Maurice Donnay
Dix-sept jours en Amérique
Revue des Deux Mondes7e période, tome 10 (p. 276-291).
DIX-SEPT JOURS EN AMÉRIQUE [1]


II. — DE PHILADELPHIE A BOSTON


Jeudi, 27 avril.

Il semble bien que notre mission soit terminée. Nous avons, Chevrillon et moi, parlé de Molière à la séance officielle de l’Académie américaine en l’honneur du troisième centenaire de la naissance de notre grand poète comique ; mais i M. Nichoas Murray Butler a désiré que nous visitions Philadelphie, Washington, Boston.

Nous avons donc quitté New-York ce matin pour nous rendre à Philadelphie avec arrêt à Princeton où nous devons visiter l’Université. Nous prenons le Pensylvania Railroad. Gare immense, plus haute qu’une cathédrale et dont toutes les dimensions dépassent les mesures auxquelles nous sommes accoutumés. Au sortir de New-York, après l’agglomération des sky-scrapers et des buildings, on est étonné et charmé de voir, disséminées dans la campagne, de petites maisons en bois simples et primitives ; par les vitres du wagon surchauffé, nous regardons la fraîche campagne. Vers onze heures, nous arrivons à Princeton-Junction. Le président, Mr Hibben, et M. le professeur Gauss nous attendent à la gare et nous conduisent en automobile à l’Université. De jolis bâtiments de bonnes proportions et de style agréable ; prairies, jeunes verdures, arbres en fleurs blancs, roses et jaunes ; une grande pièce d’eau, un vaste bassin creusé artificiellement et sur lequel les étudiants s’exercent en vue des régates inter-universitaires ; à son entrée à Princeton, l’étudiant doit se spécialiser dans l’aviron ou le foot-ball, de même qu’il se spécialise dans les mathématiques ou dans les lettres. Dans quel cadre sympathique se développent l’esprit et le corps de ces heureux jeunes gens ! Il fait, ce matin, le temps le plus charmant du monde et rien n’est plus riant, plus attrayant que l’aspect de cette Université.


O Jeunesse, printemps de la vie,
O Printemps, jeunesse de l’année.


Ici tout est disposé pour le sport et l’étude, pour les jeux et le travail : c’est l’harmonieuse application du célèbre : Mens sana in corpore sano avec peut-être un avantage pour corpus sanum. Le premier bâtiment que nous visitons, c’est le bâtiment de la gymnastique ; dans une première salle sont exposés les coupes et vases d’argent, palmes, drapeaux, prix remportés par Princeton dans les grandes épreuves inter-universitaires et dont l’Université s’enorgueillit ; nous entrons ensuite dans une vaste salle où sont disposés divers agrès ; un jeune homme aux jambes nues s’applique à lancer un gros ballon dans une sorte d’anneau (basket) suspendu à la galerie qui règne tout autour de la salle, à la hauteur d’un premier étage. Cela doit être assez difficile, car voilà une douzaine de fois que le jeune homme aux jambes nues lance le ballon sans parvenir à le faire passer dans le basket. Je pense alors au vieux lycée Louis-le-Grand où j’ai fait mes études, aux salles tristes qui, par des fenêtres grillagées, prenaient jour, si l’on peut dire, sur des cours sans arbres autour desquelles nous tournions pendant les récréations, toujours dans le même sens ! Je songe à la discipline sévère, mesquine, taquine.


O Jeunesse, printemps de la vie !


Il faut regretter qu’il n’y ait pas en France pour les jeunes hommes et les jeunes filles des Universités et des Collèges sur le modèle de Princeton, Yale, Harvard, Wellesley. De l’air, de la liberté, de la lumière ! Pas de contraintes stupides, pas de mesures vexatoires, un appel constant à la dignité, au self-contrôle, l’entrainement pour chacun à devenir le capitaine de son âme.

Dans une cour, sur une verte pelouse, un écriteau avec ce simple mot : Please. C’est bref, mais cela suffit. Ne marchez pas sur le gazon, cela se sous-entend. Quelle admirable langue que la langue anglaise ! Ah ! s’il suffisait de dire please, pour qu’on ne vous invite pas à parler en public, sans préparation !

Chevrillon et moi continuons d’avoir une véritable terreur du discours improvisé, terreur si caractérisée que, pour la signifier, elle vaut la peine qu’on crée un mot nouveau : la logophobie. On cite plusieurs exemples d’écrivains qui, devant des gens assemblés, éprouvent, quant à la parole, une véritable inhibition. Taine n’a jamais pu la surmonter ; il ne manquait pourtant pas d’idées générales, ni d’érudition ; mais le sentiment qu’il n’aurait pas, s’il en était besoin, le temps nécessaire pour choisir la phrase qui traduirait exactement sa pensée, le paralysait. Un de mes amis me racontait que, dernièrement, devant aller aux Etats-Unis et, sachant que dans ce pays on vous donne à chaque instant la parole sans s’inquiéter si vous avez le don de la parole, (et lui ne l’avait pas,) il s’était exercé plusieurs semaines avant son départ à improviser. Alors, à chaque repas, au dessert, sa femme lui proposait un sujet : « Parlez-nous d’Emerson, du change, d’Edgar Poë, du coton, des sky-scrapers. des Philippines, de la guerre de Sécession, des mandarines, etc. » Il avait fini par parler très convenablement sur n’importe quelle question ; mais arrivé aux Etats-Unis, dans les réunions où on l’avait prié de prendre la parole, le vertige l’avait repris. Affaire d’habitude, d’entraînement et, très jeune, on devrait apprendre à parler en public, comme on apprend à nager. Plus tard, il est trop tard. D’ailleurs, c’est à peine à regretter, car dans un toast, une allocution, il est bien rare qu’on dise des choses définitives et même approximatives ; au surplus, les auditeurs ne s’attendent pas à des choses définitives. Et je me rappelle encore qu’un soir, à Paris, à la fin d’un banquet, on voulait forcer un homme à parler ; il était visible qu’on le mettait dans le plus cruel embarras. Alors quelqu’un croyant venir à son secours lui cria du bout de la salle : « Dites quelque chose ! n’importe quoi ! » Oui, aux oreilles de bien des gens, il vaut mieux dire n’importe quoi que demeurer coi.

Tout en marchant, je développe ce thème pour M. le président Hibben et M. le professeur Gauss. J’ai comme un pressentiment, je prends mes précautions, je paraphrase le mot please ! Tous deux sourient, acquiescent ; mais en passant devant la porte d’un bâtiment, M. le président Hibben nous dit : « C’est le Nassau Hall où se tiennent nos grandes réunions, nous n’avons pas le temps de visiter avant déjeuner, » et il ajoute : « C’est ici que vous parlerez tantôt ! » Allons ! le sort en est jeté.

Après un excellent déjeuner à la maison du président avec les professeurs de Princeton, nous avons donc parlé à Nassau-Hall. Une grande salle rectangulaire, éclairée par de hautes fenêtres ; au fond de la salle, une estrade sur laquelle ont pris place Mr Hibben, Mr Sloane, Chevrillon et moi. Sur les côtés de la salle, des gradins sur lesquels se sont assis les professeurs en robe et bonnet carré. Le président a fait un discours en anglais ; j’ai attrapé quelques mots au passage, entre autres mon nom, celui de Molière, French Academy, etc. Comme j’avais tout lieu de penser que Mr Hibben ne m’avait pas dit de choses désagréables, je l’ai remercié ; puis j’ai parlé à bâtons rompus de Molière, de l’Académie française, de l’art dramatique, de l’amitié entre la France et l’Amérique. Chevrillon a parlé en anglais, Mr Sloane a parlé en anglais. Puis la séance a été levée. Dans le vestibule, à côté de la porte, nous lisons des noms sur une grande plaque de marbre ; ce sont les noms des élèves de Princeton qui ont été tués pendant la guerre. Cette plaque commémorative, on nous l’avait bien signalée en entrant, en passant, mais ni Chevrillon ni moi n’y avons fait allusion. Des orateurs plus entraînés en auraient profité, en auraient tiré un parti émouvant, une péroraison reconnaissante. Et nous regrettons de n’y avoir point pensé ; mais il est trop tard.

Un automobile nous attend et accompagnés par deux jeunes professeurs qui parlent très bien français et dont l’un d’ailleurs est un compatriote, nous roulons vers Philadelphie. En traversant une ville où il y a beaucoup d’Israélites, d’Italiens, et de nègres, nous apercevons un Indien sur un trottoir, un véritable Indien. Il n’y en a plus beaucoup, et pour un que nous rencontrons, nous ne nous arrêtons pas pour le regarder ! Quel dommage ! Tout le long de la route nous voyons les petites maisons de style colonial si plaisantes avec leur véranda. A un moment nous empruntons la grande route dure, noire et luisante, route d’automobiles qui va de New-York à San-Francisco et vers six heures, par une avenue qui a trois fois la largeur de nos Champs-Elysées, nous arrivons à Philadelphie.

Nous descendons d’abord chez Mr Owen Whister, le célèbre auteur de Pentecost of Calamity. Mr Owen Whister est de ceux qui pensent que la guerre a fini trop tôt. Dans la préface qu’il a écrite pour le livre de Chevrillon, les Américains à Brest, il termine par ces mots : « L’armistice vint et pour la grande majorité de nos boys ce fut une immense déception. On les arrêtait dans leur entreprise, ils se sentaient dupés. Au fond de leur cœur, ils savaient bien que leur tâche n’était pas accomplie. Travail, femmes, enfants, ils avaient tout quitté pour une terre étrangère à 3 000 milles de chez eux (et souvent c’était presque le double), ils allaient mener l’entreprise jusqu’au bout et, sur le seuil de l’accomplissement, la besogne leur était tout à coup retirée. Plus que tout c’est cette déception, c’est cette sensation du brusque arrêt en plein élan de dévouement qui se traduit sous leur grondante réponse, quand on leur demande s’ils accepteraient de retourner en France pour une guerre : « Plus jamais ! »

Mais l’auteur ajoute : « Mais nous savons bien qu’ils repartiraient ! »

Cette note-là nous l’avons entendue plus d’une fois depuis notre arrivée aux Etats-Unis. Qu’il y ait eu dans ce pays la déception de n’avoir pu donner toute sa mesure, c’est vraisemblable. Quand on est décidé à faire un sacrifice, on en veut aux circonstances qui n’ont pas permis de faire ce sacrifice entier. L’élan pour une juste cause est un mouvement si beau qu’on garde au fond du cœur un sourd regret, une rancune obscure d’avoir été arrêté dans cet élan. Cela pourrait expliquer chez le peuple américain un certain désintéressement, pour ne pas dire plus, de la politique française et du problème des réparations. Qu’une presse malveillante profite de ce désintéressement pour poursuivre une campagne tendancieuse, cela n’a rien de surprenant. De tels sentiments, nous ne les avons pas constatés dans les milieux où nous avons été reçus. A Philadelphie comme à New-York, nous n’avons vu que des amis de la France. Le soir de notre arrivée ici, nous avons dîné chez Mme Marcoë qui est venue à Paris pendant la guerre et a fait preuve d’un dévouement et d’une générosité admirables. Pour nous fêter, cette aimable femme avait fait sortir de sa cave les vieilles bouteilles, es dernières ! Car, depuis la prohibition, dans les maisons loyalement américaines, on n’achète plus de vins. Déjà à New-York, chez l’excellent Mr Sloane, on nous avait servi les dernières bouteilles d’un bourgogne vénérable. Ainsi, tout le long de notre voyage, dans diverses maisons, nous bûmes les dernières bouteilles, ou plutôt les avant-dernières, pour ne pas décourager les Français qui viendront après nous.


Vendredi, 28 avril.

Je suis l’hôte de Mr Mac Faden, qui me reçoit dans sa maison de campagne à vingt kilomètres de Philadelphie. Mr Mac Faden est un des rois du coton. Depuis trois mois, il travaille tellement que son médecin lui a ordonné... une journée de repos ! Ce matin, Mme Mac Faden m’a fait faire le tour du propriétaire ; elle a fait construire dans son parc un élégant bâtiment et désire savoir s’il est bien dans le style d’une ferme française. Elle me demande, si elle fait des fautes de français, de les lui signaler ; elle me le demande avec une insistance qui prouve qu’elle sait bien qu’elle n’en fait pas. Elle a trois enfants, deux filles et un garçon, sous la garde d’une institutrice française. Elle me dit : « J’ai pris un arrangement avec mon petit garçon ; je dois l’embrasser cinquante fois par jour et si, un jour, je ne l’ai embrassé que vingt-cinq fois parce que j’étais occupée, alors, le lendemain, je dois l’embrasser soixante-quinze fois. »

L’après-midi, nous avons visité le collège de Bryn Mawr. Rien ne peut donner une idée de la fraîcheur, de la grâce, de l’élégance, du confort de ce collège de jeunes filles. Là encore tout est disposé pour l’étude et les jeux. De grands bâtiments, des salles claires. Chaque étudiante a sa chambre qu’elle arrange à sa guise ; des fleurs partout. Dans la bibliothèque, une jeune fille studieuse plongée dans la lecture ne lève même pas les yeux quand nous passons près d’elle avec ses compagnes. Elle a attaché à sa chaise un écriteau avec une indication de ce genre : « Laissez-moi tranquille, ne me dérangez pas. » Elle aurait pu écrire plus simplement : « Please ». Et on la laisse tranquille ; on ne la dérange pas. Nous rencontrons là quelques Françaises ; entre autres une ancienne élève de Sèvres, qui me fait une scène à cause d’un personnage des Éclaireuses que les Sévriennes n’ont pas aimé. Les jeunes filles de Bryn Mawr vont jouer dans quelques jours les Précieuses ridicules. Je cause avec une miss blonde, charmante, qui doit remplir le rôle de Gorgibus. Toutes sont gaies, bien portantes, heureuses. On a l’impression qu’elles vivent là un temps, dont le souvenir parfumera leur existence.

Dîné à Philadelphie, dans un des plus anciens cercles de la ville. Dîner d’hommes. On raconte des histoires ; en anglais, malheureusement. Pourtant Mr Owen Whister a raconté celle-ci en français. « Un soir, à la fin d’un banquet littéraire, Marc Twain, le célèbre humoriste, fut invité à prononcer quelques paroles sur la littérature en général. Marc Twain se leva, prit un air sombre et dit : Ce n’est pas un sujet très gai que vous me demandez de traiter là... car je pense qu’Homère est mort !... Virgile aussi est mort !.. et Dante et Shakespeare et Gœthe !.. et moi-même, ce soir, je ne me sens pas très bien. » Et il se rassit.


Samedi, 29 avril.

Ce matin, Mlle Mac Faden a demandé à l’aînée de ses filles de me réciter une fable de La Fontaine : Le Loup et l’Agneau. La petite (déjà grande) récite avec beaucoup d’intelligence, des nuances justes, des intonations amusantes et juste ce qu’il faut d’accent pour donner un accent nouveau à une fable si connue. Elle prend tour à tour la voix du loup et de l’agneau, c’est-à-dire la voix qu’on imagine que l’agneau et le loup prendraient s’ils récitaient une fable de La Fontaine qui serait précisément Le Loup et l’Agneau. Elle met admirablement en scène cette petite scène ; le loup est à gauche, cela ne fait pas de doute ; l’agneau est à droite ; l’onde pure au milieu. — « Tu la troubles ! reprit cette bête cruelle. » — Querelle de loup, querelle d’Allemand ! Cette jeune Américaine, dans cette fable de chez nous, fait entendre une vérité éternelle ; à 3 000 milles de Château-Thierry, et plus de deux cents ans après la mort du Bonhomme, tout cela est charmant et très émouvant, et j’ai remercié de tout mon cœur la gentille diseuse.

Puis nous sommes allés visiter les fameuses collections de Mr Joseph Widener. Mais, pour bien les voir, il faudrait plus d’une journée et nous restons une heure ! Il nous faut rentrer en ville où nous déjeunons chez des amis d’Owen Whister, et à trois heures nous prenons le train pour Washington.

On respire, c’est une façon de parler, car il fait horriblement chaud dans le Pullmann, et pour faire ouvrir une fenêtre, c’est toute une histoire. L’infortuné voyageur, même s’il étouffe, n’est pas le maître de régler lui-même la ventilation. Il faut appeler l’homme préposé à la surveillance du wagon et qui ne vous dispense que la quantité d’air qu’il juge nécessaire. Je ne sais pas comment les libres citoyens des États-Unis peuvent supporter cette sujétion et cette température. D’ailleurs je vois autour de moi beaucoup de visages congestionnés. Donc on respire mal ; mais, après des journées si remplies, c’est un repos de voir se dérouler des paysages. On peut penser à ce qu’on veut ; parfois on côtoie la mer et on peut rêver.

Arrivée à Washington à six heures. Le secrétaire de l’ambassade nous attend à la gare et nous conduit à Shoreham-Hôtel où nos appartements sont retenus. Chambres surchauffées ; dehors, il fait un temps d’été et, depuis les derniers occupants, les fenêtres n’ont pas été ouvertes. Alors les radiateurs semblaient déchaînés ! C’est étonnant la quantité et la qualité de chaleur que les Américains peuvent supporter. A huit heures, nos malles ne sont pas encore arrivées, et nous devons dîner ce soir chez l’ambassadeur de France ! Comment faire ? Chevrillon téléphone à l’ambassade. M. Jusserand fait répondre : « Ça ne fait rien, venez comme vous êtes. » Et nous arrivons en veston, au milieu de messieurs en habit et de dames en robe décolletée.

Ainsi, Franklin autrefois venait à Versailles et surprenait les dames et les seigneurs de la cour par la simplicité de ses vêtements. Mais, ce soir, personne à l’ambassade n’est étonné.


Dimanche, 30 avril.

J’ai écrit quelques lettres ce matin. Jusqu’ici je n’avais guère eu le temps ; et cette occupation m’a rappelé un conseil que j’avais lu, il y a quelques années, dans je ne sais quel guide pour l’Italie et qui avait fait ma joie. C’était dans un chapitre intitulé : « Quatre jours à Venise. » L’auteur du guide proposait un emploi du temps très strict et on pouvait lire cette phrase : « Le troisième jour, faire sa correspondance ! » J’ai fait ma correspondance. Après déjeuner, la voiture de M. Jusserand vient nous chercher et nous promène à travers la ville. Il fait un temps splendide. Villas entourées de jardins, larges avenues plantées de beaux arbres, squares nombreux où se dressent des statues d’hommes illustres, noble capitole de style corinthien, maisons de proportions européennes, Washington est une très jolie ville. On sait que le plan de la capitale des États-Unis a été dessiné par notre compatriote Charles Lenfant, volontaire de la guerre de l’Indépendance. Le musée indien nous a enchantés ; dans de grandes cages de verre on voit des personnages en cire qui représentent des scènes de la vie indienne. Rien n’est plus instructif et Chevrillon et moi nous sommes tout à fait heureux Enfin ! nous voyons quelque chose.

Mais nous ne pouvons pas, hélas ! nous attarder ; nous voulons encore visiter le jardin zoologique et nous devons prendre le thé à cinq heures chez le ministre de Suisse. On nous avait promis qu’au jardin zoologique nous verrions les buffles, les derniers buffles ! Mais nous ne les avons pas vus. Au fond du vaste enclos qui leur est réservé et dont ils ont labouré de leurs durs sabots la terre où l’herbe ne pousse plus, nous apercevons vaguement sous un hangar des masses informes. Pas de chance : les buffles sont couchés, comme les coccinelles de la romance ; nous nous consolons en allant visiter les tigres et les ours. Ah ! la charmante chose qu’un jardin zoologique. Et puis nous sommes si contents d’avoir quelques moments de liberté, de plein air, de flânerie ! Tout nous intéresse : les animaux et les promeneurs ; population endimanchée mais qui donne l’impression de gens qui gagnent bien leur vie.

Nous avons pris le thé chez le ministre de Suisse ; nous avons diné chez Mr David Jayne Hill, qui fut ambassadeur des Etats-Unis à Berlin pendant la guerre et dont on connaît les sentiments francophiles. On était à table depuis un quart d’heure à peine, lorsque Mr David Jayne Hill s’est levé, a prononcé quelques paroles très émouvantes et a demandé aux convives de donner une pensée aux soldats américains qui étaient morts pour la France. M. Jusserand lui a répondu, et le dîner a repris son cours. J’imagine que cette simple cérémonie correspondait bien aux vœux du poète américain Alan Seeger, engagé dans la Légion, tombé le 4 juillet, à Belloye, et qui sous ce titre : Champagne 1914-1915, écrivait ces vers que le poète André Rivoire a traduits :


Plutôt que les honneurs d’une foule empressée.
Ce qu’ils réclament c’est, aux soirs insoucieux,
Dans le bruit des repas de fête, une pensée
Et l’hommage attendri d’un toast silencieux...
Buvez !.. Dans le vin d’or où passe un reflet rose,
Laissez plus longuement vos lèvres se poser
En pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,
Et ce sera pour eux comme un pieux baiser.


Lundi, 1er mai.

Ce matin à dix heures, M. Jusserand vient nous prendre à l’hôtel pour nous conduire à la Maison-Blanche où nous sommes reçus par le Président Harding. Cela s’est passé de la façon la moins cérémonieuse du monde. Sans traverser une longue enfilade de pièces, on arrive pour ainsi dire de plain-pied dans le cabinet du Président, une salle en rotonde, dont les fenêtres donnent sur un jardin, sans tableaux aux murs et sans vaine décoration. Mr Harding et M. Jusserand ont parlé en anglais ; Chevrillon a écouté et compris ; j’ai écouté et je n’ai pas compris. Mr Harding est un homme grand, bâti en force ; la tête est puissante, anglo-romaine si l’on peut dire, et les traits sont beaux, énergiques avec un grand air de bonté, d’humanité. D’ailleurs il est en train de raconter à notre ambassadeur (je l’ai su depuis) qu’il n’aime pas la chasse et que cela lui est désagréable de tuer des bêtes. Nous sommes restés un quart d’heure à écouter parler Mr Harding et M. Jusserand. Puis le Président s’est levé ; et nous avons pris congé.

Déjeuner chez l’ambassadeur de Belgique. Une dame me demande de lui nommer les auteurs nouveaux. Notre jeune littérature l’intéresse vivement. Beaucoup de femmes ici ont lu Batouala. Après déjeuner, nous étions invités à visiter la Bibliothèque Nationale, mais j’ai laissé mon ami Chevrillon y aller tout seul. J’ai un désir irrésistible de me promener, d’errer dans les rues, de lire les noms des hommes de bronze qui se dressent au milieu des squares, anciens présidents, héros des guerres d’Indépendance et de Sécession, Jackson, La Fayette, Rochambeau, Farragut, etc.. Je m’assieds à l’extrémité d’un square d’où je peux surveiller trois ou quatre rues. Un petit nègre tout de rouge habillé et coiffé d’un chapeau de haute forme rouge, conduit un tout petit automobile rouge également, et dans lequel il est assis à un pied du sol. Ce jouet vivant est une réclame pour un fleuriste. Les trottoirs, la chaussée sont si roulants que les petits vendeurs de journaux parcourent la ville sur des patins à roulettes. Des jeunes femmes passent à cheval ; elles montent à califourchon ; elles sont tête nue ; mais pour déjeuner chez elles, je suis sûr qu’elles doivent mettre un chapeau. Beaucoup d’automobiles ; beaucoup de femmes au volant ; parfois, c’est une daine d’un certain âge et d’un certain embonpoint ; parfois c’est une vieille demoiselle à lunettes et cela surprend l’Européen. Les dernières statistiques établissent qu’il y a aux États-Unis un automobile pour sept habitants ; cela fait pour l’Union environ quinze millions de voitures. Il n’est donc pas étonnant que les femmes se soient mises à conduire. Un grand nombre d’ouvriers vont à l’usine dans leur automobile, comme les nôtres y vont à bicyclette. Je vois aussi beaucoup de nègres : je sais qu’il y a aux Etats-Unis une question nègre assez préoccupante ; je n’ai pas qualité pour la résoudre ; mais au point de vue du pittoresque, il est incontestable que ces hommes de couleur donnent de la couleur à la ville. Il y a aussi beaucoup de soldats, et je revois avec plaisir les uniformes kaki, les figures roses et rasées sous la casquette plate. Ces soldats, ces officiers, il me semble que je les connais, que je les reconnais. Ces deux grands garçons qui passent là ce sont peut-être les mêmes que j’ai vus jouer à la balle au milieu des Champs-Elysées, quand un gardien de la paix (quel dommage !) est venu interrompre, gentiment d’ailleurs, leur partie. Et cet autre, c’est peut-être celui que j’ai vu le jour de l’armistice, avenue de l’Opéra, embrasser sur les deux joues une jeune femme qui était au bras de son mari : et celui-ci prenait le parti de sourire. Ah ! le sourire indulgent de l’allié ! Mais que vouliez-vous qu’il fit contre dix mille ? Qu’il sourit ! Chers boys, c’est grâce à vous que tant de petites femmes de chez nous ont appris un peu d’anglais, juste ce qui est nécessaire à des transactions sommairement sentimentales. Mais c’était la guerre et le lendemain vous partiez pour l’Argonne.

Nous avons dîné chez M. Bliss, secrétaire d’Etat. Mme Bliss, très américaine, mais aussi très parisienne, me dit que les Français ne voyagent pas assez ; je suis absolument de son avis.


Mardi, 2 mai.

Déjeuner dans l’intimité à l’Ambassade française. Notre ambassadeur, M. Jusserand, est un homme très aimable ; il a organisé notre séjour à Washington de façon que nous ayons quelques heures de liberté et il a écarté de nous, avec la plus gentille sollicitude, les discours et les toasts ; je lui en ai une grande reconnaissance. M. Jusserand est très aimé ici et il aime beaucoup les Américains ; il les connaît, il les comprend. Il sait tout ce qu’ils ont fait pendant la guerre ; il m’a cité des traits de générosité, de sacrifice, de dévouement admirables ; et quand il en parle, on le sent très ému. Après déjeuner, M. et Mme Jusserand nous ont emmenés à Mount Vernon visiter la maison de Washington, en Virginie, aux bords du Potomac. Ce fut une charmante journée : printemps virginien, prairies en fleurs, bois où le dog-wood met ses étoiles blanches, petites maisons à véranda aux couleurs vives, et dans la campagne des nègres travaillant à la terre, tout cela me rappelait les romans qui ont enivré mon enfance. Mount Vernon est un lieu de pèlerinage pour les Américains. Les bateaux qui montent ou descendent le Potomac ne manquent jamais à saluer la maison de Washington et il existe une Mount Vernon Ladies Association qui veille sur cette maison historique. Les Américains regrettent parfois de n’avoir pas de passé, j’entends un passé relatif, ou, plutôt, de n’avoir pas d’ancienneté ; car on a toujours un passé absolu et, d’ancêtre en ancêtre, tout homme descend du premier homme. Mais, dans le domaine du relatif, ce n’est déjà pas rien que de savoir, comme la dame de New-York, que son aïeul s’est jeté à la mer dans un tonneau, après la Révocation de l’Edit de Nantes. Il est vrai qu’au regard des vieilles nations d’Europe, les Etats-Unis sont une jeune nation ; mais de la guerre de l’Indépendance à la dernière guerre, n’ont-ils pas une belle histoire ? Peu importe que leur passé ne s’étende encore que sur quelque cent cinquante ans : l’essentiel c’est qu’il se soit passé quelque chose dans ce passé et qu’on le sache. A ce point de vue, les Américains ne demandent pas le secret. A Washington, dans chaque square un grand homme vous parle de leur passé.

Grand dîner ce soir, à l’Ambassade française.


Mercredi, 3 mai.

A huit heures quinze du matin, départ de Washington Journée de repos dans le Pullmann surchauffé ! Nous remontons vers le Nord ; en passant par Baltimore, Philadelphie, New-York, New-Haven, Providence.

Le soir, à neuf heures, nous arrivons à Boston. Mr Grant, juge et romancier, membre de l’Académie américaine, nous attend à la gare, accompagné par le consul de France. Ces messieurs nous font un accueil empressé et nous conduisent au Copley-Plaza, où un appartement surchauffé (mais ce n’est pas leur faute !) nous est réservé. Nous montons dans nos chambres et nous causons avec Mr Grant qui nous remet à chacun le programme suivant que je copie textuellement.


ENGAGEMENTS
Thursday, May 4 th.

Forenoon. Sight-seeing, Boston and Cambridge.
1,30 Luncheon with Président Lowel, Quincy St., Cambridge.
4,30-6 Tea at Mis Bayard Thayer’s, 83, Beacon St.
7 Dinner wilh American Academy of Arts and Letters, at Somerset Club, 42, Beacon St.
9-11 Reception by Trustees of Museum of Fine Arts, Huntington Avenue.

Friday, May 5th.

Forenoon. Sight-seeing.
1,30 Luncheon with Mr et Mrs R. S. Codman, 59, Malborough St.
4 Réunion conjointe, Alliance Française, Salon Français de Boston, at Hotel Somerset, Commonwealth Avenue.
7,30 Dinner with officers of Alliance Française and Salon Français at Union Club, Park St.

Saturday, May 6th.

Forenoon. Visit to « Palace » of Mr John L. Gardner,
1 Luncheon with Mr William K. Richardson, 306, Beacon St.
5 Tea with Miss Rose L. Dexter, 400, Beacon St.
8 Dinner with Judge and Mrs Robert Grant, 211, Bay State Road.


Je ne sais pas un mot d’anglais et j’ai tout compris : je n’ai pas très bien vu New-York, je n’ai pas vu du tout Philadelphie, je verrai très mal Boston ! En outre, il pleut... sur la ville comme dans mon cœur. Ce programme nous l’avons rempli, mais il nous a vidés. Il fallait aller très vite : une heure pour visiter la Bibliothèque et admirer les belles décorations de Puvis de Chavannes et de John Sargent ; une heure pour visiter les artistiques collections de Mrs Gardner, la merveilleuse cour à l’intérieur du building qui renferme ces collections, cour vénitienne aux murs recouverts de marbre rose, sur une hauteur de cinq étages ; deux heures à peine pour visiter la library de Harvard, la plus ancienne Université américaine. Le reste du temps a été pris par les réceptions, déjeuners, thés, et, partout, chez le Président Lowel comme chez Mrs Thayer’s, chez Mr et Mrs Codman comme chez M. Richardson, l’accueil fut charmant, cordial. Et Mr Robert Grant nous accompagnait partout avec une abnégation parfaite et rien ne peut égaler l’amabilité et la bonté de Mrs Wendell qui avait mis sa voiture à notre disposition. Elle est la veuve de M. Wendell, qui a écrit un très beau livre sur la France. Nous avons rempli le programme, sauf, pour être exact, le sight-seeing du vendredi 5 mai. Comme nous devions parler l’après-midi à la Réunion conjointe et que nous déjeunions en ville, nous avons demandé qu’on voulût bien nous laisser notre matinée, car nous voulions penser un peu à ce que nous allions dire. C’était assez embarrassant : à Washington, M. Jusserand nous avait conseillé, si on nous demandait de parler à Boston, de ne pas toucher à la politique et de leur parler de ce que nous connaissions : Chevrillon de la littérature anglaise et moi de Molière. Mais ici on nous dit à peu près : « Molière et la littérature anglaise, ça nous est égal ; parlez-nous de la France, de la Conférence de Gênes. » Mais avons-nous qualité pour cela ? Et puis que se passe-t-il à la Conférence de Gênes ? Nous n’en savons rien. Elle commençait quand nous avons quitté Paris ; pendant la traversée, nous n’avons connu que quelques radios donnés par le journal du bord et, depuis que nous sommes ici, nous n’avons guère eu le temps de lire les journaux.

Alors nous ne pouvons que répéter ce que tout Français sait et comprend : que la France n’est pas impérialiste, ni militariste ; qu’elle n’avait pas voulu la guerre ; qu’après 1871, pendant quarante ans, elle avait été l’objet de menaces et de vexations continuelles et dans la situation d’un homme à qui un lourd voisin constamment montrerait le poing ou marcherait sur les pieds ; qu’elle avait fait preuve d’une patience incroyable ; qu’à l’automne de 1918, obéissant à des suggestions d’humanité, après la défaite de l’ennemi, elle n’avait pas porté chez lui les représailles pour tous les maux qu’elle avait soufferts, meurtres, incendies, vols, viols, pillages, populations emmenées en captivité, enfants séparés de leurs mères ; mais qu’elle avait arrêté le combat parce, que toujours idéaliste, elle croyait à la Société des Nations, à l’extinction des guerres ; qu’elle s’était battue pour que cette guerre fût la dernière ; qu’elle avait vu dix de ses départements envahis ; et que, cependant, depuis le Traité de Versailles, quand il s’est agi des réparations, elle était allée de conférence en conférence et de concession en concession ; et qu’on frémit à la pensée de ce qu’auraient été les exigences des Allemands s’ils avaient été vainqueurs ; que, d’ailleurs, on connaissait leurs desseins ; et qu’enfin, pour que le symbole fût complet, il aurait fallu prendre au Louvre, pour la transporter sous l’Arc de Triomphe, à côté de la tombe du Soldat Inconnu, la victoire de Samothrace, victoire aux ailes éployées mais acéphale, victoire mutilée. Mais ces choses il faudrait les dire en anglais, non pas dans deux ou trois villes, mais dans toutes les villes ; et non pas devant des « Alliances françaises, » devant des auditoires sympathiques avertis et d’avance acquis, mais devant des auditoires qu’il s’agirait de renseigner et de convaincre.


Mercredi, 10 mai.

Nous avons quitté Boston depuis dimanche matin ; nous sommes à New-York depuis dimanche soir. Courses, visites, déjeuners, dîners, réception de l’Alliance française. Aujourd’hui c’est le départ. Le consul de France, M. Liébert, vient me chercher à l’hôtel pour m’accompagner au dock de la Compagnie Transatlantique. Chevrillon reste ici encore quelques jours pour voir New-York. Le bateau qui m’emmène est la France. — Venu sur le Paris, je repars sur la France. — C’est un beau vers ! Six heures, nous sommes en route. Lentement, l’énorme bateau descend l’Hudson. C’est la fin d’un beau jour. Il y a dans le ciel et sur l’eau des teintes d’une délicatesse infinie. Je retrouve à bord M. le professeur de Lapersonne, qui est venu avec moi sur le Paris pour le Congrès d’ophtalmologie. Il est enchanté des réceptions qui lui ont été faites à Montréal et à Washington.

Nous regardons New-York, cette effrayante agglomération de maisons de toutes les hauteurs, cette architecture anarchique, les masses cubiques avec leurs fenêtres carrées sans ornements. Ville fantastique, monstrueuse, et qui, ne pouvant plus s’étendre en longueur, s’étend en hauteur, envahit le ciel ! Heureusement qu’il y a dans les campagnes les petites maisons en bois, les petites maisons à véranda, aux couleurs claires. Nous passons devant la statue de la Liberté... la ville s’efface dans une brume rose et mauve... Le fleuve devient plus large. Les cloches des bouées qui jalonnent le chenal sonnent dans le crépuscule, comme um glas. Nous voilà dans la pleine mer. Quelqu’un dit derrière moi : « Quelles sont vos impressions sur l’Amérique ? » Je ne suis pas resté assez longtemps... Dix-sept jours ! Mes impressions, c’est une suite de visions qui ont passé avec une grande rapidité. Taine a dit que pour l’observateur qui visite un pays étranger, les trois premières semaines sont les plus fructueuses. Cela doit être vrai, puisque Taine l’a dit, mais pour l’observateur libre, indépendant, maître de son temps. Et puis, si l’on va aux Etats-Unis, et même si on n’y va pas, il faut savoir l’anglais. Il faut s’entraîner à parler en public, à improviser, c’est ici le pays du speech, du toast, de l’allocution et du discours. Voilà deux impressions très nettes. Une troisième impression c’est que les deux peuples ne se connaissent pas, ne se pénètrent pas, ne se comprennent pas. Qu’il s’agisse de littérature, de théâtre, de politique, la vérité est que l’on ne se connaît pas. Il n’est plus question de découvrir l’Amérique, mais les Américains. Eux aussi devraient chercher à nous découvrir, bien que nous soyons un très vieux peuple, et quels beaux échanges nous pourrions faire de peuple à peuple ! Je ne parle pas du coton, du pétrole, contre des tableaux anciens et des objets d’art ; mais nous pourrions prendre chez eux des leçons d’activité, d’énergie, de volonté, de vitesse, de hardiesse ; chez nous ils pourraient prendre des leçons de proportions, de mesure, de réflexion : ce qu’on gagne en industrie on le perd en art, et ce qu’on gagne en activité, on le perd en pensée. Mais quelle vie celle dont une part serait consacrée à l’action, l’autre à la méditation ! Oui, quels beaux échanges on pourrait faire !


Mercredi, 17 mai.

Quatrième impression : nous sommes un peuple pauvre. Ce soir, en arrivant par le train transatlantique à la gare Saint-Lazare, j’ai appelé un porteur pour prendre ma valise. Mais un camarade lui a crié : « Laisse donc ça... c’est un Français ! » Et le porteur a couru vers les Américains !


MAURICE DONNAT.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.