Discours sur la première décade de Tite-Live/Livre premier/Chapitre 56

Livre premier
Traduction par Jean Vincent Périès.
Discours sur la première décade de Tite-Live, Texte établi par Ch. LouandreCharpentier (p. 278-280).



CHAPITRE LVI.


Les grands changements qui arrivent dans une cité ou dans une province sont toujours précédés de signes qui les annoncent ou d’hommes qui les prédisent.


Je ne sais d’où cela provient, mais on voit, par les exemples tirés des temps anciens et des modernes, qu’il n’arrive jamais, dans une cité ou un pays, un événement important qui n’ait été prédit, ou par des devins, ou par des révélations, ou par des prodiges, ou par d’autres signes célestes. Pour ne point nous éloigner de chez nous, chacun ne sait-il pas que l’arrivée du roi de France Charles VIII en Italie avait été prédite depuis longtemps par le frère Jérôme Savonarola, et le bruit ne se répandit-il pas en outre, dans toute la Toscane, qu’on avait entendu dans les airs et vu au-dessus d’Arezzo deux armées qui combattaient ensemble ?

Personne n’ignore également que quelque temps avant la mort de Laurent de Médicis l’ancien, l’église du Dôme fut frappée à son sommet le plus élevé d’un coup de tonnerre qui endommagea considérablement cet édifice. Chacun sait encore que, peu de temps avant que Pierre Soderini, nommé par le peuple de Florence gonfalonier à vie, eût été chassé et dépouillé de sa dignité, le tonnerre avait également frappé le palais. Je pourrais rapporter une foule d’autres exemples semblables, je les laisse de côté pour ne point fatiguer mes lecteurs. Je raconterai seulement ce que Tite-Live dit qui eut lieu avant l’arrivée des Gaulois à Rome. Un certain Marcus Seditius, plébéien, vint rapporter au sénat que, passant au milieu de la nuit dans la rue Neuve, il avait entendu une voix plus qu’humaine, qui lui ordonnait d’annoncer aux magistrats que les Gaulois marchaient sur Rome. Je crois que, pour expliquer la cause de ces prodiges, il faudrait un homme qui eût des choses naturelles et surnaturelles une connaissance que nous ne possédons point. Il pourrait se faire cependant que les airs, suivant l’opinion de quelques philosophes, soient remplis d’intelligences célestes, qui, par leur nature, connaissent l’avenir, et qui, touchées de pitié pour les hommes, les avertissent par de tels pronostics, afin qu’ils puissent se préparer à la défense. Quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins vrai que, toujours après de semblables prodiges, les empires ont éprouvé des révolutions extraordinaires et inattendues.