Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aarsens


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« AARSENS (François), seigneur de Sommelsdyck et de Spyck, etc., était un des plus grands ministres que les Provinces-Unies aient eus pour la négociation (A). Son père, qui était un autre habile homme, était dans un poste où il lui était facile de faire donner de l’emploi à son fils (B). Jean d’Olden-Barnevelt, qui avait alors la principale direction des affaires de Hollande et de toutes les Provinces-Unies, le fit envoyer en France en qualité d’agent. Ce fut là où il apprit à négocier avec ces grands maîtres, Henri IV, Villeroi, Rosny, Silleri, Jeannin, etc. ; et il y réussit, en sorte qu’ils approuvèrent sa conduite. Il eut ensuite le caractère d’ambassadeur, et fut le premier qui fut considéré en cette qualité dans cette cour-là, et du temps duquel le roi Henri IV déclara que l’ambassadeur des Provinces-Unies prendrait rang immédiatement après celui de Venise. Il fut après cela employé auprès de cette république (C), et auprès de plusieurs princes d’Allemagne et d’Italie, à l’occasion des mouvemens de Bohème (D). Il a outre cela fait plusieurs ambassades extraordinaires en France et en Angleterre (E), dont il a fait des recueils fort exacts et très-judicieux. On y peut remarquer que toutes les instructions que l’état lui a données, et toutes les lettres de créance qu’il a emportées en ses dernières ambassades, sont toutes de sa façon : tellement qu’il faut croire qu’il était l’homme de tout le pays qui savait le mieux, non-seulement négocier, mais aussi instruire l’ambassadeur de ce qu’il devait négocier. Et de fait, il a fait honneur à l’état en toutes ses ambassades, aussi-bien qu’au caractère dont ses souverains l’ont revêtu ; quoique lui ni sa postérité ne doivent point (F) regretter le temps qu’il a employé au service de la patrie[a]. Il est mort fort âgé, laissant un fils (G) qui a passé pour le plus riche de Hollande, et qui a été fort connu sous le nom de monsieur de Sommerdyck[b].

  1. Tiré de Wicquefort, Traité de l’Ambassadeur, tom. II, pag. 435 et 436.
  2. C’est ainsi qu’on prononce, quoique le nom soit Sommelsdyck.

(A) Était un des plus grands ministres… pour la négociation.] Ses ennemis ne lui disputent point cette qualité ; car, quand ils disent qu’il[1] était le plus dangereux esprit que les provinces confédérées aient jamais porté, et d’autant plus à craindre, qu’il cachait toute la malice et toute la fourbe des cours étrangères sous la fausse et trompeuse apparence de la franchise et de la simplicité hollandaise ; qu’il était ardent et persuasif ; qu’il trouvait des raisons pour appuyer les plus mauvaises causes ; que[2] c’était un esprit intrigant, qui avait eu des liaisons et des intelligences avec des grands de France, dont les actions étaient non-seulement suspectes, mais odieuses au roi ; et qu’ayant gagné le secrétaire de l’ambassadeur de France à la Haye, il savait[3] les plus particulières intentions de cette couronne ; quand, dis-je, ils lui donnent ces qualités, ils en font l’homme du monde le plus capable des ambassades les plus importantes et des négociations les plus délicates. Au reste, M. du Maurier, qui se déchaîne cruellement contre François Aarsens, fournit lui-même aux lecteurs le moyen de ne se laisser pas préoccuper par ses invectives ; car il nous apprend que son père et cet ambassadeur hollandais furent toujours[4] ennemis ; (qu’il y avait une incompatibilité insurmontable entre leurs naturels, et que la grande aversion qui s’était élevée entre eux s’augmentait de jour en jour au lieu de diminuer. Il nous apprend même que son père harangua, le 16 novembre 1613, devant les états généraux contre François Aarsens[5], et lui reprocha d’avoir osé parler irrévéremment de leurs majestés et de messieurs de leur conseil, qui étaient les plus fermes soutiens de la liberté des provinces confédérées, et l’accusa d’audace, de légèreté en ses langages ordinaires, et d’ingratitude, payant d’insolence tant de bienfaits dont la France l’aidait comblé. Nous voilà suffisamment munis d’antidote. Qui ne sait qu’il faut bien rabattre de la signification des termes quand un ennemi parle de son ennemi ?

(B) Son père… était dans un poste… à donner de l’emploi à son fils. ] Il s’appelait[6] Corneille Aarsens, et était greffier des états : il avait connu M. du Plessis-Mornai auprès de Guillaume, prince d’Orange, et il le pria de prendre son fils à sa suite. Cela fut fait et dura quelques années. Ce fils, entendant la langue française et les affaires du royaume, succéda, l’an 1598, à Levin Caluard, qui était mort résident auprès du roi Henri IV pour les Provinces-Unies, et ne fut que résident des états jusqu’en 1609. Mais comme on conclut alors une trêve de douze ans, dans laquelle l’Espagne avait traité avec les Provinces-Unies comme avec des peuples libres, il fut reconnu par Henri IV pour ambassadeur[7]. Pendant son séjour en France, qui fut de quinze ans, il reçut de grands bienfaits du roi, et même des honneurs ; car il fut anobli et fait chevalier et baron, ce qui fut cause qu’ensuite il fut reçu en Hollande entre les nobles de la province. Il devint ensuite si odieux à cette cour, qu’elle souhaita qu’on le rappelât, à ce que dit M. du Maurier. Voyez ci-dessous la remarque (D).

(C) Auprès de cette république. ] C’est à ce temps-là qu’il faut appliquer ce que le cardinal Pallavicin a reproché au père Paul. Il[8] dit qu’il a une lettre du sieur de Zuilichem, secrétaire du prince d’Orange, où il raconte que, s’étant rencontré à Venise dans une entrevue fortuite du sieur de Sommerdyck, ambassadeur de Hollande, et de Fra Paolo, ce père avait dit à ce ministre, qu’il ressentait une extrême joie de voir le représentant d’une république qui tenait le pape pour le vrai Antechrist. L’auteur du livre intitulé, Cancellaria secreta Anhaltina rapporte quelques fragmens de lettre, par où il paraît que François Aarsens, en allant à Venise, avait des lettres de créance pour négocier avec les cantons protestans, et qu’il en reçut de grands honneurs. Ce fut un an après la députation des ministres suisses au synode de Dordrecht. Gratias se imprimis egisse quòd civitates et oppida non catholica prædicantes suos anno præterlapso ad synodum Dordracensem dimiserint[9].

(D) À l’occasion des mouvements de Bohème. ] Ce fut en l’an 1620 ; et il est à remarquer « que le roi de France[10] défendit à ses trois ambassadeurs, le duc d’Angoulême, le comte de Béthune, et l’abbé des Préaux, de recevoir les visites de M. d’Aarsens, qui allait de la part des états des Provinces-Unies négocier avec quelques princes d’Allemagne et d’Italie, touchant les mêmes affaires de Bohème qui faisaient le sujet de l’ambassade de France. L’ordre qu’on leur envoya portait que ce n’était pas à cause des états, avec lesquels le roi voulait continuer de vivre en bonne intelligence, mais à cause de M. d’Aarsens en particulier, pour en avoir mal usé touchant le service et la dignité de sa majesté. Ceux qui ont quelque connaissance des affaires de ce temps-là ne peuvent pas ignorer que ce fut parce qu’Aarsens s’était mis à la tête de ceux qui s’opposèrent, en l’an 1619, à l’affaire que le roi fit négocier à la Haye, avec beaucoup d’empressement, par Boissise et du Maurier, ambassadeurs. » Ajoutons à ces paroles de M. Wicquefort un passage de M. du Maurier, qui les éclaircit. L’an 1618[11], dit-il, M. de Boissise eut commandement du roi de faire plainte en son nom aux états généraux d’un libelle diffamatoire écrit, signé et publié par François Aarsens, au grand scandale et déshonneur de messieurs du conseil de sa majesté, dont alors il ne put tirer aucune raison. Il y a de l’apparence que la plainte était fondée sur ce qu’on avait accusé le conseil de France de trahir le roi, en favorisant ceux qui machinaient en Hollande le retour de cette république sous le joug du roi d’Espagne ; car, s’il en faut croire du Maurier, le grand lieu commun de M. Aarsens, et le teste continuel de tous ses livres et des placards attachés aux coins des rues, était que la faction de Barnevelt s’entendait avec l’Espagne pour abolir la religion reformée et la liberté tout à la fois dans les Provinces-Unies. C’est ici que l’on peut dire, se non è vero, è ben trovato : rien ne confirmerait mieux que cette invention la profonde habileté de M. Aarsens.

(E) Ambassades extraordinaires en France et en Angleterre. ] Il eut cet emploi en Angleterre l’an 1620 et l’an 1641[12]. La première fois, il était le premier des trois ambassadeurs extraordinaires ; et il fut le second la dernière fois. Dans cette ambassade-ci, il eut pour collègues le seigneur de Bréderode, qui le précédait, et Heemsvliet, qui le suivait. Le sujet de l’ambassade était le mariage du prince Guillaume, fils du prince d’Orange. L’ambassade extraordinaire de France est de l’an 1624[13]. Comme M. le cardinal de Richelieu gouvernait nouvellement le royaume, et qu’il ignorait le mécontentement que les précédens avaient eu de cet ambassadeur, il en fit état, et le connaissant éclairé…, il s’en aida pour parvenir à ses fins. Aarsens fut envoyé l’an 1628 ou en France ou en Angleterre ; ne pouvant s’embarquer, à cause des glaces, il revint à la Haie. On prit à mauvais augure que des chiens l’eussent renversé. Aarsenius à canibus fortè occursantibus in terram dejectus malevolis occasionem præbuit sinistra ipsi ominandi[14].

(F) Regretter le temps. ] Du Maurier dit que François Aarsens mourut riche de cent mille livres de rente[15].

(G) Laissant un fils qui a passé pour le plus riche de Hollande. ] Il était gouverneur de Nimègue, et colonel d’un régiment de cavalerie. Il laissa deux fils, dont l’aîné, nommé François, seigneur de la Plaate, se noya, passant d’Angleterre en Hollande, l’an 1659, après un voyage de huit ans en divers endroits de l’Europe. L’autre, nommé Corneille, a porté le nom de Sommerdyck : il a été colonel dans les armées de Hollande, puis gouverneur de Surinam, où il fut tué par la garnison mutinée, l’an 1688. Il avait épousé la fille aînée de M. le marquis de Saint-André-Mombrun, dont il a eu plusieurs enfans, et qui est morte à la Haie l’an 1695, ou environ. De sept sœurs qu’il avait, il y en a trois qui ont été mariées à des personnes de qualité ; les quatre autres se sont jetées dans une dévotion superstitieuse avec un tel emportement, qu’elles ont suivi le sieur Labbadie, ministre schismatique, comme si c’eût été un apôtre[16].

  1. Du Maurier, Mémoires, pag. 376.
  2. Là même, pag. 378
  3. Là même, page 384.
  4. Là même, pag. 388.
  5. Là même, pag. 381.
  6. Là même, pag. 377, 378.
  7. Là même.
  8. Voyez la préface de l’Histoire du Concile de Trente, traduite par Amelot de La Houssaye.
  9. Caucell Anhalt. pag. 151.
  10. Wicquef. De l’Ambass. Tome I, p. 658.
  11. Du Maurier, pag. 362.
  12. Wicquef. de l’Ambassad. Tome I, pag. 650 et 750.
  13. Du Maurier, pag. 386.
  14. Barlæus, Epist. LXXVI, pag. 217.
  15. Du Maurier, pag. 377.
  16. Voyez les Mémoires de du Maurier, pag. 387, 390.

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