Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amphitryon


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AMPHITRYON, fils d’Alcée (A), fils de Persée, est moins connu par ses exploits que par l’aventure d’Alcmène sa femme, qui a servi de sujet aux poëtes comiques (B). Alcmène était fille d’Électryon, roi de Mycènes. Les fils de Ptérélaüs avaient fait une irruption sur les terres de ce prince, qui leur avait été fatale : ils y étaient tous péris[a], mais ils y avaient aussi fait périr tous les fils d’Électryon[b]. Celui-ci, se préparant à venger la mort de ses fils, laissa son royaume et sa fille Alcmène entre les mains d’Amphitryon, et lui fit promettre avec serment de ne point jouir de cette fille. Ceux qui avaient accompagné les enfans de Ptérélaüs avaient amené au pays d’Élide les troupeaux d’Électryon. Ces troupeaux furent rachetés par Amphitryon ; mais, en les remettant entre les mains de leur maître, il eut le malheur d’être la cause innocente de la mort de ce pauvre prince (C). Comme on profita de cette occasion pour le faire sortir du pays des Argiens [c], il se retira avec Alcmène auprès de Créon, roi de Thèbes, et reçut de lui les cérémonies de l’expiation. Après quoi il se prépara à faire la guerre aux Téléboes (D), afin de venger la mort des frères d’Alcmène ; condition qu’elle exigeait de celui qui voudrait être son mari (E). Il fallut que, pour engager Créon à le suivre, il le délivrât d’un renard qui faisait de gros ravages. Il l’en délivra par le moyen de Céphale, qui lui prêta le chien que Procris avait amené de l’île de Crète. Amphitryon, assisté de divers peuples, entra sur les terres de Ptérélaüs, et les ravagea ; mais il fut redevable du grand succès de cette guerre à la perfidie de Comèthe, fille de Ptérélaüs. Cette fille devint amoureuse d’Amphitryon, et arracha, pour l’amour de lui, le cheveu d’or que Ptérélaüs avait sur la tête, et d’où dépendait sa vie. Ce malheureux père mourut aussitôt ; et alors Amphitryon s’empara universellement de tous ses états. Il fit mourir Comèthe, et s’en retourna à Thèbes chargé de dépouilles. La première nouvelle dont on l’y régala fut qu’il avait passé la nuit précédente auprès d’Alcmène. Il était fort convaincu que cela était très-faux. Enfin on sut que Jupiter avait joué ce tour-là en prenant la figure d’Amphitryon. Celui-ci, sans se rebuter, s’approcha d’Alcmène, et la rendit un exemple de superfétation qui a été mille fois cité. Elle avait déjà conçu Hercule, et il lui fit concevoir un autre fils. Pour discerner celui qui était à lui d’avec celui qui était à Jupiter, il jeta deux serpens sur leur lit. Hercule n’en eut point de peur, l’autre prit la fuite ; il n’en fallut pas davantage pour connaître qu’Hercule n’était point fils d’Amphitryon. On prétend qu’Alcmène mit sur sa tête un ornement qui faisait connaître au monde que Jupiter avait triplé la durée de la nuit pour la caresser plus long-temps (F). Il n’est pas vrai qu’Amphitryon ait appris aux hommes à mettre de l’eau dans le vin (G). Alcmène survécut à son mari [d]. Les débris de leur maison se voyaient encore à Thèbes du temps de Pausanias[e]. Il faut se souvenir qu’Amphitryon était né à Argos[f]. Il y a des auteurs qui l’appellent roi de Thèbes[g].

  1. Exceptez-en un qui était demeuré à la garde des vaisseaux. Apollodor., lib. II, pag. 97.
  2. Exceptez-en le bâtard Licymnius. Apollodorus, ibid., pag. 99.
  3. Il n’est donc pas vrai, comme on le dit dans le Supplément de Moréri, qu’Amphitryon succéda à Électryon.
  4. Pausan., lib. I, pag. 39.
  5. Idem, lib. IX, pag. 290.
  6. Plauti Amph. Prol.
  7. Servius, in Æneid., lib. VIII, vs. 103.

(A) Fils d’Alcée. ] Apollodore dit qu’Hipponome, fille de Menœcée, était la mère d’Amphitryon[1]. D’autres le font fils de Lysidice, fille de Pélops : d’autres lui donnent pour mère Laonome, fille de Guneus[2]. Notez qu’il était oncle de sa femme ; car Anaxo, sa sœur, était la mère d’Alcmène[3].

(B) Il est moins connu par ses exploits, que par l’aventure de sa femme, qui a servi de sujet aux poëtes comiques. ] Une des plus belles comédies de Plaute est l’Amphitryon. C’est le jugement qu’en fait mademoiselle le Fèvre[* 1], qui l’a traduite en français, avec d’excellentes notes. Voyez les dernières remarques de l’article Téléboes. Molière a fait une comédie du même titre. C’est une de ses meilleures pièces. Il a pris beaucoup de choses de Plaute ; mais il leur donne un autre tour : et s’il n’y avait qu’à comparer ces deux pièces l’une avec l’autre, pour décider la dispute qui s’est élevée depuis quelque temps sur la supériorité ou l’infériorité des anciens, je crois que M. Perrault gagnerait bientôt sa cause. Il y a des finesses et des tours dans l’Amphitryon de Molière, qui surpassent de beaucoup les railleries de l’Amphitryon latin. Combien de choses n’a-t-il pas fallu retrancher de la comédie de Plaute, qui n’eussent point réussi sur le théâtre français ! Combien d’ornemens et de traits d’une nouvelle invention n’a-t-il pas fallu que Molière ait insérés dans son ouvrage, pour le mettre en état d’être applaudi comme il l’a été ! Par la seule comparaison des Prologues, on peut connaître que l’avantage est du côté de l’auteur moderne. Lucien a fourni le fait sur quoi le Prologue de Molière roule ; mais il n’en a point fourni les pensées. Jamais un bon connaisseur ne dira ici :

Qui benè vertendo, et eas describendo malè, ex
Græcis bonis latinas fecit non bonas[4].


Qu’on ne prenne pas ceci de travers, j’en supplie tout le monde ; je tombe d’accord, non-seulement que l’Amphitryon de Plaute est une de ses meilleures pièces ; mais aussi que c’est une pièce très-excellente à certains égards. Il semble qu’on la jouait encore du temps d’Arnobe. Ponit animos Jupiter si Amphitryo fuerit actus pronunciatusque Plautinus[5]. Je voudrais bien que nous eussions l’Amphitryon d’Euripide, et les deux Amphitryons d’Archippus.

(C) En remettant à Électryon ses troupeaux, il eut le malheur d’être la cause innocente de la mort de ce pauvre prince. ] Voici comment : Cùm bos una aufugeret, in ipsam Amphitryo tum quam manibus fortè clavam gestabat immisit, quæ de bovis cornibus repulsa in Electryonis caput resiliens ipsum vitâ privavit[6]. Dans le Supplément de Moréri, au lieu de massue, l’on a dit pierre.

(D) Il se prépara à faire ta guerre aux Téléboes. ] Nous disons ailleurs [7] quel peuple c’était, et nous marquons les différences qui se trouvent entre Apollodore, que nous avons suivi, et le scoliaste d’Apollonius.

(E) Alcmène exigeait cette condition de celui qui voudrait être son mari. ] Nous verrons dans l’article auquel la remarque précédente a renvoyé le lecteur, qu’Alcmène demandait principalement qu’on vengeât la mort de son père.

(F) Sa femme portait sur sa tête un ornement qui témoignait que Jupiter avait triplé la nuit, pour la caresser plus long-temps.[8] ] Voilà qui est singulier. Il lui devait suffire que la tête de son mari fût chargée du panache, et fortifiée d’ouvrages à cornes et à demi-lunes capables de l’emporter sur les tours de la déesse Cybèle :

........Qualis Berecinthia mater
Invehitur curru Phrygias turrita per urbes[9].


Qu’était-il besoin qu’elle portât trois lunes entières sur son front ?

........Parvoque Alcmena superbit
Hercule, tergeminâ crinem circumdata Lunâ[10].


Plusieurs interprètes veulent que ces trois lunes aient été le monument des trois nuits que Jupiter passa avec elle. Beau trophée portatif pour le pauvre Amphitryon ! Quel monument de son honneur sain et sauf ! Voulait-elle que tous ceux qui jetteraient l’œil sur sa coiffure se souvinssent de la triple nuit que ses charmes avaient fait produire ? Encore un coup, son mari ne devait pas trop s’accommoder de cet ornement. Je m’en rapporte à Molière, qui le fait acquiescer à la réflexion de son valet. Les amis d’Amphitryon ayant su que Jupiter promettait monts et merveilles pour la réparation de l’injure, commençaient à lui en témoigner leur joie ; mais Sosie les interrompit :

Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment ?
Ne vous embarquez nullement
Dans ces douceurs congratulantes :
C’est un mauvais embarquement,
Et d’une et d’autre part pour un tel compliment.
Les phrases sont embarrassantes.
Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d’honneur,
Et sa bonté sans doute est pour nous sans seconde.
Il nous promet l’infaillible bonheur
D’une fortune en mille biens féconde,
Et chez nous il doit naître un fils d’un très-grand cœur ;
Tout cela va le mieux du monde :
Mais enfin coupons aux discours,
Et que chacun chez soi doucement se retire ;
Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire[* 2].


Amphitryon trouve cela si judicieux, qu’il y donne par son silence un entier consentement.

(G) Il n’est pas vrai qu’il ait appris aux hommes à mettre de l’eau dans le vin. ] Cette invention est d’un autre, si l’on en croit Athénée[11] ; mais comme cet autre se nommait Amphictyon, il est arrivé à un très-docte critique de le confondre avec le mari d’Alcmène. Je ne doute point que de semblables méprises ne soient souvent cause de la diversité d’opinions que l’on trouve dans les auteurs. Lisez Athénée, vous direz qu’Amphictyon, roi d’Athènes, a inventé le mélange de l’eau et du vin. Lisez Casaubon, vous attribuerez ce secret à Amphitryon, roi de Thèbes ; d’où il arrivera que d’assez bons compilateurs formeront deux sentimens : Quelques-uns, diront-ils, attribuent cette invention a Amphictyon ; d’autres l’attribuent à Amphitryon. Voici les paroles de Casaubon : Quod mox de Amphytrionis (je rapporte l’orthographe comme je la trouve ) invento temperandi vinum sequitur quo pertineat subobscurum est. Spectat autem eo ne quis miretur quod posteà dicit, Homerum varia temperamenta vini habuisse nota. Cur enim hoc miremur, cùm τῆς τοῦ οἴνου κράσεως inventor sit Amphitryo, quem ante Iliaca tempora Thebis regnâsse nemo dubitat[12].

  1. * Depuis madame Dacier, Joly a fait, à l’occasion de ce passage, une remarque qui ne porte pas sur Bayle, mais sur le Supplément au Moréri de 1735.
  2. * Molière, Amphitryon, acte III, scène XI.
  1. Apollodor., lib. II, pag. 97.
  2. Pausan., lib. VIII, pag. 248.
  3. Idem, ibid.
  4. Terent. Prol. Eunuch., vs. 7.
  5. Arnob., lib. VII, pag. 238.
  6. Appolod., lib. II, pag. 99.
  7. Dans l’article Téléboes.
  8. Apollodorus, lib. II, pag. 97, etc.
  9. Virgil. Æneid., lib. VI, vs. 785.
  10. Stat. Thebaïdos lib. VI, vs. 288.
  11. Athen., lib. IV, cap. XXVII, p. 179.
  12. Casaub. in Athen., pag. 323, 324.
FIN DU PREMIER VOLUME.
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