Dictionnaire de théologie catholique/SURNATUREL I. Notion

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 14.2 : SCHOLARIOS - SZCZANIECKIp. 674-675).

SURNATUREL. — La notion de surnaturel est fondamentale dans la théologie catholique. Cette théologie, en effet, affirme, contre les naturalistes et les rationalistes de toute espèce, la possibilité et l’existence d’un ordre surnaturel permettant à la religion de s’originer à la révélation de mystères proprement dits et de se manifester dans l’âme humaine par une vie supérieure aux exigences de la nature. Il est donc indispensable de préciser la notion de surnaturel, d’en envisager les aspects divers et d’en rappeler brièvement les rapports avec l’ordre naturel.

I. Notion.
II. Divisions.
III. Rapports avec l’ordre naturel.

I. Notion.

Notion générale.

Pris dans son acception la plus large, le surnaturel désigne toute réalité, tout fait, toute vérité dépassant les possibilités et les exigences de la nature.

Ce surnaturel n’est concevable qu’à la condition de rejeter plusieurs erreurs qui en contredisent la notion. Tout d’abord, l’erreur des panthéistes qui, englobant Dieu lui-même dans le tout universel de la nature, suppriment par là-même d’une manière radicale toute possibilité de surnaturel ; cf. Denz.-Bannw., n. 1701, 1803, 1804. Ensuite, l’erreur naturaliste des déistes qui, tout en admettant un Dieu distinct du monde, soumettent l’action divine à un déterminisme absolu, ce qui revient à dénier à Dieu toute possibilité d’action en dehors des lois naturelles ; cf. Denz.-Bannw., n. 1805 (2), 1813 et ici Miracle, t. x, col. 1812-1824. Enfin, l’erreur des semirationalistes qui, tout en admettant Dieu et la révélation, entendent cependant expliquer les mystères avec les seules ressources de la raison humaine, ce qui revient à en nier le caractère surnaturel ; cf. Denz.-Bannw., n. 1669, 1709, 1796 et ici Mystère, t. x, col. 2588 sq. On pourrait ajouter l’erreur des pélagiens qui, réduisant la grâce à n’être que l’exercice de notre liberté, identifiaient logiquement la morale surnaturelle et la morale naturelle. Pour rester fidèle à cette description générale, on devra donc affirmer que la nature, avec ses forces seules, est incapable d’expliquer ce qu’on appelle le surnaturel.

Elle est même incapable de l’exiger. Une exigence réelle du surnaturel entraînerait la confusion des deux ordres et par conséquent reviendrait à nier le surnaturel. Ce fut l’erreur de Baïus qui, tout en distinguant spéculativement l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, considérait néanmoins que « l’élévation de la nature humaine et son exaltation à la participation de la nature divine étaient dues à l’intégrité de notre condition première et qu’en conséquence elles devaient être dites naturelles et non pas surnaturelles ». Prop. 21 ; Denz.-Bannw., n. 1021 ; cf. prop. 1-9, 24, 34, 42, 61, 64, 69, 78 et 79, n. 1001-1008, 1024, 1034, 1042, 1061, 1064, 1069, 1078 et 1079.

Définition plus précise.

La notion exacte du surnaturel doit se dégager de la notion du naturel.

1. Notion du naturel. (Cf. S. Thomas, In II Phys., c. i, lect. 1 et 2 : In V Metaph., c. iv, lect. 5 ; Sum. theol., Ia, q. xxix, a. 1, ad 4um ; IIIa, q. ii, a. 1) —

« Naturel » 

vient de « nature ». La nature est, en chaque être, son essence même en tant qu’elle est considérée comme le principe premier des opérations et des passions qui lui appartiennent en propre. Aussi peut-on parler analogiquement de la nature divine, de la nature angélique, de la nature humaine. Le naturel est donc, en chaque être, « ce qui lui convient selon sa nature ». S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. x, a. 1.

Pour préciser l’extension de cette notion du naturel, il convient de considérer la nature sous ses différents aspects d’activité et de passivité. En premier lieu, dans les éléments spécifiques qui la constituent et forment le principe même d’activité ; sous cet aspect, la nature se confond avec l’essence même de l’être : ainsi il est naturel à l’homme d’être composé d’âme et de corps. En deuxième lieu, dans les principes immédiats de son activité propre, puissances ou facultés émanées de l’essence et dans les actes mêmes par lesquels opèrent ces puissances : ainsi il est naturel à l’homme d’avoir une intelligence, une volonté, une sensibilité, un organisme vital et, par voie de conséquence, il lui est naturel de comprendre et de raisonner, de désirer et de vouloir, d’éprouver des attraits et des répulsions, de s’assimiler les aliments et de se fortifier. Mais, en troisième lieu, en la nature se révèlent aussi des principes immédiats de sa passivité par lesquels les agents extérieurs peuvent l’atteindre et la modifier ; déjà toute sensibilité sous ce rapport lui est naturelle, mais particulièrement la souffrance, la maladie, la dégénérescence, la vieillesse, la mort. En quatrième lieu, la nature manifeste des exigences de son activité propre par rapport aux concours extérieurs nécessaires à son action, et spécialement par rapport à Dieu : la lumière est la condition naturelle pour que l’œil voie ; le concours divin est indispensable à l’activité humaine pour passer de la puissance à l’acte, et c’est en ce sens qu’on peut parler du concours naturel. Enfin, la nature humaine pouvant être considérée dans la personne qu’elle constitue, l’activité d’une telle personne responsable de ses actes appelle une rétribution naturellement due, récompense pour le bien, punition pour le mal.

Ainsi l’on peut conclure que le naturel est, pour chaque être, ce qui lui est proportionné, ce qui est déterminé par les exigences de sa nature.

2. Notion du surnaturel.

Le surnaturel est, pour chaque être créé, ce qui excède la proportion de sa nature et qui, par conséquent, lorsqu’il vient perfectionner celle-ci, est un bienfait gratuit de Dieu. Et le surnaturel existe pour la nature humaine sous tous les aspects où nous avons considéré le naturel. La nature peut être perfectionnée par lui dans ses éléments essentiels : la grâce sanctifiante est ainsi un habitus perfectionnant la substance de l’âme ;
— dans ses puissances actives et passives et leurs actes, les opérations de ses puissances étant élevées à l’ordre surnaturel tout d’abord par les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, ensuite par la grâce ;
— dans le concours que lui prête Dieu pour l’aider à opérer surnaturellement ;
— enfin dans son mérite qui, par la grâce et l’acceptation divines, est élevé à un ordre supérieur aux exigences de la justice naturelle.

On aurait tort d’ailleurs de concevoir le surnaturel comme s’opposant au naturel. Entre le surnaturel et le naturel, il ne saurait y avoir de disconvenance ou d’incompatibilité, sans quoi le surnaturel devrait être dit contrenaturel. D’autre part, on ne saurait dire que le surnaturel est indifférent à la nature : s’il est exact, comme on l’a dit plus haut, d’affirmer qu’aucune exigence soit des principes essentiels, soit des principes d’opération de la nature, n’existe par rapport au surnaturel, il n’en faut pas moins affirmer un rapport de convenance entre la nature et le surnaturel. La nature est, en raison de la puissance obédientielle qu’elle présente à l’action divine, puissance perfectible par le surnaturel. La grâce ne s’oppose pas à la nature ; elle ne la détruit pas ; elle la présuppose au contraire pour l’élever à un ordre supérieur répondant plus parfaitement à ses aspirations vitales. Voir plus loin, col. 2854.

En bref, il faut donc définir le surnaturel : ce qui, par rapport à la nature, dépasse ses éléments essentiels, ses activités et passivités naturelles, ses exigences, son mérite naturel, mais non point sa capacité obédientielle et perfectible.

Quelques confusions à éviter.

1. Sur l’expression : « naturel ».

Sous la plume de certains théologiens scolastiques, naturel est synonyme d’originel et exprime tout ce qui se rattache à notre origine. Aussi la justice originelle est-elle parfois appelée justice naturelle, voir Justice originelle, t. viii, col. 2035, et les dons de la justice originelle, les dons naturels. C’est en ce sens que l’axiome célèbre : vulneratus in naturalibus, spoliatus gratuitis s’entend de la blessure faite dans la nature par la perte des dons préternaturels et du dépouillement subi par la nature par rapport au don surnaturel de la grâce.

2. Sur l’expression : « non naturel ».

« Non naturel » 

est la contradictoire de naturel ; « surnaturel » en est un contraire. On devra donc éviter de confondre contraire et contradictoire, ce dernier ayant ici une compréhension beaucoup plus considérable. N’est pas naturel tout ce dont le principe d’existence est en dehors de la nature : ainsi l’artificiel, dont le principe est dans l’imagination du constructeur ; le contrenaturel ou violent, dont le principe contredit l’inclination de la nature ; ainsi le fortuit ou accidentel, qui se produit en dehors des lois naturelles par suite d’une intervention inattendue et souvent aveugle. Le libre s’oppose aussi au naturel dans la volonté ; le mouvement naturel est le mouvement instinctif et indélibéré de la volonté vers le bien in communi ; le mouvement libre est commandé par la réflexion de l’intelligence et consécutivement de la volonté : on a ainsi le mouvement naturel et le mouvement libre.


II. Divisions.

Surnaturel substantiel et surnaturel participé.

Le surnaturel substantiel est tel par lui-même, indépendamment de toute élévation à un ordre supérieur. On voit par là qu’il ne peut convenir qu’à Dieu seul. C’est donc Dieu lui-même considéré soit dans la vie intime de sa déité, unité de nature et trinité de personnes ; soit dans la communication de l’être personnel du Verbe à la nature humaine dans l’union hypostatique ; soit dans son essence jouant le rôle de forme intelligible pour les intelligences glorifiées élevées à la vision béatifique. Ce surnaturel substantiel est également appelé surnaturel incréé, absolu, par essence, de telle sorte qu’il apparaît évidemment comme dépassant l’ordre de toute nature créée ou créable.

Le surnaturel participé est celui qui élève une nature créée à une certaine participation de l’opération ou de la puissance divine. Il n’a donc pas sa raison d’être en lui-même ; il l’a uniquement en raison d’une certaine participation qui lui est communiquée par Dieu de sa propre nature ou de sa propre puissance : divinæ naturæ consortes. II Petr., i, 4. On l’appelle encore surnaturel créé ou accidentel.

Surnaturel proprement dit ou absolu (simpliciter) et surnaturel par comparaison ou relatif (secundum quid).

Cette distinction est une subdivision du surnaturel participé ou créé. Le surnaturel proprement dit, que nous avons appelé absolu, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité absolument supérieur à l’ordre de toute nature créée ou créable. Ainsi, la vie de la grâce sanctifiante, la puissance des miracles, la prophétie, certains charismes de la primitive Église (par exemple, le don des langues). Le surnaturel par approximation, que nous avons appelé relatif, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité supérieur à telle nature particulière : c’est donc par rapport à cette nature déterminée qu’il mérite la qualification de surnaturel. Ce qui est naturel à l’ange devient, relativement à l’homme, quelque chose de surnaturel ; l’intelligence, naturelle à l’homme, serait une faculté surnaturelle relativement à l’animal. C’est à ce surnaturel relatif qu’il faut rattacher le

« préternaturel », par exemple, les dons de la justice

originelle : immortalité conditionnelle du corps, intégrité, impassibilité ; par exemple encore, le merveilleux diabolique.

Surnaturel intrinsèque et surnaturel extrinsèque.

C’est là une subdivision du surnaturel proprement dit ou absolu. Pour bien la comprendre il ne sera pas inutile de l’exposer d’après les considérations proposées par Jean de Saint-Thomas.

Le surnaturel peut convenir à une chose en vertu d’un triple principe : de sa cause efficiente, finale, ou formelle. La cause matérielle doit être éliminée, car elle ne peut que fournir le sujet dans lequel sont reçues les formes surnaturelles : ce sujet, c’est l’âme et ses puissances…

Du côté de sa cause efficiente, une réalité est dite surnaturelle quand elle est produite d’une manière surnaturelle, même si elle est naturelle en elle-même. Ainsi la résurrection d’un mort ou l’illumination d’un aveugle sont surnaturelles en raison de la manière dont elles sont produites, bien qu’en soi la vie humaine et la puissance visuelle soient des réalités d’ordre naturel.

Du côté de sa cause finale, est surnaturel tout ce qui est ordonné vers une fin surnaturelle par un principe qui lui est extrinsèque : ainsi les actes de tempérance