Mais toute une série de mesures, à partir de 1881, aboutirent à la laïcité actuelle.

La loi du 28 mars 1882 porte : « Article 3. — Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 15 mars 1850, en ce qu’elles donnent aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privée et dans les salles d’asile, ainsi que le paragraphe 2 de l’article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques. » Et la loi du 30 octobre 1886 précise : « Article 17. — Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. Article 18. — Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale soit d’instituteurs, soit d’institutrices, en conformité avec l’article premier de la loi du 9 août 1879. Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans un laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi. » Ces mesures furent aggravées par la loi du 7 juillet 1904 qui supprimait l’enseignement congréganiste. « Article premier. — L’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations. Les congrégations, autorisées à titre de congrégations exclusivement enseignantes, seront supprimées dans un délai maximum de dix ans. Il en sera de même des congrégations et des établissements qui, bien qu’autorisés en vue de plusieurs objets, étaient en fait exclusivement voués à l’enseignement, à la date du 1er janvier 1903. Les congrégations, qui ont été autorisées et celles qui demandent à l’être à la fois pour l’enseignement et d’autres objets, ne conservent le bénéfice de cette autorisation que pour les services étrangers à l’enseignement prévus par leurs statuts. Article 2. — A partir de la promulgation de la présente loi, les congrégations exclusivement enseignantes ne pourront plus recruter de nouveaux membres et leurs noviciats seront dissous, de plein droit, à l’exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l’étranger, dans les colonies et les pays de protectorat. Le nombre des noviciats et le nombre de novices dans chaque noviciat seront limités aux besoins des établissements visés au présent paragraphe. Les noviciats ne pourront recevoir d’élèves ayant moins de vingt et un ans. »

Une mesure récente vient de modifier cette loi, en autorisant neuf congrégations missionnaires à ouvrir des écoles confessionnelles pour assurer, paraît-il, le recrutement de leurs membres ; les jeunes gens y seront reçus dès l’âge de seize ans. Il s’agit, affirment Poincaré et ses compères, de permettre l’expansion de la langue et de l’influence française à l’étranger ; mais chacun a compris que c’était le premier coup de pioche donné aux institutions laïques, et que le gouvernement français rêvait de réconciliation avec le Vatican. Aussi bien la loi du 7 juillet 1904 ne fut-elle jamais appliquée, même sous les gouvernements qui se disaient anticléricaux. Moines et nonnes se sécularisèrent en bloc ; i1s quittèrent leurs habits, mais restèrent secrètement affiliés à leur ordre et continuèrent d’enseigner. Plus florissante que jamais les écoles congréganistes se bornèrent à changer de nom, en se baptisant écoles libres. Ce fut une belle comédie, favorisée par les tribunaux où les bien-pensants dominent, et par ceux mêmes qui devaient faire appliquer la loi : à commencer par les ministres, heureux de gagner, de la sorte l’occulte bienveillance des bons chrétiens. Dès le début de la guerre, en 1914, on suspendit d’office les lois sur les congrégations ; avec l’approbation tacite des pouvoirs publics, elles se réinstallèrent au grand jour. Elles ne demandent présentement que la consécration légale d’un état de fait visible depuis longtemps ; car les hommes de gauche ne deviennent anticléricaux que lorsqu’ils cessent d’être au pouvoir : pendant la guerre et depuis, tant qu’ils détinrent les principaux ministères, nulle concession ne leur parut contraire à l’esprit de laïcité.

Laïcité, d’ailleurs respectueuse de tous les préjugés : « La bibliothèque scolaire, lit-on, dans une circulaire ministérielle de 1919, ne doit contenir que des ouvrages qu’un petit catholique, un petit protestant, un petit israélite, un petit libre-penseur puissent lire sans que leurs parents leur paraissent de pauvres égarés, voués à l’erreur et peut-être marqués pour le mal, sans qu’ils se sentent eux-mêmes tenus en une sorte de suspicion, sans qu’ils aient l’impression de ne pouvoir mériter l’estime particulière qui va naturellement à telle ou telle catégorie de personnes que celle à laquelle ils appartiennent. » Et toujours l’Université se montra, à l’égard du catholicisme, d’une tolérance frisant la servilité. Innombrables sont les croyants dans l’enseignement secondaire et supérieur ; dans les trois quarts des lycées, l’aumônier est le vrai chef de l’établissement : et, pour obtenir les hauts grades universitaires, il semble indispensable de fréquenter église, temple ou loge. Il est couvert d’avance celui qui viole la neutralité scolaire au profit des idées chrétiennes ; mais on pourchasse sans répit l’adversaire de tous les dieux, anciens ou nouveaux. Bien entendu, morale traditionnelle, patriotisme, préjugés de race, etc., font partie du matériel normal de la laïcité. Jusqu’à la guerre, l’enseignement du premier degré s’était défendu avec énergie contre la mainmise cléricale ; ce temps n’est plus. Les Davidées, institutrices laïques, groupées en association religieuse, déclarent publiquement : « La neutralité de l’État est une neutralité confessionnelle, et non pas une neutralité philosophique, c’est-à-dire que c’est une neutralité nécessitée par les conditions de la vie sociale et qui ne s’exerce que sur les confessions religieuses. Ce ne peut être une doctrine comme le scepticisme, encore moins l’athéisme. » (Aux Davidées, octobre 1928.) « Il faut donc affirmer l’existence d’une morale rationnelle fondée sur Dieu. Il est non seulement possible, mais nécessaire d’enseigner une telle morale dans les établissements publics… Il faut parler de Dieu aux élèves non seulement comme principe de la morale, mais comme objet d’une vertu rationnelle très précise. » (Rapport de Carisron). Et fort de l’appui ministériel, le Bulletin des Davidées entre dans de minutieux détails sur la façon d’endoctriner les enfants : « On ne fait pas la prière du matin, ni celle du soir, mais il y a de magnifiques poésies chrétiennes mises en musique. Vous les connaissez toutes. On peut les choisir plus ou moins religieuses, suivant le milieu où l’on se trouve… Au point de vue historique, il y a un moyen d’apostolat magnifique en redressant toutes les erreurs officielles répandues. Mais là, il faut bien dire que les membres de l’enseignement public sont eux-mêmes bien trompés et leur premier devoir est de s’instruire. Signalez-leur donc les livres de Guiraud que nulle institutrice catholique ne devrait ignorer, ceux de Louis Dimier, de Pierre Lasserre… Il y a de bonnes choses dans certains livres de Renan, qu’un prêtre érudit pourrait vous signaler. Après cela, il vous sera beaucoup plus facile d’enseigner la vérité… Au point de vue scientifique, pourquoi ne pas agrémenter chaque leçon par un passage intéressant d’un savant catholique (l’abbé Moreux, par exemple), ou des passages de livres catholiques destinés à la vulgarisation scientifique ? Il en existe que vous pourriez signaler les unes aux autres… Travaux de couture ou de broderie. Donner à ces travaux un but pratique ; indiquer les buts en laissant le choix (neutralité !), mais parmi les buts indiqués, ne pas oublier un dessous de vase pour l’autel de l’église par exemple (apostolat !), ou que sais je encore ? Mais en tout cas, quelque chose qui dirige l’esprit vers la pensée de Dieu… Mais là il ne faut pas être intransigeants, mais plutôt insinuants. » Et les inspecteurs, gardiens de la laïcité, ne disent rien ; il est vrai que les Davidées sont d’ardentes patriotes et qu’elles défendent avec zèle l’Argent et l’État. Si la « Fraternité Universitaire » se permettait la dixième partie de ces attaques contre la neutralité scolaire, en sens inverse naturellement, comme on aurait vite fait de me révoquer ; que d’histoires, que de noises ne me cherchent pas les inspecteurs en mal d’avancement ! Voilà où nous en sommes en fait de laïcité, sous la troisième république. Dans son remarquable livre : La Laïque contre l’Enfant, paru en 1911, Stephen Mac Say avait parfaitement prévu cette évolution. Et ses critiques n’ont pas vieilli après la tourmente de 1914-1918, preuve qu’elles ne portaient point sur des vices d’un jour, mais sur les plaies durables de notre enseignement. Tout serait à citer : sur l’imbécillité des programmes, sur les défauts rédhibitoires des procédés pédagogiques, sur les buts avoués ou secrets de l’État éducateur. « Les sujets laïques nous semblent moins enchaînés parce qu’ils le sont par une multitude de chaînettes. L’énorme chaîne (bien rouillée quand même) du catholicisme nous saisit davantage. A l’école chrétienne on voit toujours Dieu derrière l’homme, par delà la ligature du devoir. A la laïque, une petite brume de doute masque parfois la divinité, mais l’entrave aux filaments multiples l’asservit aux mêmes obscurs impératifs. Et qu’on ne vienne pas me dire que cet esprit, toujours en vigueur dans les programmes, est en voie d’extinction et qu’avec la religion de la Cause première disparaîtra la « base extérieure » (toute de foi) de la morale. Je répondrai que la laïque n’ignore pas que « prétendre plier l’enfant au joug de la discipline et de l’obéissance, créer en lui un principe qui le fasse accepter volontairement la loi du travail et du devoir et ne pas demander cette force à la religion, c’est tenter une œuvre impossible », qu’elle n’est pas irréligieuse, mais autrement religieuse, et que ce n’est pas sa faute si l’emprise de la religion diminue dès que s’humanise son absolu. A mesure que ce point d’appui s’écroule, on asseoit le dogme du Devoir dans le ciel hypothétique d’une religion nouvelle et la Patrie sera le premier Dieu de la décadence ». Puis quelles vues pénétrantes sur l’étouffement systématique de l’initiative chez l’enfant : « Son pauvre corps exubérant est la proie des règlements et des prohibitions. Il ne se meut qu’au commandement. Voici huit heures. Un coup de sifflet. Comme une nuée de moineaux fauchée dans son vol, les enfants s’interrompent dans leurs jeux. Sur deux rangs, la colonne franchit le seuil de l’école. Un silence brusque s’établit. Les coiffures s’abaissent. Salut déférent au caporal pédagogue et au temple scolaire. Les élèves s’insinuent à leurs bancs et, au signal, s’asseyent. Dociles, en apparence du moins, à l’emploi du temps qu’appuie le vouloir du maître, ils se plient aux leçons qui, les mêmes jours, aux mêmes instants, accaparent leurs efforts. A l’ordre ils écrivent, à l’ordre ils récitent, à l’ordre ils déplacent livres et cahiers. » Aussi le bambin de six ans, très ouvert le premier jour, sera plus renfermé le lendemain et complètement refroidi après une semaine de classe… Non que les éducateurs soient toujours coupables, Stephen Mac Say l’a fort bien vu ; dès qu’ils veulent réagir contre la routine, de nombreuses difficultés les assaillent ; matières des programmes, contrôle des directeurs, des inspecteurs, de la bureaucratie, des familles, généralement traditionnalistes, Dans nos écoles laïques, le champ individuel de réaction paraît singulièrement restreint pour le professeur ; il est impossible d’y donner une éducation vraiment humaine. Mais il faudrait des ressources que nous n’avons point pour en fonder d’autres, animées de l’esprit que nous désirons. Ne désespérons pas néanmoins, c’est de notre inertie surtout que résulte le triomphe de nos adversaires. — L. Barbedette.


LANGAGE n. m. (de langue, latin lingual). Dans le sens le plus généralement admis, le langage est : « Tout ce qui sert à exprimer des sensations et des idées. » (Littré) ; « Un moyen quelconque d’exprimer des idées. » (Larousse) ; « L’expression de la pensée. » (Grande Encyclopédie) ; « Le pouvoir donné à l’intelligence de se manifester par des signes. » (Bescherelle) ; « La peinture de nos idées » (Rivarol)…

Il s’agit là du langage des êtres qui sentent et ont des idées qui nous sont communicables et compréhensibles. Mais il y a un autre langage, celui des choses, qui sont ou que nous supposons sans pensée parce qu’elles ne nous parlent pas un langage direct, compréhensible, et que nous n’en avons d’autre idée que celle que nous nous en faisons. Ainsi, nous interprétons le langage de la nature d’après les sensations que nous en avons et non d’après ce qu’elle dit. Le langage des fleurs est celui que nous leur attribuons d’après la variété de nos sentiments, suivant leurs formes, leurs couleurs, leurs parfums. Le langage d’une œuvre d’art est beaucoup plus dans l’impression qu’elle nous donne que dans l’idée exprimée par l’artiste en la composant. Le langage des choses est ainsi un langage figuré. Nous en reparlerons au mot Sens.

Tout être qui a une sensibilité et une intelligence a des idées à exprimer, si élémentaires, si grossières, si confuses soient-elles. De même qu’il n’y a pas de fonction sans organe ni d’organe sans fonction, tout langage a des idées. Quand la fonction n’existe plus, l’organe disparaît ; si les hommes, un jour, n’ont plus d’idées, ils n’auront plus de langage.

Les animaux ont un langage ; c’est une preuve, parmi beaucoup d’autres, qu’ils pensent et qu’ils ont des idées. L’homme peut ne pas comprendre leur pensée ; il ne peut la nier que par aveuglement ou mauvaise foi. Buffon ne craignait pas d’écrire : « C’est parce qu’une langue suppose une suite de pensées que les animaux n’en ont aucune. » C’était là du cartésianisme qui niait la sensibilité des animaux, même lorsqu’ils criaient de douleur. Le langage des animaux a les mêmes formes naturelles que celui de l’homme : non seulement ils s’expriment spontanément par le geste ou par la voix, mais certains possèdent le langage articulé, contrairement à l’affirmation de M. Vinson (Grande Encyclopédie) que ce langage « est la caractéristique exclusive de l’homme ». Max Muller avait vu un fossé infranchissable entre la parole humaine et celle des animaux. Il eût fallu d’abord chercher à franchir le fossé avant de le déclarer infranchissable.

Presque tous les vertébrés ; mammifères, oiseaux, batraciens, reptiles, et certains poissons ont, comme l’homme, une voix d’origine laryngée et susceptible d’articulation. Quand ils ne se servent pas du langage articulé, c’est qu’ils n’en ont pas besoin ; ils ont mieux que ce langage à leur disposition. Les invertébrés ont des sons vocaux produits par stridulation, bourdonnements, etc… Le système articulaire humain n’est pas le même que celui des animaux, mais il varie aussi chez l’homme. Si l’animal éprouve des difficultés à parler le langage humain, il est aussi des hommes qui ne peuvent arriver à prononcer certaines consonnes familières à d’autres. Les langues, même les plus perfectionnées, sont loin de posséder un alphabet comprenant tous les sons et bruits articulables. Dès lors « on comprend que, pauvres nous-mêmes en langage articulaire, nous soyons mal armés pour étudier le langage articulaire des autres races » (Dr Maréchal : Supériorité des animaux sur l’homme).

Le langage des animaux qui ont un appareil vocal est supérieur à celui de l’homme : 1° par l’intensité du son et la portée de la voix qui est considérable chez certains, tels les grands singes ; 2° par la simplicité dans l’expression, une seule articulation permettant d’exprimer des idées et des séries d’idées très complexes ; 3° par l’universalité qui fait se comprendre entre eux des animaux d’espèces différentes, comme des chiens et des poules, bien que chaque espèce ait un langage particulier.

Les animaux apprennent le langage humain alors que les hommes n’apprennent pas le leur. Les animaux sont aidés en cela par le développement de leur ouïe ; les hommes manquent d’oreille. « Au lieu de cultiver dans notre race le langage des sons, la langue musicale, nous nous sommes efforcés à créer des langues articulaires, ce qui est une faute, car rien n’est variable comme l’articulation qui se modifie presque à l’infini, par l’habitude, par les différenciations d’organes… Avec la langue musicale, pas de fluctuation dangereuse, le son est mathématique, immuable, le la est toujours le la, quelle que soit la voix qui le donne. » (Dr Maréchal, id.). Dans le langage articulé, par exemple, le latin quisquam doit-il se prononcer kiskam ou kuiskuam ? C’est à la suite de la dispute engendrée par cette question que Charpentier fit assassiner Ramus, au xvie siècle.

Les hommes ont encore beaucoup à apprendre sur le langage vocal des animaux, et encore plus sur leur langage muet. C’est à peine s’ils ont observé chez les insectes la perfection du langage antennaire qui se communique tactilement et se complète des observations de la vue et de l’ouïe.

On a donné les explications les plus diverses de l’origine du langage humain. Les religions, bien entendu, ont créé les fables les plus ridicules en cultivant cet anthropomorphisme qui a si sottement séparé l’homme de la nature et l’a dressé contre elle. La science, si longue à se dégager de cette sottise et qui est encore loin d’en être complètement libérée, a elle-même établi les systèmes les plus compliqués pour lui venir en aide ; elle a en conséquence fort à faire pour arriver à la vérité.

Les légendes sur la Création du Monde affirment la coexistence du langage avec le premier homme ; mais elles n’expliquent pas plus la formation de l’un que de l’autre. Le premier homme aurait parlé spontanément un langage complet, tout formé, comme il s’est trouvé créé par le souffle de Dieu. Ce langage était universel, parlé par tous les hommes lorsqu’ils eurent l’idée de construire la tour de Babel. Dieu fit alors parler à chacun d’eux, de la même façon spontanée, un langage différent et créa ainsi la confusion des langues. Voilà l’explication biblique de l’origine du langage et des diverses langues parlées dans le monde. De la même façon miraculeuse, Dieu fit plus tard le « don des langues » aux apôtres qui devaient aller prêcher l’Evangile et chacun sut parler le langage des peuples qu’il devait enseigner. Ce phénomène se serait reproduit en diverses circonstances d’après des récits catholiques. Mais il est contredit par les livres religieux eux-mêmes lorsqu’ils racontent que Marc, qui parlait le syriaque, le grec et le latin, aurait servi d’interprète à Pierre lorsqu’il serait venu à Rome. Si Pierre avait besoin d’un interprète pour parler aux Romains, il n’avait pas reçu le don des langues.

Ces sottises n’en ont pas moins trouvé assez de créance pour inspirer des systèmes appelés scientifiques sur la révélation divine du langage humain, celui entre autres de M. de Bonald, dans sa Législation primitive. Max Muller et Renan adoptèrent un moyen terme en déclarant que le langage serait le produit d’une sorte de révélation intérieure, un fait de conscience. Selon Renan, l’homme parlerait naturellement comme l’arbre porte des fruits.

D’après Platon, le langage humain est essentiellement arbitraire, purement artificiel ; il s’est formé successivement, à mesure du développement des idées et des besoins. Par exemple, les ouvriers ont fait le langage de leurs travaux ; ils ont donné leurs noms aux instruments de leur travail. C’est là le véritable terrain scientifique de la question. Elle s’y rencontre, quant à l’origine et à la multiplicité du langage, avec celle de l’origine et de la variété des races humaines.

Il est incontestable que l’origine du langage, animal ou humain, est dans les tentatives de manifestation de la pensée. L’individu n’a parlé que parce qu’il avait quelque chose à dire et son langage a suivi les tribulations et les développements de sa pensée. La question : « le langage a-t-il précédé ou suivi la pensée ? » est aussi puérile que celle du premier œuf et de la première poule ou que celle du nombril du premier homme qui sont la matière des plaisanteries de table d’hôte. Les premiers hommes n’ont eu d’autre langage que celui des animaux : gestes et cris inarticulés. On en a la démonstration par la formation du langage chez l’enfant. Il commence par crier en s’agitant. Seule l’éducation lui permet d’acquérir certaines articulations, puis certaines syllabes. Il les répète au retour de certaines circonstances ; ainsi, il dit : mama, papa, en voyant sa mère et son père. Peu à peu il apprend à parler parce qu’on lui enseigne la parole. A l’état sauvage, il n’aurait pas d’autre langage que celui des êtres au milieu desquels il vivrait. On a trouvé des enfants qui vivaient avec des loups ; ils n’avaient eu aucune révélation extérieure ou intérieure, le Saint-Esprit ne leur avait fait le don d’aucune langue ; ils parlaient le langage des loups.

Le développement du langage chez les animaux s’est fait dans des conditions qui ont de plus en plus échappé à l’homme. Chez l’espèce humaine, il a suivi le rythme qu’on observe chez l’enfant dont le langage se perfectionne avec la pensée. D’abord, des gestes accompagnés d’onomatopées traduisirent les formes et les sons. Ensuite vinrent des gestes et des paroles plus nombreux jusqu’au moment où le nombre des signes mimés, vocaux ou écrits correspondit à celui des idées en cours et forma le langage complet. Ce langage, l’homme l’apprend comme il apprend à penser. Il n’est pas plus inné en lui que telle forme de pensée ou telle autre et il ne le connaîtra, plus ou moins bien, qu’en rapport de l’étude, plus ou moins complète, qu’il en fera, de la même façon qu’il pourra apprendre un autre langage que celui du pays où il est né.

Comme dit M. Beaulavon (Grande Encyclopédie), le problème classique de l’origine du langage ne porte, en réalité, que sur l’origine de la parole qui est le langage en général. La parole est « un instrument artificiel et conventionnel, distinct de la pensée qu’il exprime et uniquement destiné à la communiquer ». Le langage est « essentiellement une manifestation de l’esprit », et pas seulement, comme l’a dit Darmesteter, « une matière sonore que la pensée humaine transforme, insensiblement et sans fin, sous l’action inconsciente de la concurrence vitale et de la sélection naturelle ». La parole « ne subsiste que par l’esprit et on ne peut en comprendre ni l’origine, ni le développement, ni le rôle, sans toujours tenir compte de la dépendance où elle est de la pensée » (Beaulavon).

Le langage s’exprime par des signes (Voir ce mot, voir idée, intelligence, etc.). Ces signes sont, soit le geste (pantomime), soit un son (parole proprement dite), soit un caractère tracé (écriture). Le geste et le son vocal sont spontanés, naturels. Ils ont pris des formes conventionnelles par le développement du langage humain qui, en même temps, a inventé l’écriture.

La parole proprement dite est la parole sonore. Chez l’homme et les animaux pourvus d’un larynx, les sons produits sont appelés voix. Ils sont de trois sortes : le cri, le son modulé et le son articulé. Dans le cri, il n’y a pas de véritable articulation. Il est généralement une interjection poussée sous l’effet d’une émotion subite ou un appel qu’on veut faire entendre le plus loin possible en forçant l’intensité du son aux dépens de l’articulation. Le son modulé est le chant. La voix se fait alors un instrument de musique. Elle est le seul instrument qui permet de joindre la parole articulée au chant. Le son articulé est la forme la plus usuelle du langage et se fait comprendre par les mots (du latin muttum ; mot et grognement, de muttire, grogner, murmurer). On appelle mots « des sons monosyllabiques ou polysyllabiques composés de plusieurs articulations, qui ont un sens, c’est-à-dire qu’ils expriment une représentation, une sensation ou une conception » (Grande Encyclopédie). Plus simplement, les mots sont « des sons ou réunions de sons exprimant une idée » (Larousse). Les mots les plus simples sont des interjections. Les autres prennent leur valeur de leur groupement en phrases et on les comprend par l’étude de leur son, de leur sens et des relations qu’ils ont les uns avec les autres. Leur sens est défini par le dictionnaire. Leurs relations sont établies par la grammaire qui leur donne leur place et leur emploi dans la phrase parlée ou écrite. Le langage humain le plus développé est celui où le sens des mots est le mieux gradué, le plus nuancé et permet d’exprimer toute la pensée avec le moins de mots. Il n’y a pas de mots abstraits dans le langage des primitifs ; aussi, a-t-il plus de mots que celui des civilisés.

Les mots sont des sons dans le langage parlé. Dans le langage écrit, ils sont composés de signes assemblés appelés lettres chez les peuples qui se servent de l’alphabet. La parenté de l’alphabet n’établit nullement une parenté de langage. Les Phéniciens, qui ont appris leur alphabet aux Grecs et à tous les peuples méditerranéens, ne leur ont pas appris à parler. Autant le langage des Grecs était doux, agréable, autant celui des Phéniciens était rude et malsonnant. Le climat, les conditions de vie, celles des mœurs, sont pour beaucoup dans le caractère du langage. Les peuples dont la vie est dure ont de la dureté dans la voix. Les troglodytes paraissaient plutôt siffler que parler. Les Groenlandais parlent sans remuer les lèvres. Les Anglais ont la voix rauque des gens qui vivent dans les brouillards. L’harmonie et la pureté de la langue grecque lui sont venues de celles du ciel de l’Attique. Alors que les langues du Nord sont chargées de consonnes qui font leur rudesse, la langue grecque est plus riche en voyelles en combinaisons de lettres et en accouplements de mots qui la rendent plus douce. Mais si elle est « le tranquille ruisseau dont l’eau coule sans former le moindre murmure » auquel Longin a comparé le style de Platon, elle devient aussi « un torrent impétueux, et peut s’élever avec les vents qui emportèrent la voile du vaisseau d’Ulysse ». (Winckelmann). Voltaire appelait génie d’une langue « son aptitude à dire de la manière la plus courte et la plus harmonieuse ce que les autres langages expriment moins heureusement ». Pour Rivarol, le génie d’une langue est ce qui en fait son caractère particulier.

« Ainsi que son esprit, tout peuple a son langage. »

(Voltaire).

Il l’aura tant que le mélange des races et des hommes n’aura pas fait disparaître le caractère et les mœurs particuliers à chacun. C’est le résultat auquel l’humanité arrivera si elle continue à suivre le mouvement social qui uniformisera de plus en plus les hommes en les parquant, quels que soient la latitude où ils vivent, leur couleur, leurs goûts, leurs sentiments, dans deux grandes classes:capitalistes et prolétaires. A l’uniformité sociale correspondrait alors celle du langage. L’une et l’autre seraient l’aboutissement de ce fait arbitraire mais historique qui a fait aller les sociétés humaines du multiple vers l’unité, de l’individu à la famille, au village, à la province, à la nation et qui les conduit à l’unité des nations. De même le langage est passé du parler villageois à celui de la région, à la langue nationale pour tendre à la langue universelle. Fait arbitraire disons-nous parce qu’il sacrifie l’individuel au collectif et le plus faible, individu, groupe ou classe, au plus fort. La disparition de nombreux idiomes a marqué celle de la liberté individuelle ; la réduction de certains autres à l’état de dialectes, et celle des dialectes à l’état de patois, ont correspondu à l’extinction progressive des libertés politiques. La belle lange d’oc a été réduite aux divers patois qui se parlent encore de Bordeaux à Nice, à la suite de la guerre des Albigeois qui a détruit les libertés méridionales du xiiie siècle. Des milliers d’idiomes ont disparu, avec les populations qui les parlaient, dans les conquêtes des prétendus « civilisés ». Ce sont des documents définitivement perdus pour l’histoire de l’homme, de même que les œuvres de l’art et de la littérature antiques détruites par des vainqueurs imbéciles el des fanatiques grossiers. Dans les colonies françaises par exemple, les indigènes, sous l’action « colonisatrice », perdent leur langage maternel. Des Indochinois viennent en France, ne connaissant pas un mot de la langue de leur pays. On leur a appris, dans des écoles françaises, que leurs ancêtres étaient les Gaulois aux longues moustaches, leur patrie, la France, leur langue, le français !…

Le catéchisme des missionnaires et l’alcool, dont la consommation est préconisée par les gouverneurs français, achèvent leur éducation européenne pour en faire des prolétaires. A Tahiti on n’aura plus, bientôt, que le souvenir de la magnifique langue indigène que certains ont comparé à l’ancien grec pour sa richesse et sa musique. Elle dénote chez ceux qui l’ont formée un véritable peuple d’artistes. Elle est peu à peu remplacée non par le vrai français, mais par le jargon stupide que des civilisateurs abrutis ont apporté dans le pays avec la Bible, l’alcool et les maladies sociales.

« Pour remplacer le magnifique vocabulaire exaltant les merveilles de la nature, le petit Tahitien d’aujourd’hui n’a que les mots « épatant », « rigolo » et « moche », tout comme le plus vulgaire des Parisiens, et, comme ce dernier, n’en connaît point d’autres. » (Lettres des Iles Paradis, Bohun Lynch, éditeur.) C’est ainsi que la « civilisation » fabrique en série des prolétaires complets interchangeables qui parleront tous le même jargon prolétarien. Mais l’œuvre de désagrégation du langage se produit aussi chez les vainqueurs pour les mêmes raisons sociales. Nous le verrons au mot Langue.

Si tout peuple a son langage, tout individu a aussi le sien par la note particulière de son esprit; mais plus la pensée est profonde en lui, plus son langage est insuffisant. Y a-t-il lieu de s’étonner de l’ignorance humaine devant les manifestations de pensée des animaux alors que les hommes sont si souvent incapables de se comprendre entre eux et surtout d’exprimer tout ce qui est en eux ? Pour parler exactement, on devrait dire que le langage n’est qu’un « essai d’expression de la pensée » en raison des états de conscience de l’individu « singulièrement plus nombreux et plus nuancés que les formes verbales destinées à les traduire » (Nouveau Larousse). On peut ajouter : en raison aussi de l’impuissance où sont tant d’individus, dans leur ignorance du langage, de trouver les mots qui leur permettraient de s’exprimer. Le langage verbal n’est donc qu’un moyen d’expression relatif même quand il a atteint sa perfection, comme dans certaines langues. Le geste, la physionomie, lui viennent heureusement en aide. Souvent, un simple geste est pour un auditoire, autrement éloquent que toutes les paroles. Souvent, des êtres habitués à une forme commune de pensée se comprennent mieux par un regard que par de longues phrases.

Un langage peut être vrai ou trompeur tout en étant éloquent et persuasif. La parole orale est plus trompeuse que la parole écrite parce qu’elle ne laisse pas de trace. Un orateur, pour obtenir un effet immédiat, ne craindra pas de tenir des propos qu’il niera le lendemain. Verba volant, scripto manent : les paroles s’envolent, les écrits restent. Le geste trompe moins que la voix et l’écriture. Il est plus impulsif, moins nuancé et surtout moins abstrait. Il n’est pas menteur et subtil comme les rhéteurs et les casuistes il n’a pas le coup de trompette des « gueules sonores ». Il est insuffisamment apte au double emploi qu’Ésope a donné aux langues et que Voltaire a défini ainsi : « L’univers fut abruti par l’art même qui devait l’éclairer. L’alphabet fut l’origine de toutes les connaissances de l’homme et de toutes ses sottises. » Mais il en est du langage comme de toutes choses. Voudrons-nous nous couper la langue parce qu’elle est capable de proférer des mensonges ? Non, pas plus que nous ne voulons voir s’éteindre le soleil parce qu’il éclaire des charognes. C’est à l’homme de faire meilleur usage du langage et de toutes les formes de la vie pour son véritable bien et celui de tous les hommes.

Les efforts de l’art humain ont été de perfectionner le langage pour lui faire produire l’expression la plus complète de la pensée avec le minimum de difficultés. Ces efforts se manifestent : pour le geste, dans la danse et la pantomime ; pour le langage sonore, dans l’éloquence et la musique ; pour le langage écrit, dans toutes les formes des lettres ou littérature.

L’étude du langage est du domaine de la linguistique et de la philologie. La première est « une science naturelle étudiant les éléments du langage » ; la seconde est « une science historique étudiant le langage formé » (J. Vinson. La Grande Encyclopédie). « Le linguiste est au philologue ce que le naturaliste est au jardinier. » (Schleicher). L’étude du langage comprend : celle de son mécanisme dans les signes qu’il emploie, dans leur production et leur interprétation ; celle de son origine, dans les recherches historiques, philologiques et métaphysiques ; celle de son rapport avec la pensée, ou étude psychologique et logique du langage. Les détails de cette triple étude sont considérables ; malgré ce, elle est loin d’être arrivée à des résultats définitifs. On en est encore réduit à des hypothèses sur bien des points. « Peut-être l’étude comparative du langage de l’homme et de celui qu’on peut reconnaître, sous des apparences diverses, dans plusieurs espèces animales, l’anthropologie et la zoologie combinées, permettront d’arriver à des résultats nouveaux dans une étude qui jusqu’à ce jour ne relève guère que de la métaphysique. » (Darmesteter : La vie des mots). Nous verrons au mot langue les résultats obtenus jusqu’à présent.

Les travaux sur le langage furent ignorés de l’antiquité et du moyen-âge. On trouve la première idée d’une étude comparée des diverses langues dans le Voyage autour du monde, d’Antonio Pigafetta (1519-1522), compagnon de Magellan qui recueillit les vocabulaires de plusieurs peuples et en donna des spécimens. La véritable science linguistique commença avec Leibniz qui préconisa la comparaison des langues entre elles. Suivant sa méthode, Lorenzo Hervas constitua une encyclopédie où l’oraison dominicale était traduite en 307 dialectes et où 63 mots d’usage étaient donnés en 164 langues (1778-1787). Le président Debrosses écrivit sa Formation mécanique des langues et principes physiques de l’étymologie (1765). Pallas publia un Vocabulaire comparée de plus de 200 langues d’Europe, d’Asie et d’Afrique ; Le Brigant, la Langue primitive conservée (1787). Dans son Mithridate, Adelung reproduisit le Pater en 500 idiomes (1806-1817). Son neveu, Frédéric, fit des travaux sur le sanscrit (1811-1830). Volney fit paraître son Alphabet européen appliqué aux langues asiatiques (1819) ; Klaproth, son Asie polyglotte (1823) ; Balbi, sa Classification des peuples d’après leurs langues (1826) ; Bopp, son Système complet de la langue sanscrite (1820), suivi d’une Grammaire et d’un Glossaire de la même langue (1829-1832), sa Grammaire comparée des langues indo-germaniques (1833-1852) et d’autres ouvrages de linguistique ; Eugène Burnouf, son Commentaire sur le Yaçna (1833) et d’autres travaux sur le zend, langue morte asiatique ; son cousin E.-L. Burnouf écrivit divers ouvrages sur le sanscrit (1859-1864) ; Ch. Nodier, ses Notions de linguistique (1834) ; Eichkoff, son Parallèle des langues de l’Europe et de l’Inde (1836) ; G. de Humboldt, sa Dissertation sur le karvi (1836-1839) ; le Dr Forster, son Langage primitif tracé d’après les anciennes inscriptions des rochers du mont Sinaï (1851) ; Schleicher, Les Langues de l’Europe moderne (1852) ; Renan, De l’Origine du langage (1848-1853) et Histoire générale avec les systèmes comparés des langues sémitiques (1885) ; Max Muller, linguiste, orientaliste et mythologue allemand, créa toute une école qui vulgarisa l’étude scientifique du langage. Ses ouvrages principaux sur ce sujet sont les Leçons sur la Science du langage (1861), et les Nouvelles leçons (1867-1868). Il y eut encore les travaux de Geiger, Origine du langage et de la Raison (1869) ; de A. Caumont, La langue universelle de l’Humanité (1866) ; de S. Reinach, Manuel de philologie classique (1884) ; de P. Regnaud, Origine et philosophie du langage (1889) ; d’Henry, Antinomies linguistiques (1896) ; de Sweet, Histoire du langage (1900) ; et d’autres nombreux spécialisés suivant les différentes branches de la linguistique et de la philologie.

La linguistique et la philologie ont un vaste champ devant elles, la philologie en particulier. Platon, qui employa ce mot le premier, lui donna le sens de « amour de la parole » et « amour de la discussion ». Ce sens s’élargit ensuite ; il fut « l’amour des lettres », dans Isocrate, Aristote, Plutarque et chez les latins. La philologie fut l’humanisme, ou étude de l’antiquité classique, au temps de la Renaissance. Aujourd’hui, elle emprunte généralement « l’ensemble des études qui servent à connaître la vie des peuples, même avant leur entrée dans l’histoire » (Mondry Beaudouin, Grande Encyclopédie). M. S. Reinach, lui donnant un sens encore plus large, lui fait embrasser « l’étude de toutes les manifestations de l’esprit humain dans l’espace et dans le temps ».

En fait, la linguistique et la philologie ne sont pas encore bien constituées comme sciences du langage. Leurs méthodes sont indécises, de là le grand nombre de leurs entreprises et de leurs spécialités parfois contradictoires appelées : grammaire comparée, étymologie scientifique, phonologie, glossologie, idiomographie, philologie comparée, philologie ethnographique, archéologie, etc… L’archéologie, qui étudie l’antiquité dans ses monuments et dans les objets de l’art et de l’industrie, s’appelle l’épigraphie quand elle s’occupe des textes gravés sur les monuments, la paléographie quand elle examine les manuscrits, la critique verbale lorsqu’elle corrige leurs textes.

Étudier le langage, c’est en somme rechercher la vie des êtres dans leur évolution intellectuelle. Leibniz en a exprimé toute l’importance lorsqu’il a dit : « Je crois véritablement que les langues sont le meilleur miroir de l’esprit humain. » Le langage de tous les êtres et de toutes les choses est le meilleur miroir de l’esprit universel. Aussi est-il de l’intérêt, sinon du devoir de l’homme de le connaître pour préparer ce qui sera l’esprit de demain. — Edouard Rothen.