Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Antoniano


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ANTONIANO (Silvio), cardinal et savant homme, s’éleva de bien bas par son mérite ; car il était de vile naissance : et tant s’en faut que ceux à qui il devait la vie pussent le faire étudier, qu’ils avaient besoin eux-mêmes de la charité d’autrui. On a voulu dire qu’il était né hors de légitime mariage ; mais Joseph Castalion, qui a composé sa vie, a fait voir tout le contraire [a]. Quoi qu’il en soit, il naquit à Rome, l’an 1540 (A). Il fit des progrès si prompts et si surprenans dans les études, qu’on a de la peine à croire ce qui en a été publié. À l’âge de dix ans, il faisait des vers (B), sur quelque matière qu’on lui proposât, qui étaient si bons et si justes, quoique ce fussent des impromptu, qu’un habile homme n’aurait pu en composer de semblables qu’avec beaucoup de temps et beaucoup de peine. On en fit l’expérience à la table du cardinal de Pise, un jour qu’il traitait plusieurs cardinaux. Alexandre Farnèse, prenant un bouquet, le donna au jeune garçon, avec ordre de le présenter à celui de la troupe qui serait pape. Cet enfant le présenta au cardinal de Médicis, et fit son éloge en vers. Ce cardinal, qui quelques années après fut le pape Pie IV, s’imagina qu’on lui avait joué une pièce, et que c’était un poème que l’on avait préparé avec beaucoup d’art, afin de se moquer de lui : il en parut fort fâché ; mais on lui protesta avec serment que c’était un impromptu, et on le pria de mettre l’enfant à l’épreuve. Il le fit, et se convainquit du talent extraordinaire de ce garçon, qui expliqua sur le champ, en fort beaux vers, la matière qui lui avait été proposée (C). Le duc de Ferrare, venant à Rome pour féliciter Marcel II du pontificat, fut si charmé de l’esprit d’Antoniano, qu’il le voulut avoir à Ferrare (D), où il lui donna d’excellens maîtres pour l’instruire en toutes sortes de sciences. C’est de là qu’il fut tiré par Pie IV qui, se souvenant de l’aventure du bouquet, lorsqu’il se vit sur la chaire de saint Pierre, voulut savoir qu’était devenu le jeune poëte. L’ayant su, il le fit venir à Rome, et lui donna un poste honorable dans son palais. Puis il le fit professeur aux belles-lettres dans le collége romain. Antoniano remplit cette charge avec une telle réputation, que le jour qu’il commença d’expliquer la harangue pro Marco Marcello, il eut pour auditeurs, non-seulement une grande foule de monde, mais aussi vingt-cinq cardinaux. Il devint ensuite recteur du même collége ; et, après la mort de Pie IV, l’esprit de dévotion l’ayant saisi, il s’attacha à Philippe Neri, et ne laissa pas d’accepter la charge de secrétaire du sacré collége, qui lui fut offerte par Pie V. Il l’exerça vingt-cinq ans, et y acquit la réputation d’un homme de bien, et d’un habile homme. Il refusa l’évêché que Grégoire XIV lui voulut donner, mais non pas le secrétariat des brefs, qui lui fut offert par Clément VIII, qui le fit aussi son camérier, et puis cardinal. On dit que le cardinal Alexandre de Montalte, qui avait été un peu trop fier à l’égard d’Antoniano, dit en le voyant promu à la pourpre, qu’à l’avenir il ne mépriserait jamais un homme à soutane et à petit collet, quelque bas et quelque rampant qu’il le vît, puisqu’il pouvait arriver que celui qu’il mépriserait devînt non-seulement son égal, mais aussi son maître. Antoniano se tua à force de travailler : il passait des nuits entières à faire des lettres, ce qui lui causa une maladie, dont il mourut à l’âge de soixante-trois ans. Il écrivait avec une si grande facilité, qu’il ne faisait aucune rature ; et l’on dit qu’il conserva toute sa vie la fleur de virginité [b]. Voyez dans l’une de nos remarques ce qui concerne ses ouvrages (E).

Le cardinal Bentivoglio me va fournir un bon supplément de cet article (F). Je trouve qu’Antoniano fut l’un des tenans dans la dispute qui s’éleva sur la préséance des patriarches (G).

  1. Scripsit Sylvi card. Antoniani Vitam, que tum rationibus, tum publicarum tabularum testimoniis ab eorum calumniis vindicare conatus est, qui illum à parente minùs justâ uxore genitum asserebant. Nicius Erythræus, Pinacoth. I, pag. 167.
  2. Ex Jano Nicio Erythræo, Pinacoth. I, pag. 36.

(A) Il naquit à Rome, l’an 1540. ] Nicius Erythréus le fait naître à Rome : Romæ, humili loco... ortus [1] ; mais le Toppi le fait natif de Castelli, dans l’Abruzze, et rapporte une inscription faite par Mutius Panza, où on le fait ex Castellorum oppido oriundus [2]. Cela pourrait signifier seulement que son père était de ce lieu. Quoi qu’il en soit, je recueille qu’il est né l’an 1540, de ce que, selon le père Oldoïni, il mourut le 16 d’août 1603, à l’âge de soixante-trois ans [3]. Nicius Erythréus ne marque point en quelle année du siècle il décéda ; mais seulement, que ce fut dans son année climactérique de soixante-trois ans. M. De la Rochepozai, dans son Nomenclator Cardinalium, met sa mort au 16 d’août 1604. J’ai mieux aimé suivre le père Oldoïni.

(B) À l’âge de dix ans, il faisait des vers. ] Le père Strada, qui a inséré dans l’une de ses harangues, avec beaucoup de politesse, la narration de cette aventure, dit qu’Antoniano n’avait pas encore douze ans accomplis [4].

(C) Il fit... des vers sur-le-champ, sur la matière qui lui avait été proposée. ] Le père Strada nous apprend que, comme le cardinal de Médicis cherchait un sujet à proposer au jeune garçon, l’horloge qui était dans la salle vint à sonner : cela fut cause qu’il donna des vers à faire sur une horloge. Cet auteur rapporte ceux qu’il suppose qu’Antoniano fit sur-le-champ et ajoute que le cardinal de Trente lui donna un collier.

(D) Le duc de Ferrare le voulut avoir à Ferrare. ] Antoniano y récita quelques harangues, qui ont été imprimées [5] avec celles qu’il prononça à Rome : cela me ferait aisément croire qu’il fut professeur à Ferrare. Nicius Erythréus ne parle que des sciences qu’on y enseigna à Antoniano : pourquoi ne rien dire de celles qu’il y enseigna ? Ce n’est point pour de telles choses que la crainte d’être prolixe doit engager à la suppression. Je n’ai pu encore consulter la Vie de ce cardinal, composée par Joseph Castalion, où l’on voit sans doute sur quel pied il était à Ferrare et en quelle année il mourut, et bien d’autres particularités. Encore moins ai-je pu trouver un livre que M. Conrart avait envoyé à M. de Balzac. C’étaient des discours italiens du philosophe orateur [6]. M. de Balzac les méprise : Il est vrai, dit-il [7], que l’éloge du cardinal d’Ossat et celui du cardinal Silvio Antoniano, sont deux pièces assez raisonnables et dans lesquelles l’auteur n’imite pas malheureusement les comparaisons des vies de Plutarque. La longue invective, qu’il fait contre la noblesse, est le grand effort de son esprit : j’y ai remarqué de beaux endroits, et quelques choses de son invention outre celles qu’il a empruntées d’autrui, et particulièrement de la harangue de Caïus Marius dans la guerre Jugurthine. Je crois néanmoins que sans faire tort à sa matière il pouvait accourcir sa digression. Ce lieu commun qu’il a étendu si au long, qu’il a si curieusement et si ambitieusement étalé, ne devait être touché qu’en passant. Outre qu’il s’est fait par-là de puissans et de dangereux ennemis. Il n’avait que faire d’offenser tout ce qu’il y a de gentilshommes au monde, pour prouver que ce n’est pas un vice d’être fils d’un artisan ou d’un villageois.

« Jérôme Ruscelli, chap. VII de son Rimario, dit des merveilles du talent que Silvio Antoniano, qu’il appelle mal Antonio, avait pour l’impromptu. Il en rapporte une épreuve, qui s’en fit à Venise, en présence de la reine de Pologne [* 1], du cardinal Trivulce et du cardinal d’Ausbourg. Antoniano n’avait pas alors seize ans. Les princes d’Est le retinrent à Ferrare, où il fit des leçons publiques, comme le témoigne le même Ruscelli dans l’endroit cité. » Ceci vient de M. de la Monnoie.

(E) Voici ce qui concerne ses ouvrages. ] On a de lui, De Christianâ Puerorum Educatione ; Dissertatio de Obscuritate solis in morte Christi ; de Successione apostolicâ ; de Stylo ecclesiastico, seu de conscribendâ Ecclesiasticâ Historiâ ; de Primatu sancti Petri ; Lucubrationes in Rhetoricam Aristotelis et in Orationes Ciceronis ; plusieurs pièces de vers, quelques sermons, des notes et des préfaces sur le roman d’Achille Statius et sur le Térence de Gabriël Faernus [8] ; beaucoup de lettres, etc. On prétend qu’il a eu part au Catéchisme du concile de Trente [9]. Pour ce qui regarde ses lettres, ce sont des brefs apostoliques qu’il composa pendant qu’il fut secrétaire. J’en dirai quelque chose dans la remarque suivante. On les met au nombre des lettres d’où les écrivains d’anecdotes doivent faire leurs extraits [10]. Les autres sources sont les lettres des cardinaux Bembo et Sadolet, celles de Pierre Martyr, etc. Notez que son livre de Christianâ Puerorum Educatione, composé en italien à la prière du cardinal Charles Borromée, fut imprimé à Vérone, par les soins d’Augustin Valerio, évêque du lieu et cardinal [11].

(F) Le cardinal Bentivoglio me fournira un bon supplément de cet article. ] Il dit que l’on était encore incertain si Antoniano était né à Rome ; mais que l’on était certain qu’il y avait été élevé dès son enfance [12]. Il fut mis par Pie IV au service du cardinal Borromée, neveu de ce pape : il fut secrétaire de ce cardinal pour les dépêches latines ; il le suivit à Milan, et il retourna avec lui à Rome. Il fut choisi pour secrétaire du sacré collége et remplit admirablement les devoirs de cette charge. Il fut admis à la plus étroite confidence de Clément VIII, dont il fit les brefs si éloquemment, que ce pontife n’eut point sujet d’envier à Léon X les Sadolets et les Bembes. Il y faisait entrer avec beaucoup de jugement plusieurs passages de l’Écriture. Il en fut blâmé par un censeur trop rigide, qui dit que cela faisait que certaines lettres du pape sentaient plus le cloître que la cour de Rome, et représentaient plutôt la personne d’un prédicateur que celle d’un souverain pontife. Che perciò, alcuni di loro sapessero più di claustro regolare, che di corte ecclesiastica, e rappresentassero quasi più la persona d’un predicatore, che d’un pontefice [13]. Il se moqua de cette critique, et répondit qu’à juger sainement des choses, il n’y avait pas trop de termes de l’Écriture dans les lettres qu’il composait ; qu’il lui semblait au contraire qu’elles n’en étaient pas assez remplies, vu la qualité de celui qui y parlait, qui est celle de souverain pasteur de l’église, vu aussi que ce n’étaient point des lettres profanes, où le luxe des pensées et des expressions prises de la secrétairerie des souverains temporels se dût répandre : Anzi che a lui pareva, che più tosto mancassero in questa parte, havuto riguardo all’ essere i Brevi Apostolici scritti dal supremo Pastor della Chiesa, e non lettere profane, che havessero a lussureggiare con sensi e parole tratte dalle secretarie de’ principi temporali [14]. Il ajouta que les brefs de Sadolet et ceux de Bembe ne gardaient pas le décorum que la dignité pontificale demandait nécessairement, et qu’il y a quelques brefs, où Bembe, par ses affectations de latinité, passe non-seulement au profane et au temporel, mais aussi au paganisme. Antoniano, dans sa dernière maladie, fut visité par Clément VIII et en reçut la bénédiction apostolique. Il était modeste, d’une conversation agréable et d’une prudence que l’esprit des courtisans n’avait pas gâtée [15]. Il s’était trouvé en plusieurs conclaves et discourait là-dessus avec un plaisir tout particulier, non sans faire de solides réflexions sur la vanité des choses humaines. Les hommes, disait-il, se chargent de mille soins fatigans, pour parvenir à leurs fins ; mais la providence de Dieu fait presque toujours paraître sa supériorité. Per occasione d’essere stato secretario del sacro collegio tant’ anni, s’era trovato egli in molti conclavi, e di quei successi discorreva con gusto particolare, e mostrava specialmente in quanti modi vi si affatticasse l’industria humana, ed in quanti vi apparisse e vi prevalesse ordinariamente la providenza divina [16]. Il voulait dire sans doute, que les intrigues les mieux concertées, et celles qui ont le plus agité l’esprit, tombent par terre dans les conclaves, à cause de certaines conjonctures imprévues. S’il voulait montrer par-là, que les ressorts de la providence se font sentir d’une façon particulière dans les assemblées où les papes sont élus, il se trompait ; car, dans toutes les cours du monde, on peut remarquer que les politiques les plus prudens réussissent ou échouent par je ne sais quelles rencontres fortuites, qui doivent convaincre de la vérité de ce proverbe, l’homme propose, Dieu dispose.

(G) Il fut un des tenans dans la dispute qui s’éleva sur la préséance des patriarches. ] Voici un passage que je tire d’une lettre que le Péranda écrivit à Rome le onzième de décembre 1589 : La causa della precedenza patriarcale non è ancor venuta a fine, et si tratta tuttavia nella congregatione delle cerimonie. Si scrive, et le scritture vanno per manus, et si come dissi già il parer della congregatione è contra la pretendenza de gli arcivescovi et de’ patriarchi. Solamente l’Antoniano sostien questa parte, e scrive, et stà saldo. Sarà un brav’ huomo, se farà testa tanto che basti, havendo da contrastar con monsignor illustrissimo Gesualdo [17].

  1. (*) Bonne Sforce qui, en 1555, quitta la Pologne, pour se retirer à Bari, dans la Pouille.
  1. Nicius Erythræus, Pinacoth. I, pag. 36.
  2. Toppi, Biblioth. Napolet., pag. 283.
  3. Oldoïni Athen. Romanum, pag. 605.
  4. Fam. Strada, Prolus. Acad. III, lib. II.
  5. Par les soins de Joseph Castalion, en 1610.
  6. Voyez les Dissertations après le Socrate Chrétien, pag. 10.
  7. Là même, pag. 47.
  8. Nomenclat. Cardinal., pag. 178.
  9. Voyez Colomiès, Biblioth. choisie, pag. 36.
  10. Varillas, préface des Anecdotes de Florence.
  11. Possev. Appar. Sacr., tom. II, pag. 405, 443.
  12. Bentivoglio, Memorie overo Diario, cap. VII, pag. 109, editione Amstel., nell’ an. 1648.
  13. Là même, pag. 111.
  14. Là même, pag. 112.
  15. Là même, pag. 113.
  16. Là même, pag. 152.
  17. Lettere di Gio. Francesco Peranda, Io. parte, pag. 224, edit. di Venet. nel. 1604.
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