Dictionnaire de théologie catholique/TROIS-CHAPITRES (AFFAIRE DES) I. Le souvenir des auteurs des Trois-Chapitres

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 170-175).

I. Les auteurs des Trois-Chapitres et le souvenir laissé par eux.

Au sens premier, l’expression « Trois-Chapitres » désigne des écrits ou, plus exactement, des fragments d’écrits groupés sous trois rubriques distinctes : écrits de Théodore de Mopsueste, de Théodorct de Cyr, d’Ibas d’Édesse. Mais, de très bonne heure, le mot a été pris aussi pour désigner les personne ^ responsables de ces écrits ; pour incorrecte que soit cette appellation, elle n’a pas laissé de s’imposer. Nous allons exposer d’abord à quel titre les auteurs en question furent attaqués et les griefs que, dans certains milieux, l’on pouvait avoir contre eux.

Théodore de Mopsueste.

On a dit à l’art. Théodore de Mopsueste ce que signifiait l’œuvre littéraire de ce personnage, tant au point de vue de l’exégèse, qu’à celui de la théologie. Représentant fort en vue de l’École d’Antioche, il avait formulé et mis en pratique les principes mêmes de l’exégèse littérale en réaction contre l’allégorisme alexandrin. Sa théologie, d’autre part, tout spécialement en ce qui concernait l’étude de l’incarnation, s’était constituée en opposition avec les tendances qui s’étaient exprimées au mil ux dans Apollinaire de Laodicée, mais qui gardaient une emprise sur beaucoup de penseurs de Syrie et d’Egypte. Contre ce monophysisme plus ou moins conscient, plus ou moins larvé, Théodore avait formulé les règles fondamentales du dyophysisme, de In croyance dans le Christ aux deux natures divine et humaine ; tout spécialement il avait établi, avec une dialectique passionnée, en même temps qu’avec une parfaite connaissance de l’Écriture, l’existence en Jésus d’une vraie nature humaine, concrète, complète, agissante. Il avait été moins heureux quand il s’était agi d’exprimer, à plus forte raison d’expliquer le comment de l’unité du Christ. Encore que sa croyance en un seul Fils de Dieu, en un seul Seigneur Jésus-Christ, en un seul centre d’attribution dernier des activités de l’Homme-Du u fût très profonde et très sincère, encore qu’il eût pris pour affirmer sa foi des précautions fort méritoires, plusieurs de ses expressions ne laissaient pa— de paraître au moins étranges et sa pensée de fond elle-même donnait prise à la critique. L’union morale — cette expression traduisant assez mal la fnjvà<peia xoct eviSoxlav — dont il parlait, pour exclure toute explication susceptible de mettre en échec la coexistence’Us deux natures, était une formule mal venue et danprensc. Elle laissait prise au soupçon que son aatem admettait une distinction personnelle entre l’homme

Jésus-Christ et le Verbe divin qui l’avait animé, inspiré, soutenu, une distinction analogue à celle que l’on doit faire par exemple entre le prophète Isaïe et l’Esprit de Dieu qui le dirigeait. Quelques affirmations qu’il eût répétées là-contre, Théodore passerait inévitablement, surtout quand la théologie de l’union se serait précisée, pour le représentant de ce que nous appellerons le « dyoprosopisme », l’hérésie des deux personnes.

Il paraît que, de son vivant même, certaines appréhensions s’étaient formulées à ce sujet. Dans la lettre qu’il écrivait à Nestorius à l’automne de 430 pour engager celui-ci à se conformer aux ordres du pape Célestin, Jean d’Antioche rappelait à son collègue de Constantinople l’exemple qu’avait donné Théodore. Vivement attaqué pour avoir, au cours d’une prédication, exprimé des doutes sur la légitimité du titre de « théotocos » donné à la vierge Marie, il n’avait pas hésité à rectifier ultérieurement les expressions qui avaient pu surprendre. Epist., i, 3, P. G., t. lxxvii, col. 1453. On ne connaît pas d’autres incidents dans la carrière de l’évêque de Mopsueste, qui mourut dans la paix de l’Église et a dû être inscrit régulièrement aux diptyques de sa communauté. D’ailleurs la « tragédie » de Nestorius, qui débuta presque au lendemain du trépas de Théodore, allait, pour quelques années, détourner l’attention vers un autre point de l’horizon. Il est incontestable pourtant que l’archevêque de Constantinople ne faisait que reprendre, mais avec moins de doigté, avec moins de sens catholique aussi, la christologie de Théodore, laquelle recueillait, aussi bien, tous les suffrages du « diocèse d’Orient ». Bientôt, laissant de côté la personne de Nestorius et les incartades par lesquelles celui-ci risquait de compromettre irrémédiablement la christologie antiochienne, la controverse mettait aux prises la doctrine cyrillienne, monophysite dans son expression, sinon dans ses tendances profondes, et le dyophysisme si vaillamment soutenu par Théodore. Quand, à l’hiver de 430-431, les « anathématismes » cyrilliens éclatent, comme une bombe, en Orient, c’est bien de la doctrine de Théodore que s’inspirent ceux qui, à la demande de Jean d’Antioche, réfutent les douze capitula de Cyrille. Les deux principaux lutteurs, Théodoret et André de Samosate, sentent bien que c’est la doctrine de l’évêque de Mopsueste qui est attaquée et nul des « Orientaux » n’aurait l’idée qu’elle pût être mise en question. A Éphèse, après le coup de force du 22 juin, c’est bien de la pensée de Théodore que s’inspirent les mêmes Orientaux groupés autour de Jean d’Antioche. Toutefois le nom même de l’évêque de Mopsueste n’est pas jeté dans le débat, pas plus, d’ailleurs, qu’il ne l’est par les cyrilliens. Dans la fameuse Actio Charisii, Mansi, t. iv, col. 1341 sq., le concile présidé par Cyrille et les légats romains examine et condamne bien une Expositio ftdei depravata que l’on donnera plus tard comme un symbole fabriqué par Théodore, mais, sur le moment même, le nom de l’évêque de Mopsueste n’est pas prononcé, soit prudence, soit ignorance de la responsabilité de celui-ci par rapport à cette pièce. A la vérité, Marina Mercator venait déjà d’attribuer ou allait bientôt attribuer à Théodore, en qui il voyait un des auteurs de l’hérésie pélagienne, la pièce en question. Cf. Collectio Palatina, pièces n. 15 et sq. dans A. C. O., t. i vol. v, p. 23 sq. ; cf. P. L., t. xlviii, col. 213 sq. (où la pièce n’est pas à sa place). Mais pour l’instant, cette accusation ne franchit pas les limites du monde monastique à qui s’adressait Marius.

C’est seulement après l’Acte d’union » de 433 et après le semblant de paix rétabli entre l’Orient et l’Egypte, que les cyrilliens commencent à s’apercevoir de la parenté de Théodore et de Nestorius. Celle-ci n’échappait certainement pas aux Antiocliicns, dont plusieurs, quand Il s’agira de souscrire à la condamnation de Nestorius, exciperont du fait que la doctrine de l’archevêque de Constantinople n’était pas autre que celle de Théodore, laquelle faisait loi pour tout 1’t Orient ». Ainsi fit, par exemple, le successeur de Théodore à Mopsueste, Mélèce, qui, sommé de se rallier à l’Acte d’union, déclara net au fonctionnaire impérial qu’il ne suivrait pas Jean d’Antioche et ne condamnerait pas, à sa suite, Nestorius ; ce serait renier la foi transmise par les bienheureux Pères et qu’a fait resplendir le grand Théodore : Fidem a beatis Patribus traditam quam a magno Theodoro, qui ea quæ Mi tradidere tradens, claru.it accepimus. Synodicon Casin., n. 263 (174), A. C. O., t. i, vol. iv, p. 195 ; P. G., t. lxxxiv, col. 792.

Jusqu’à ce moment il ne semble pas qu’Alexandrie se soit doutée que les deux enseignements de Théodore et de Nestorius fussent identiques. C’est par un détour que Cyrille acquit la conviction de cette parenté, ou plutôt de la part de responsabilité de Diodore et de Théodore dans l’éclosion du nestorianisme. À la frontière arménienne l’attention de deux cyrilliens intransigeants, Rabboula évêque d’Édesse et Acace de Mélitène, fut attirée par ce qui se passait chez leurs voisins. On se préoccupait beaucoup, en Arménie, de doter le pays d’une littérature ecclésiastique et l’on y traduisait toutes sortes d’ouvrages grecs ; divers traités de Diodore et de Théodore furent ainsi mis en circulation. Sans doute excitèrent-ils quelque étonnement, sinon quelque scandale. Des questions furent posées aux évêques grecs du voisinage ; Rabboula et Acace en profitèrent pour mettre en garde les Arméniens contre les doctrines antiochiennes. Alarmés, ces derniers interrogèrent l’archevêque de Constantinople, Proclus, en lui communiquant des traités de Théodore et en lui demandant ce qu’il en fallait penser. Texte de cette lettre dans A. C. O., t. iv, vol. ii, p. xxvii (mais la lettre des Arméniens à Proclus qui figure au Ve concile, act. v, Fuit aliquis pestifer homo, Mansi, Concil., t. rx, col. 240, et P. C, t. lxv, col. 851 est un faux). Sur cette action des Arméniens, voir Libératus, Breviarium, c. x, P. L., t. lxviii, col. 989. L’archevêque de la capitale accueillit avec faveur la légation arménienne et répondit par sa fameuse lettre dogmatique, connue sous le nom de Tome de Proclus, texte critique dans A. C. O., t. iv, vol. ii, p. 187. Il y réfutait les thèses des Antiochiens pour autant qu’elles lui semblaient exprimer une doctrine des deux fils, incompatible avec l’unité de personne dans le Christ. En même temps il prétendit imposer à Jean d’Antioche et à son synode la répudiation des thèses spécifiques de Théodore. Il s’ensuivit entre Constantinople et Antioche un chassé-croisé de lettres, dans le détail duquel il est inutile d’entrer. Du moins faut-il signaler la pièce dans laquelle Proclus, qui avait eu vent de certaines manifestations d’Ibas d’Édesse, demandait à l’archevêque d’Antioche d’imposer à celui-ci la signature du Tome aux Arméniens. Proclus, Epist., iii, transmise par le Ve concile ; cf. P. G., t. lxv, col. 873. Les exigences de Constantinople exaspérèrent vite Jean, qui n’avait pas obtenu sans peine le ralliement de son monde à l’Acte d’union et qui constatait à présent que l’on dépassait de beaucoup les alignements théologiques déterminés par cette pièce. Il s’en plaignit à la cour, cf. Synod., n. 286(196), A.C. O., p.208 ; P. G., t. lxxxiv, col.809, et à Proclus lui-même : * Pourquoi toute cette agitation autour des noms de Théodore et de Diodore ? Le premier surtout avait été pendant les quarante-cinq ans de sa carrière scientifique un maître admiré ; personne, dans le peuple même, ne comprendrait qu’on le condamnât. Au fait sa doctrine concordait avec celle des anciens Pères ; Ignace, Eustathe, Athanase, Basile, les deux Grégoire, Flavien (d’Antioche), Diodore, Jean (Chrysostome), Ambroise en Occident, Amphiloque d’Iconium, Atticus avaient des enseignements communs avec les capitula que Proclus entendait faire condamner ; le faire, c’était englober tous ces Pères dans la même réprobation. Il fallait d’ailleurs se rappeler que l’on ne juge pas les morts : non nostrum est judicare eos qui honorate defuncti sunt sed solius judicis oivorum et morluorum. » Inler epist. ProclL, vi, P. G., t. lxv, col. 877. Entre temps Proclus était allé aux renseignements à Alexandrie ; finalement sur les instances de Cyrille il battit en retraite : « Je n’ai jamais demandé, écrivait-il à Jean, que l’on anathématisât Théodore ou d’autres, j’ai simplement dit que, pour fermer la bouche à la calomnie, il fallait rejeter les capitula, quelle qu’en fût l’origine, que j’ai signalés dans mon tome. Proclus, Epist, x, ibid., col. 879, transmise par Facundus, Pro defens. trium capit., t. III, 2, P. L., t. lxvii, col. 713. En même temps il écrivait à Maxime, son représentant dans le monde intégriste d’Antioche, de cesser la campagne contre le nom de Théodore ; il suffisait que l’on souscrivît à son tome et aux condamnations anonymes qu’il contenait. Epist. xi, transmise par la même voie.

Cette volte-face de Proclus était le résultat d’une intervention de Cyrille. Cyrille, Epist., lxxii, P. G., t. lxxvii, col. 344. Dans cette lettre le t pape » d’Alexandrie rappelait à l’archevêque de la capitale ce que Jean d’Antioche venait de lui écrire : la campagne de zelanli contre Théodore, leurs démarches à la cour pour faire condamner les œuvres de celui-ci et sa personne même. Tout cela avait vivement ému l’Orient. Cyrille était bien d’avis qu’il y avait dans les écrits de Théodore queedam nefarie dicta et nimise plena blasphemiie. Le symbole de foi composé, disait-on, par lui avait été réprouvé par le concile d’Éphèse ; mais l’assemblée, tout en en condamnant la doctrine, n’avait pas voulu anathématiser nommément Théodore I En ces sortes de question l’opportunisme (otxovofjda) avait du bon. Ne troublons pas les morts dans leur tombe, ils ont trouvé leur juge ; il suffit que soient rejetées par les gens qui veulent être orthodoxes les absurdités qui ont pu être écrites. Ici même il convient de ne pas trop urger. Jean d’Antioche déclare qu’il y a dans son ressort des gens qui préféreraient se laisser brûler que de rien signer. À quoi bon ranimer des discussions à peine éteintes. Voir à ce sujet une lettre inédite de Jean à Cyrille, en faveur de Théodore, dans A. C. O., 1. 1, vol. v, p. 310 sq., et une réponse de Cyrille à Jean, ibid., p. 314 sq., traduction parallèle à celle des Actes du Ve concile, Mansi, Concil, t. ix, col. 263 ; Cyrille parle de Théodore comme d’un vir admirabilis et maximam gloriam merens apud dos, il reconnaît que les critiques que l’on a faites de lui sont incertaines, etc.

Cette modération du t pape » d’Alexandrie est à coup sûr louable, mais il n’y était pas arrivé immédiament et une huitaine de pièces conservées parle Synodicon permettent de suivre les réactions de Cyrille. Il avait été alerté par Rabboula d’Édesse, Synod., n. 290 (200), p. 212 ; col. 814, qui représentait Théodore comme ayant eu un double enseignement, exotérique et ésotérique, et il lui avait répondu aussitôt en louant son zèle. Cyrille, Epist., lxxiv, P. G., t. lxxvii, col. 347. Renseigné par Acace de Mélitène sur le contenu de la sommation adressée par Proclus à Jean d’Antioche, il répondait à son correspondant qu’en effet Théodore était bien plus dangereux que Nestorius, son disciple ; aux observations de Jean d’Antioche suivant qui s’attaquer à Théodore c’était s’en prendre à Athanase et à Théophile, à Basile et aux deux Grégoire, il avait assez vertement répondu que Théodore avait blasphémé, tandis que les Pères en question étaient les maîtres de l’orthodoxie ; il s’était procuré les livres de Diodore et de Théodore sur ou plutôt contre l’incarnation et en avait fait des extraits accompagnés de notes. Synod., n. 296 (205), p. 226 ; col. 831. De ce travail il ne reste que des fragments.

Presque au même temps Cyrille encourageait les milieux monastiques d’Antioche à résister aux évêques orientaux, dont il blâmait l’attitude : dans les livres de Théodore, leur mandait-il, se trouvait une doctrine bien pire que celle de Nestorius. Synod., n. 297 (206), p. 228 ; col. 833. Il faisait mieux encore : dans une lettre adressée à Théodose, il s’en prenait aux Orientaux qui, tout en anathématisant Nestorius, pensaient comme lui, car ils admettaient les écrits de Diodore et de Théodore, ces pères du blasphème de Nestorius et osaient prétendre que les enseignements de ces deux hommes étaient conformes à ceux des Pères orthodoxes. Synod., n. 288 (198), p. 210 ; col. 812. Bref, si pour des raisons d’opportunité Cyrille avait fini par conseiller à Proclus de laisser Théodore en repos dans sa tombe, il s’était montré, du jour où il avait découvert la parenté de Nestorius et de Théodore, fort excité contre les œuvres, sinon contre la mémoire même de l’évêque de Mopsueste. Cette première attitude de Cyrille, les milieux monophysites n’en perdront jamais le souvenir.

Théodoret de Cyr.

Contre l’évêque de Cyr des haines non moins vives s’accumulaient dans le même parti au cours des vingt années qui séparent les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine. Se reporter pour le détail à l’art. Nestorius, t. xi, col. 107 sq.

On lui en voulait d’abord de l’attitude anticyrilllenne qu’il avait prise dès la publication des douze anathématismes. Chargé par Jean d’Antioche avec André de Samosate de critiquer ce document, où l’on voulait voir un apollinarisme larvé ou patent, Théodoret avait fait porter spécialement ses efforts sur les chapitres 1, 2, 4 et 10. Réfutant le premier, il avait expliqué, à la manière antiochienne, la légitimité du mot théotocos. À propos du second, il avait fait le procès du vocable « union hypostatique » (xaô’O7t6<rraoiv) employé par Cyrille et qu’il repoussait, lui, parce qu’il y voyait un temperamentum carnis et dioinitatis, un mélange de l’humanité et de la divinité. Le 4* anathématisme, où Cyrille rejetait toute division entre les opérations de PHomme-Dieu, paraissait à Théodoret susceptible de favoriser les erreurs d’Arius et d’Eunomius. Les paroles où le Christ confesse son ignorance ou sa peur de la mort ne pouvaient, disait-il, être le fait du Verbe divin mais bien de la « forme du serviteur ». Enfin, rapporter au Verbe divin, comme le faisait Cyrille, anath. 11, les paroles de l’épître aux Hébreux sur Jésus, « l’apôtre de notre confession, le grand-prêtre médiateur entre Dieu et les hommes », c’était s’engager en d’inextricables difficultés.

Les mêmes critiques des anathématismes cyrilliens se retrouvaient dans une longue lettre envoyée, soit au printemps de 431, soit après Éphèse aux moines de la région luphratésienno, d’Osrhoène, de Syrie, de Phénlcic et de Cilicie, bref de tout le ressort d’Antioche. Théodoret, Epist., cli, P. G., t. lxxxiii, col. 1416 sq. Théodoret y montrait dans les capitula cyrilliens des accointances avec Arius et Eunomius, voire avec Valentin et Marcion. Sans doute la partie de la lettre où l’évêque de Cyr exposait positivement sa propre doctrine de l’incarnation valait mieux que ces critiques passionnées ; elle ne pourrait pas faire oublier les âpres Invectives dont la première partie accablait « l’Égyptien i.

A Éphèse, tout naturellement, Théodoret s’était rangé avec Jean et les Orientaux qui, dès leur arrivée, avaient pris avec éclat position contre Cyrille. Non sans raison on lui attribue la rédaction du formulaire de fol qu’émit le concile oriental et qui passera finalement dans l’Acte d’union de 433. Des sentiments qui l’animaient alors, l’expression très vive se retrouve dans une lettre adressée à son compagnon d’armes, André de Samosate, qui n’a pu venir au concile : « Heureux est-il d’avoir été empêché de partir pour Éphèse, ainsi n’est-il pas témoin des tristes choses qui viennent d’y arriver : le Pharaon d’Egypte (entendons Cyrille) insanit contra Deum rursus et répugnât contra Mosen et Aaron et pars maxima Isrælis consentit inimicis. Quelle tragédie ! » Synod., n. 108 (20), A. C. O., i, 4, p. 59 ; P. G., t. lxxxiv, col. 613. Bientôt le synode des Orientaux envoie une députation à la cour, Théodoret en fait partie avec Jean d’Antioche. Synod., n. 111 (23), p. 63 ; col. 617. Elle a pour mandat moins de protester contre la condamnation de Nestorius que de faire condamner les capitula « hérétiques » de Cyrille. Nous n’avons pas à décrire ici les démarches tentées par la délégation, que le gouvernement consigna à Chalcédoine, sur la rive asiatique du Bosphore. Dans une lettre à Alexandre de Hiérapolis, Théodoret narre toutes les difficultés qui se rencontrent, spécialement pour défendre Nestorius, leur ami commun. Synod., n. 119 (30), p. 69 ; col. 626. De Chalcédoine la délégation, par la voix de Théodoret, qui rassemble autour de sa chaire les partisans de Nestorius, exhorte les Constantinopolitains à rester fidèles à leur pasteur légitime. Parties importantes de ce sermon dans Synod., 125 (36), p. 77 ; col. 637. L’allocution est violente à l’endroit de ceux qui ont condamné Nestorius et l’ont assassiné calamorum subscriptionibus, le tout pour amener une déclamation contre la doctrine prêtée à Cyrille, nouvel adversaire du Christ, selon qui Dieu serait soumis à la souffrance et à la mort. Le Ve concile relèvera au moins trois des sorties dont se rendit alors coupable Théodoret.

Rentré à Cyr, Théodoret se mit à la composition d’un ouvrage en cinq livres, où il présentait, à rencontre de Cyrille et du concile d’Éphèse, la doctrine dyophysite. Quelques extraits importants sont conservés par la Palatina, A. C. O., 1. 1, vol. v, p. 165-170 ; cf. P. L., t. xlviii, col. 1067-1076 ; ils ont été naturellement choisis parmi ceux qui pouvaient davantage compromettre l’auteur. Retenons au moins celui qu’à son tour transcrira le pape Pelage II, dans sa 3e lettre aux évêques d’Istrie, A. C. O., t. iv, vol. ii, p. 130. Prenant comme terme de comparaison, l’union de l’homme et de la femme qui seront duo in carne una, pour expliquer l’union des deux natures en Jésus, Théodoret ajoute : Cum naturas discernimus, Dei Verbi naturam integram dicimus et personam sine dubilatione perfectam, perfectam quoque naturam humanam cum sua persona simililer confilemur. Cum vero ad conjunctionem respicimus, lune demum unam personam merito nuncupamus. Cf. art. Nestorius, t. xi, col. 152. De telles expressions, quand le concept de personne aura recouvert exactement celui d’hypostasc, paraîtront évidemment abominables. Mais ce traité de Théodoret n’a été exploité que postérieurement au V° concile.

On a dit, art. Nestorius, col. 120 sq., les efforts faits par le gouvernement impérial pour réconcilier les deux partis qu’avaient dressés l’un contre l’autre les événements d’Éphèse. Il reste à dire ce que fut, dans ces conjonctures, l’attitude de Théodoret. Sa première idée avait été d’exiger de Cyrille qu’il se déjugeât, en abandonnant les anathématismes et en admettant l’innocence de Nestorius. Synod., n. 142 (53), 143 (54), p. 92 et 93 ; col. 658 sq. Demande exorbitante et que le patriarche d’Alexandrie ne pouvait que rejeter. Du moins, dans une longue lettre à Acace <le Héréc, qui s’était porté médiateur, faisait-il des déclarations doctrinales fort importantes : il n’avait aucune sympathie pour Apollinaire, Arius ou aucun autre hérétique, il n’admettait dans l’incarnation ni confusion, ni commixtion, ni mélange des deux éléments divin et humain ; il savait fort bien que, selon sa nature, le Verbe divin était incapable d’aucun changement ; bref il expliquait de manière acceptable certaines expressions des anathématismes. Synod., n. 145 (56), p. 94 sq. ; col. 661 sq. Dès l’abord Jean d’Antioche parut considérer cette lettre comme une base possible d’entente. À l’encontre de plusieurs de ses amis qui se montreront toujours intraitables à l’endroit de « l’Égyptien », Théodore ! vit, lui aussi, dans la lettre de Cyrille une rétractation suffisante des anathématismes. Mais il entendait néanmoins ne pas abandonner Nestorius. Synod., n. 149 (60), p. 101 ; col. 670, à Acace de Bérée ; n. 150 (61), p. 102 ; col. 671, à André de Samosate ; n. 155 (66), p. 104 ; col. 674, à Alexandre de Hiérapolis ; n. 159 (70), p. 106 ; col. 667, à Helladius de Tarse ; n. 160 (71), p. 107 ; col. 678, à Himère de Nicomédie. Il prenait ainsi une position moyenne entre celle de Jean d’Antioche, qui finalement céderait aux exigences de Cyrille pour ce qui était de la condamnation de Nestorius, et celle des plus exaltés d’entre les Orientaux.

Après d’assez laborieuses négociations l’accord se fit entre Jean d’Antioche et Cyrille, accord constaté par la lettre Lœtentur cœli (avril 433) : les Orientaux acceptaient la déposition de Nestorius et anathématisaient ses « blasphèmes ». Cyrille, de son côté, faisait le silence sur les anathématismes et acceptait une formule de foi, qui, en dernière analyse, provenait de Théodoret. Art. Nestorius, col. 122 sq. Pourtant l’évêque de Cyr ne ressentit aucune joie de la nouvelle que lui transmit de l’accord conclu le patriarche Jean. L’assentiment à la condamnation de Nestorius lui parut inadmissible : les Orientaux passaient l’éponge sur les coups de force de Cyrille, celui-ci ne pouvait donc exiger que les Orientaux abandonnassent les plus distingués des leurs, egregios nostros. On ne se rallierait pas à la communion des Égyptiens avant que les compagnons de luttes n’eussent recouvré leurs sièges épiscopaux. Synod., n. 175 (87), p. 125 ; col. 701, à Jean d’Antioche ; cf. n. 183 (95), p. 131 ; col. 709, au même. Dans cette dernière pièce, dont le Ve concile a fait état, Théodoret opposait la doctrine maintenant acceptée par Cyrille et celle que préconisaient les anathématismes dont il interprétait toujours la pensée dans le même sens que trois ans plus tôt. Tout en constatant les concessions faites par Cyrille, il ne laissait pas de dire ses craintes des exigences que celui-ci pourrait ultérieurement produire ; il croyait donc devoir prévenir Jean des oppositions qui se produiraient inévitablement. Ainsi, aux premiers temps qui suivirent l’accord de 433, Théodoret apparaît comme l’animateur de la résistance aux conditions de Cyrille touchant l’abandon de Nestorius. De son couvent d’Euprépios, aux portes d’Antioche, ce dernier suivait toute cette agitation ; il demeurait en rapports avec Théodoret et une lettre s’est conservée que l’évêque de Cyr adressa, en ces conjonctures, à l’archevêque déposé. Synod., n. 208 (120), p. 149 ; col. 733, citée aussi au Ve concile. Sans doute, son correspondant lui avait-il fait quelque reproche de ses appréciations de la lettre Lœtentur. « C’est après mûre délibération, répond Théodoret, et tous les termes bien pesés, que je l’ai déclarée exempte de toute contamination hérétique. Encore que j’en haïsse l’auteur autant que personne, comme étant le responsable de tous les troubles, je me ferais scrupule de lui donner une note infamante. » Mais quant aux injustices commises contre la personne de Nestorius, dût-on lui couper les deux mains, il ne consentirait pas à les approuver.

Jean d’Antioche, pourtant, était bien décidé à obtenir de gré ou de force l’adhésion de tous ses ressortissants. Des menaces à peine déguisées furent adressées à Théodoret, qui faillit bien, à un moment donné, partager le sort des plus intransigeants parmi ses collègues d’Orient. On fit agir sur lui d’autres influences ; finalement dans une entrevue qu’il eut avec Jean à Antioche même, il s’assura que la doctrine était sauve et que l’on n’exigerait pas à toute force que fût approuvée la déposition de Nestorius. Cf. Synod., n. 210 (122), p. 153 ; col. 738. C’est dans ces conditions qu’il fit sa paix avec Jean d’abord, avec Cyrille lui-même ensuite ; dans les mois qui suivirent on le voit s’efforcer de rallier à son point de vue les opposants restés nombreux en Cilicie, en Isaurie, mais surtout en Euphratésienne, où l’opposition d’Alexandre de Hiérapolis ne désarmait pas. Cf. Synod., 243 (155), 254 (166), 256 (168), 259 (171), 258 (170). Ce fut d’ailleurs peine perdue, et les rigueurs gouvernementales finirent par s’abattre sur les réluctants. Au même moment, ou à peu près, Nestorius était exilé à Pétra, d’abord, puis dans la Grande Oasis (435). Ce fut l’occasion d’exiger de nouvelles signatures, plus précises que les premières, de tous ceux qui, en acceptant l’accord de 433, avaient pu réserver leur adhésion à la déposition de Nestorius. Cyrille pressa Jean de faire signer Théodoret. Synod., n. 301 (210), p. 231 ; col. 836. Et il n’est guère douteux que l’évêque de Cyr ait dû, comme les autres se soumettre et « boire à son tour l’amer calice ». Jean, dans la liste des provinces de son ressort où les signatures ont été exigées, ne signale aucune résistance ni en Euphratésienne, ni en Syrie, Synod., n. 287 (197), p. 208 ; col. 810. Dans une lettre à Dioscore, Théodoret dit expressément qu’il a anathématisé deux fois Nestorius. Epist., lxxxiii, P. G., t. lxxxiii, col. 1273 B. Il ne tint pas qu’à Cyrille que le calice fût plus amer encore. Il entendait maintenant, encouragé par les reculs successifs de Jean, qu’on exigerait une adhésion non seulement aux mesures prises contre Nestorius, mais encore à des propositions dogmatiques qui semblaient revenir en arrière sur les concessions faites en 433. Synod., 283 (194) et 284 (195), p. 206 sq. ; col. 806 sq. Cette fois, Jean résista et Cyrille n’insista pas. Mais c’est là-dessus que se greffa la campagne contre les docteurs antiochiens défunts. Ci-dessus, col. 1871. Jean aurait demandé à Théodoret de réfuter les trois livres de Cyrille contre Théodore et Diodore. Nous ne savons ce qu’il en advint. La fin de non-recevoir opposée par le patriarche d’Antioche aux exigences de Proclus mit un terme à toute cette agitation.

La mort aussi faisait son œuvre ; Jean disparaissait en 441-442, Cyrille en 444. Le trépas de ce dernier fut l’occasion pour bien des Orientaux d’exhaler leurs rancunes contre le. « Pharaon ». Au Ve concile on citera une lettre de Théodoret à Jean — ce qui constitue un grossier anachronisme — où l’évêque de Cyr exprimait, en termes bien peu évangéliques, le soulagement ressenti par tous à la mort de ce « méchant homme », la liberté que l’on aurait maintenant de s’attaquer aux formules les plus criticables de l’Égyptien. Pour admettre cette lettre comme authentique, il faudrait la supposer adressée à Domnus, successeur de Jean, ce qui ne paraît pas impossible. Le ton néanmoins la rend bien suspecte. La pièce n’est conservée que par le texte conciliaire, où se relèvent quelques faux. Des idées analogues s’expriment aussi dans un sermon que Théodoret aurait prononcé à Antioche en présence de Domnus peu après la mort de Cyrille. Un extrait en est transmis par le Ve concile, que l’on retrouve aussi dans la Palalina. Dans A. C. 0., t. i, vol. v, p. 173 ; P. L., t. xlviii, col. 1033. Garnicr y voyait jadis l’expression du plus pur « nestorianisme ». On peut différer d’avis à ce sujet.

De toutes ces interventions de Théodoret dans la grande querelle qui mit aux prises Cyrille et les Orientaux, il subsistait, soit dans les œuvres de Cyrille même, soit dans les recueils de correspondance que l’on ne tarda pas à rassembler, des preuves indéniables. Elles établiraient aux yeux des monophysites le « nestorianisme > de Théodoret. Tout cela ne tarderait pas à se manifester.

Ibas d’Édesse.

Comme son affaire est peut-être la plus épineuse dans la querelle des Trois-Chapitres, il faut, malgré ce qui a été dit à son article, exposer avec quelque détail et le curriculum vitse du personnage, et la fameuse lettre écrite par lui, et les malheurs qui bientôt après lui arrivèrent.

1. Les commencements d’Ibas.

Ibas avait commence par être professeur à la fameuse École des Perses, transférée de Nisibe à Édesse en 363. Au moment où ce jeune maître inaugurait son enseignement vers 411, l’évêque de la ville était Rabbula. Après avoir siégé à Éphèse au concile de Jean, celui-ci avait fait volte-face et était passé dans le camp cyrillien. Rentré chez lui, il avait mené la vie dure à ceux qui ne s’étaient pas convertis avec lui à la théologie de l’unique nature. Cf. Synod., n. 132 (43), p. 86 ; col. 649. Postérieurement, nous l’avons dit col. 1871, il sera l’animateur de la campagne contre les vieux docteurs antiochiens. Dans l’entrc-temps son attention avait été attirée sur les idées et l’enseignement d’Ibas, sur la propagande aussi que celui-ci faisait en faveur de Théodore de Mopsueste, dont il répandait, traduits en syriaque, les textes essentiels. Il faut croire néanmoins qu’Ibas jouissait à Édesse d’un certain crédit, car à la mort de Rabbula, il fut élu pour lui succéder (435-436).

2. La lettre à Maris.

C’est d’ailleurs avant son épiscopat que se place sa fameuse « lettre à Maris le Persan », qui sera pour Ibas, de son vivant la cause de pénibles aventures et qui, au Ve concile, sera considérée comme le tertium capitulum.

Le destinataire serait un évêque de Perse, nommé Maris. Comme ce nom ne se retrouve pas dans les listes épiscopales de Perse, on a pensé à une confusion. Mar, en syriaque, est le titre d’honneur que l’on donne aux évêques ; la lettre était adressée à Mar… un tel, dont le nom est tombé ; et on s’est plu à penser qu’il s’agissait du catholicos lui-même, simple conjecture que rien ne vérifie. Selon toute vraisemblance la lettre était écrite en syriaque, mais elle fut de bonne heure traduite en grec. Il en existe actuellement un texte grec dans les Actes de Chalcédoine, act. xi ; un texte syriaque qui, loin d’être l’original, est une retraduction du grec, dans les Actes syriaques du Brigandage d’Éphèse ; plusieurs textes latins : dans les diverses versions latines de Chalcédoine, dans Facundus d’Hcrmiane, Pro dejens. III capit., t. VI, c. iii, P. L., t. lxvii, col. 662 sq., dans la traduction latine du V » concile. Partout le début manque ; mais il est clair que la lettre a été écrite au lendemain de l’accord de 433.

Ibas veut donner à son correspondant une idée te de ce qui est arrivé ; celui-ei fera part de ces Mouve Iles à ceux qui sont sous sa juridiction ; on saura de la sorti dans l’empire perse que la doctrine traditionnelle n’a pas éprouvé de changement. Ibas com-Bence donc p : ir n’humer ce que Maris sait déjà, l’altrrc. -ition entre Ncstorius et Cyrille. Le premier disait que Marie n’était pas iluotocos et ses propos pouvaient donner à penser qu’il partageait l’hérésie de Paul de lamosate, suivant qui le Christ était un homme comme les autres, t^lXoç &v0pto7ro< ;. Cyrille, de son côté, en voulant réfuter Nestorius donna l’impression qu’il tombait lui-même dans l’erreur d’Apollinaire. « Comme celui-ci, de fait, il enseignait que c’était le Verbe divin qui s’était eluuipé en homme, ’ans qu’il Y’"' » iitn I. I. nifii i t celui qui l’habitait. Il composa douze capitula où l’on voit que, selon lui, unique est la nature de la divinité et de l’humanité en Jésus-Christ, qu’il ne faut pas faire de départ entre les diverses expressions que le Seigneur a employées pour parler de lui-même ou que les évangélistes ont dites de lui. Mais comment serait-il possible de prendre comme dits du temple né de Marie des mots comme ceux-ci : « Au commencement était le « Verbe », ou inversement attribuer au divin Monogène le mot du psaume : « Vous l’avez mis un peu au-dessous des anges. » L’Église, en effet, confesse avec fermeté, d’après la tradition des Pères, deux natures, une seule puissance, une seule personne (7tp6ejMTîov), qui est l’unique Seigneur Jésus-Christ. » « À cause de cette contestation les empereurs ordonnèrent la réunion à Éphèse d’un concile qui porterait un jugement sur les propos de Nestorius et de Cyrille. Mais, avant que tous les évêques fussent arrivés, Cyrille, prévenant les autres, trouva le moyen d’aveugler les intelligences, et cela à cause de la haine qu’il portait à Nestorius. Sans attendre l’arrivée de Jean, on déposa Nestorius, en dehors de toute enquête. Deux jours après arrivèrent les Orientaux (Ibas était du nombre, quoique simple prêtre ; il dit en effet : nous arrivâmes). Ayant donc appris et la déposition de Nestorius et la proclamation comme règle des douze chapitres de Cyrille, contraires à la vraie foi, ils déposèrent Cyrille, déclarant la communion rompue avec ceux qui s’étaient ralliés aux anathématismes. Cette division dura longtemps et certains en profitèrent pour donner cours à leurs rancunes personnelles ; tel le tyran d’Édesse (Rabbula), qui, sous prétexte de foi, se mit à poursuivre non seulement les vivants, mais les morts eux-mêmes, tout spécialement Théodore (de Mopsueste), le héraut de la vérité, le docteur de l’Église. C’est lui que l’homme de toutes les audaces a osé anathématiser. Au sujet des livres de Théodore une grande enquête fut menée et l’on déclara contraires à la vraie foi des ouvrages que, du vivant de Théodore, Rabbula lisait et louait beaucoup. Les choses en étaient là, quand l’empereur s’est mis en tête d’imposer la réconciliation entre Jean et Cyrille. Une lettre adressée par l’évêque d’Antioche à ce dernier contenait une profession de foi à laquelle il lui fallait se rallier, en même temps qu’il anathématiserait ceux qui disent que la divinité a souffert ou qu’il n’y a qu’une seule nature de la divinité et de l’humanité. Dieu qui a souci de son Église a bien voulu attendrir le cœur de l’Égyptien ; il s’est rallié à cette formule, anathématisant tous ceux qui croient autrement. Ainsi la paix a été rétablie. »

A cette histoire sommaire du conflit de 430 et de l’accord de 433, Ibas joignait les formules rédigées par Jean et les réponses de Cyrille. À les lire, son correspondant verrait et il pourrait annoncer à ses frères que les dissensions avaient pris fin, que ceux qui étaient partis en guerre contre les morts et les vivants étaient confondus, s’excusaient de leurs excès et professaient des doctrines contraires à leurs premiers enseignements. Nul n’osait plus dire : unique est la nature de la divinité et de. l’humanité » ; tous confessaient leur foi au temple et à celui qni l’habite, en un seul dis, Jésus-Christ, è(jLoXoYOÛmv etç tov vàov xal tic, t6v èv aÙTÔi èvotxoûvTa, 6vxa £va utov’Itqooûv Xptor6v.

Telle est cette lettre d’Ibas, qui fera couler des flots tl’i lui. Elle exprime très sensiblement le point de vue dl N. us le-Orientaux, tant sur les événements exté1 1’un que sur les doctrines en conflit. Si (Ile est nettement défavorable à Cyrille, elle ne cherche pas à innocenter Nestorius, pour qui elle est plutôt sévère. La théologie qui s’y exprime est celle de tout l’Orient, celle de Théodore, si l’on veut, mais expriméi tontes les réwi. Elle ne peut paraître damnable qu’aux yeux de ceux pour qui s’attaquer à Cyrille est commettre un crime de lèse-majesté. Mais ce sont précisément ces gens-là qui, un jour, en exigeront une solennelle condamnation.

3. Les tribulations d’Ibas.

Au fait, les événements auxquels fut ultérieurement mêlé l’évêque d’Édesse étaient bien de nature à attirer sur lui l’attention. Ibas d’abord fut l’un de ceux que Proclus de Constantinople désigna à Jean d’Antioche comme très suspect de donner dans « la folie de Nestorius » et de la répandre en mettant en circulation des capitula hétérodoxes. Il fallait d’urgence lui faire signer le tome aux Arméniens. Ce serait tout profit pour lui et cela désarmerait bien des préventions. Proclus, Epist., iii, P. G., t. lxv, col. 875. Ci-dessus, col. 1871. Au fait l’archimandrite Dalmatius de Constantinople, qui s’attribuait volontiers les fonctions de grand inquisiteur, déclarait à qui voulait l’entendre qu’il ne pensait rien de bon de l’évêque d’Édesse. Que serait-ce quand Dalmatius serait remplacé dans ce rôle par Eutychès ?

C’est à partir de 441 que commence à grandir la fortune de ce dernier. Par sa correspondance avec les moines de la région antiochienne et mésopotamienne, Eutychès, tout-puissant à la cour, était au courant de tout ce qui se passait dans le patriarcat d’Orient. Tout proche d’Édesse, l’évêque d’Himéria, Uranius, se faisait une spécialité de susciter des affaires à son voisin, aussi bien en ce qui regardait son administration qu’en ce qui concernait son enseignement. Tout cela éclata après qu’eut été rendu, à la demande d’Eutychès, le décret impérial du 16 février 448. Cet édit étendait à « des publications nouvelles, toutes imprégnées de l’esprit de Nestorius » — c’était évidemment l’Eranistes de Théodoret qui était visé — les mesures prises dix ans auparavant contre l’archevêque hérétique et ses adhérents. À titre d’indication, d’ailleurs, une mesure personnelle était prise contre le comte Irénée, devenu évêque de Tyr, qui serait expulsé de son évêché et exilé. Quelles furent les conséquences de cet édit pour Théodoret nous le dirons plus loin ; pour Ibas elles allaient être désastreuses.

Dès le début du printemps, une cabale était montée par quelques clercs d’Édesse qui, au carême, s’en vinrent à Antioche porter auprès de Domnus une accusation en règle contre leur évêque. Outre des griefs administratifs, on avançait des accusations d’ordre théologique, lui prêtant des propos énormes : « Je ne porte pas envie au Christ, aurait-il dit, ce qu’il est devenu, je puis moi-même le devenir ! » L’enquête, commencée par Domnus à la Pentecôte fut reprise, d’ordre du gouvernement, à l’automne : elle serait menée en Phénicie par l’évêque de Tyr, Photius, et son collègue de Béryte (Beyrout), chez qui le procès se déroula. Finalement l’action intentée se termina par un non-lieu, qui fut une vraie victoire pour l’évêque d’Édesse. L’accusation ne put démontrer qu’Ibas eût tenu les propos qu’on lui attribuait. « Je préférerais, dit l’évêque, être coupé en morceaux que de tenir pareil langage, qui est, pour moi, impensable. » On l’entreprit sur les mots désobligeants qu’il avait pu dire à rencontre de Cyrille. « C’était, répondit-il, avant l’Acte d’union ; depuis nous sommes demeurés en bons termes. » Contre cette affirmation, l’accusation demanda la lecture de la fameuse lettre à Maris. Ainsi fut fait, mais Ibas demanda, à son tour, que fût lue une déclaration adressée en sa faveur aux membres du tribunal par le clergé d’Édesse. Cette pièce qui, dans l’affaire des Trois-Chapitres, jouera un rôle considérable attestait solennellement que nul à Édesse n’avait connaissance des propos énormes soi-disant tenus par Ibas. Il est probable que cette pièce eut une grande influence sur la décision du tribunal de Beyrout. En février de l’année suivante, 449, on s’efforça de réconcilier Ibas avec le parti qui s’était porté accusateur. C’est à Tyr qu’eut lieu cette procédure de conciliation-Ibas promit que, rentré à Édesse, il s’expliquerait publiquement, anathématiserait Nestorius, confesserait adhérer à l’Acte d’union et tenir pour concile légitime le synode d’Éphèse de 431. Ibas put rentrer chez lui pour célébrer les fêtes pascales.

Il n’était pas au bout de ses épreuves. À peine la convocation impériale avait-elle été lancée pour le nouveau concile d’Éphèse, 30 mars 449, que des mesures drastiques étaient prises pour écarter de cette assemblée tous ceux qui pouvaient y faire opposition au monophysisme triomphant. Dès le mois d’avril arrivait à Édesse un fonctionnaire impérial, Chéréas, qui reprenait une enquête tant sur l’administration d’Ibas que sur ses doctrines. Les propos de l’évêque furent repassés au crible, non seulement celui qu’Ibas avait déclaré jadis impensable, mais d’autres qui sont beaucoup moins invraisemblables, car ils reflètent assez bien la doctrine de Théodore. Une nouvelle fois la lettre à Maris fut versée aux débats. Nous ignorons comment se termina l’enquête et ne pouvons dire s’il y eut un jugement régulier. Mais il est certain qu’Ibas fut chassé de la ville, même mis en prison et amené jusqu’à Antioche. C’est là qu’il apprendra que le Brigandage d’Éphèse avait prononcé sa déposition. Ceci d’après les procès-verbaux syriaques du Brigandage.