Encyclopédie anarchiste/Cabale - Capitalisation

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 284-293).


CABALE. n. f. On désigne sous le nom de cabale, une menée, une intrigue conduite par les partisans d’une doctrine, d’une coterie. Ex. : Lorsqu’un politicien devient trop puissant, ses collègues, jaloux de sa bonne fortune, ne manquent pas de monter une cabale contre lui, pour le faire tomber. Les cabales sont très fréquentes dans le monde politique. Le mot cabale est aussi employé tout particulièrement pour désigner une association formée pour faire subir un échec à un auteur dramatique. Ex. : Une véritable cabale fut organisée contre Henry Bataille, lorsqu’il fit jouer l’Animateur, pièce où l’écrivain glorifiait Jaurès et stigmatisait Léon Daudet. Il faut prendre garde de ne pas se laisser influencer par les cabales qui peuvent parfois s’attaquer à un homme intègre que certains trouvent gênant, justement à cause de son intégrité. Au sens propre, le mot cabale a un tout autre sens qu’il sied de ne pas ignorer. Venant de l’hébreu Kabbalah (tradition), il est chez les Juifs, une interprétation mystérieuse de la Bible, transmise par une chaîne continue d’initiés. (Il prend alors une majuscule.) Elaborée dans les deux siècles qui précédèrent le christianisme, exposée dans les livres tels que le Sephir-Jetzira et le Zohar, la Cabale est littérale et accacérique ; elle attribue un sens symbolique aux caractères de l’alphabet et aux chiffres, et en interprète les combinaisons. La Cabale a exercé une grande influence non seulement sur le judaïsme, mais sur l’esprit humain en général. Elle a compté parmi ses adeptes : Philon, Avicenne, Raymond Lulle, Pic de la Mirandole, Paracelse, Reuchlin etc… ; Elle a fini par donner dans la théurgie et la magie.


CABOTINAGE. n. m. Action de cabotin, c’est-à-dire de personne qui joue une comédie bruyante pour se faire valoir ou arriver à ses fins. Les politiciens sont passés maîtres dans l’art du cabotinage. Il ne faut pas oublier que tout cabotinage décèle un manque plus ou moins grand de sincérité. Il ne faut donc jamais donner créance aux cabotins.


CACHET (lettre de). La lettre de cachet, employée jadis au temps de la royauté absolue, était un pli fermé d’un cachet du roi, et qui contenait ordinairement un ordre arbitraire d’exil ou d’emprisonnement. Les rois de France n’hésitaient pas à employer la lettre de cachet contre tous ceux qui leur avaient déplu d’une façon ou d’une autre. Le courtisan maladroit se voyait exiler dans ses terres. L’homme libre se voyait enfermer à la Bastille pour le restant de ses jours, sans qu’aucun jugement ou simulacre de jugement ne soit intervenu. Aujourd’hui, la lettre de cachet n’existe plus. Mais les puissants, plus hypocrites, savent bien, par des accusations mensongères et des jugements de complaisance, se débarrasser de leurs adversaires lorsqu’il leur en prend l’envie.


CACOPHONIE. n. f. (du grec kakos, mauvais et phônê, voix). On appelle cacophonie, une rencontre de mots ou de syllabes qui blessent l’oreille. Exemple classique : Ciel, si ceci se sait, etc… Les meilleurs écrivains sont parfois tombés dans la cacophonie. Tel Voltaire écrivant :

Non, il n’est rien que Nanine n’honore

Par extension on appelle cacophonie un mélange désagréable de sons discordants. Ex. : La Chambre des députés est en général le domaine de la cacophonie. La cacophonie produit toujours une mauvaise impression. Aussi faut-il se garder, dans les discussions, les controverses, les meetings, de parler plusieurs à la fois, à moins qu’on ne veuille pratiquer l’obstruction contre un orateur.


CADASTRE. n. m. On appelle cadastre un registre public qui porte le relevé détaillé des propriétés territoriales d’une contrée, d’une commune, présentant leur situation, leur étendue et leur valeur, pour permettre l’assiette de l’impôt foncier. C’est Charles VIII qui eut la première idée du cadastre général de la France. L’exécution du cadastre donne lieu à des opérations confiées à des géomètres et à des opérations d’expertises effectuées par des contribuables (classificateurs), assistés de contrôleurs des contributions directes. Les premières ont pour objet le lever du plan ; elles comprennent : la délimitation et la triangulation de la commune, l’arpentage parcellaire et la vérification. Les secondes consistent à évaluer le revenu ; ce sont : la classification (division en classes, des diverses natures de propriétés) ; le classement (distribution des parcelles entre ces classes) ; le tarif des évaluations (détermination du revenu de chaque classe). Le résultat de ces opérations est reporté au nom de chaque contribuable sur les matrices cadastrales, dont les rôles sont des copies et qui doivent mentionner les changements de propriétaires et les translations de propriété (mutations). Le cadastre date de 1807. Les lois des 17 mars 1898 et 13 avril 1900 se sont occupées à le réviser. Comme on le voit, le cadastre est le livre de la Propriété. La bourgeoisie y marque les terres qu’elle s’est partagées, y limite artificiellement les portions de sol dont elle s’est emparée et interdit ainsi à quiconque de jouir librement de quelque chose qui devrait être à tous. Le cadastre est, en quelque sorte, la sanction légale du droit de propriété. Les anarchistes se comporteront donc avec lui de la même façon qu’ils se comporteront avec la Propriété ([[Media:|Media:]]Voir ce mot).


CADRAN. n. m. (du latin quadrans ; de quadrare, être carré). On désigne sous le nom de cadran, une surface portant les chiffres des heures, etc… et sur laquelle courent les aiguilles d’une montre, d’une pendule, etc… Ou bien encore une surface analogue qui porte les divisions d’un instrument de physique : manomètre, galvanomètre, etc… ou rose des vents. On appelle cadran solaire, cadran lunaire, une surface plane sur laquelle des lignes indiquent les heures que le soleil ou la lune marquent en projetant successivement sur ces lignes, l’ombre d’un style ou tige implantée dans la surface. Les cadrans solaires, qui servaient jadis à déterminer l’heure, furent connus des Égyptiens.


CADRE. n. m. (de l’italien quadro, carré). On appelle cadre une bordure de bois, de bronze, etc… qui entoure une glace, un tableau, un panneau, etc… Le même mot sert aussi à designer toutes sortes de châssis. Enfin, le mot cadre est très employé au sens figuré, notamment pour désigner le tableau des services et des fonctionnaires d’une administration (ex. : être rayé des cadres), ou bien l’ensemble des gradés et des employés spéciaux d’une troupe militaire (ex. : les cadres d’un régiment). Tous les systèmes sociaux autoritaires aiment à parquer les individus dans des cadres où ils obéissent à une discipline méthodique et avilissante. Pour les communistes — encore plus peut-être que pour les bourgeois — l’organisation par le cadre est l’organisation rêvée ; c’est elle, en effet, qui transforme le plus sûrement l’homme en un instrument passif et docile dont on peut retirer un rendement maximum. L’esprit d’initiative et d’indépendance — ces forme si dangereuses de l’esprit ! — sont peu à peu annihilées, et les gouvernants peuvent agir en toute tranquillité sans craindre un réveil de la masse. Il faut donc que le peuple refuse rigoureusement de se laisser enfermer — et peu à peu étouffer — dans les cadres que les puissants s’efforcent d’entourer d’avantages trompeurs. Tout cadre est un collier pour une catégorie de citoyens. Les anarchistes doivent donc briser les cadres comme ils briseraient des chaînes.


CADUCITÉ. n. f. La caducité et l’état de ce qui est vieux, faible, cassé, décrépit. Le mot s’emploie aussi bien pour l’homme que pour les choses. L’homme devenu caduc, est souvent un obstacle au progrès ; les idées hardies l’effraient facilement, et il préfère la routine aux initiatives osées. Or, les gouvernements sont en général composés de politiciens déjà fort âgés et ce fait explique que, en dehors de la nocivité des principes gouvernementaux, les dirigeants d’un pays soient toujours réfractaires aux suggestions généreuses et larges. Ne nous en plaignons pas, d’ailleurs, car leur intransigeance et leur étroitesse d’esprit permettent au peuple de mieux mesurer leur ignominie. Un manque de libéralisme est, en effet, toujours plus dangereux qu’un autoritarisme brutal, car il parvient souvent à tromper la multitude naïve et confiante. Mais la caducité de l’homme n’est pas la seule qui soit à craindre. La caducité des institutions, des lois et des morales est bien plus dangereuse encore. Les vieillards néfastes qui sont a la tête des gouvernements, par crainte d’une innovation qui pourrait être une libération, renforcent des lois décrépites qui emprisonnent les individus dans un tissu de menaces. Les mœurs ont beau changer avec les siècles, les lois demeurent toujours les mêmes, toujours plus oppressives. De même les morales officielles. De même les institutions. Tout le bric-à-brac de l’autoritarisme, tout ce matériel vieillot d’abrutissement tout l’héritage désuet du passé, tout cela est rafistolé tant bien que mal par les politiciens en exercice, — et les classes travailleuses doivent supporter ce fardeau de Jour en Jour plus intolérable. Espérons que l’heure est proche où les spoliés se refuseront à endurer plus longtemps l’emprise d’un passé tyrannique. Ce jour-là s’écrouleront toutes les entités caduques qui barrent la route du progrès social et, enfin, nous pourrons instaurer une vie nouvelle où, seules, prévaudront les choses saines, vigoureuses et fécondes.


CAFARDISE. n. f. On appelle cafardise une action ou une parole de cafard ; c’est-à-dire d’hypocrite prêt a toutes les délations. Pour obtenir une récompense ou pour se faire bien voir du maître, patron, etc…, le cafard n’hésite pas à dénoncer le camarade qui a enfreint un quelconque règlement, et lui attire ainsi une sanction plus ou moins grave. La cafardise est en général une conséquence de la mentalité d’esclave. C’est une action des plus viles, et celui qui s’en rend coupable mérite le mépris absolu de tous. Celui qui est capable d’une petite cafardise peut être capable d’une grande trahison. On ne peut guère descendre plus bas dans l’infamie.


CAGOTISME. n. m. Le cagotisme est le caractère de celui qui est cagot, c’est-à-dire qui affecte une dévotion hypocrite et outrée. Synonyme de bigot (voir ce mot).


CAHIER. n.m. On appelle cahier un assemblage de feuilles de papier cousues ensemble. Autrefois, le mot cahier servait à désigner un mémoire de doléances ou de remontrances adressé au souverain. (Ex. : Les cahiers du tiers.) De nos jours on entend encore par cahier des charges, l’ensemble des clauses imposées à un adjudicataire ou à un acquéreur. Le cahier des charges est déposé dans un lieu public où chacun peut en prendre connaissance, et il en est donné lecture avant la réception des offres. Dans les ventes faites par autorité de justice, le cahier des charges est destiné à faire connaître les conditions de vente aux futurs acquéreurs.

Enfin, le mot cahier est employé aujourd’hui dans l’expression cahier de revendications. Le cahier de revendications est l’ensemble de légitimes exigences d’un syndicat ou d’un certain groupe de travailleurs. C’est ce cahier que les ouvriers lésés présentent au patron pour lui arracher d’infimes améliorations de leur travail : journée de huit heures, adaptation des salaires au coût de lit vie, etc… Souvent, hélas, pour faire accepter ce cahier de revendication, les travailleurs sont obligés de recourir à la grève. La mentalité patronale est telle, en effet, que les ouvriers ne peuvent faire aboutir une revendication que s’ils savent l’imposer. Les exploiteurs, ne connaissant qu’une chose : la force, obligent leurs adversaires à en user. Mais le jour n’est pas loin, espérons-le, où plus ne sera besoin de cahiers de revendications. Ces améliorations de leur sort qu’on leur dispute si âprement, les travailleurs sauront les conquérir de haute lutte sur les parasites de l’industrie, de la politique ou du commerce. Et l’on ne verra plus d’arrogants jouisseurs marchander une bouchée de pain à des familles laborieuses.


CAIMAN. n. m. (caraïbe : acayouman). Le caïman est une espèce de crocodile des fleuves d’Amérique et de Chine à museau long. Au sens figuré, on dit de quelqu’un que c’est un caïman lorsque, avide et sans scrupules, il n’hésite pas à exploiter ses semblables de la plus ignominieuse façon. Ainsi est un caïman le patron qui fait travailler ses ouvriers 10 ou 12 heures par jour, à des salaires de famine, pour pouvoir agrandir sa fortune. La classe ouvrière, aujourd’hui, est malheureusement victime d’innombrables caïmans de ce genre, qui s’engraissent du sang et de la sueur des travailleurs. Aucune pitié n’est à attendre de pareils monstres. De même que pour les caïmans des pays exotiques, la force seule peut venir à bout de ces caïmans humains — ou plutôt à forme humaine seulement, puisque tous les sentiments nobles de l’homme leur sont inconnus… C’est pour cela que les anarchistes haussent les épaules quand des réformistes proposent une entente du peuple avec ses bourreaux. On ne parlemente pas avec une bête féroce !…


CALAMITÉ. n. f. (latin calamitas). On appelle calamité, un grand malheur qui atteint toute une catégorie d’individus. Exemple : La guerre, source de bénéfices pour les dirigeants, est une calamité pour les peuples. Notre société actuelle abonde en calamités de toutes sortes et de toutes grandeurs. Sont des calamités pour les travailleurs : la finance, la politique, l’armée, la diplomatie, le capitalisme, etc… etc… Il est des calamités naturelles que la volonté de l’homme est impuissante à combattre : tremblements de terre, inondations, cyclones, etc… Mais les calamités que nous avons citées plus haut sont purement artificielles et peuvent être évitées par la volonté ferme des classes laborieuses. Le jour où le peuple se débarrassera de ceux qui vivent du malheur public, ce jour-là les calamités artificielles disparaîtront automatiquement.


CALOMNIE. s. f. Faux bruit, invention malveillante que certains individus colportent, imputant de mauvaises actions à des gens qu’ils veulent discréditer. La calomnie est une arme vile et abjecte employée de tous temps par les envieux, les esprits bas et sans scrupule, les gens d’église, de politique et de Pouvoir à l’égard de ceux qui militent en contempteurs de toute autorité, et qui ne peuvent se résoudre à garder pour eux seuls une vérité bienfaisante à tous.

Tour à tour, les premiers chrétiens, les Juifs, les protestants, les socialistes et les anarchistes furent en butte aux accusations les plus stupides, en même temps que les plus ignobles, de la part de ceux dont ils dérangeaient les plans et contrariaient les appétits. C’est ainsi qu’à Rome, quand les disciples de Paul de Tarse eurent fait d’assez grands progrès moraux dans la population, le gouvernement de Néron fit circuler sur leur compte mille histoires horribles. On les accusait de tuer les petits enfants, de manger de la chair humaine, de comploter contre la vie des gens, de prêcher le vol, le viol et le meurtre. Ce qui faisait que grâce à ces légendes, le peuple était heureux d’aller au cirque pour assister aux supplices des chrétiens. Quand Néron ordonna l’incendie de Rome, il réussit pendant près d’un an à faire croire au peuple que c’étaient les chrétiens qui avaient commis ce crime, tant était grande la puissance de la calomnie savante et réitérée des caudataires du César. Lorsque, grâce à la conversion de Constantin, les chrétiens parvinrent à partager avec l’empereur l’autorité toute-puissante, les prêtres de la nouvelle église oublièrent totalement le martyrologe de leurs devanciers.

À leur tour ils manièrent de main de maître la calomnie. Ce furent tout d’abord les Juifs qui furent choisis comme victimes ― et l’on peut dire qu’en cette occasion, le travail des prêtres réussit au-delà de toute espérance, car aujourd’hui encore on colporte sur les hébreux les pires infamies ― même dans les milieux qui échappèrent depuis à l’emprise catholique, on fait du mot « juif » un terme de mépris. Cette campagne persévérante eut quelquefois de sanglants résultats : les pogroms russes et polonais sont les plus frappants exemples de l’état d’égarement dans lequel l’église catholique sut plonger les crédules. Plus tard, ce furent les protestants qui subirent l’assaut. À cette occasion se forma une secte qui devint célèbre. Un ancien soudard espagnol : Ignace de Loyola, créa la « Compagnie de Jésus », qui avait comme but initial l’affermissement de la puissance ecclésiastique. L’arme principale de cette association fut naturellement la calomnie. On connait le discrédit qui s’attache maintenant aux disciples de Loyola, et le terme « jésuite » signifie la plus forte expression de répugnance que l’on puisse émettre quant à la valeur morale d’un individu. Caron de Beaumarchais, en créant son Don Bazile, a campé admirablement le jésuite, et l’axiome « Calomniez, calomniez ! il en restera toujours quelque chose » est devenu justement célèbre.

Ensuite, ce furent les républicains, puis les socialistes qui supportèrent lourdement le poids de la calomnie officielle. Et enfin, depuis une quarantaine d’années, ce sont les anarchistes qui se voient le plus implacablement chargés de tous les méfaits imaginaires. Les anarchistes sont davantage accablés, parce que, adversaires implacables de tous les charlatans, ils voient se liguer contre eux toutes les forces religieuses et politiques. Il n’est pas un crime, pas un méfait qui ne se commette sans qu’on essaie de prouver que le ou les auteurs de ce crime ou méfait est un anarchiste.

Disons que malgré cela, petit à petit la vérité se fait jour grâce à l’inlassable propagande des militants et que les exploités commencent à comprendre que les anarchistes sont encore leurs meilleurs et leurs seuls véritables amis.

Mais il n’y a pas que sur le terrain politique ou philosophique que la calomnie est employée. Journellement, dans.les rapports les plus intimes, pour les motifs les plus futiles (quelquefois, même, sans motif aucun), l’arme empoisonnée est dirigée contre quelqu’un qui n’en peut mais ! Les méchants, les jaloux, les êtres faibles et nuls manient avec vigueur cette incomparable auxiliaire de la vilenie, de l’envie et de la médiocrité. Le plus souvent la calomnie _ rampe lentement et met un temps infini à parvenir aux oreilles du calomnié. C’est d’abord un racontar, une incrimination qui, au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de son point de départ se mue en affirmation, puis en accusation. De bouche en bouche, le bruit, faible d’abord, ne tarde pas à devenir un tonnerre. Alors, le mal fait est Irrémédiable. Comme il est rare que l’on puisse remonter à la source exacte d’une calomnie, on lui prête une quantité infinie d’auteurs et, en vertu de ce proverbe inepte : Il n’y a pas de fumée sans feu, les gens qui se sont faits les récepteurs de la calomnie y croient dur comme fer et ne se privent pas de la transmettre « sous le sceau du secret »… pour qu’elle circule plus vite. Et le plus terrible, c’est qu’aucune preuve, si magistrale, si péremptoire fût-elle, ne peut détruire l’ouvrage monstrueux accompli par le propagateur de ragots… C’en est désormais fini pour le calomnié. S’il n’a pas eu l’heur de trouver le calomniateur au début du méfait, il verra toute sa vie empoisonnée par la flèche venimeuse qu’un criminel lui aura lancée et que la stupide crédulité et la lâche passivité des autres auront ancrée en lui.

Pour être calomniateur, point n’est besoin d’avoir inventé la basse besogne. Pour avoir sur la conscience le poids d’une vilenie, nul besoin n’est d’être soi-même l’auteur de cette vilenie. Celui qui entend une accusation monstrueuse contre un autre est aussi un calomniateur s’il n’exige pas des preuves et se rend, par cela même, complice de la calomnie. Point n’est besoin. même, de s’être fait le propagateur d’une affirmation infamante pour avoir droit à l’épithète de calomniateur. Il suffit simplement d’avoir entendu une accusation contre quelqu’un, et de ne pas avoir prévenu la victime, de ne pas avoir essayé de mettre en face l’accusateur et l’accusé, pour s’être, par un silence passif, fait le complice de la mauvaise action. Et c’est souvent pire qu’une mauvaise action, c’est un véritable crime que la calomnie. Toute une vie de labeur, de droiture et d’abnégation peut être détruite par une assertion, et la victime terrassée n’a plus qu’a essayer la besogne titanesque de réduire à néant l’œuvre infâme. Elle en sortira meurtrie, broyée et sanguinolente, elle aura connu toute l’amertume des reniements d’amitié, toute la douleur de se voir trahi et sali et l’horrible, l’indescriptible souffrance de se sentir injurié, suspecté, même dans les actions les plus nobles et les plus désintéressées. Car la mentalité de nos contemporains est ainsi faite qu’elle accepte difficilement un récit montrant quelqu’un comme un être d’élite, mais qu’elle accueille avec une avidité déconcertante tout ce qui tend à avilir et à dégrader un quelconque personnage. Et c’est là une constatation qu’on peut faire personnellement : les noms des criminels restent gravés dans la mémoire des gens, mais ceux des savants, des bienfaiteurs de l’humanité s’effacent aussi vite qu’ils ont été enregistrés, si tant est qu’ils le furent. Aussi, peut-on dire, sans crainte d’être taxé d’exagération, que la calomnie est un véritable crime.

Elle est la cause de grands et terribles drames, et c’est assurément la calamité qui a, à son compte, le plus grand nombre de victimes.

Il faut travailler de toutes nos énergies à enlever de nos mœurs cette dégradation de l’être. Pour cela, il nous faut habituer les gens à la franchise, il nous faut, toutes les fois que nous le pourrons, arrêter net la calomnie à ses débuts. Quand nous entendons quelqu’un lancer une accusation contre un autre, forçons l’accusateur à confirmer ses dires devant celui qu’il veut accabler ; demandons, exigeons des preuves formelles, sinon, n’hésitons pas à le flétrir et à s’écarter de lui comme on s’écarte d’un pestiféré, comme on se sépare d’un mouchard : car le calomniateur dépasse quelquefois le mouchard en vilenie. N’accueillons pas les racontars, ne ramassons pas les accusations à la légère. Disons-nous bien que celui qui voyant se perpétrer un crime ne fait rien pour l’empêcher devient aussi criminel que l’auteur du crime. Et mettons-nous bien cette pensée dans la tête : que le calomniateur est l’être le plus vil, le plus lâche, le plus ignoble, le plus abject et le plus criminel qui puisse être. Et pour arrêter à jamais le règne infâme de la calomnie, faisons de la franchise un devoir dans nos relations humaines, et nous aurons bien travaillé pour l’avènement d’une société dans laquelle la vérité sera le principal pilier de la fraternité entre tous les hommes.

Louis Loréal.


CALOTIN. n. m. Homme appartenant à la catégorie des bigots, cagots (voir ces mots).


CALVAIRE. n. m. Le Calvaire (avec une majuscule) du Golgotha est une montagne, près de Jérusalem, où, d’après la légende, fut crucifié Jésus-Christ. (Sur son emplacement s’élève aujourd’hui la basilique du Saint-Sépulcre.) Par dérivation et au sens propre, le mot calvaire (sans majuscule) sert à désigner une petite élévation sur laquelle on a établi une représentation figurée de la Passion, ou une simple croix. C’est au Moyen-Age que l’on conçut l’idée de figurer dans le voisinage des églises paroissiales, les principales scènes de la Passion. Ces petites mises en scène sont une excellente occasion de processions et de quêtes pour l’Église. Au sens figuré, et par allusion aux souffrances endurées par Jésus-Christ gravissant la montagne du Calvaire, on appelle calvaire une cruelle douleur morale extrêmement pénible à supporter. Exemple : une heure sonnera où les peuples se lasseront de gravir leur calvaire sans murmurer.


CALVINISME. s. m. Doctrine de Calvin et de ses sectateurs ; réforme religieuse telle que l’entendait Calvin. Les dogmes essentiels du Calvinisme, peuvent se réduire à six principaux, savoir :

1° Dans le sacrement de l’eucharistie, Jésus-Christ n’est pas réellement dans l’hostie ; nous ne le recevons que par la foi ;

2° La prédestination et la réprobation sont absolues ; l’une et l’autre dépendent de la pure volonté de Dieu, sans égard au mérite ou au démérite des hommes ;

3° Dieu donne aux prédestinés la foi et la justice, et ne leur impute point leurs péchés ;

4° La conséquence du péché originel est l’affaiblissement de la volonté de l’homme, au point qu’elle est incapable de faire aucune bonne œuvre méritoire de salut et même aucune action qui ne soit vicieuse ;

5° Le libre arbitre consiste à être exempt de co-action et non de nécessité ;

6° Les hommes sont justifiés par la foi seule ; en conséquence les bonnes œuvres ne contribuent en rien au salut ; les sacrements n’ont d’autre efficacité que d’exciter la foi.

Calvin n’admettait que deux sacrements : le baptême et la Cêne ; il rejetait absolument le culte extérieur et la discipline de l’Église catholique.

Né du libre-examen, Calvin nia la liberté. Il affirma la prédominance de la raison individuelle, sur les autres raisons. Mais le Calvinisme après la mort de Calvin, ne tarda pas à revenir à son point de départ et à apporter le secours de la raison, à la foi. La religion en souffrit, car naquirent des protestants : les libres-penseurs, dont l’analyse ne s’était pas arrêtée au culte catholique, mais s’attaqua à la base même des religions, à Dieu.

Calvin, né à Noyon, mort à Genève (1509-1564), étudia la philosophie, la théologie, puis le droit, passa au protestantisme en 1534, publia en latin (1536) puis en français (1541), son livre de l’Institution chrétienne, d’une langue ample et forte, et s’installa à Genève, dont il réforma les idées et les mœurs de manière à en faire la citadelle du protestantisme. Ses disciples reçurent, en France, le nom de Huguenots. Le calvinisme est répandu surtout en Suisse, en Hollande, en Hongrie et en Écosse. En Angleterre, il a produit le puritanisme et la plupart des sectes non conformistes. Quoique moins hypocrite que le catholicisme, le protestantisme n’en est pas moins néfaste comme toutes les religions.


CAMARADE. Mot qui s’est substitué, chez les cabotins de la politique, au mot « citoyen », qui était usé et ne rendait plus. Tout candidat à la députation se croit obligé de commencer ses discours par l’expression « camarades », c’est plus familier, plus démocratique. « Citoyens », c’était encore trop bourgeois. Il a donc fallu inventer un terme nouveau, ou plutôt utiliser un terme ancien pour flatter le peuple et l’endormir. Camarades a été ce mot là. Il a fait son entrée dans la politique, est devenu à la mode et il n’est guère aujourd’hui de groupements, de réunions, de « meetings » où il ne soit employé par les dirigeants d’un parti. Sommes-nous plus heureux, moins « légalisés », moins accablés d’impôts, moins prisonniers de l’autorité depuis qu’un tel mot a été introduit dans le jargon politicailleur ? Au contraire, il n’y a jamais eu moins de « camaraderie » dans les groupements où les premier venus emploient ce mot sans y croire, le galvaudant, l’abaissant au niveau de leur mentalité d’arrivistes.

Pseudo-camarades. Quand on prononce le mot « camarades », on est porté naturellement à croire qu’il traduit une affinité d’esprit, des liens de sympathie, d’amitié, d’entraide, d’estime, d’affection, entre esprits pensant la même chose et agissant dans le même but. L’expérience nous démontre malheureusement qu’il n’en est pas toujours ainsi, et que ce mot ne correspond nullement à son sens véritable. On est tout étonné de rencontrer parmi les « camarades », des êtres indifférents, hostiles, et même dangereux. C’est un mot dont on a beaucoup abusé et dont on abuse encore. Il faudrait mettre un terme à cet abus. Ce mot ne devrait pas être employé à tout propos. Parce qu’ils se sont serré la main en se disant : « Camarades », des gens croient avoir prouvé leur attachement à la cause et mis en pratique leurs idées. Il n’en est rien. Nos pires ennemis se recrutent souvent parmi nos camarades. Ceux-ci, connaissant nos secrets, car nous nous confions à eux alors qu’ils oublient de se confier à nous, sont bien placés pour nous trahir. On se demande d’où viennent les coups qui nous frappent. C’est souvent un camarade, rencontré la veille, qui vous témoignait de chaudes marques de sympathie, et que vous n’auriez jamais soupçonné d’une vilaine action, qui vous a joué ce tour.

Un peu moins de poignées de mains, et un peu plus de solidarité, ce serait mieux. Soyons camarades autrement qu’en paroles. Il est fâcheux d’avoir à se méfier quand un inconnu vous interpelle : « Camarade ! » Il est souvent préférable d’avoir affaire à un bourgeois qui vous dit « Monsieur » et vous aborde poliment, qu’à des camarades qui vous tutoient ; ne se mettant bien avec vous qu’a fin de mieux vous trahir. Si la méfiance entre camarades est un mal, la trop grande confiance en est un autre, car il est des camarades indésirables, qu’on a de justes raisons de redouter. Il faut avoir assez de flair, de perspicacité, de psychologie pour savoir discerner les vrais camarades des faux. On voit les camarades à l’œuvre, quand on est dans la peine ou dans l’embarras : ils vous lâchent ! Tant qu’on n’a pas besoin de leurs services, ils sont à vos côtés. Il ne faut pas compter sur eux s’il vous arrive le moindre ennui. C’est une véritable calamité d’avoir affaire à certains camarades. Ils s’attachent à vos pas, vous suivent partout, non par sympathie, mais parce qu’ils ne savent à quoi employer leur temps. Que font-ils ? On n’en sait rien. On ne l’a jamais su, et on ne le saura jamais. Vous avez beau leur faire comprendre que vos instants sont précieux, ils ne vous lâchent pas d’une semelle. Que veulent-ils ? Quel but poursuivent-ils ? De quoi vivent-ils ? C’est louche. Il est des camarades qu’il est bon de ne pas fréquenter, ils sont vraiment compromettants ; ils cherchent à vous attirer dans une sale affaire, sachant bien qu’ils en sortiront indemnes. Ils se conduisent comme des policiers (il y a des chances pour qu’ils fassent partie de cette corporation). Vous marchez : vous êtes pris. Dès qu’il s’agit de faire un beau geste, il n’y a plus personne. Ces camarades tarés, qui agissent dans tout ce qu’ils font comme d’ignobles bourgeois, sont extrêmement dangereux. Pour se tirer d’embarras, Ils n’hésitent pas à vous dénoncer. Cette « camaraderie » qui est la raison d’être des groupements d’avant-garde existe souvent moins dans ces groupements, que, partout ailleurs. Ce qui est déplorable chez les communistes ou les individualistes, c’est la méfiance entre camarades. Ils se surveillent, s’épient. Aucune confiance ne règne parmi eux. Chacun se cache, dérobe à l’autre sa pensée, ses sentiments, ses moyens d’existence. On a vu des groupements dont les programmes étaient généreux, manquer de cette harmonie qu’il préconisaient. Combattant toutes les superstitions, exaltant par-dessus tout le beau, le bien et le vrai, ces « camarades » qu’un idéal élevé aurait dû rendre meilleurs passaient leur temps à se soupçonner, se jalouser, se nuire, dissimulant leurs pensée, agissant sournoisement en-dessous. Triste constatation !

Des camarades introduisent dans les « milieux » la politique. Ils prononcent des excommunications alors qu’ils devraient être les premiers excommuniés. Leur tyrannie est insupportable. Avec eux, impossible de discuter. Ils n’admettent pas la contradiction. Leur autoritarisme est sans bornes. Rien ne les distingue plus des bourgeois. S’il n’y avait pas dans les groupes, ces camarades tarés à tous les points de vue, ces groupes pourraient faire de la bonne besogne, tandis qu’il n’en sort que de la mauvaise. Intellectuels ou manuels, de tels camarades font la pire des besognes, semant la haine, la calomnie, la jalousie, l’envie, la discorde partout où ils passent. Il est des camarades insupportables par leur pédantisme. Ils veulent à tout prix que vous épousiez leurs idées, alors qu’ils n’en ont pas. Ils ne cessent de vous agacer avec leur pseudo science, les formules prétentieuses dont ils usent : ils prétendent tout savoir, et ils ne savent rien. Ils se croient supérieurs, et dans n’importe quelle circonstance, vous vous apercevez de leur infériorité intellectuelle et morale. Le pédantisme fait ses ravages dans les milieux dits avancés autant que dans les autres. On voit des camarades venir à des causeries, conférences, réunions, avec l’idée fixe de vous contredire, à propos de n’importe quoi et avec n’importe quels arguments. Quant à s’instruire, ils n’en ont cure. Ils sont contents d’être applaudis par leurs copains et d’avoir pu prouver au « conférencier », en criant et en gesticulant, qu’ils sont plus forts que lui. Ils viennent avec l’idée de troubler une réunion, quel que soit le sujet qu’on traite. Ils vous font des objections qui ne tiennent pas debout. Ils cherchent à se rendre intéressants par n’importe quels moyens. Ou bien encore, ils vous salissent ou vous font salir par d’autres camarades dans les feuilles plus ou moins libertaires. Procédés que les bourgeois eux-mêmes hésitent souvent à employer. Les chapelles d’admiration mutuelle sont aussi néfastes que les parlottes de dénigrement mutuel. Il n’y a dans l’un et l’autre cas aucune camaraderie. La seule façon de mettre un terme à ces mœurs intolérables provenant d’une fausse conception de la camaraderie, c’est la réforme de l’individu. Que les individus bannissent l’envie, la vanité et l’hypocrisie de leur cœur. Qu’ils s’améliorent, soient plus tolérants, moins injustes, et la fausse camaraderie aura vécu. Cela vaudra mieux que des discours, des paroles en l’air et même des écrits. La camaraderie exige des actes.

Anciens camarades. ― Que sont devenus les anciens camarades dont l’enthousiasme vous réchauffait, avec lesquels vous aviez combattu à vingt ans ?

Un beau jour, on ne les a plus revus. Ils ont disparu de la circulation. Ils se sont embourgeoisés. La plupart sont casés. Ils ont épousé une femme riche ou fait fortune. Ils vous reprochaient votre tiédeur, vous n’étiez jamais assez avancés pour eux. Vous étiez un « sale bourgeois ». N’empêche que vous êtes toujours le même, et qu’ils sont autres. Ils sont passés de l’autre côté de la barricade, dans le camp des repus, des satisfaits. ― « Oui, disent-ils, j’ai changé. Quand on est un homme honnête, on doit abandonner ses opinions si on reconnait que l’on s’est trompé. J’étais anarchiste je ne le suis plus, voilà tout. J’estime qu’il faut faire son devoir. On ne vit pas dans les grèves. On vit en société. J’ai changé, et je m’en trouve bien ». Il a suffi d’une place, d’un titre, d’un bout de ruban, quelquefois moins, pour qu’ils évoluent. Ils vendent de la mélasse ou palabrent dans les salons de l’Élysée. Ils ne parlent plus de tirer sur les officiers ni de voler le coffre-fort des capitalistes. Ils sont rangés, rangés, vous dis-je, rangés, rangés jusqu’à leur mort. C’est que leurs convictions étaient peu solides. Ils n’attendaient qu’une occasion pour s’en défaire. Mes anciens camarades sont devenus des bourgeois bien pensants, d’honnêtes commerçants, de braves militaires, d’excellents fonctionnaires et de parfaits « maquereaux ». Ce sont de bons pères de famille et de valeureux patriotes. Ils ont trouvé leur voie. Qu’ils y restent ! Ils sont devenus ministres, ou sous-ministres. Ils arborent à leur boutonnière les palmes académiques ou le ruban de la Légion d’honneur. Vraiment, beaucoup de nos anciens camarades ont mal tourné. On connait les « camarades ». On sait ce dont ils sont capables. Ils ne se préoccupent guère de mettre leurs actes en harmonie avec leurs théories. Leur camaraderie n’est qu’un bluff. C’est le plus souvent une exploitation.

N’exagérons rien cependant. Ne soyons pas pessimistes. Ne décourageons personne. Soyons justes. Il y a de bons camarades, d’excellents cœurs, qui répondent : « Présents ! » chaque fois qu’il le faut. Ils sont rares, ils ne courent pas les rues, mais enfin on en trouve. Ceux là méritent d’être aimés. Un bon camarade est aussi rare qu’un véritable ami. Que dis-je, n’est-ce pas le « type » même du véritable ami ? Un bon camarade vous éclaire sur vos défauts comme sur vos qualités. Il est le conseiller, le guide, ne cherchant à imposer ni ses conseils ni sa manière de voir, mais seulement à vous être utile. Un bon camarade ne vous trahit point. Il agit avec le plus pur désintéressement. Il est sincère, et loyal. Il vous regarde en face et vous tend la main sans arrière-pensée. Il ne vous abandonne jamais aux heures difficiles. Il est là, tout près, qui vous soutient, moralement et physiquement. Il sait les paroles qu’il faut prononcer, les actes qu’il faut accomplir, sans bruit, sans ostentation. Il se donne selon ses moyens, selon ses forces, mais il se donne entièrement. Le peu qu’il fait, c’est beaucoup. Il nous défend si on nous attaque. Il partage avec vous son repas, son lit. Il vous donne tout ce qu’il possède. Nobles cœurs, combien vous êtes rares ! Connaissons-nous beaucoup de gens qui méritent ce beau nom : « camarades » ? On hésite vraiment à l’employer avec certaines brutes. Des camarades qui vous salissent, vous traînent dans la boue, vous assassinent lâchement par derrière, on en trouve partout, à chaque instant, mais des camarades loyaux, sincères, généreux, désintéressés, quand vous en rencontrez un sur votre route, dites-vous bien que vous avez trouvé un trésor.

Causerie entre camarades : causerie familière, sur un sujet intéressant, concernant telle ou telle question d’ordre moral ou politique, et qui peut contribuer à l’éducation des groupes et des individus.

En camarade : expression par laquelle une femme : vous fait comprendre qu’elle se promènera ou déjeunera avec vous, sans aller plus loin. Certaines femmes veulent bien être votre camarade, mais non votre maîtresse (il y a une nuance). C’est leur droit. Elles veulent bien entretenir avec vous des relations intellectuelles, mais non des relations sexuelles. Ce sont des relations purement amicales. Ces femmes estiment que l’amitié est préférable à l’amour, et qu’elle engendre moins de déboires. Elles peuvent parler librement pendant des heures avec un homme, ― ou des hommes ― de la question sexuelle, de l’amour libre, du sexualisme révolutionnaire et autres questions connexes, sans que cela leur fasse de l’effet. Aucune conversation ne les intimide. Véritables garçons, du moins sous ce rapport de la chair, et on se sent tout de suite à l’aise en leur compagnie. Elles consentent à vous accompagner n’importe où, à partager vos jeux, vos sports, vos distractions, quant à se donner, elles s’y refusent. La camarade expire où commence la maîtresse. De telles femmes peuvent être fort agréables ; cependant, certains hommes trouvent que ce n’est pas suffisant, ils ne peuvent se contenter de la camaraderie. Il leur faut davantage.

Camaraderie amoureuse : On désigne sous ce nom, une conception de l’amour qui n’a pas cours dans les milieux bourgeois. C’est sous des formes hypocrites, dissimulées par la légalité que les bourgeois pratiquent une pseudo-camaraderie amoureuse. La camaraderie amoureuse consiste en ceci : qu’une femme ne doit pas plus se refuser à l’homme qui la désire que celui-ci ne doit se dérober à son invite. Cependant, il faut tenir compte, dans le pluralisme sexuel, du tempérament et des préférences. Se donner comporte un choix. Il y a des femmes qui refusent de se donner au premier venu, qui ne se préoccupe guère si la chose leur agrée ou non. En somme, la camaraderie amoureuse consiste en ceci : « Nous nous plaisons, unissons-nous, sans consulter personne ». La camaraderie amoureuse offre des difficultés pratiques, et elle n’est pas à la portée de tout le monde. Elle suppose des esprits affranchis, ayant banni de leur cœur la jalousie, et consentant à ce que leur compagne ― ou leur compagnon ― dispose de sa personne comme on entend le faire soi même. L’amour plural est impossible sans réciprocité, consentement mutuel. ― G. de Lacaze-Duthiers.


CAMARADERIE. Qu’on considère l’anarchisme sous l’angle qu’on voudra, au point de vue le plus farouchement individualiste ou le plus largement communiste ; qu’on le regarde comme une éthique purement individuelle ou comme une conception uniquement sociale, sa réalisation est et restera toujours d’ordre « humain », c’est-à-dire qu’en Anarchie, il existe et il existera des « rapports entre les hommes » comme il en a existé et existe dans tous les milieux sociaux, quelle que soit leur importance.

Nous savons qu’en Anarchie, ces rapports ne sont pas déterminés par la contrainte, la violence, la loi ; nous savons qu’Ils ne sont pas soumis à des sanctions disciplinaires ou pénales ; nous savons qu’ils ignorent l’empiètement sur l’évolution d’autrui, la malveillance, l’envie, la jalousie, la médisance ; nous savons qu’en aucun cas ces rapports ne sauraient être basés sur le contrôle des actions individuelles, leur « standardisation » à un étalon-règle de conduite unilatéral, applicable dans tous les cas et convenant à tous les tempéraments. Il est essentiel, en effet, que tout cela soit inconnu « en anarchie », si l’on ne veut pas que ressuscite ou reparaisse ― sous sa vraie figure ou sous un masque ― l’Autorité, c’est-à-dire l’État et le gouvernement.

Reste donc à nous demander quelle forme « en anarchie » revêtent ou revêtiront les rapports des humains entre eux.

À mon sens, ils ne peuvent, ils ne pourront s’établir que sur une certaine façon, une manière spéciale de se comporter les uns, à l’égard des autres que je dénommerai camaraderie. C’est un de ces mots dont on a beaucoup abusé pratiquement, et j’en sais quelque chose, Ailleurs, j’ai proclamé que la camaraderie était d’ordre individuel et je ne m’en dédirai point ici. La camaraderie est affaire d’affinités individuelles, c’est exact ; il est évident que là où les affinités font défaut ; la camaraderie est une piètre chose, si on veut qu’elle descende des brumes de la théorie. Je concède qu’il est difficile d’imaginer une camaraderie d’ordre très intime entre nomades et compagnons appréciant le confort d’un intérieur ― entre pratiquants de l’unicité en amour et pratiquants de la pluralité amoureuse ou du communisme sexuel ― voire entre partisans d’un régime alimentaire exclusif. Mieux vaut que ceux qui tiennent à la réalisation d’un aspect spécial de la vie en liberté se groupent entre eux. La souplesse de la conception anarchiste de la vie qui permet tout autant à l’isolé qu’à l’associé de vivre « sa » vie, qui laisse les associations fonctionner chacune à sa guise et se fixer librement n’importe quel objet ― la souplesse de la conception anarchistes, disons-nous, implique une telle diversité d’unions et de fédérations d’unions qu’il reste et restera loisible à n’importe quelle unité de se réunir à qui il lui convient davantage.

Mais tout ceci exposé, il reste encore à définir ce qu’il faut entendre par camaraderie. Sans doute, c’est une expérience comme tous les incidents de la vie individuelle, sans doute ce n’est ni une obligation ni un devoir ; mais ce n’est pas seulement une expérience, c’est une disposition d’esprit, un sentiment qui relève de la sympathie, de l’ordre « affectif » et qui, généralisé, constitue comme une sorte d’assurance volontaire, de contrat tacite, que souscrivent entre eux les « camarades » pour s’épargner la souffrance inutile ou évitable.

À mon sens, une association de camarades anarchistes, c’est un milieu anti-autoritaire dont les composants ont décidé, entre eux, de se procurer la plus grande somme de joie et de jouissances compatible avec la notion anarchiste de la vie. La tendance d’une association ou union d’anarchistes, toujours selon moi, est qu’en son sein se réalise la satisfaction de tous les besoins, de tous les désirs, de toutes les aspirations que peuvent éprouver et ressentir des êtres qui, tout en niant les dieux et les maîtres, ne veulent être des dieux et des maîtres pour aucun d’entre eux.

Je ne trouve pas de meilleur synonyme pour le terme camaraderie que le vocable bonté.

On peut exposer que tout recours à l’autorité étant écarté pour régler les rapports entre êtres humains, il va de soi que le recours au raisonnement s’impose pour la solution des difficultés qui peuvent surgir dans le milieu anti-autoritaire. N’est capable ― semble-t-il au premier abord ― de se passer d’autorité extérieure que celui qui se sent apte à se servir lui-même et de loi et de coutume. Sans doute. Dans tout milieu actuel ou à venir où on ignore les institutions étayées sur la contrainte, il est évident qu’on aura recours à la raison, à la logique pour résoudre les conflits ou les désaccords qui peuvent ou pourront malheureusement survenir ou subsister parmi ceux qui le constituent. Toujours ? Cet éternel, ce continuel appel à la froide raison ou à la logique implacable est insatisfaisant. Pareil milieu ressemblerait, à y réfléchir sérieusement, à une salle d’hôpital ou à un couloir de prison cellulaire bien entretenue.

Non, la raison, la logique ne suffisent pas à établir, à régler les rapports entre les hommes lorsque le recours à la violence ou à l’action gouvernementale en est exclu. Un facteur autre est indispensable, et ce facteur, c’est la bonté, dont la camaraderie est la traduction concrète. Force ici est de se rappeler que l’humain assez conscient pour écarter l’autorité de ses rapports avec ses semblables, n’est pas seulement doué de puissantes facultés d’analyse ou de synthèse, n’est pas seulement un mathématicien ou un classificateur ; c’est un être sensible, compréhensif, bon. Bon, parce qu’il est fort. On peut suivre une marche désespérément rectiligne et être un faible ― plus qu’un faible ― un pauvre hère qu’une excursion hors de la ligne droite désorienterait irrémédiablement. Le logicien imperturbable est souvent un déficient qui perdrait toute faculté de se conduire s’il était transporté hors du cycle de ses déductions. La logique indistinctement appliquée à tous les cas trahit souvent un manque de compréhensibilité, de la sécheresse intérieure. Or, voici, pour moi, comment se définit la camaraderie, mise en pratique de la bonté : essayer, s’efforcer, tenter de saisir, de comprendre, de pénétrer, voire de s’assimiler les désirs, les aspirations, la mentalité en un mot, de celui, de celle, de ceux avec qui les habitudes ou les imprévus de la vie quotidienne nous mettent en présence ou nous laissent en contact.

Quoiqu’en prétendent les secs doctrinaires, je maintiens que la bonté reste sinon le principal, du moins l’un des principaux facteurs qui président aux relations entre les composants d’un milieu d’où est bannie toute autorité ― la bonté qui se penche sur la souffrance que l’existence engendre chez les vivants, la bonté qui n’est pas envieuse, la bonté que ne rebute pas une apparente froideur, la bonté qui ne s’irrite point et qui ne soupçonne point le mal, qui use de patience et de longanimité, la bonté qui revient plusieurs fois à la charge si elle a des raisons de supposer que son geste a été faussement interprété, la bonté qui espère et qui supporte ; la bonté qui sait tout le prix, toute la valeur d’une parole qui apaise, d’un regard qui console ― oui, la bonté en action, c’est-à-dire la camaraderie.

Nous pensons que c’est l’autorité qui est la cause de tous les maux dont se plaignent les individus et dont se lamentent les collectivités ; nous pensons que la « douleur universelle » est la résultante des institutions coercitives. Un milieu sans autorité, un milieu camarades, c’est un milieu où on ne doit plus souffrir, un milieu où on ne saurait rencontrer un cerveau qui s’atrophie faute de culture, un seul estomac qui se contracte faute de nourriture, un seul cœur saigne faute d’amour ― car où tout cela manque, fait défaut la possibilité de liberté de choix. ― Un milieu anti-autoritaire qui ne fait pas, qui ne ferait pas tout son possible pour assurer cela à ses constituants nous est, nous serait une pénible déception, une désillusion cruelle, n’aurait avec « un milieu de camarades », que des rapports vraiment trop lointains.

On peut objecter qu’il est des souffrances inévitables ; qu’en supposant même que toute autorité soit bannie des groupes où l’on évolue, il n’est pas certain qu’on se comprenne, les uns les autres sur tous les points. J’en conviens. Mais je demande à mon tour si le raisonnement aride, âpre et dur est à même de réduire à un nombre toujours moindre, les cas de douleur évitable ? Je maintiens que la bonté souple, flexible, assimilatrice réussira là où échouera l’implacable logique. Le monde de nos aspirations ― celui où nous souhaitons nous développer, croître, nous sculpter ― le milieu de camarades, le milieu nouveau après lequel languissent et notre chair et notre esprit, c’est une ambiance sociable, où ne seront plus trouvées rancœur, amertume, insatisfaction. C’est un monde nouveau pour de vrai. C’est un monde où un effort constant, inlassable, est voulu pour réduire à un minimum toujours plus restreint les occasions de souffrance inévitable. C’est un monde de camarades. Eh bien, selon moi, dans ce monde nouveau, la bonté joue, jouera un rôle plus décisif que la raison pure. Et c’est ce rôle déterminant de la bonté, rôle volontaire, qui résume, à mon sens, toute la camaraderie. ― E. Armand.


CAMARILLA. n. f. (mot espagnol diminutif du latin camera, chambre). La camarilla est la coterie influente qui règne à la Cour d’Espagne. Par extension on se sert du mot camarilla pour désigner le groupe des courtisans qui dirigent les actes d’un chef d’État, d’un prince, d’une haute autorité quelconque. Dans un État, la camarilla est d’autant plus puissante que le chef est plus faible. Autant que le chef ― et parfois plus que lui ― elle est responsable des guerres et autres calamités qui s’abattent sur les peuples. Composée d’arrivistes et de jouisseurs sans scrupules, la camarilla n’a qu’un but : satisfaire ses intérêts, fût-ce en provoquant la ruine d’une nation. Pour citer des exemples récents, rappelons le rôle criminel des camarillas qui entourèrent Guillaume II et Nicolas II. Les camarillas sévissent dans tous les états, aussi bien dans les états républicains que dans les états monarchiques. Et elles sont aussi néfastes dans les uns que dans les autres. Seul un énergique assainissement pourra délivrer les peuples de ces coteries de parasites. Et seule la Révolution pourra réaliser cet assainissement.


CAMBRIOLAGE. n. m. Action qui consiste à s’introduire dans la demeure d’autrui, pour y dérober ce qui lui appartient.

De même que le vol, l’escroquerie, le meurtre, le crime, le cambriolage est un fruit de l’arbre social actuel, il est un des vices qu’engendre le capitalisme.

La bourgeoisie et sa justice prétendent que le cambriolage est fils de l’oisiveté, de la paresse, etc…, alors qu’en réalité il est souvent déterminé par la misère et le désir de vivre d’une façon normale en se procurant les ressources indispensables que n’assurent pas les salaires du travail « honnête ».

Le cambriolage est réprimé dans tous les pays du monde, comme une atteinte à la propriété privée, individuelle ou collective, et cela se conçoit puisque tout l’ordre social est élaboré sur ce principe de propriété. La sévérité avec laquelle la justice sévît contre les cambrioleurs, se comprend d’autant plus, qu’en général, ceux-ci sont issus de la classe pauvre, et n’ont pas acquis, par l’instruction et l’éducation, les moyens d’user de procédés légaux, tels que le commerce, l’industrie, la banque, l’assurance, pour s’approprier le bien du prochain ; d’autre part, le cambriolage s’exerçant, d’une façon presque exclusive, au détriment d’individus appartenant à la bourgeoisie, cela suffirait à expliquer la férocité de la répression.

Vu ses risques, le cambriolage nécessite un certain courage physique, et une énergie indéniable ; il ne peut cependant pas être présenté, sur le terrain de la lutte de classe, comme une doctrine de révolte ou comme un moyen de libération sociale. Durant les périodes de trouble, et plus particulièrement à l’aube de l’Anarchisme, certaines individualités se réclamant de l’Anarchie se livrèrent à cette action dans un but totalement désintéressé. En Italie, en Espagne, et surtout en Russie, sous le régime tsariste, lorsque la répression s’exerçait violente contre les révolutionnaires et que la propagande engloutissait les faibles ressources du mouvement, des hommes se dévouaient et, au péril de leur liberté et même de leur vie, s’attaquaient à la propriété bourgeoise pour étendre financièrement les moyens de lutte. L’expérience a démontré, depuis, l’inopérance de ces actions, pour assurer la vie d’un grand mouvement qui doit s’appuyer sur le peuple et ne vivre que par la sympathie et l’effort des opprimés ; et l’on peut dire que le cambriolage, du point de vue anarchiste, n’est plus aujourd’hui qu’un accident.

L’État et les gouvernements se réservent cependant un droit au cambriolage. Celui-ci prend alors le nom de perquisition. (Voir ce mot.)

En conséquence, déterminé par le capitalisme, le cambriolage ne disparaîtra qu’avec lui.

On lira avec intérêt, les déclarations de l’Anarchiste Jacob, devant la Cour d’assises de la Somme, et qui furent publiées en brochure sous ce titre : « Pourquoi j’ai cambriolé ». ― J. Chazoff.


CAMÉLÉON. n. m. (du latin camelus, chameau ; leo, lion). Le caméléon est un petit reptile habitant les contrées les plus chaudes de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique. Certains naturalistes le classent dans la famille des lézards, d’autres l’en séparent. Ce reptile a le corps de forme triangulaire, et son dos qui se termine en lame de rasoir semble parfois devenir tranchant ; sa peau est recouverte de petits tubercules, ses yeux très gros lui sortent de l’orbite, et sa queue retournée lui permet de s’accrocher aux branches. Comme le chameau, très sobre de sa nature, le caméléon se nourrit de mouches qu’il attrape en dardant sur elles sa langue très longue ; mais il peut rester de longs mois sans absorber aucun aliment. Absolument inoffensif, le caméléon est très lent à se déplacer et est en conséquence victime de tous les animaux qui veulent l’attaquer, car il est totalement dépourvu de moyens de défense, c’est ce qui explique probablement ses longues stations sur les arbres. Il est considéré, avec raison comme un animal utile, sa nourriture comme nous l’avons dit plus haut ne se composant que d’insectes nuisibles.

Un des traits caractéristiques du caméléon est la faculté qu’il possède de changer de couleur à volonté, et de passer ainsi inaperçu par ses ennemis. C’est pourquoi depuis longtemps déjà on compare au Caméléon, les hommes politiques sans scrupules qui n’hésitent pas à changer la couleur de leurs opinions pour s’attirer les sympathies et les faveurs du peuple.

La Fontaine disait : « Les Caméléons politiques abondent » et il n’avait pas tort. Malheureusement les hommes et plus particulièrement ceux qui appartiennent à la classe ouvrière, se laissent toujours séduire par les belles couleurs de la politique sans s’apercevoir que si celles-ci changent, les résultats restent toujours négatifs.

Une des autres qualités du Caméléon est de se gonfler d’air au point de doubler son diamètre. Encore une autre raison, de prêter son nom, aux ambitieux et aux hypocrites.

En résumé, si le Caméléon-animal est utile aux populations des pays qu’ils habitent, le Caméléon politique est un être nuisible qu’il faut combattre comme un fléau social.


CANAILLE. n. f. (de l’italien canaglia, troupe de chiens). On appelle canaille un ramassis de gens méprisables. La canaille est souvent aux honneurs. Depuis le banquier et le mercanti, jusqu’au politicien et au militaire, la canaille règne en maîtresse dans la société actuelle. De petite ou de grande envergure, suivant qu’elle a plus ou moins bien réussi, elle exploite et dupe de toutes les façons, la masse des travailleurs. Aucun scrupule ne l’embarrasse. Pour arriver à ses fins, pour assouvir sa soif d’argent ou de pouvoir, elle est prête à tous les crimes. Tous les moyens lui sont bons. Les accapareurs affameront le peuple pour arrondir leurs revenus et réaliser de scandaleux bénéfices. Les soudards galonnés enverront à la mort des milliers de jeunes garçons pour se tailler une sanglante gloire. Les politiciens feront de leur talent le plus vil commerce pour satisfaire leur ambition. Les prêtres exploiteront et monnayeront sans vergogne le besoin de mysticisme de l’homme. Et cette canaille opprimera le monde jusqu’au jour où les travailleurs, enfin conscients de leurs droits, se refuseront à être plus longtemps des instruments passifs de bourgeoisie. La canaille sera emportée par le flot régénérateur de la Révolution sociale.


CANDEUR. n. f. (du latin candor, blancheur éclatante). Ingénuité, confiance naïve. L’homme candide est sans défiance et accepte aveuglément ce qu’on lui dit. Si la candeur dénote une bonne nature, elle n’en est pas moins un défaut, car elle permet à une caste d’intrigants d’opérer impunément par le mensonge et la tartuferie. Le peuple est, hélas, affligé de beaucoup trop de candeur. Malgré qu’il ait été trompé mille et mille fois, il suffit qu’un charlatan se présente pour qu’il se laisse de nouveau berner. Il accepte comme argent comptant les promesses les plus fantaisistes et les déclarations de foi les plus suspectes. Rien ne décourage sa confiance tenace. Parfois une brève colère le fait se dresser quand il s’aperçoit qu’il vient d’être dupé, mais que, l’instant d’après, le même homme qui l’a trompé vienne lui donner de fallacieuses explications et voilà de nouveau le peuple prêt à écouter des boniments. Candeur : voter pour des politiciens de droite ou de gauche qui cherchent uniquement à satisfaire leur ambition. Candeur : accepter les discours de soi-disant « ministres de Dieu sur la terre ». Candeur : se figurer que les guerres ont pour objet de défendre la « patrie » alors que seuls sont en jeu des trusts ou des compétitions financières. Candeur : croire exactes des informations que publie une presse vendue aux puissances capitalistes. Candeur : considérer comme des actes de justice les jugements partiaux et criminels d’un tribunal ou d’un jury. Etc… Seule la candeur de la foule permet à certaines institutions de continuer leur besogne néfaste. Le jour où tous les hommes jugeront sainement, en pesant soigneusement les arguments, en examinant froidement les choses et les gens, ce jour-là ils se demanderont comment ils ont pu être les victimes de mensonges aussi grossiers. Leur candeur aura fait place à une raison saine et clairvoyante. Le règne des charlatans aura vécu.


CANDIDAT. (du latin : candidatus, blanc). L’origine du mot laisse supposer, qu’un candidat, qu’elle que soit la place, le titre, la fonction qu’il postule doit être « blanc » de toute souillure, vierge de tout reproche. Vulgarisé, le mot a dépassé sa valeur étymologique.

On s’inscrit comme candidat pour subir un examen, pour obtenir un diplôme, mais le mot candidat s’applique surtout aujourd’hui à celui qui se présente pour obtenir des électeurs un mandat politique, ou une charge publique : « candidat au Parlement, candidat au Conseil municipal, candidat au Conseil général, candidat au Conseil d’arrondissements, etc. ».

Pour tout homme raisonnable et logique, un candidat est un homme moralement discrédité ; car, pour obtenir de ses électeurs les suffrages qu’il réclame, il est obligé d’user d’intrigues et de bassesses. La corruption des candidats n’est pas nouvelle et certaines lois romaines du reste inopérantes, édictées cinq siècles, avant l’ère chrétienne prévoyaient des mesures pour assurer la loyauté des candidats et la propreté des élections. En étendant son champ d’action, la politique a également étendu son champ de corruption, et le candidat n’hésite pas à affirmer les monstruosités les plus invraisemblables, à employer la délation, la diffamation, le mensonge, pour abattre un adversaire, qui n’est du reste d’ordinaire pas plus intéressant que lui. Les procédés les plus ignominieux sont employés par le candidat pour assurer son succès. Il ne recule devant aucune promesse, même les plus ridicules, les plus irréalisables, pour s’attacher les faveurs de l’électeur sollicité et, si cela ne suffit pas, il ne répugne pas à acheter les consciences, de même qu’il est prêt à vendre la sienne.

Les exemples de candidats qui ont trahi sont innombrables et nombre de pays offrent un curieux assemblage d’hommes de toutes classes, qui, entrés dans la politique par la porte de gauche, se trouvent, quelques années plus tard, les plus farouches adversaires de la classe ouvrière. On se demande qui est le plus à blâmer : de l’électeur naïf et par trop crédule, ou du candidat retors et menteur. L’électeur est la cause dont le candidat est l’effet ; ce n’est que celui-ci qui peut supprimer celui-là. (Voir Électeur. Élection.)


CAPITAL. n. m. Dans les milieux ouvriers, on confond facilement « Capital » et « argent », bien que ce soient deux choses tout à fait différentes. L’argent n’est qu’un intermédiaire, en usage pour faciliter l’échange d’un produit contre un autre produit (voir Argent), alors que le capital est la source de toute la production du globe.

Sa définition pourrait être très brève : « Le capital est la matière inerte qui, soumise à l’influence du travail humain, prend contact avec la vie et donne naissance à toute la richesse sociale du monde », Dans le langage courant, le terme est employé différemment et sert à désigner l’ensemble des produits accumules, un somme d’argent destinée à une entreprise, le dépôt initial d’une banque ou le principal d’une rente ; mais, quelle que soit la signification qu’on lui donne, on peut dire que le travailleur est dépourvu de capital et que celui-ci est entièrement entre les mains des puissances capitalistes.

Même si l’on considère comme Capital la puissance de travail de l’homme, il faut immédiatement reconnaître que ce capital est improductif s’il n’a pas à sa disposition un champ d’expérience où il puisse s’exercer. On ne peut en effet concevoir le travail d’un laboureur qui n’aurait pas de terre à ensemencer ou celui d’un forgeron dépourvu d’acier ou de fer. Même dans le domaine intellectuel, le capital « pensée » est improductif s’il n’arrive pas à s’extérioriser et à se matérialiser. Or, tout le capital matière, le capital visible, palpable a été accaparé par une minorité qui, par la ruse et par le vol, s’est rendue maîtresse de toute la terre et de tous les moyens de production. Les outils, les machines, les banques, les journaux, les champs, sont la propriété d’une poignée de jouisseurs, et le travail manuel et intellectuel ne peut se dépenser qu’autant que les possesseurs du capital, consentent à livrer leurs richesses à l’exploitation, et ils ne la livrent qu’à l’unique condition, que le capital travail leur réserve la part du lion.

Il est évident, que si le travailleur, refusait de louer ou de livrer son capital, celui des possédants serait également improductif ; nous croyons donc juste et logique notre définition du capital, lorsque nous disons qu’il est le composé de la matière, de la pensée, de l’intelligence et du travail.

Malheureusement par la vitesse acquise, par la routine, par les siècles et les siècles d’asservissement qui se sont succédés, le travailleur, totalement dépourvu de capital matière,’est incapable de se refuser à vendre à vil prix sa force productrice. La nécessité brutale et quotidienne l’oblige, s’il veut manger, à travailler en cédant la moitié ou les trois quarts de son capital travail et c’est ce qui produit, le bénéfice de celui qui, l’exploite. Alors que les stocks accumulés permettent aux détenteurs du capital d’attendre durant les périodes de trouble des jours meilleurs, le producteur est contraint par la faim de livrer sa seule richesse à un prix réduit.

La détention du capital par une poignée de privilégiés est donc une source de misère et de souffrance pour les uns et de bien-être pour les autres. Pourtant non pas seulement au point de vue anarchiste, mais en respect de la logique la plus élémentaire, le capital ne doit appartenir à personne, mais à tous. Il est le travail de générations entières qui ont souffert et fait effort pour nous léguer cet immense héritage et personne ne peut dire : « Ceci est à moi ».

Kropotkine écrit :

« Science et industrie, savoir et application, découverte et réalisation pratique menant à de nouvelles découvertes, travail manuel ― pensée et œuvre des bras, ― tout se tient. Chaque découverte, chaque progrès, chaque augmentation de la richesse de l’humanité a son origine dans l’ensemble du travail manuel et cérébral du passé et du présent. Alors de quel droit quiconque pourrait-il s’approprier la moindre parcelle de cet immense tout et dire : Ceci est à moi, non à vous ? »

Certes, Kropotkine a raison, avec tous les Anarchistes. Il s’est trouvé pourtant, en dépit de toute raison, des hommes pour affirmer : « Ceci est à moi » et d’autres pour se laisser déposséder.

Il est donc facile à comprendre qu’une nation, une province, une contrée, une famille, un individu, ne sont pas riches par la somme d’argent qu’ils possèdent et qui ne représente qu’une faible partie de leur capital, mais surtout par l’étendue des domaines productifs et exploitables qu’ils ont acquis : terrains cultivables, voies ferrées, bateaux, immeubles, fabriques, usines, manufactures, magasins, comptoirs, etc…

Avant la guerre, la France était une des nations qui avaient le plus de capital argent, et cependant elle était loin d’atteindre l’Allemagne, l’Angleterre ou les États-Unis, au point de vue du développement industriel et commercial. La raison en est simple. C’est que la France était un pays de petits capitalistes, de petits paysans qui conservaient leur capital argent dans leur bas de laine, et le laissait improductif. (Voir : Capitalisation.) Le numéraire n’a qu’une valeur relative et représentative alors que le capital a une valeur réelle. Les États-Unis d’Amérique ne doivent pas leur prépondérance mondiale uniquement à la somme de dollars qu’ils détiennent mais surtout au capital qui est représenté par les mines, les exploitations agricoles, le machinisme, et surtout par le pétrole dont ils ont le monopole. L’Angleterre est puissante parce qu’elle contrôle 75 % de la production du caoutchouc, produit indispensable en notre siècle de l’automobile et de l’aviation. Voilà ce qu’est réellement le capital ; les travailleurs, eux, qui produisent toutes ces richesses, qui donnent leur sueur, qui vieillissent avant l’âge, sont la source de tout ce capital et se font même tuer pour le défendre alors que celui-ci ne profite qu’à quelques potentats avides, incapables de défendre leurs richesses pendant que le travailleur périt parfois de misère.

Les Anarchistes qui affirment ― et ils ne sont pas les seuls ― que l’on pourrait se passer d’argent, ne sont donc pas, comme on se plaît à le chanter, les adversaires du capital, c’est-à-dire de la richesse sociale. Mais ils s’élèvent contre la classe qui l’a accaparé, qui se l’est approprié, et qui entend le conserver et continuer à en tirer tous les profits. Les Anarchistes demandent que le Capital soit mis à la disposition de tous. Ils veulent : « Que ce riche outillage de production, péniblement obtenu, bâti, façonné, inventé par nos ancêtres, devienne propriété commune, afin que l’esprit collectif en tire le plus grand avantage pour tous. ― Il faut l’expropriation. L’aisance pour tous comme but, l’expropriation comme moyen » (P. Kropotkine).

Hélas ! nous savons trop que ceux qui détiennent la richesse sociale et sont les maîtres de l’ordre économique ne se laisseront pas déposséder de bon gré. C’est pourquoi les Anarchistes sont révolutionnaires, non pas pour détruire le Capital mais abolir le capitalisme. ― J. Chazoff.

LE CAPITAL. Titre de l’œuvre maîtresse du grand sociologue allemand Karl Marx, qui a développé dans ce formidable ouvrage toutes les variations, les transformations et l’orientation du capital. L’ouvrage de Marx n’est pas à la portée du travailleur. D’une lecture ardue et toute scientifique il s’adresse plutôt à l’école des philosophes qu’au manuel. Les disciples de Marx ont cependant vulgarisé son œuvre et certains résumés du capital, accessibles à tous les cerveaux, seront lus avec intérêt par la classe ouvrière.


CAPITALISATION. n. f. La capitalisation est l’action qui consiste à entasser du numéraire, de l’or, de l’argent, des billets de banque, ou à ajouter les bénéfices réalisés sur un capital quelconque à ce même capital.

Exemples : 1° Un paysan possède un terrain qui lui rapporte 1.000 francs par an. Il n’en dépense que 900 et conserve 100 francs dans son bas de laine. Il capitalise 100 francs par an ; 2° Un rentier a un capital X placé dans une banque, qui lui rapporte à raison de X % 1.000 francs de revenus annuellement. Il n’en dépense que 900 et ajoute à son capital X cette somme de 100 francs qui, à son tour, étendra ses intérêts. Il fait de la capitalisation ; 3° Un propriétaire possède une maison, dont la location lui rapporte annuellement une somme supérieure à celle qui est nécessaire à ses besoins. Au bout d’un certain nombre d’années, les bénéfices réalisés lui permettent d’acheter une autre maison. Il fait de la capitalisation.

Il y a donc plusieurs façons de capitaliser. En l’espèce le paysan fait de la capitalisation improductive, puisque son argent est retiré de la circulation et ne lui procure aucun bénéfice, alors que le rentier, le propriétaire ou l’industriel fait de la capitalisation productive. Naturellement plus l’individu capitalise, plus il peut capitaliser et plus il peut grossir ses revenus. Les bénéfices ajoutés au capital initial lui permettent d’étendre son domaine et de poursuivre son exploitation sur une plus grande échelle.

Quelle que soit la forme de capitalisation, elle est contraire à la saine morale et ne peut être réalisée que sur le travail d’autrui.

Supposons que notre paysan qui travaille seul son champ ait au bout de 10 années réussi à capitaliser 1.000 francs. Cette somme est absolument nulle et incapable de lui assurer un certain bien-être s’il cesse de travailler. Au contraire, qu’il achète avec cette somme capitalisée un autre champ et le fasse travailler par un ouvrier en se réservant une part de bénéfice, sa capitalisation lui sera utile et profitable, mais uniquement par le jeu de l’exploitation. Donc le profit sera de source impure.

Il en est de même de toutes les formes de capitalisation, et il est ridicule de dire que l’économie seule est source de richesse.

Un ouvrier travaillant 8, 9 ou 10 heures par jour, qui va, chaque semaine, porter quelques francs à la Caisse d’épargne, verra son avoir rapidement englouti si, par malheur, la maladie s’installe à son foyer ou s’il est entraîné dans un mouvement de grève. Et en admettant même l’impossible, que durant 25 ans il économise, en rognant sur le nécessaire, sur l’indispensable, qu’à force de privations, il réalise un petit capital, celui-ci ne lui permettra pas de vivre à l’heure où la fatigue et la vieillesse l’obligeront à abandonner son labeur. La capitalisation n’est rendue possible que par le travail accaparé de son semblable et est, en conséquence, néfaste à la société en général.

S’il est exact que selon la forte expression d’Anatole France, « Le militarisme crèvera d’obésité », la capitalisation, qui est une autre maladie des sociétés modernes, périra de la même mort, entraînant avec elle la fin du capitalisme.