Encyclopédie anarchiste/Diplomatie - Divorce

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 577-588).


DIPLOMATIE. n. f. Anciennement, la diplomatie était l’art de déchiffrer les chartes et les diplômes ; mais, depuis le xve siècle, elle est devenue une science qui consiste à négocier les « intérêts » respectifs des États et des Gouvernements entre eux, et les qualités les plus indispensables à l’exercice et à la pratique de cette science sont : le mensonge, la fourberie, l’adresse et la ruse ; qualités, comme on le voit, toutes bourgeoises et dont se glorifient les diplomates, honorés de posséder de telles vertus.

Pour le peuple, la diplomatie puise sa source dans le « droit » international et a pour but ou pour objet la tranquillité, la sûreté, la quiétude des nations, et le rôle du diplomate est de rechercher les moyens susceptibles de régler pacifiquement les conflits qui pourraient menacer la paix existante entre diverses nations dont les intérêts sont opposés.

La réalité est toute autre, et M. Georges Louis, ancien ambassadeur de France à Petrograd, dans son étude sur les responsabilités de la guerre, éditée chez Rieder sous le titre : « Les Carnets de Georges Louis » nous éclaire lumineusement sur ce qu’est la diplomatie.

Nous initiant sur les relations diplomatiques de Poincaré et de Sazonoff, il écrit : « Après avoir lu le Livre bleu d’Avril sur la crise européenne, on sent que Poincaré et Sazonoff se sont dit : « Ce qui importe ce n’est pas d’éviter la guerre, c’est de nous donner l’air d’avoir tout fait pour l’éviter »  ».

Ces mots, cette formule, sous la plume d’un diplomate éminent, sont symboliques. Et, en effet, le rôle de la diplomatie n’est pas d’éviter les conflits, mais d’en cacher les causes déterminantes au peuple, et de couvrir de son manteau les véritables responsables.

Il est des individus qui ne combattent pas, qui ne critiquent pas la diplomatie en soi, la considérant comme utile, nécessaire, indispensable même à la vie des nations, et qui estiment que, si elle n’était pas secrète, si ses travaux s’effectuaient en plein jour, sous le contrôle du peuple, son rôle ne pourrait être que bienfaisant. Pauvres fous ! La diplomatie peut-elle ne pas être secrète, et le contrôle populaire peut-il être une garantie ? La démocratie, qui est le gouvernement du peuple, est une manifestation suffisante de la souveraineté populaire, et il n’y a plus que les naïfs ou les coquins pour croire que sa volonté est respectée.

Nous avons dit que les qualités essentielles du diplomate sont la ruse, le mensonge et la fourberie ; par conséquent, la partie n’est pas égale car, sur ce terrain-là, le peuple est toujours et sera toujours roulé.

La diplomatie est l’action de dissimuler, et on ne peut donc, en vérité, demander qu’elle ne soit pas secrète ; si elle ne l’était pas, ce ne serait pas de la diplomatie.

Est-il besoin de rechercher bien loin dans le passé pour trouver des exemples frappants de ruse diplomatique ? Qui donc, de nos jours, ignore la finesse avec laquelle le célèbre Bismarck procéda à la veille de la guerre de 1870.

La France, comme l’Allemagne, voulaient la guerre et, lorsque nous disons la France et l’Allemagne, nous entendons, non pas le peuple qui n’aspirait qu’à la paix, mais les gouvernements respectifs de ces deux pays ; et pour laisser au gouvernement français toute la responsabilité de la déclaration de l’état de guerre, Bismarck n’hésita pas à falsifier des télégrammes diplomatiques, ce qui mit le comble à sa puissance, la fourberie étant un facteur de succès en diplomatie.

D’autre part, les événements, beaucoup plus récents qui précédèrent la grande guerre de 1914, et qui nous sont connus aujourd’hui, nous fixent définitivement sur le jeu de la diplomatie et des diplomates. Nous allons citer certains faits qui démontrent amplement la ruse déployée par les diplomates et l’ombre dans laquelle ils agissent.

Empruntons le témoignage suivant à M. Stéphane Lauzanne, qui ne peut être suspecté de sympathie pour les contempteurs de l’ordre bourgeois.

« Je me souviens, dit-il, le 31 juillet 1914, avoir déjeuné dans une maison amie, avec M. Aristide Briand que M. René Viviani avait accompagné jusqu’à la porte en auto ».

« 31 juillet 1914 ! Le jour où l’Allemagne lança son ordre de mobilisation, le jour où, en fait, elle décréta la guerre ! On pense si les convives interrogèrent M. Briand. Il savait, lui ! Il venait de causer avec le chef du gouvernement qui savait, qui devait savoir. Et j’entends encore M. Briand nous dire, de sa voix aux sonorités traînantes : « Ce que je sais bien, c’est que les Allemands ne nous déclareront pas la guerre. Ce ne sont pas des idiots ! Ils ont eu dix occasions meilleures que celle-ci pour nous attaquer, dix occasions où ils n’auraient pas trouvé les alliés aussi solidement unis. Ils raisonnent, les Allemands. Ils ne sont pas fous… Je vous dis qu’ils ne feront pas la guerre… »

Et Stéphane Lauzanne ajoute :

« 31 juillet 1914. Voilà ce que l’on savait dans les milieux où l’on sait… »

M. Stephane Lauzanne, en bon journaliste bourgeois qui se respecte, prend ses lecteurs pour des imbéciles, car il ne fera admettre à aucun homme qui raisonne tant soit peu, que M. Briand ne savait pas ; mais si M. Briand savait, il y avait intérêt à ce que le peuple ignorât ce qui se tramait dans les coulisses diplomatiques. Le 31 au matin, le Gouvernement français savait que la guerre était inévitable puisque, dans la nuit du 30 au 31, l’ordre de mobilisation avait été affiché en Russie, et que M. Paléologue, l’ambassadeur de France, en avait averti son gouvernement. Cela est tellement certain, que le 10 septembre 1914, la revue française le « Correspondant » publiait le journal d’un officier français mobilisé à Saint-Pétersbourg, dont nous extrayons ce passage :

Vendredi 31 juillet, le matin.

« La mobilisation russe est un fait accompli. Le manifeste du tsar a été affiché cette nuit. Je vais à l’ambassade de France… Je trouve l’ambassadeur fort occupé. M. Paléologue paraît tout à fait certain de la guerre et s’en réjouit presque en songeant que la situation est la plus favorable que l’on ait jamais pu espérer. »

« A déjeuner, chez Cubat, je cause avec des officiers. Aucun ne cache sa joie de la guerre prochaine. »

En outre, M. Paléologue, le 31 juillet 1914, au matin, déclarait à l’ambassadeur de Belgique : « La mobilisation russe est générale. En ce qui concerne la France, elle ne m’a pas encore été notifiée, mais on ne peut pas en douter ». Et si l’on ajoute à cela ce passage ci-dessous, puisé dans les mémoires de l’Ambassadeur de France à Pétrograd, et portant la date du 31 mars 1915, on est totalement fixé sur le rôle de la diplomatie :

« Nous avons pris les armes, écrivait l’Ambassadeur, parce que la ruine de la Serbie aurait consacré l’hégémonie des puissances germaniques, mais nous ne nous battons pas pour réaliser les chimères du slavisme. Le sacrifice de Constantinople est déjà suffisant. »

On ne peut avouer avec plus de cynisme que la guerre de 1914 était voulue, recherchée, préméditée, que, seul, le prétexte manquait et qu’il appartenait à la diplomatie de le trouver.

Le meurtre de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo, par l’étudiant serbe Garilo Prinzep, fut une occasion inespérée de déclencher le carnage et la diplomatie, en cette affaire, interpréta son rôle de façon admirable, c’est-à-dire qu’elle se dépassa en abjection. Tout eût pu s’arranger si les diplomates n’étaient pas les vils serviteurs du capitalisme et si la diplomatie était autre chose qu’une institution au service du Capital. Mais le Capital, représenté au Pouvoir par M. Poincaré et ses hommes, voulait la guerre, et il la prépara avec la complicité de la diplomatie.

Le 16 janvier 1914, le Baron Guillaume, ministre de Belgique à Paris, écrivait à son Gouvernement : « Ce sont, en fait, MM. Poincaré, Delcassé, Millerand et leurs amis qui ont inventé et poursuivi la politique nationaliste, cocardière et chauvine dont nous avons constaté la renaissance. C’est un grand danger pour l’Europe et la Belgique. J’y vois le plus grand péril qui menace aujourd’hui la paix de l’Europe. »

Et le 10 mai 1914, à propos du voyage de Poincaré en Russie, il écrivait : « Il y a envoyé récemment Delcassé, auquel il a confié la mission de chercher, par tous les moyens, à exalter les bienfaits de l’alliance franco-russe et à amener le grand empire à accentuer ses préparatifs militaires. »

Comme l’on comprend bien, alors, que, lorsque débarquant à Dunkerque, le 29 juillet 1914, à midi, le sénateur Trystram lui posa cette question :

« Pensez-vous, M. le Président, que la guerre pourra être évitée ? » Poincaré répondit : « Ce serait, grand dommage, jamais nous ne retrouverions conditions meilleures. »

Qui donc dénoncera les agissements de la diplomatie internationale ? Qui donc arrachera le bandeau qui couvre les yeux du peuple ? Personne. Capital, Diplomatie, Gouvernement, trois têtes sous le même bonnet, exercent leur puissance dans tous les domaines ; la presse est muselée, elle est achetée, et ce n’est qu’accidentellement que l’on arrive à savoir quelque chose. La vénalité, la corruption de la presse est aujourd’hui le secret de polichinelle, mais pourtant, nous croyons utile de publier, malgré sa longueur, le document qui va suivre et qui démontre, de manière indiscutable, la collusion de la presse et de la diplomatie.

C’est à la « Bonne Guerre » que nous devons la publication de ce pacte qui fut conclu en avril 1920, au nom de la grande presse française, par MM. Roëls, rédacteur en chef des services extérieurs du « Temps », Charles Rivet et Tavernier, courriers diplomatiques de ce même journal.

Voici ce pacte :

1° « L’accord qui intervient, valable de mai 1920 il juin 1921, comprend : 1° les journaux : Le Matin, Le Journal, L’Écho de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L’Information, Le Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, la France Libre ; 2° les agences : L’Information, Radio et Agence des Balkans, cette dernière comme minimum pour la cessation d’insertions de dépêches hostiles à la Bulgarie ;

2° Le matériel devra être remis par Sofia ou ses représentants, soit directement aux rédactions, soit à M. Roëls, suivant les cas. Les questions d’organisation, c’est-à-dire de répartition de ce matériel et des formes diverses que peut affecter son insertion dans les organes précités (c’est-à-dire : dépêches, notes, articles, lettres de correspondants, interviews, réponses), sont à définir sur place à Paris, entre M. Roëls ou son représentant pour les questions balkaniques, M. Tavernier et l’agent désigné par le gouvernement bulgare pour le service de presse en France ;

3° Les organes précités s’engagent à insérer les télégrammes d’agence relatifs à la Bulgarie, qui leur parviendront par le canal de Radio ou de l’Information ;

4° L’agence L’Information sera représentée à Sofia par un correspondant français désigné par elle, qui fera le service de dépêches pour l’agence et un service de lettres pour le journal, L’agence Radio aura un représentant, préférablement bulgare, choisi par le Gouvernement qui se bornera à transmettre à son agence les notes ou dépêches d’informations à lui, remises par le bureau de presse du ministère des Affaires étrangères de Sofia ;

Le Temps enverra en Bulgarie un correspondant français qui sera chargé :

a) D’un service télégraphique : b) d’un service de lettres ;

Le Petit Parisien sera représenté également, mais soit par un journaliste bulgare, soit par un français déjà établi. Ce sera au Gouvernement bulgare à le rechercher et à le désigner. De même pour le représentant de Radio ;

7° La gratuité télégraphique est accordée dès mise en vigueur de l’agrément par le Gouvernement bulgare aux agences L’Information et Radio et au journal Le Temps. De plus, les frais d’entretien à Sofia, des correspondants du Petit Parisien et des deux agences, seront assurés, pour la majeure partie du moins, par le Gouvernement bulgare ;

8° Il est entendu que, par ces divers moyens, un service continu d’informations bulgares, venues de la source même et non plus dénaturées par des adversaires, sera assuré dans les organes ci-dessus désignés et principalement dans Le Temps ;

9° Il est expressément compris également que les autorités gouvernementales bulgares ne demanderont jamais que ces informations prennent un ton agressif pour une puissance amie ou alliée de la France, et revêtent le caractère d’une polémique avec telle où telle de ces puissances. Il est entendu de même que ces informations, pour conserver tout leur crédit, ne prendront pas l’allure d’une campagne systématique sans mesure comme sans prudence. Par contre, les attaques constantes contre la Bulgarie cesseront dans les organes précités, c’est-à-dire dans la plus grande partie de la presse française. Au cas où, pour une cause impossible à prévoir, une attaque se produirait, le Gouvernement bulgare serait immédiatement mis en mesure d’y répondre ;

10° Il est entendu que le Gouvernement bulgare ne demandera pas aux organes précités de soutenir une politique d’expansion au détriment de tel ou tel de ses voisins. Mais, par contre :

1o La thèse de la récupération par la Bulgarie de territoires qui sont siens, thèse définie dans les trois lettres du Président du Conseil, M. Stamboulisky, à ses collègues grec, roumain et serbe, comme :

2o La question de son accès territorial à l’Égée ;

3o La question des minorités, auront une place faite sous forme appropriée dans les organes précités.

De même les organes précités, prenant en considération que l’intérêt de la France demande le relèvement économique de la Bulgarie, réserveront une place à ce problème pour éclairer, s’il y a lieu, à son sujet, et l’opinion et la commission interalliée qui siégera à Sofia.

Enfin, dans les rubriques bibliographiques des organes précités, il sera fait mention des ouvrages bulgares désignés par Sofia.

En présence de :

E. Roêls, Ch. était Rivet, V. Ganef, N. Stoiloff.

Ce pacte complété par une note dont voici la traduction :

Légation de Bulgarie

Archives secrètes
Protocole

Nous, soussignés, certifions que, conformément à la dépêche N° 645 du président du Conseil, M. Stamboulisky, en date du 17 avril, ce jour et en la présence de M..Charles Rivet, nous avons remis au rédacteur en chef du journal Le Temps, M. Roëls, représentant le groupe de journaux suivants : Le Matin, Le Journal, L’Écho de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L’Information, le Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, La France Libre, et les agences : Information, Radio et Agence des Balkans, le chèque N° 23.111 pour la somme de sept cent cinquante mille francs français, émis par le Comptoir National d’Escompte de Paris, par compte du ministère des Affaires étrangères de Bulgarie à la Banque de France.

Paris, le 4 mai 1920. (Signé) : B. Ganef.

38, avenue Kléber. (Signé) : N. Stoiloff.

(Cachet de la Délégation bulgare à la Conférence de la Paix).

Nous pourrions multiplier la publication de documents démontrant le rôle néfaste de la diplomatie. La Russie dévoila, au lendemain de la Révolution, une certaine partie de la correspondance échangée entre les représentants des divers gouvernements d’Europe et la lecture de cette correspondance est édifiante. Mais la grande presse, en général, conserva le silence, et cela se comprend, en considérant le document que nous publions ci-dessus et qui lie les grands journaux de France au Gouvernement bulgare. Lorsque l’on sait que ce pacte, cet accord n’est pas particulier, mais, qu’en réalité, il en existe de semblables qui furent conclus avec d’autres nations, que la Presse se vend à n’importe qui, qu’elle se tait ou qu’elle parle selon que l’on paye ou que l’on ne paye pas, on est terrifié à la pensée que l’on est à la merci d’une poignée de coquins, dont l’intérêt peut déchaîner les plus terribles cataclysmes.

Nous disions, d’autre part, traitant de la concurrence (voir ce mot) : Chaque fraction du capitalisme en lutte se défend par l’intermédiaire de son Gouvernement et la concurrence de nation à nation est l’unique cause des négociations interminables qui se poursuivent depuis des années et des années. Le Capitalisme inter national cherche un terrain d’entente, et lorsque les intérêts particuliers n’ont pu se concilier autour du tapis vert de la diplomatie, alors on donne la parole au canon et c’est la guerre fratricide, criminelle, monstrueuse, qui est chargée de régler le différend.

Et, en effet, la Société est une vaste entreprise commerciale et le diplomate peut être comparé à un représentant qui cherche à vendre une marchandise le plus cher possible ou à en obtenir une autre dans les conditions les plus avantageuses. À quoi, sinon à des tractations commerciales, se livrerait toute cette armée d’agents diplomatiques, qui coûte si cher à entretenir, et dont les travaux ont, parfois, un résultat tragique ?

De quoi discutaient avant la guerre, tous ces ambassadeurs, tous ces ministres ? Était-ce du Cochon serbe ; de Constantinople que réclamait la Russie afin d’étendre son commerce extérieur ; du Traité de Francfort qui accordait à l’Allemagne certains privilèges commerciaux lui permettant d’exporter en France une grande quantité de ses produits ; de la puissance maritime anglaise, de son empire colonial, nuisibles aux intérêts du capitalisme des empires centraux ? Quelles furent, et les difficultés devant lesquelles se brisa l’habileté des diplomates et les causes directes de la guerre ? Les divers ouvrages diplomatiques, relatifs à toutes ces questions, et publiés par les divers gouvernements, rejettent la responsabilité sur les uns et sur les autres, mais c’est en vain que l’on chercherait dans les nombreux livres diplomatiques de toutes couleurs, une parcelle de vérité. Ce qui est vrai, ce qui ne souffre aucune contradiction, c’est que le capitalisme voulait la guerre en 1914 comme il la désirait en 1870, et que la diplomatie s’efforça d’en masquer les raisons, et d’aveugler le peuple par ses subterfuges. Comment ne serait-elle pas secrète ? Comment pourrait-elle avouer, qu’elle ne se livre qu’à des tractations commerciales, industrielles, financières, au profit d’une poignée de parasites ? Comment pourrait-elle reconnaître qu’elle organisa la tuerie pour que l’Alsace et la Lorraine revinssent à la France et que la Compagnie des Chemins de fer de l’Est pût hériter de tout le régime ferroviaire de ces deux départements ; que, de son côté, l’Allemagne voulait se battre, parce que le traité de Francfort prenait fin, et qu’aussi elle avait l’espérance d’affaiblir la perfide Albion et de détruire son hégémonie mondiale ? Eh oui ! Elle est secrète et elle restera secrète la diplomatie. Elle ne peut se montrer toute nue. Maquillée, recouverte de brocard et de soie, elle semble jolie et appétissante ; mais lorsqu’on la découvre, lorsqu’on lui retire son manteau, elle apparaît sous son vrai jour : sale et répugnante, et soulève de dégout le cœur de celui qui la regarde.

Abjecte prostituée, elle s’est vendue hier, elle se vend aujourd’hui, elle se vendra demain, elle se vendra toujours.

Ses amants sont toujours les mêmes, et c’est toujours dans le même clan qu’elle les trouve. Pour satisfaire à l’appétit insatiable du Capitalisme, elle a livré à la mort des millions d’hommes et elle recommencera encore. Que nous prépare-t-elle ? Que nous réserve-t-elle ? Des carnages. Elle est en train d’organiser les tueries futures.

Elle a sacrifié hier aux maîtres de la métallurgie des milliers d’innocents, elle en sacrifiera d’autres demain aux caoutchoucs anglais ou aux pétroles américains.

Que l’on ne s’imagine pas que notre pessimisme repose sur des illusions ou sur des probabilités. C’est la brutale réalité du présent qui nous fait craindre pour l’avenir. Le monument diplomatique accouché à Versailles, loin de résoudre les divers problèmes inter-nationaux, n’a fait qu’envenimer les conflits qui divisent les différents capitalismes, et la Société des Nations, illustre mensonge, dont l’unique utilité est de tromper le peuple, n’est qu’un repaire où se réfugient les cuisiniers de la politique, pour préparer la sauce à laquelle nous devons être mangés.

Le 2 novembre 1921, Romain Rolland écrivait :

« L’humanité, déchirée par la guerre de cinq ans, est à la veille de guerres plus monstrueuses encore, où des millions de jeunes vies et toutes les espérances de l’avenir seraient immédiatement englouties.

« Si les femmes ne luttent pas avec la dernière énergie contre le fléau qui s’approche, que le sang de leurs fils retombent sur leurs têtes ; elles auront été complices du meurtre qu’elles n’auraient pas eu l’énergie d’empêcher. »

Eh bien ! L’heure de l’échéance approche. Les effets pernicieux de toutes les discussions intestines auxquelles se livrent les diplomates des diverses contrées du monde, ne peuvent tarder à se faire sentir.

Nous avons dit que la diplomatie n’a d’autre but que de masquer les causes de guerre, et que les guerres sont toujours déterminées par des conflits d’intérêts commerciaux, industriels ou financiers.

La récente guerre du Riff, qui nous fut présentée comme une guerre de libération des peuplades africaines asservies et courbées sous l’autorité d’Abd el-Krim, ne fait pas exception à la règle. Nous savons que le triomphe du chef Riffain eût été une source de profits pour certains groupes ou particuliers qui le commanditaient et auxquels il avait accordé de larges concessions territoriales, et que la France ne s’engagea dans l’entreprise marocaine, à la suite de différentes négociations diplomatiques avec l’Espagne, que parce que la finance française entendait exploiter à son bénéfice les richesses souterraines de la grande contrée nord-africaine.

C’est donc bien pour la possession des mines marocaines que se firent tuer des milliers et des milliers de soldats français, espagnols ou marocains, possession dont devaient hériter non pas ceux qui se faisaient ridiculement massacrer, mais leurs chefs, leurs maîtres, leurs exploiteurs.

Et c’est pourquoi nous fûmes étonnés lorsque certain parti d’avant-garde, usant de diplomatie, c’est-à-dire de mensonge, engagea le peuple à soutenir Abd el-Krim.

Les chefs de ce parti ignoraient-ils que celui qu’ils présentaient comme un héros dévoué à la grande cause « des peuples libres de se diriger et de se déterminer eux-mêmes » avait déjà livré :

À M. W. Muller : 2.000 hectares de terrain.

À M. André Teulon : 300 hectares de terrain.

À la Compagnie Maroco Minerals : 2.635 hectares.

À M. Muller : 1.995 hectares.

À la Compagnie Internationale du Minera : 6.400 hectares.

À une Compagnie italo-hollandaise : 1.600 hectares. etc… ?

Non, ils ne l’ignoraient pas, mais tout parti politique est entraîné dans diverses tractations, surtout lorsqu’il représente une puissance gouvernementale, et est, en conséquence, obligé d’user de ruses, de subterfuges de diplomatie.

La guerre du Maroc n’est que le prélude de conflagrations plus sanglantes et, dans les négociations diplomatiques qui se poursuivent à travers le monde, chaque ambassadeur, chaque ministre cherche, non pas à assurer la paix, mais à choisir pour la guerre l’heure qui lui paraît la plus propice au triomphe de la fraction du capitalisme qu’il représente.

Ils n’ignorent pas, les diplomates, que la guerre est inévitable ; ils sont convaincus que, de plus en plus, la situation deviendra plus critique, et qu’il faudra régler les différends dans le sang du peuple. Que leur importe après tout !

L’Amérique a besoin de caoutchouc pour son industrie automobile, mais l’industrie du caoutchouc est contrôlée dans une proportion de 75 % par le capitalisme anglais ; la France convoite les richesses métallurgiques du bassin de la Sarre, mais ce bassin appartient à l’Allemagne, qui le céda temporairement en vertu du Traité de Versailles, mais qui espère, malgré tout, en reprendre possession ; l’Italie veut la Corse et la Tunisie, mais ces contrées sont à la France, qui ne veut pas s’en séparer ; l’Angleterre a besoin de pétrole, c’est l’Amérique qui le possède et l’insatiable Albion jette les yeux sur les mines de Bakou ; et chaque pays, chaque nation, s’étudie, s’observe, se surveille, s’espionne par l’intermédiaire de ses diplomates, et cherche à affaiblir son voisin pour se jeter sur les richesses convoitées.

Afin d’assurer le succès du capitalisme qu’elle représente, la diplomatie détermine des alliances, prend des engagements, suscite des révoltes, fomente des troubles ; en un mot, elle se livre à de louches entreprises, et l’on comprend la raison pour laquelle la correspondance échangée entre un gouvernement et ses ambassadeurs nécessite un code spécial, indéchiffrable pour celui qui n’y est pas initié.

Se débarrasser de la diplomatie ou espérer qu’elle s’améliorera est une chimère tant que subsistera la forme actuelle des sociétés. La diplomatie est une branche de l’arbre capitaliste ; il est inutile de chercher à l’arracher ; comme toutes les plantes parasitaires elle repousserait avec rapidité. Il faut détruire l’arbre, il faut anéantir ses racines, afin que jamais plus il ne repousse et vienne, de son ombre, cacher les rayons lumineux de la paix et de la liberté. — J. Chazoff.


DIRECTION. n. f. (du latin directio). Côté vers lequel une personne ou une chose se dirige. La direction du fleuve, la direction de la route ; suivre la même direction ; quelle direction allons-nous prendre ? Prendre la bonne direction.

Le mot « direction » s’emploie également au figuré. Dans ce cas, il sert à signaler la façon, bonne ou mauvaise, de se conduire. « Ce garçon suit une mauvaise direction ». Il sert également à désigner l’organe dirigeant d’une entreprise, d’une affaire, d’une administration. La direction de l’usine ; la direction des postes ; la direction des contributions directes et indirectes. « Veuillez vous adresser à la direction ».

Au sens bourgeois du mot, « direction », suppose hiérarchie, chef, autorité, contrainte, etc., et cela se comprend, puisque, en vertu même de la morale et de la loi bourgeoises, celui qui dirige exerce sa volonté, devant laquelle doivent s’incliner tous ceux qui sont placés plus bas que lui dans l’échelle sociale.

On prétend, — bien à tort du reste, et cette insinuation est intéressée-, que les anarchistes, étant les adversaires de l’autorité, sont, de ce fait même, ennemis de « toute direction ». Présenter les choses sous un tel jour nous paraît plus que simpliste. Si les anarchistes sont, en effet, les adversaires acharnés de l’Autorité, parce qu’ils en ont compris les effets pernicieux, cela ne veut pas dire qu’ils ne comprennent pas l’utilité, la nécessité indispensable d’une « direction » dans toute affaire, dans toute entreprise groupant un certain nombre d’individus.

Seulement, à leurs yeux, « direction » ne peut en aucun cas être synonyme de supériorité personnelle et, s’ils admettent que toute chose doit être dirigée : c’est-à-dire conduite vers le but qui lui est assigné, d’une manière raisonnable, logique et intelligente, celui ou ceux à qui sont confiées cette fonction, cette charge, cette direction, ne leur apparaissent pas comme devant être des individus devant lesquels ils doivent s’incliner, et qu’ils ont le devoir de considérer comme des demi-dieux infaillibles. Partisans de l’organisation, les anarchistes-communistes, les libertaires, ne peuvent donc, en vérité, être les ennemis de la « direction ». Pourtant, ils ne sauraient se ranger du côté des amis de l’autorité qui, même au sein de leurs organisations d’avant-garde, s’inclinent devant les décisions d’un « comité directeur », sans même analyser les actions et les gestes qu’ils sont appelés à exécuter.

Reconnaissant les bienfaits de l’intelligence, de la logique et de la raison, les anarchistes placent à la direction de leurs organes ou de leurs associations, les camarades qu’ils considèrent comme les plus capables et les plus susceptibles de propager les idées auxquelles ils sont attachés ; mais ils conservent toute leur liberté, se réservent le droit de critique, et ne suivent pas aveuglément, comme des esclaves, une « direction » qui pourrait se manifester stupide et ridicule.


DIRECTIVE. n. f. Ensemble d’indications, ligne de conduite à suivre, application de décisions prises. Les directives à suivre pour l’affranchissement social sont suffisamment traitées dans cet ouvrage. Nous jetterons nos regards sur ce qui se passera après la destruction du système capitaliste : état, armée, capital, tribunaux, etc. Ce point est essentiellement ardu, car il a pour objet d’envisager la reconstruction, par des directives nouvelles, qui demanderont une entente fraternelle entre les divers points de vue de la réalisation du tout en commun. Les directives nouvelles auront l’efficacité et l’étendue de liberté que sauront leur impulser les individus qui auront eu la bonne fortune de démolir l’outillage de leur oppression, et aborderont la reconstruction sur les bases de notre Idéal, où la Liberté remplacera réellement l’Autorité. Les individus, pour se guider plus sûrement, auront à envisager l’entente des éléments capables d’instaurer la société nouvelle et l’accord à établir sur le rôle que joueront les syndicats, ce qui est un point essentiel. Les tâches particulières seront traitées au fur et à mesure des besoins de la reconstruction, et en application des directives adoptées.

Ce point de vue aura une importance décisive sur la réussite d’application de notre devise : « Bien-être et Liberté » ; c’est pourquoi il faut que cela soit envisagé dès à présent, afin de n’être pas pris au dépourvu au moment propice, et d’éviter, ainsi, les erreurs qui seraient impardonnables, une fois commises. (Nous avons l’étude des lendemains de la révolution russe pour nous guider).

Les syndicats joueront un rôle efficace, si les camarades syndicalistes, anarchistes et coopérateurs veulent bien apercevoir la nécessité, l’obligation, pourrait-on dire, d’avoir à s’entendre pour éviter toute dictature, même par un État prolétarien, où la servitude reste toujours à la base, par suite de la conservation de la structure centraliste, dont les directives ont pour résultat l’obéissance et la discipline, par conséquent l’asservissement. C’est cela qu’il faudra éviter à tout prix.

Le syndicat doit être, en cela, d’un fort appui et sera donc très bien à sa place en tant qu’organisme de raccordement, de ralliement, et facteur de répartition pour les transactions et directives prises par l’ensemble des adhérents à la Commune libre, fédérale, régionale, nationale, internationale même.

Ici se pose une explication nécessaire sur le point de savoir pourquoi le syndicalisme est désigné comme facteur, plutôt que l’Anarchie ou le coopératisme. Il n’y là aucune suspicion ni diminution pour l’un et l’autre ; il n’y a qu’une tactique d’opposition plus vigoureuse et plus efficiente contre l’oppression politique, sous quelque forme qu’elle se présente. Peu à peu, celle-ci perdra de sa force ; ce moment-là marquera son déclin ; mais, en attendant cette disparition, nous aurons à réagir contre les manœuvres des intrigants, des ambitieux, des aspirants à la Dictature.

Le syndicalisme n’étant pas un organisme essentiellement d’affinités, ses cadres permettront plus facilement l’entente entre les individus ; ensuite, il englobera plus facilement tous les travailleurs, tous les individus, par sa structure économique ; de cette façon, nous pourrons plus pratiquement éviter que les humains soient enclins à se plier aux convoitises et aux desseins politiques qui n’auront pas encore tout à fait disparu. Il lui sera aussi plus facile de recevoir les éléments des deux autres groupements : coopératisme et anarchisme ; par conséquent, tous ceux qui luttent pour l’affranchissement, ce qui sera moins praticable dans le seul cadre anarchiste où l’affinité jouera encore son rôle. Cela est à prévoir et ne diminue en rien le rôle définitif et la valeur de l’Anarchisme reconstructif.

La destruction des cadres syndicalistes serait préjudiciable à l’établissement du tout en commun. Ce serait une faute de l’envisager. La politique nous fera une obligation de les conserver pour faire face à la lutte à laquelle celle-ci ne renoncera qu’à l’établissement réel et au fonctionnement normal de la nouvelle société. Ce résultat ne sera pas obtenu du jour au lendemain. Il faudra du temps pour s’y reconnaître et s’orienter à travers le chaos des idées et le fatras des préjugés qu’il faudra vaincre par la raison et une justice qui n’aura rien de commun avec celle qui nous régit actuellement.

Il est à prévoir que les difficultés seraient beaucoup plus grandes pour lutter contre cela dans le seul cadre anarchiste. Poser la question, c’est la résoudre ; sans vouloir, j’y insiste, en quoi que ce soit diminuer la valeur de l’Anarchisme, qui jouera son rôle malgré tout. Mais il serait impardonnable de se leurrer ou, alors, ce serait créer un élément de trouble propice à tous les partis, pour jeter la discorde dans nos rangs, les individus n’étant pas suffisamment éduqués.

Le coopératisme se ralliera certainement, par la force des choses. S’étendre sur ce sujet nous paraît inutile.

Les résultats seront appréciables par le raccordement des trois organismes, avec le syndicat comme facteur de répartition, inspiré de l’idéal libertaire, puisque sans contrainte, il n’y aura nul inconvénient à cela. D’ailleurs, cette nécessité s’imposera suffisamment pour que la question soit envisagée dès aujourd’hui comme moyen de barrer la route à la politique nébuleuse, et toujours confuse. Il est bien entendu que, dans ce ralliement des trois organismes, la plus entière liberté sera laissée aux individus.

Les camarades anarchistes qui se rallient au syndicalisme ont raison d’exposer dès à présent leurs conceptions de reconstruction sociale après la Révolution, au moment de l’établissement d’une société nouvelle. Vous appellerez cela par le nom qu’il vous plaira, anarchie, communisme, fédéralisme, etc… Cela importe peu.

Il est aisé d’apercevoir la lourde faute qui serait commise, si cette entente libre ne pouvait se réaliser ; il en résulterait l’obligation de subir la tutelle des partis autoritaires ou dictatoriaux, conservant État, Armée, Tribunaux, Police, Prisons, etc… L’affranchissement serait à recommencer, et l’on envisage avec effroi le retard incalculable pour l’amélioration du sort des spoliés, des asservis ; et cela, pour n’avoir pas su s’entendre sur des points de vue mal étudiés ; cela serait impardonnable, ce ne doit pas être, la raison doit éclairer les individus. Ce qui découle de la vie elle-même doit attirer l’attention de tous pour l’éclosion d’une société où chaque individu sera libre.

Les parias ne peuvent être éternellement le jouet des politico-dirigeants, présents ou futurs, qui tirent profit de nos divisions, que souvent ils fomentent. A nous d’y voir enfin clair, en sachant nous entendre, pour démasquer les ambitieux et les profiteurs.

Aigueperse.


DISCERNEMENT. n. m. Le discernement est la faculté de distinguer les choses et les personnes, et d’en juger sainement : agir avec discernement ; agir sans discernement. « Chaque homme, a dit Condillac, a assez de lumières pour discerner ce qui est honnête ». Nous serions plutôt de l’avis de La Bruyère, qui pensait : « Qu’après l’esprit de discernement, ce qu’il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles ». C’est le manque de discernement des individus qui permet, en effet, aux mauvais bergers de conduire le troupeau de façon incohérente ; et c’est toujours faute de discernement que ce troupeau se laisse exploiter et égorger au profit de ses maîtres.

Le peuple, inéduqué, corrompu par des siècles d’esclavage, ne sait pas distinguer ses amis de ses ennemis, discerner le mensonge de la vérité ; il est toujours attiré par celui qui le comble de promesses et de flatteries ; et c’est pourquoi il est malheureux. Pourtant, le peuple est assez vieux pour comprendre, pour savoir, pour connaître. Il est en âge de discerner ce qui lui est utile et ce qui lui est nuisible, d’apprécier ce qui lui fait du bien ou du mal, et de se détacher de tout ce qui l’asservit et le fait souffrir. Il est indispensable que les asservis acquièrent le discernement qui leur manque, s’ils veulent briser leurs chaînes et goûter un peu de bonheur et de liberté.


DISCIPLE. n. m. (du latin discipulus, élève). Celui qui apprend d’un maître, ou qui s’attache aux doctrines ou aux systèmes d’un autre. Dans l’Évangile, c’est le nom qui fut donné spécialement aux soixante-douze personnes choisies par Jésus-Christ, pour aller prêcher sa doctrine ! (Les disciples de Platon, de Descartes, de Newton, de Jaurès, de Lénine).

Si, en science, le disciple poursuit généralement les recherches du maître qui l’a précédé, en philosophie et plus particulièrement en sociologie, il dénature le plus souvent ses pensées en les interprétant de façon ambigüe. Il arrive aussi fréquemment que des individus se disent les disciples (de tel ou tel homme), sans même connaître ou comprendre la doctrine de celui-ci. En ce cas, les disciples ne sont que des suiveurs ou des croyants qui adorent un Dieu, aveuglément, par fanatisme, par bêtise, par ignorance. Combien sont-ils qui se réclament aujourd’hui de Jaurès, sans savoir seulement ce qu’il désirait, quelles étaient ses opinions, son but, ses vues, ses aspirations, ses espérances, sa doctrine. Ils se disent ses disciples sans même connaître le maître. N’en est-il pas de même pour Lénine ? Il y a, de par le monde, des centaines de milliers d’êtres obscurs qui se prétendent les disciples du dictateur russe, et qui n’ont même pas lu une simple ligne de ses écrits. Ce sont de pauvres religieux, agissant sans discernement, sans raison, et qui sont des proies faciles pour les politicaillons de tous grades et de toutes couleurs.

Les disciples de la vérité sont rares ; car pour la propager, il faut d’abord l’avoir comprise et l’avoir dépouillée de l’amas de mensonges dont elle est entourée.

Fouillons, étudions, cherchons pour grossir notre bagage de connaissances. En réalité, la vérité n’existe pas, ne peut pas exister ; il y a des vérités et il y a des mensonges. On ne peut être le disciple d’un homme, on ne doit pas l’être, si selon la forte expression de Stirner : « Rien n’est pour Moi, au-dessus de Moi ». Prenons, empruntons à d’autres les pensées, les idées qui nous paraissent justes et logiques ; mais gardons-nous, si nous voulons conserver notre personnalité, de nous dire les disciples de quelqu’un, si nous ne voulons être comparés avec raison aux moutons de Panurge.


DISCIPLINE. n. f. (du latin disciplina, enseignement ; de disco, j’enseigne). « La discipline est l’ensemble des règlements qui régissent certains corps et devant lesquels sont obligés de se soumettre, sous peine de sanction, tous les individus. Telle est la définition que l’on peut donner de la discipline, en ce qui concerne les sociétés organisées selon les principes de l’autoritarisme.

La discipline est donc une contrainte et, selon l’importance des institutions où elle s’exerce, elle est plus ou moins sévère. Naturellement, comme dans tout ce qui découle de l’autorité, il y a ceux qui en bénéficient et ceux qui en souffrent. Ceux qui en bénéficient sont ceux qui l’imposent, ceux qui en souffrent sont ceux qui la subissent. « La discipline scolaire, la discipline ecclésiastique, la discipline militaire, la discipline de la magistrature » etc., etc…

L’homme est une victime de la « discipline », il est pris entre ses griffes dès sa plus tendre enfance, dès son plus jeune âge. C’est à l’école qu’elle commence à peser sur ses frêles épaules, et son poids augmente avec les années. Il est évident que l’enfant a besoin d’être conduit, orienté, qu’il est un petit animal inéduqué et qu’il est bon de lui enseigner certaines règles et de refréner parfois ses instincts naturels. Toutefois, il ne nous apparaît pas que la discipline scolaire puisse atteindre le but qu’elle poursuit, c’est-à-dire : donner à l’écolier, qui sera demain un homme, un enseignement lui permettant d’acquérir de l’ordre et de la méthode, qualités indispensables à la bonne harmonie des sociétés.

La discipline scolaire s’adresse moins à l’intelligence de l’enfant qu’à ses sentiments de crainte et de frayeur et, s’il se courbe devant elle, ce n’est pas qu’il en reconnaisse l’utilité, mais parce qu’il a peur des sanctions qui pourraient résulter de ses infractions.

Par conséquent, l’ordre, le calme qui existent dans une classe ne sont qu’apparents, superficiels et, si l’on pouvait plonger dans le jeune cerveau des élèves, on s’apercevrait bien vite du travail nocif de la discipline.

L’erreur particulièrement profonde de la discipline scolaire est de s’adresser à la collectivité, sans tenir compte du tempérament, de la personnalité des individus qui la composent. « Qu’importe, dira-t-on, puisque les résultats sont obtenus ». Et c’est justement là que l’erreur se corse. Le but — à nos yeux, tout au moins — de l’école, est de faire de l’enfant un homme ; de lui faire comprendre la différence qui existe entre une action utile à la collectivité, à la vie de laquelle il participera bientôt, et une action qui lui est néfaste ; de lui faire distinguer, en s’adressant à sa raison, à son intelligence, le « bien » du « mal », le beau du laid, et de frapper son imagination par des exemples susceptibles d’éveiller en lui l’amour de son prochain et le désir vivace de ne pas nuire à son semblable.

Or, l’école moderne ne remplit pas ce rôle et, loin d’être, pour leurs élèves, de grands frères expérimentés, les maîtres, les professeurs, sont plutôt des caporaux chargés de faire respecter une discipline qui se traduit par des punitions donnant naissance, non seulement à un sentiment de terreur, mais aussi de haine.

Dans certaines écoles anglaises, les infractions à la discipline sont sévèrement réprimées et l’on assiste parfois au pénible spectacle d’un jeune homme de 15 ou 18 ans fouetté pour n’avoir pas respecté les règlements auxquels il était soumis. Quelles influences bienveillantes peuvent avoir de tels procédés ? Aucune, bien au contraire. L’enfant est un terrain vierge qu’il faut savoir cultiver. Ce n’est pas par la brutalité, par la force, par la violence que l’on peut arriver à en faire un homme digne de ce nom, c’est-à-dire qui, dans l’avenir, aidera son prochain à gravir le rude chemin de la civilisation. Au lieu de répondre aux incartades de la jeunesse par des sanctions ridicules et arbitraires, enseignons-lui plutôt à se respecter, à s’instruire, et l’on détruira ainsi les germes mauvais dont elle a hérité et qui ne disparaîtront que si nous voulons sincèrement ne pas faire de nos enfants ce que nous sommes nous-mêmes : des esclaves. (Voir : Education.)

La discipline ecclésiastique repose sur les décisions et les Canons des conciles ainsi que sur les décrets des papes et des princes de l’église. Est-il besoin de souligner que tous les règlements, toutes les lois religieuses édictées pour déterminer la conduite commune des individus n’ont d’autres buts que de protéger le puissant et le riche des révoltes possibles du faible et du pauvre ?

Il est heureux que, de nos jours, l’Eglise ne puisse plus, dans certains pays, entre autres la France, exercer des sanctions contre ceux qui ne se soumettent pas à sa discipline, car elle se distingua, dans le passé, par sa barbarie et sa cruauté. A présent, son prestige a disparu et elle n’exerce plus qu’une puissance occulte de laquelle il faut pourtant se méfier.

On ne peut cependant oublier les crimes dont elle se rendit coupable et l’Inquisition qui régna en maîtresse sur le monde, et plus particulièrement sur l’Espagne, où les bûchers allumés par Torquemada — qui pour son compte personnel a un actif de 120.000 victimes — ne s’éteignirent qu’au xixe siècle, illustre les bienfaits de la discipline ecclésiastique.

Les premiers inquisiteurs avaient le droit de citer tout hérétique, de l’excommunier, d’accorder des indulgences à tous princes qui extermineraient les condamnés, de réconcilier à l’église, de taxer les pénitents et de recevoir d’eux, en argent, une caution de leur repentir. Nul n’a le droit d’ignorer aujourd’hui les ravages causés par l’Église, tout l’odieux de cette discipline déployée pour consolider les privilèges des seigneurs et du clergé, et qui coûta tant de vies humaines sacrifiées pour forger les chaînes de l’esclavage. Et cette discipline terrible était telle qu’elle donna son nom à un fouet composé de cordelettes et de petites chaînes, et l’on vit au xie siècle des bandes composées de plusieurs milliers d’imbéciles qui parcouraient les villes en se donnant la « discipline », croyant par ces actes ridicules racheter leurs péchés et ceux des autres.

Ces coutumes sont enfouies dans la nuit du passé, et il faut espérer que jamais plus, dans nos pays occidentaux, nous ne serons assujettis à la discipline de l’église.

Hélas ! La discipline militaire a survécu à la discipline ecclésiastique et, de gré ou de force, par la bêtise, par la lâcheté humaines, nous y sommes tous astreints.

« La discipline fait la force des armées » et, à l’armée, discipline est synonyme d’obéissance, de soumission, de respect aux ordres du chef, quels que soient ces ordres et quelles qu’en soient les conséquences.

On a dit sur l’armée tout ce qui pouvait en être dit et si ce n’était que l’on connaisse son rôle, sa discipline nous paraîtrait comique. Notre Molière moderne, Georges Courteline, l’a ridiculisée avec un rare talent, en a souligné les travers, les mesquineries, les petitesses, et l’a marquée au fer rouge de l’ironie. Mais l’ironie n’a tué ni l’armée ni la discipline. C’est que l’armée est la force sur laquelle se repose le capitalisme, et c’est pourquoi elle exige pour tous ceux qui forment ses cadres, qu’ils abandonnent toute personnalité pour devenir des automates animés par un cerveau extérieur, dont les ordres sont infaillibles et indiscutables.

Malheur à celui qui ayant franchi les murs de la caserne, se permet encore d’être un homme ! Avec le costume civil qu’il quitte, il doit se dépouiller de tout ce qu’il sait, de tout ce qu’il connaît, de tout ce qu’il a appris à l’expérience de la vie. Il doit faire le vide en son crâne comme en son cœur, il ne doit plus être lui-même, mais la millionième partie d’un tout, d’un corps immense, d’un corps sans âme, sans idée, sans pensée, qui tourne à droite ou à gauche, lorsqu’on le lui dit, qui mange et qui boit, non pas lorsqu’il a faim ou soif, mais lorsqu’on le lui permet, qui dort lorsqu’un autre le veut bien ; un corps qui n’est qu’un objet semblable au jouet mécanique que l’on donne à un enfant.

Ainsi le veut la discipline militaire, pour que le soldat exécute sans protester les actes criminels qu’il est appelé à accomplir.

Et si, malgré le costume militaire, le cœur continue à battre et le cerveau à penser, alors, la sanction est là, menaçante, et s’abat terriblement sur la victime.

Peut-on mieux faire pour donner une image de la discipline militaire, que de citer l’aventure récente survenue à trois officiers espagnols ?

C’était en 1924. L’Espagne était courbée sous le joug de l’aventurier Primo de Rivera, mais de l’autre côté des Pyrénées, des hommes jeunes, nobles et courageux avaient juré de délivrer le pays du tyran et de son roi. Ils partirent un soir, avec au cœur l’espérance de déclencher la révolution, et de donner à l’Espagne un régime plus conforme aux aspirations de la population. Ils traversèrent la montagne, et s’attaquèrent à des forces tellement supérieures, que tout leur courage ne put suffire, et que leur action fut inutile. Ils furent vaincus. Léonidas et ses 300 Spartiates pouvaient-ils arrêter et triompher de l’armée de Xerxès ? Leur petite armée à eux fut dispersée ; certains moururent dans la bataille, les autres se perdirent dans la montagne.

Cependant, cette tentative ne fut pas sans soulever l’émotion et la terreur de la réaction espagnole qui demanda à son digne représentant de déférer à la justice les coupables de ce « coup de main ». De coupables on n’en avait pas, il fallait en trouver, et l’on arrêta trois jeunes gens, connus pour leurs idées syndicalistes ; mais qui niaient avoir participé à cette action révolutionnaire.

Ils furent pourtant renvoyés devant un Conseil de guerre, composé de trois officiers. On sait le peu d’indulgence des juges civils à l’égard des révolutionnaires, mais on peut dire que d’ordinaire les peines infligées par ces derniers sont relativement douces, si on les compare à celles que distribuent les juges militaires. Les magistrats siégeant à ce conseil de guerre étaient donc peu disposés en faveur des inculpés ; cependant, devant l’absence totale de preuve, il leur fut impossible de condamner ; ils acquittèrent.

Ces officiers ne connaissaient-ils pas les lois intangibles de la discipline qui ordonnent d’exécuter sans discuter, sans écouter le cœur et la conscience, les actes décidés par les autorités supérieures ? Pour n’avoir pas condamné des innocents, ils furent condamnés eux-mêmes à être enfermés dans une forteresse, et les malheureux acquittés furent renvoyés devant d’autres magistrats qui punirent de la peine de mort, et devant le bourreau qui garrotta. Telle est la discipline militaire.

Et encore, dans le fait que nous citons ci-dessus, ce sont des officiers qui se trouvent être les victimes de cette institution cruelle qu’est l’armée, mais lorsqu’il s’agit de simples soldats, les peines encourues sont terribles.

Dans notre douce république, en cette année de grâce 1927, malgré toutes les campagnes entreprises contre les conseils de guerre et contre les bagnes militaires où croupissent et meurent des milliers de jeunes gens dont le seul crime est d’avoir eu un jour un légitime geste de révolte contre la discipline, ces lieux maudits subsistent encore, sans qu’il soit possible d’espérer pour un avenir prochain leur suppression.

Que de crimes sont commis au nom de cette discipline qui est un facteur de désordre, de gabegie, de corruption et de dégénérescence ! Les révolutionnaires sont partisans, eux, de la discipline : les anarchistes la considèrent comme indispensable à la vie en commun des individus. Ils savent qu’aucun groupement, qu’aucune organisation, qu’aucun travail, qu’aucune action ne sont possibles sans discipline.

Mais notre discipline n’est pas la vôtre. Elle ne repose pas sur l’autorité, sur la bêtise et sur l’arbitraire, mais sur la logique. Elle est librement consentie. Étant l’œuvre de l’intelligence, elle n’est pas une contrainte. Elle n’oblige personne à se courber devant elle, elle n’use pas de sanction, elle est libre en un mot et est constituée par l’engagement pris par chacun de respecter une décision prise en commun.

Voilà ce que doit être et ce que sera la discipline, lorsque les hommes, en ayant assez d’être des esclaves ou des serfs, briseront les chaînes qui les tiennent attachés aux institutions criminelles, derniers vestiges d’un passé d’horreur qui ne se perpétue que par la veulerie et l’ignorance des masses populaires. — J. Chazoff.


DISCORDE. n. f. (du latin discordia, formée de dis, séparation et de corda, cœur). En mythologie, « Discorde » est la divinité malfaisante, fille de la Nuit, et chassée du ciel par Jupiter parce qu’elle suscitait sans cesse des dissensions parmi les dieux. N’ayant pas été invitée aux noces de Pélée et de Thétis, la Discorde jeta une pomme parmi les dieux assemblés, pomme sur laquelle étaient écrits ces mots : « À la plus belle ». Cette pomme fut la cause de la guerre et de la ruine de Troie et des malheurs des Grecs.

La discorde est la division qui existe entre deux ou plusieurs personnes. Une grande discorde, discordes civiles. Elle est la source de toutes les discussions et de toutes les disputes, et c’est avec raison que La Fontaine a dit :

« La discorde a toujours régné sur l’Univers. »
« Notre monde en fournit mille exemples divers ».

Peut-il en être autrement en un ordre social où tout est discordant, où rien n’est harmonieux ? Il ne peut y avoir accord entre des éléments qui sont opposés les uns aux autres, et qui sont séparés par une barrière infranchissable. La liberté et l’autorité ne peuvent faire bon ménage ; la richesse et la pauvreté non plus ; la discorde ne prendra fin que lorsque la liberté aura complètement vaincu l’autorité, et que la richesse sociale n’appartiendra plus à quelques-uns, mais à tous.

Les causes et les raisons de discorde ayant disparu, ses effets disparaîtront également, et les hommes pourront mener enfin une existence pleine de quiétude et d’harmonie.


DISCUSSION. n. f. (du latin discussio). La discussion est l’examen, par débat, d’une idée, d’une proposition, d’un problème, et où chacun expose le point de vue particulier qu’il a du sujet soumis à son appréciation. Une discussion peut être calme, animée ou orageuse. Les plus profitables sont celles qui se déroulent dans le calme, car il est plus facile d’y examiner les sujets ou les objets en contestation avec soin. Les discussions orageuses sont d’ordinaire stériles, et on ne peut prendre de meilleurs exemples que ceux que nous offrent les discussions électorales, qui dégénèrent parfois en bagarre, mais d’où ne sort jamais rien de bon.

Les discussions parlementaires qui font l’effet de tant de hâte sont aussi inutiles que les discussions électorales, et il faut le croire, car depuis que se réunissent les corps législatifs, ils n’ont encore élaboré aucune loi qui soit susceptible d’assurer l’harmonie des pays et des nations qu’ils ont à charge de diriger. La discussion seule d’un sujet intéressant est utile, mais il ne faut pas cependant discuter pour discuter et avoir raison. Il coule de source que lorsque l’on discute, c’est que l’on considère son point de vue comme le meilleur, pourtant il faut écouter et examiner les arguments qui nous sont opposés, et ne jamais hésiter à reconnaître ses erreurs. Discuter à perte de vue, par dilettantisme et snobisme est ridicule, et prise dans ce sens, la discussion n’est pas une source d’enseignement et de lumière.


DISPUTE. n. f. (du latin dis, séparat. et de putare, penser). La dispute est le débat suscité par des opinions contraires, par des intérêts opposés ou des prétentions rivales. Il ne faut pas confondre la dispute et la discussion. La discussion dégénère parfois en dispute ; mais si, lors de la discussion, on cherche à convaincre son adversaire, lorsque l’on arrive à la dispute, on ne cherche plus qu’à le froisser.

« C’est du choc des esprits que jaillit la lumière », dit un proverbe, et il est vrai que l’exposition des idées de chacun est un important auxiliaire du progrès ; mais ce n’est pas au cours d’une dispute que l’intelligence peut se livrer à ses opérations ; il lui faut le calme pour travailler, et non pas l’orage de la dispute.

Malgré ce distinguo que nous faisons entre les mots dispute et discussion, le mot dispute, en dehors du langage courant est souvent employé par les écrivains, et non des moindres, comme synonyme de discussion : « Quand les hommes éclairés disputent longtemps, il y a grande apparence que la question n’est pas claire. » (Voltaire). « Elle n’explique rien de ce qui pouvait être en dispute. » (Pascal). « Nous avions le plus souvent disputé ensemble. » (Molière). Quoi qu’il en soit, nous ne disputerons pas sur la valeur grammaticale du mot : contentons-nous de dire que, dans l’usage courant, vulgaire que l’on fait du mot « dispute », celui-ci n’est pas synonyme de discussion, mais serait plutôt synonyme de querelle.


DISQUALIFIÉ. adj. Ne plus être qualifié pour ; être déchu, déshonoré, être indigne de remplir certaines fonctions. Avoir manqué à ses promesses, à ses engagements ; ne plus posséder l’estime et la confiance de ses semblables. Manquer de qualités requises pour…

L’homme disqualifié est un individu qui a généralement abusé de l’estime et de la confiance que l’on avait placées en lui, et qui en a profité pour en user à son avantage et à son profit. Hélas ! Avant d’être disqualifié pour être dans l’incapacité de nuire, l’individu fourbe et retors fait bien des victimes, et il est souvent difficile de le dénoncer et de retirer le manteau dont il se couvre, tant est profonde et tenace la crédulité de ceux qui, sincèrement, le défendent.

Ne sont-ils pas nombreux, et surtout dans les milieux politiques, les hommes qui sont moralement disqualifiés, qui se sont disqualifiés en faisant commerce de leurs mandats, en trompant leurs électeurs, en trempant dans toutes les affaires louches susceptibles de leur apporter un quelconque bénéfice, et qui cependant exercent, malgré tout, une influence prépondérante et dirigent encore les destinées d’une nation ?

Le sinistre Poincaré, qui peut à juste titre être considéré comme un des grands responsables de la guerre, ne s’était-il pas lui-même disqualifié aux yeux de tous ?

Et son successeur Millerand ? Et les voilà pourtant à nouveau, à peine dix ans après la fin du carnage, à tenir la direction de la chose publique. Il est vrai que la République s’est elle-même depuis longtemps déshonorée, et qu’elle a les amants qui lui conviennent.


DIVAGATION. n. f. Action de divaguer. Primitivement, ce mot était employé pour signaler l’action d’errer çà et là ; mais de nos jours, il signifie l’écart involontaire de la pensée, de la parole ou de l’écrit. Les divagations d’un aliéné ; les divagations d’un poète exalté.

S’il est des divagations inoffensives, il en est d’autres qui sont dangereuses, et les écarts de la pensée, de la parole ou de l’écrit ne sont pas toujours involontaires ; ils sont souvent intéressés.

On peut qualifier de divagations littéraires, les principes, les théories, les idées rétrogrades, développés par certains auteurs ; on ne nous trompe pas ; à nos yeux ces divagations ne sont qu’une marchandise frelatée destinée au peuple qui l’absorbe aveuglément et qui s’en empoisonne. Peut-on considérer comme des divagations, la prose maladive de M. Léon Daudet, le bouffon monarchiste, et les pamphlets haineux de ce politicaillon en mal de dictature, ne sont-ils pas un danger pour la liberté ? Son associé en divagation, Charles Maurras, n’est-il pas également un danger public, un danger social ? Anarchistes, nous ne réclamons pour personne, fussent-ils nos plus terribles adversaires, la répression brutale de la justice, mais dans les maisons de santé, dans les hospices d’aliénés, il est des fous qui sont enfermés, et qui sont certes moins nuisibles que le bouffon Daudet et que son compère Maurras, le « Trestaillon » Maurras, pour lui donner le nom si cher à Urbain Gohier.

Eh oui ! Les divagations de ces êtres nous conduisent tout droit à la guerre extérieure et à la guerre intérieure, et peut-être serait-ce leur rendre service tout en sauvant l’humanité, que de les soumettre à l’analyse du psychiatre. Notre intention n’est nullement de sauver une République qui s’est prostituée et qui asservit à quelques privilégiés, à une ploutocratie inepte, toutes les forces vives de la collectivité ; mais si, anarchistes, nous combattons un régime qui a fait ses preuves, qui a démontré l’incapacité de ses efforts et l’inopérance de ses principes, ce n’est pas pour écouter les divagations de ceux qui espèrent, par la violence, nous ramener à quelques centaines d’années en arrière et nous livrer, pieds et poings liés, à un tyran ou à un despote.

Malheureusement, on ne divague pas qu’à droite, on divague aussi à gauche, à l’extrême gauche, et ces dernières divagations sont peut-être plus dangereuses que les premières, car le peuple les écoute comme des choses sensées. Ils sont nombreux, les fous qui donnent l’impression d’avoir toute leur raison, et il faut du discernement et de la subtilité pour apercevoir la maladie.

N’est-ce pas une divagation que de vouloir supprimer une autorité, pour la remplacer par une autre autorité ? C’est pourtant l’opération à laquelle veulent se livrer certains docteurs en socialisme. Et ils sont écoutés, hélas ; et les malheureux qui les suivent me font l’effet de pauvres fous qui jetteraient de l’essence sur le feu pour éteindre un incendie.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les hommes sensés, logiques, raisonnables, n’arrivent pas à se faire entendre, et sont considérés par ceux qui les entourent comme des déséquilibrés.

Ce serait à croire que le monde est un composé de fous ou de demi-fous, et que l’homme sensé est une exception. Car enfin, il est remarquable que les idées les plus saugrenues, les plus erronées, les plus stupides ont toujours trouvé des défenseurs nombreux, et que ceux qui les véhiculent ont bénéficié de l’admiration universelle.

Dites à un individu que pour se libérer du fléau de la guerre, il faut que chaque nation intensifie ses armements, qu’elle construise des fusils, des canons, des monstres marins et sous-marins ; qu’elle se munisse de gaz terribles, capables d’exterminer en une seconde des populations entières, des femmes, des enfants et des vieillards, et immédiatement vous jouirez de la considération de vos semblables, qui vous élèveront une statue et vous proclameront champion de la paix. Mais dites à ce même individu que pour voir disparaître de la surface du globe les torrents de sang qui la rougissent ; pour que jamais plus la main meurtrière d’un homme ne tue un autre homme, pour que jamais plus nous n’assistions au terrifiant spectacle qui nous fut offert de 1914 à 1918, il faut se débarrasser de tous les engins de destruction, il faut jeter dans le creuset la fonte des canons pour en faire des socs de charrue ; alors, il vous dira que vous divaguez, et vous fera jeter en prison comme néfaste et dangereux à la société.

Combien de temps cela sera-t-il encore ainsi ? Qui sait ? La civilisation évoluera-t-elle ; l’humanité est-elle en pleine jeunesse ou retombe-t-elle déjà en enfance ? Dans ce dernier cas, tout est perdu.


DIVERGENCE. n. f. La divergence est la différence dans les opinions, les sentiments, les idées qui animent les personnes appartenant à un même parti et en acceptent les principes fondamentaux.

On peut, dans une organisation, être d’accord sur une quantité de points et ne pas partager sur certains sujets l’opinion de la majorité ou même de la totalité de ses camarades. Cet écart s’appelle divergence, puisqu’il s’éloigne du point commun.

Les divergences sont inévitables dans toute organisation groupant un certain nombre d’individus, et à condition de n’être pas trop profondes, elles ne nuisent pas à la bonne entente qui doit régner dans toute association ; bien au contraire, les divergences d’idées et d’opinions permettent, au sein d’un parti, d’élever les discussions et d’envisager les solutions possibles à un problème posé.

Si les divergences sont trop nombreuses, alors l’unité est rompue, et toute action collective est impossible ; il est préférable, alors, de dissoudre l’association ou de libérer de leurs engagements celui ou ceux qui se trouvent en opposition avec la grande majorité de leurs camarades. Il faut reconnaître que bien souvent les divergences qui se manifestent au sein d’un parti politique ne sont déterminés que par une basse question d’intérêts, et que les idées ne jouent qu’un rôle secondaire dans les divisions qui éclatent périodiquement au sein de ces partis. Anarchistes, nous n’avons pas à nous plaindre de ces dissociations, puisqu’elles offrent au peuple l’image vivante de ce qu’est la politique et le caractère de ceux qui s’y livrent.


DOCTRINAIRE. n. m. A l’origine, prêtre de la doctrine chrétienne. Depuis 1815, ce mot servit à désigner les politiciens, hommes d’État ou publicistes, pensant que l’on peut concilier la liberté et le pouvoir et qui travaillèrent en France à l’établissement d’un gouvernement monarchiste constitutionnel.

Le système des doctrinaires fut mis en pratique par divers ministres de la Restauration, et les adeptes de ce système reconnaissaient comme chef Royer-Collard, qui fut président de la Chambre des Députés.

Bien que peu nombreux, ils exercèrent une influence considérable depuis la chute du premier empire, jusqu’à 1848, et le libéralisme dont ils se couvraient n’était que superficiel et tout politique. En réalité, ils laissent le souvenir d’un autoritarisme étroit, mesquin et brutal, qui coûta la vie à la monarchie et déclencha la révolution de 1848.

Il ne faut pas confondre « doctrinaire » et « doctrinal ». Ce dernier s’emploie surtout pour désigner les conseils, les avis, les jugements des savants sur les questions de morale et de religion.

De nos jours, on se sert parfois du mot doctrinaire pour désigner un homme attaché à une doctrine, et qui la soutient de manière étroite et avec sectarisme.

Adjectivement : Les opinions doctrinaires ; le système doctrinaire.


DOCTRINE. n. f. (du latin doctrina). La doctrine est l’ensemble des connaissances que l’on a acquises. Elle est ce que l’on croit être la théorie, le système, l’opinion philosophique ou social susceptibles de résoudre, au mieux des intérêts de l’humanité, les grands problèmes de la vie.

On distingue plusieurs sortes de doctrines ; mais, idéologiquement, toutes se réclament du même but : le bonheur spirituel, moral et matériel de l’individu. S’échafaudant sur des considérations particulières et sur des principes contraires, il est facile de comprendre que les diverses doctrines qui s’opposent, empruntent, pour atteindre le but poursuivi, des chemins différents, et qu’elles donnent naissance à des antagonismes qui ne s’éteindront que lorsque la sagesse des hommes aura triomphé de l’ignorance et de la bêtise.

Durant les siècles écoulés, les doctrines les plus remarquables furent celles qui traitaient du déisme et interprétaient Dieu de façon différente. Il y aurait peu de choses à en dire du point de vue social, si elles n’avaient jamais débordé des cadres de la philosophie et n’avaient pas servi de tremplin politique pour asservir le peuple. La doctrine chrétienne, qui depuis si longtemps a envahi l’Europe, traîne derrière elle le boulet des crimes monstrueux qu’elle a engendrés, et s’est définitivement disqualifiée aux yeux de tout homme raisonnable et sensé. Il en est de même de toutes les autres doctrines religieuses qui ont été ébranlées par les coups répétés de l’athéisme, et il est probable que, sous le choc des idées nouvelles, elles disparaîtront bientôt totalement de la surface du globe.

Les doctrines religieuses ont cédé la place aux doctrines politiques, qui, à leur tour, se sont emparées des questions relatives au bonheur de la collectivité humaine et cherchent à améliorer le sort et l’existence de l’individu. Nous connaissons les diverses doctrines politiques qui s’opposent, se combattent, et nous savons aussi que les prêtres des nouvelles religions ne sont ni mieux inspirés ni plus sincères que ceux qui les ont précédés. La doctrine démocratique, la doctrine socialiste, collectiviste, communiste autoritaire, nous semblent aussi incapables de résoudre le problème social, que le furent les doctrines religieuses du passé. Nous avons déjà traité, dans cet ouvrage, de la doctrine collectiviste, communiste, démocratique. Nous traitons plus loin des autres doctrines. Pour nous, anarchistes, nous croyons sincèrement et profondément que seul l’anarchisme « peut assurer à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté », et c’est pour voir un jour se réaliser cette espérance que nous luttons avec énergie et que nous propageons notre doctrine qui repose sur l’analyse des nécessités et des besoins intellectuels et matériels de l’homme. Elle est pour nous le flambeau qui doit éclairer et éclairera demain une humanité régénérée.


DOCUMENTATION. n. f. (du latin documentatum, renseignement). La documentation est l’action qui consiste à appuyer une affirmation, une déclaration, une assertion sur des documents, des preuves, qui en rendent la contestation impossible. Pour faire autorité, il faut que l’on ne puisse contester la valeur d’un document, et que celui-ci soit inattaquable ; ce n’est pas toujours le cas, et il arrive souvent que des faits de très haute importance reposent sur des documents dont l’authenticité est douteuse.

Une bonne documentation est une arme terrible contre les adversaires que l’on veut confondre, combattre et abattre, et en conséquence, elle est indispensable à l’anarchiste, au révolutionnaire qui veut transformer la société bourgeoise. Avec un peu de recherche, de travail et de méthode, elle est relativement facile à se procurer.

L’histoire du passé est un formidable monument où nous avons la possibilité de puiser pour nous documenter sur toutes les erreurs qui ont présidé jusqu’à nos jours aux destinées humaines, et si les individus étaient un peu plus courageux, les documents historiques qu’ils pourraient et qu’ils devraient compulser seraient pour eux une preuve indéniable du mensonge social.

Un bon militant doit donc avoir une documentation solide et irréfutable, afin d’avoir la force et la puissance de démontrer la vérité des opinions et des idées qu’il émet et qui reposent sur l’analyse et l’étude des documents qui sont une preuve accablante pour les maîtres, qui, depuis tant de siècles, asservissent la grande majorité des humains.


DIVORCE. n. m. du latin divortium, de divertere, se séparer). Le divorce est la rupture des liens du mariage, légalement effectuée du vivant des époux. On a dit que le divorce était aussi ancien que le mariage lui-même. Voltaire a fait spirituellement observer, qu’il avait dû le suivre de quelques semaines. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une affirmation excessive. Il n’y a pas lieu, en effet, de confondre le divorce avec la répudiation telle qu’elle a été pratiquée, dès la plus haute antiquité, chez tous les peuples de l’Orient, et qui consistait en la faculté, pour le mari, de renvoyer sa femme lorsqu’il la jugeait indigne de partager dorénavant son existence.

Il semble que c’est en Grèce qu’a pris naissance le divorce, avec faculté pour les époux de se séparer d’un commun accord, après qu’un magistrat eût apprécié les motifs de leur détermination.

A Rome, la législation distinguait entre le divorce et la répudiation. Le divorce consistait en la dissolution du mariage par le consentement mutuel de l’homme et de la femme. La répudiation consistait en la dissolution du mariage par l’effet de la volonté d’un seul des conjoints : l’homme ou la femme, indépendamment de la volonté de l’autre. La répudiation de la part de l’épouse était légitimée lorsque le mari était convaincu d’avoir voulu la livrer à la débauche, ou d’avoir fait peser sur elle des accusations d’immoralité non fondées, ou bien encore d’avoir entretenu une concubine. On admettait que l’époux répudiât sa femme au cas d’adultère, d’abandon du domicile conjugal, ou de désobéissance. De part et d’autre, la tentative de meurtre était appréciée comme une raison particulièrement grave.

Ces mœurs, d’origine grecque, et qui consacraient, en même temps qu’un respect marqué de la liberté individuelle, une égalité relative des sexes, furent transportées en Gaule avec l’invasion romaine. Mais elles disparurent devant les exigences de la religion chrétienne, qui, non seulement faisait de la monogamie une obligation, mais encore s’inspirait d’un passage des Évangiles pour fonder le dogme de l’indissolubilité du mariage. Il est écrit, en effet, dans saint Matthieu, au chapitre XIX, que des Pharisiens, ayant demandé à Jésus s’il est permis à un homme de répudier sa femme pour quelque sujet que ce soit, celui-ci leur répondit qu’il était dans la volonté divine que les époux ne formassent qu’une seule chair, et que l’homme ne doit point séparer ce que Dieu a uni.

Fort de ce texte, le catholicisme condamna le divorce comme un crime, avec pour sanction l’excommunication. Mais, avec la casuistique spécieuse qui le caractérise, il devait l’admettre en fait, quoique d’une façon hypocrite et détournée, pour favoriser, à l’occasion, les desseins de puissants personnages. Henri IV, devenu roi de France, ne pouvait épouser Marie de Médicis, étant uni déjà à Marguerite de Valois. L’Église ne pouvant rompre ce premier mariage par le divorce, ce qui eût été un scandale, tourna la difficulté en le frappant de nullité, c’est-à-dire en déclarant qu’il n’existait pas ! Et tout le monde fut satisfait, sauf peut-être Marguerite de Valois. Grâce à ce grossier subterfuge, le bon roi Henri put reposer la conscience à l’aise, et profiter de la bénédiction du clergé, dans une circonstance qui aurait fait accuser d’adultère et vouer aux flammes éternelles le premier venu des paysans.

Pour les pauvres gens, rivés l’un à l’autre par les chaînes du mariage religieux, l’Église n’a jamais admis, en cas de mésentente, que la séparation de corps, qui est la faculté d’aller vivre chacun de son côté, mais sans que soit dissous le mariage, sans la possibilité, par conséquent, de rechercher le bonheur dans une autre union. Il en est encore ainsi, de nos jours, dans les pays soumis à l’autorité papale : l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la presque totalité de l’Amérique du Sud. Par contre, les nations protestantes : l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, la Suisse, ont rejeté le rigorisme catholique et adopté le divorce, avec des facilités diverses, dès la Réforme, c’est-à-dire au début du xvie siècle.

En France il fallut, pour obtenir ce résultat, l’effort libérateur de la Révolution. L’Assemblée législative reconnut le divorce par la loi du 20 septembre 1792, sur la proposition du député Aubert-Dubayet. Il fut autorisé sur la demande d’un seul des conjoints dans chacun des cas suivants : 1° Démence ou folie ; 2° Condamnation à une peine afflictive ou infamante ; 3° Sévices ou injures graves ; 4° Dérèglement des mœurs ; 5° Abandon pendant deux ans au moins ; 6° Absence sans nouvelle pendant cinq ans au moins ; 7° Émigration.

Mais le divorce comptait beaucoup d’ennemis et, après nombre de débats, le Décret du 20 mars 1803 en réduisit considérablement la portée. Puis le retour des Bourbons annula cette conquête révolutionnaire. Il fut aboli par la loi du 8 mai 1816. Il ne devait renaître de ses cendres que soixante-huit ans après, sur l’initiative d’Alfred Naquet, après sept ans d’efforts parlementaires.

Les lois du 27 juillet 1884 et du 18 avril 1886 ont reconstitué le divorce de la Révolution, mais avec des restrictions regrettables, et tout en laissant subsister la séparation de corps, par égard pour le culte catholique. Avec ces nouvelles dispositions légales, les motifs de divorce reconnus valables sont réduits à trois : 1° Les excès, sévices et injures graves ; 2° La condamnation à une peine afflictive et infamante ; 3° L’adultère.

Le premier motif est laissé à l’estimation du juge. Seuls les deux derniers motifs sont considérés comme péremptoires, c’est-à-dire de nature à faire obtenir le divorce sans difficulté, — ce qui ne signifie point sans frais ni lenteurs — dès l’instant que les faits sont bien établis. Mais si la constatation est aisée qu’une pénalité judiciaire a été prononcée contre un des époux, il n’en va pas toujours de même pour l’adultère et ceci donne lieu à des recherches et expertises à la fois grotesques et répugnantes.

D’abord, il faut distinguer : le flirt, les mignardises, l’essai de prise de possession, certains attouchements risqués, ne sont pas considérés comme péché d’adultère, non plus que les relations homosexuelles ! Et pourtant… Mais passons ! Pour que, du point de vue de la loi, il y ait adultère, il faut qu’il y ait eu consommation de l’acte sexuel entre personnes de sexe différent. Et s’il n’existe pas de documents probants, tels des lettres édifiantes susceptibles d’être présentées comme pièces à conviction, il faut qu’un commissaire de police, muni d’un mandat de perquisition, se rende dans la chambre des amants pour y faire les constatations nécessaires, et dresser procès-verbal de toutes les circonstances utiles. C’est-à-dire qu’il retiendra soigneusement les propos enflammés des coupables, leurs soupirs significatifs, les craquements de leur sommier, s’il a pu entendre, à la dérobée, quelque chose de semblable. La porte ouverte, il notera l’état de désordre de leurs vêtements et de leur chevelure, vérifiera si le lit est défait, s’il est encore chaud et porte l’empreinte de deux corps allongés, si les draps portent des traces intimes, et cœtera…

Bien qu’il s’agisse d’enquête au service d’une loi condamnée par l’Église, cette casuistique malpropre est trop dans le caractère de sa littérature spéciale à l’usage des confesseurs, pour que l’on n’en soupçonne point l’inspiration.

Le divorce, tel qu’il a été rétabli par la République Française, est à part ceci, très imparfait, et conserve la marque de toutes les concessions que le législateur a dû faire aux gens « bien pensants », pour obtenir gain de cause. Il est hérissé d’obstacles. Les démarches en sont excessivement longues et coûteuses. Ici encore, il n’est aucune parité entre les possibilités pratiquement offertes aux riches, et celles mises à la portée des pauvres. La dissolution du mariage par consentement mutuel des époux n’ayant pas été retenue, le divorce français actuel n’est pas la liberté pour l’homme et la femme de se séparer de corps et de biens quand ils le veulent, avec faculté de convoler en d’autres noces. Ce n’est que la libération accordée à l’un d’eux, sur sa demande, en conséquence de certaines fautes graves commises par son conjoint, et sur lesquelles un tribunal doit se prononcer tout d’abord.

Que de complications inutiles et barbares ! Même dans les conditions de la vie sociale actuelle, le divorce pourrait être sans inconvénient, mais avec tout avantage, débarrassé des entraves que lui ont infligées à plaisir des pions paperassiers et de malfaisants « vertuistes ». Dès à présent, l’effort du législateur laïque pourrait et devrait porter exclusivement sur le souci de protéger contre la misère l’épouse et l’enfant abandonnés — car c’est surtout cela qui importe ! — et délaisser le souci de préserver, soi-disant, la dignité du mariage par la sauvegarde des apparences et le sacrifice du bonheur d’autrui. Dès à présent, le législateur, pour la plus grande satisfaction de ses contemporains, pourrait renoncer à la poursuite de cette utopie : L’amour dans le mariage et le bonheur des enfants dans la maison, assurés par la contrainte judiciaire.

Car l’amour, qui se ressent mais ne s’impose point, se révèle sans préoccupation des articles du Code. Et, pour ce qui est des enfants, si c’est pour eux un très grand bonheur, un incontestable avantage que d’être élevés par des parents unis, il.est cependant pour eux préférable d’être confiés à des éducateurs affectueux, que de rester dans l’atmosphère attristante et dangereuse d’un foyer où l’on se hait. — Jean Marestan.

DIVORCE. — Le divorce, on peut le définir la porte de sauvetage du mariage. Il est, en effet, un compromis entre l’union libre et le mariage légalement indissoluble. Le divorce est admis en presque tous les pays du monde. Aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Suisse, en Norvège, au Danemark, en Belgique, en Hollande, en Grèce, en Bulgarie, au Japon, en France, etc… Dans les pays dominés par le clergé catholique, comme l’Espagne et l’Italie, le divorce n’existe pas encore, mais il ne tardera pas à s’universaliser. Son mécanisme sera toujours plus simple. En Russie, en vertu du décret du 18 décembre 1917, le divorce est devenu une pratique accessible à toutes, les bourses, et réalisable en peu de jours.

Il semble impossible que le divorce rencontre encore beaucoup d’adversaires, étant donné que le lien matrimonial, quand il est troublé par le dissentiment, la mauvaise santé, etc., se résout en une infinité de malaises pires que la séparation elle-même, aussi bien pour les conjoints que pour les enfants. L’adultère, les scènes continuelles, les crimes passionnels, les drames de la jalousie, et tant d’autres désordres et scandales naissent du fait que beaucoup de femmes sont forcées de vivre avec le mari qu’elles n’aiment pas, à cause des difficultés qu’elles rencontrent pour la revendication de leurs propres droits. En certains pays, la femme séparée-reste légalement soumise au mari et exposée à ses représailles : de l’arrestation pour concubinage à l’interdiction de garder-les enfants auprès d’elle.

Il est ridicule de présenter le divorce comme étant la destruction du mariage, puisqu’il n’est que la fin légale de l’union qui, désormais, n’existe plus. À ce propos, le juriste italien Luigi Miraglia observait (Filosofia del diritto, Naples, 1903, p. 463) :

« Seule, l’union perpétuelle de fait répond à l’idéal ; le divorce, on doit le considérer comme la reconnaissance de la juste fin de l’union pleine ; il commence là où finit l’idéal de l’indissolubilité. »

Le plus curieux, c’est que dans les pays où n’existe pas le divorce, ce sont les femmes elles-mêmes qui, écoutant les prêtres, se dressent contre lui. Pourtant, le divorce serait une libération pour beaucoup d’entre elles. Une statistique sur les séparations de personnes en Italie, en 1897, donnait (abstraction faite des cas de séparations dont les conjoints étaient d’accord), les chiffres suivants : la séparation fut accordée en 206 cas, pour excès, sévices, injures imputables presque toujours au mari. En 18 cas, il s’agissait d’abandon volontaire et, sur ces 18 cas, les deux tiers étaient imputés au mari qui avait quitté la famille. En d’autres cas, la cause est une condamnation du mari. Seulement en une seule des causes de séparation, le tort se trouverait en majorité du côté des femmes, là où il s’agit de tromper la foi conjugale : la statistique officielle cite 47 séparations déterminées par ce genre de mésaventures domestiques, et ajoute que, en 35.cas sur 47, la faute est du côté de la femme ; mais en tenant compte du fait que la tromperie de la femme, aux termes de la loi, se consomme avec un seul acte, pendant que celle du mari, pour être légalement efficace, doit se traduire en une forme de concubinat, cette dernière exception perdrait toute importance.

L’augmentation énorme des divorces est significative. Aux États-Unis, pays classique du divorce, il est dû à la précocité des mariages. En fait, le recensement de New-York enregistrait 1.600 jeunes hommes et 1.200 jeunes filles de quinze ans, mariés en la seule année 1920. Pendant la même année, 82 garçons et 1.500 filles d’âge non supérieur aux 15 ans, se trouvaient en état de veuvage ou divorcés. En Europe aussi, les cas de divorce sont de plus en plus fréquents, surtout dans les grands centres.

Voici une statistique de Berlin :

  Années Mariages Divorces Pourcentage
   1921 45.238 7.875 17, 2
   1922 47.688 7.364 15, 5
   1923 41.519 6.781 16, 1
   1924 30.650 7.372 24, 1

On pourrait citer d’autres statistiques, pour démontrer que le mariage est en décadence et qu’on va vers l’union libre. — C. Berneri.