Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Veneur

Henri Plon (p. 684-685).
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Veneur. L’historien Mathieu raconte que le roi Henri iv, chassant dans la forêt de Fontainebleau entendit, à une demi-lieue de lui, des jappements de chiens, des cris et des cors de chasseurs ; et qu’en un instant tout ce bruit, qui semblait-fort éloigné, s’approcha à vingt pas de ses oreilles, tellement que, tout étonné, il commanda au comte de Soissons de voir ce que c’était. Le comte s’avance ; un homme noir se présente dans l’épaisseur des broussailles, et disparaît en criant d’une voix terrible : M’entendez-vous ?

Les paysans et les bergers des environs dirent que c’était un démon, qu’ils appelaient le grand veneur de la forêt de Fontainebleau, et qui chassait souvent dans cette forêt. D’autres prétendaient que c’était la chasse de Saint-Hubert, chasse mystérieuse de fantômes d’hommes et de fantômes de chiens, qu’on entendait aussi en d’autres lieux. Quelques-uns, moins amis du merveilleux, disaient que ce n’était qu’un compère qui chassait impunément les bêtes du roi sous le masque protecteur d’un démon ; mais voici sans doute la vérité du fait :

Il y avait à Paris, en 1596, deux gueux qui dans leur oisiveté s’étaient si bien exercés à contrefaire le son des cors de chasse et la voix dés chiens, qu’à trente pas on croyait entendre une meute et des piqueurs. On devait y être encore plus trompé dans des lieux où les rochers renvoient et multiplient les moindres cris. Il y a toute apparence qu’on s’était servi de ces deux hommes pour l’aventure de la forêt de Fontainebleau, qui fut regardée comme l’apparition véritable d’un fantôme.

Un écrivain anglais, dans un remarquable travail sur les traditions populaires, publié par le Quarterly Magazine, cite ce fait avec des accessoires qu’il n’est pas inutile de reproduire :

« Henri, dit-il, ordonna au comte de Soissons d’aller à la découverte ; le comte de Soissons obéit en tremblant, ne pouvant s’empêcher de reconnaître qu’il se passait dans l’air quelque chose de surnaturel : quand il revint auprès de son maître : — Sire, lui dit-il, je n’ai rien pu voir, mais j’entends, comme vous, la voix des chiens et le son du cor.

» — Ce n’est donc qu’une illusion ! dit le roi.

» Mais alors une sombre figure se montra à travers les arbres et cria au Béarnais :

» — Vous voulez me voir, me voici ! »

Cette histoire est remarquable pour plusieurs raisons : Mathieu la rapporte dans son Histoire de France et des choses mémorables advenues pendant sept années de paix du règne de Henri IV, ouvrage publié du temps de ce monarque à qui il est dédié. Mathieu était connu personnellement de Henri IV, qui lui donna lui-même plusieurs renseignements sur sa vie.

On a supposé que ce spectre était un assassin déguisé, et que le poignard de Ravaillac aurait été devancé par l’inconnu de Fontainebleau, si le roi avait fait un pas de plus du côté de l’apparition.

 
Henri IV
Henri IV
 

Quel que soit le secret de cette histoire, il est clair que Henri IV ne la fit nullement démentir. « Il ne manque pas de gens, dit Mathieu, qui auraient volontiers relégué cette aventure avec les fables de Merlin et d’Urgande, si la vérité n’avait été certifiée par tant de témoins oculaires et auriculaires. Les bergers du voisinage prétendent que c’est un démon qu’ils appellent le grand veneur, et qui chasse dans cette forêt ; mais on croit aussi que ce pouvait bien être la chasse de Saint-Hubert, prodige qui a lieu dans d’autres provinces.

» Démon, esprit, ou tout ce qu’on voudra, il fut réellement aperçu par Henri IV, non loin de la ville et dans un carrefour qui a conservé la désignation de « la Croix du Grand Veneur ! » À côté de cette anecdote, nous rappellerons seulement l’apparition semblable qui avait frappé de terreur le roi Charles VI, et qui le priva même de sa raison.