Dictionnaire pratique et historique de la musique/Basse
Basse, n. f. 1. La plus grave et la plus étendue des voix d’hommes. Les variétés qu’elle présente ont été classées sous divers noms : la B. profonde, autrefois nommée Basse-contre, située du ré ou du mi au-dessous de la portée, en clef de fa, au sol ou au si, une douzième plus haut ; Levasseur, pour qui Meyerbeer écrivit les rôles de Bertram, dans Robert le Diable (1831), et de Marcel, dans Les Huguenots (1836), descendait au mi bémol au-dessous des lignes et montait au fa dièse au-dessus. Un air de Hændel, chanté par Boschi dans Acis et Galatée (1708), dépasse encore cette étendue :
On trouve en Russie des chanteurs dont la voix, descendant au contre-fa, donne aux chœurs religieux et populaires une puissance et un coloris singuliers. — La B. chantante, dite autrefois Basse-taille, est confondue souvent avec le baryton, qu’elle dépasse au moins d’une tierce au grave ; moins puissante, mais plus souple que la B. profonde, elle en diffère plus par le caractère que par l’ambitus. Il n’est pas d’opéra qui ne contienne pour l’une ou l’autre variété de la voix de B. un ou plusieurs rôles de première importance. Par une tradition qui s’est formée au xvie s., on lui confie, en France, l’exécution du plain-chant. || 2. Instrument le plus grave d’une famille, à cordes ou à vent. La nomenclature instrumentale comprenait, avant le xixe s., la B. de cromorne, la B. de hautbois, la B. de viole, la B. de violon, etc. Cette dernière, qui s’est maintenue longtemps sous le seul nom de B., était un violoncelle de grand patron, mesurant, d’après un spécimen d’Amati, 0 m. 80 de longueur de casse, tandis que les violoncelles du même luthier et de Stradivari mesurent de 0 m. 73 à 0 m. 76. Les noms de B. de viole et B. de violon sont quelquefois donnés à des jeux d’orgue, imitant le timbre de ces instruments. || 3. Partie la plus grave d’une composition harmonique. On désigne cette partie par le nom de B., quel que soit l’agent sonore qui en est chargé ; écrire la B. sous un chant donné, ou écrire un chant ou plusieurs parties sur une B. donnée sont des exercices pratiques dans l’étude de l’harmonie ; « jouer la B. » dans un morceau noté pour le piano à quatre mains signifie exécuter les parties de l’harmonie qui occupent les octaves graves du clavier ; on dit communément les B. pour désigner les cordes ou les registres graves d’un instrument ; on qualifie de pleines les B. d’une composition lorsque l’harmonie que forment les parties graves avec les parties supérieures donne à celles-ci un soutien solide et varié. || 4. La B. d’Alberti est une forme d’exécution de la B. instrumentale en accords brisés, qui se répandit par l’influence du chanteur et compositeur Domenico Alberti († 1740) et devint à la mode parmi les amateurs, pour sa facilité. Elle se présente fréquemment dans les œuvres de clavecin et de piano de l’époque classique. Mozart en a fait un grand usage. ||
5. B. chiffrée. Notation abrégée des parties d’accompagnement, dans laquelle la partie de B. est surmontée de chiffres indiquant les accords qu’elle doit porter et qu’il appartient à l’exécutant de réaliser. (Voy. Accompagnement, Chiffrage, Réalisation.) || 6. B. continue, souvent appelée, aux xviie et xviiie s., par abréviation, continuo, partie d’une composition destinée à l’accompagnement. On la notait d’une façon sommaire, chiffrée ou non, que l’exécutant développait. Indispensable dans la musique de chambre, elle était d’usage dans l’orchestre, où le musicien chargé de la direction l’interprétait au clavecin. || 7. B. contrainte, dite en ital. basso ostinato, dessin ou motif d’accompagnement formé de quelques notes et uniformément répété pendant tout ou presque tout un morceau. On en reconnaît l’origine dans quelques pièces du xiiie et du xive s., dont les parties s’échafaudent sur un pes de 2 ou 3 notes ; il existe des fragments de messes de Dufay († 1474) et de J. Cousin (xve s.), construits sur des B. de 4 ou 5 notes, in modo tubæ. Au xviie s., les musiciens anglais nomment ce procédé ground bass et l’appliquent à l’exécution de variations écrites ou improvisées. En ce genre le Purcell’s ground, le Farinel’s ground devinrent classiques. Buxtehude († 1707) composa sa belle Passacaille pour orgue sur un thème répété 28 fois à la basse. Le même procédé était de règle pour la Chacone, que Brossard, en 1703, définissait « un chant composé sur une B. obligée de quatre mesures, qui se répète autant de fois que la chacone a de couplets ou de variations, c’est-à-dire de chants différents composés sur les notes de cette B. ». Sous une forme assouplie, la B. contrainte fut appelée à servir l’expression dramatique. Lulli déroule pendant 28 mesures, dans Roland (1685), un dessin de B. contrainte sous un récitatif mesuré.
Gluck, dans Armide
(1777), marque par la persistance
d’une B. implacable le désir obstiné
de vengeance qui inspire l’invocation
d’armure aux dieux infernaux.
Les exemples de B. contrainte ne sont
pas rares chez les modernes. Le trio
du menuet, dans la Suite de V. d’Indy,
op. 24 (1886), est tout entier développé
sur un dessin de 4 notes à la B., et
l’on peut rattacher au même procédé
le thème de 4 notes des cloches du
Graal, dans Parsifal de Wagner
(1882). || 8. B. fondamentale. Principe
théorique proposé par Rameau dans
son Traité de l’Harmonie (1722) et
développé dans ses écrits postérieurs,
pour l’étude des accords. Il est tiré
de la résonance du corps sonore, telle
que la connaissait Rameau, et consiste
à regarder chaque accord comme
produit des harmoniques
d’un son fondamental, réel
ou sous-entendu. L’identité
des diverses positions de
l’accord en découle, et le
même son demeure la « B.
fondamentale » d’un accord
à l’état de renversement et
dans lequel il ne joue pas
forcément le rôle de B.,
c’est-à-dire de partie grave.
Aussi Rameau ne donnait-il, en fin
de compte, la B. F. que comme « un
moyen de vérification de la régularité
de l’harmonie » d’un emploi
limité aux accords les plus simples,
et ne constituant pas, dans la composition
harmonique, une B. véritable.