Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Agricola 3


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AGRICOLA (Jean), théologien saxon, né à Islèbe[a] le 20 d’avril 1492[b], ne causa que des désordres dans la religion protestante qu’il embrassa. On a dit qu’il avait suivi l’électeur de Saxe en qualité de son ministre à la diète de Spire, l’an 1526, et à celle d’Augsbourg, l’an 1530 ; mais il est sûr qu’il ne fit ces deux voyages qu’en qualité de ministre du comte de Mansfeld. Il est vrai que ce comte les fit avec l’électeur de Saxe, et que pendant ce temps-là son ministre prêcha quelquefois devant l’électeur, et voilà l’origine de la méprise. Agricola ne réussit pas mal à prêcher ; cela lui fit croire qu’il était un grand personnage, et qu’il pouvait s’élever au-dessus de Mélanchthon. C’est pourquoi il écrivit contre lui, en 1527[c]. Son humeur inquiète et ambitieuse l’engagea, en 1536, à demander permission de sortir de sa patrie, où il exerçait le ministère et la principalité du collége. Sa demande fut accompagnée de plaintes, et parut si déraisonnable au comte de Mansfeld, qu’il n’obtint son congé qu’avec de fâcheux reproches d’ingratitude, d’avarice et d’ivrognerie ; outre qu’on lui dit qu’il avait exercé sa charge négligemment, et plus disputé contre les évangéliques que contre les catholiques. Il s’en alla à Wittemberg, et y obtint une chaire de professeur et de ministre. Il enseigna des doctrines peu édifiantes touchant l’usage de la loi sous l’Évangile ; en un mot il devint fondateur de la secte antinomienne[d]. Luther, qui avait été son bon ami (A), l’attaqua bien rudement, et l’obligea à promettre qu’il rétracterait ses erreurs ; mais pendant que l’on travaillait à dresser le formulaire qu’il devait signer, Luther fit de nouveaux livres dont Agricola se sentit tellement piqué, qu’il présenta[e] à l’électeur une requête fort choquante contre son antagoniste, où il se plaignait entre autres choses qu’on lui imputait des sentimens qu’il n’avait pas. Luther lui répondit avec tout son feu ; et pour ne demeurer pas chargé de la note de calomniateur public, il fit venir des attestations d’Islèbe sur quelques conversations particulières d’Agricola. Les théologiens de Wittemberg accoururent au secours de Luther, et prononcèrent que ses accusations étaient bien fondées. L’électeur de Saxe, bien embarrassé, avait fait donner des juges aux parties, et témoigné qu’il souhaitait qu’on trouvât des voies d’accommodement ; et puis il fit promettre à Agricola de ne se point retirer avant la fin du procès. Cette promesse fut violée ; Agricola se retira tout doucement à Berlin[f], sans attendre la réponse à la demande qu’il avait faite de son congé. L’électeur de Brandebourg tâcha de le réconcilier avec Luther ; mais il n’y eut rien à faire que sous l’une ou l’autre de ces deux conditions, ou qu’Agricola reviendrait poursuivre le jugement du procès, ou qu’il donnerait par écrit une rétractation de ses erreurs, et des injures qu’il avait dites à Luther. Il choisit ce dernier parti (B), et publia un livre à Berlin, où il demanda pardon à ceux qu’il avait pu offenser par ses erreurs, et à Luther nommément, et protesta de vouloir vivre et mourir dans la foi qu’il avait combattue. Luther ne se fia point à ces belles protestations. Agricola s’en plaignit à l’électeur de Saxe, et lui témoigna qu’il n’avait jamais eu un déplaisir aussi grand que celui que son démêlé avec l’homme de Dieu lui avait donné[g], et que puisqu’il ne gagnait rien par l’offre de son serment, il remettait sa cause au juge du monde, suppliant néanmoins très-humblement monsieur l’électeur de lui faire payer trois mois de gages qui lui étaient dus, dont il avait bon besoin pour nourrir sa femme et ses neuf enfans[h]. Je ne pense pas qu’il ait jamais pu rentrer en grâce ni auprès de l’électeur, ni auprès de Martin Luther. Il s’en consola sans doute par l’éclat que lui donnait à Berlin sa charge de prédicateur de cour, et par le choix que l’on fit de sa personne pour la composition d’un ouvrage qui fit grand bruit. Je parle de l’Intérim qu’il dressa avec Jules Phlug et avec Michel Heldingus [i], l’an 1548. On prétend que l’empereur récompensa largement Agricola de la peine qu’il avait prise en cette rencontre. La guerre qui s’éleva quelque temps après en Allemagne entre les théologiens protestans[j] fit connaître que ce ministre était un esprit dangereux et un grand brouillon. Il faisait l’empressé pour pacifier les choses, et n’épargnait point dans les conférences que l’on tenait sur ces matières le don de langue dont il était pourvu ; mais il n’accommodait rien. Il mourut à Berlin en 1566. Il avait été surintendant [k] de la Marche de Brandebourg [l]. On dit qu’il aurait voulu ramener l’usage des saintes huiles envers les malades, et qu’il ne doutait point que les guérisons miraculeuses n’y eussent été attachées comme anciennement [m]. Il ne fit que peu de livres (C). On outre les choses quand on dit qu’il rentra dans la papauté (D).

  1. Ville du comté de Mansfeld. Il était aussi commun sous le nom de d’Islebius que sous celui d’Agricola.
  2. Melch, Adam, Vit. Theologor., pag. 409.
  3. C’était touchant le formulaire de la Visite ecclésiastique, dressé par Melanchthon.
  4. Voyez l’article Islébiens.
  5. Le 30 mars 1540, pendant l’assemblée de Smalcalde.
  6. En 1540.
  7. Voyez la remarque (B).
  8. Tiré de la Réponse de Seckendorff au Luthéranisme du père Maimbourg, liv. III, pag. 306, 310.
  9. On le nomme ordinairement Michaël Sidonius parce qu’il était évêque titulaire de Sidon.
  10. C’était sur la question des choses indifférentes en la religion.
  11. C’est ainsi qu’on nomme parmi les luthériens les ministres qui ont l’inspection sur plusieurs églises.
  12. Micrælius, Hist. Eccles., pag. 733. Edit. ann. 1679.
  13. Melch. Adam, Vit. Theolog., p. 411.

(A) Luther... avait été son bon ami. ] Ils étaient de la même ville. Nous trouvons qu’Agricola servit de secrétaire à Luther dans la conférence de Leipsick, en 1519[1], et qu’il fut envoyé à Francfort en 1525[2], avec une lettre de Luther aux magistrats, pour y être l’un des ministres de l’Évangile. L’auteur que je cite[3] censure M. Varillas, qui a dit que Luther n’entreprenait rien de considérable sans Agricola. C’est pousser la chose trop loin, et l’on ne saurait donner des preuves de ce fait-là.

(B) Il choisit ce dernier parti. ] Il y a quelque apparence qu’il se porta à cette bassesse par ces deux raisons. Premièrement, il ne voyait rien à espérer du jugement de son procès ; il ne pouvait le gagner, sans que Luther fût déclaré calomniateur de ses frères. Or, il aurait fallu être le plus crédule de tous les hommes pour espérer de gagner en Saxe un procès à ce prix-là. Les peuples auraient lapidé les juges qui auraient flétri de la sorte la réputation du réformateur. L’Église, eût-on dit, a besoin de la bonne renommée de Luther ; les papistes tireraient trop d’avantage de sa flétrissure. N’avons-nous pas vu des gens qui ne sont que des pygmées en comparaison de Luther, se dérober par cette voie aux peines canoniques qu’ils méritaient ? La seconde raison d’Agricola fut apparemment qu’il craignait de perdre, en ne se soumettant pas, le quartier de gages qui lui était dû. Lisez ce qui suit : Neque tamen hoc scripto statìm, ut speraverat, Luthero de verâ conversione suâ fidem fecit ; id quod ipse Agricola literis d. 19. decemb. apud electorum Saxoniæ queritur, nihilque totâ vitâ sibi gravius accidisse quàm simultatem illam cum viro Dei quem ipse patris loco veneratus sit, et in cujus obsequio mori velit, apud quem tamen nihil proficiat ne juramenti quidem oblatione, ideò se Deo causam committere. Petit tamen ut sibi, ad alendam uxorem novemque liberos, trimestre, quod restare sibi dicit, salarium non denegetur, se enim id diligenti lectione promeritum[4].

(C) Il ne fit que peu de livres. ] L’Explication de trois cents proverbes allemands fut un des premiers. Il y maltraita beaucoup Ulric, duc de Wirtemberg[5]. On en fit des plaintes qui obligèrent l’auteur à reconnaître sa faute dans une lettre fort soumise. Cela n’empêcha point que le duc Ulric n’alléguàt, entre autres griefs, à la diète de Francfort, l’an 1536, que l’on protégeait dans le comté de Mansfeld Jean Agricola, dont il avait été maltraité par des médisances publiques[6]. L’auteur augmenta de plus de quatre cents proverbes son ouvrage : dans la seconde édition. Il fit des Commentaires sur saint Luc ; il réfuta l’explication du psaume dix-neuvième, publiée en allemand par Thomas Muncer, etc.[7][* 1].

(D) Il ne rentra pas dans la papauté. ] C’est un fait certain, qu’en sortant de Saxe il se retira à la cour de Brandebourg, et que l’électeur Joachim II qui avait établi la réformation dans ses états, en l’année 1539[8], le reçut honorablement, et le fit son prédicateur. Il n’est pas moins certain qu’il a joui toute sa vie de la faveur de ce prince : c’est donc une fausseté que de dire, comme font Melchior Adam et Paul Freher, qu’Agricola était papiste, tunc pontificiis sese adjunxerat, lorsque Charles-Quint se servit de lui pour la construction de l’Intérim. Il se relâcha, je l’avoue, sur bien des choses dans cet Intérim ; mais Phlug et l’évêque de Sidon ne se relâchèrent-ils pas aussi sur bien d’autres ? Étaient-ils pour cela luthériens ? Le projet de ces trois personnes ne contenta ni les protestans ni les catholiques ; cela est très-sûr ; mais il y a une grande distinction à faire entre ceux qui, pour le bien de la paix, abandonneraient quelques parties de la réformation, et ceux qui sortent actuellement de la communion protestante, pour entrer dans la communion de Rome. Agricola était sans doute de cette première classe de gens ; mais, n’ayant pas été de la seconde, il ne doit point passer pour papiste. Trouvez donc une faute dans ces paroles de Micrælius : Joh. Agricola….. noster primò, deindè suus, tandem Pontificiorum[9]. Je ne sais si, quand il dit trois lignes après, Homini Epicuræo similior quam pio Theologo, ut scribit Osiander ad annum 1566, quo obiit Agricola, il entend un homme voluptueux ou un homme qui tenait l’indifférence des religions.

  1. * Joly cite les titres de trois autres ouvrages d’Agricola.
  1. Seckendorf, Hist. Luth., lib. I, pag. 92, lit. r.
  2. Ibid., pag. 243, lit. c.
  3. Seckendorf, Hist. Luth., lib. III, pag. 306, num. 1.
  4. Seckendorf, Hist. Luther., pag. 310, num. 16.
  5. Idem, lib. II, pag. 135.
  6. Seckendorf, Hist. Luther., p. 142, lit. b.
  7. Melch. Adam, Vit. Theolog., pag. 411.
  8. Seckendorf, Hist. Luther., lib. III, pag. 234 et seq.
  9. Micrælius, Syntagm. Hist. Ecclesiæ, pag. 733.

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