Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VII. La messe dans l'Eglise byzantine après le IXè siècle. III. Doctrine des théologiens gréco-russes de l'époque moderne

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 25-26).

III. DOCTRINE DUS THÉOLOGIENS GRÉCO-RUSSES DE l'époque moderne. —

A partir du xvi° siècle, la I néologie eucharistique de l’Eglise gréco-russe devient, dans une large mesure, tributaire de la théologie catholique. Pour réfuter les protestants, qui s’attaquent à la fois au sacrement et au sacrifice, les théologiens orientaux empruntent volontiers les arguments de nos grands théologiens des xvi° et xvii 8 siècles.

Dès la fin du xvie siècle, Jérémie II, patriarche de Constantinople, répondant aux professeurs luthériens de Tubingue et de Wittenberg, s’inspire surtout dt l’Exposition de la liturgie de Nicolas Cabasilas, dont il transcrit plusieurs passages relatifs à la messe, représentation de toute l'économie et à la consécration, considérée comme l’essence du sacrifice. Première réponse, c. xiii, dans Gédéon de Chypre, KpiT7)ç -njç à>7]6eîaç, Leipzig, 1758, 1. 1, p. 64-65, 74.

Au xviie siècle, les négations protestantes sur le sacrifice de la messe comme sur la plupart des autres dogmes sont rejetées par plusieurs conciles locaux. La Confession orthodoxe de Pierre Moghila affirme le caractère sacrificiel de l’eucharistie. Ce sacrifice est propitiatoire pour les péchés des vivants et des morts ; il est le mémorial de la passion du Sauveur, et durera jusqu'à la fin des temps, Conf. orth., I" p., q. xviii, Kimmel, Monumenta fidei Ecclesiæ orienlalis, t. i, Iéna, 1850, p. 183-184. Dosithée, dans sa Confession de foi, c. xv et xvii, n’est pas moins explicite : Le sacrifice non sanglant de la Nouvelle Alliance a été institué à la dernière cène, quand Jésus a dit : Prenez et mangez : Ceci est mon corps, etc. C’est un sacrifice véritable et propitiatoire, offert pour tous les fidèles vivants ou morts et pour l’utilité commune, comme on le voit par les prières qui l’accompagnent et que nous ont transmises les Apôtres, ëti eTvoci. 6ucTtav àXï)GY) xal pacmxrjV, Trpoaspspo^évTjV UTcèp Trâvtcov eùaeÊtôv Tcôvtwv xal teÔvewtcov xal imkp (ôcpeÀeîaç 7ràvTwv. Kimmel, ibid., p. 449, 461.

Les manuels de théologie composés à partir du xvrae siècle pour l’usage des séminaires et des académies ecclésiastiques exposent généralement, à la manière des manuels catholiques et dans le même ordre, les diverses questions relatives au sacrifice de la messe. Quelques-uns cependant ne distinguent pas nettement entre le sacrement et le sacrifice, et mêlent les deux notions. Les questions proprement scolastiques sur l’essence du sacrifice, sur la distinction des divers fruits, sont communément passées sous silence par les théologiens contemporains. Quelques-uns pourtant font de brèves allusions aux opinions sur l’essence du sacrifice, et adoptent celle qui voit cette essence dans la consécration des deux espèces considérées séparément. Ainsi C. Androutsos, Aoyp : aTi.xY), Athènes, 1907, p. 373 ; Dyovouniotis, Ta ".ucnr^pia t^ç àvaTo>. !.x7Jç 6p00861 ; ou 'ExxX-rçataç, Athènes, 1913, p. 120 : y) evvoia tr t ç Guaîaç èv Tfl Osta eùxapiaxta EYxeirai èv -roi ycùpia[i& toù écpTOu xal oïvou ; Malinovskii, Résumé de théologie dogmatique, Serghiev Possad, 1908, p. 387.

La plupartjaffirment explicitement l’identité substantielle du sacrifice de la messe avec le sacrifice de la croix, tout en notant les différences qui les distinguent. Voir, par exemple, Macaire, Théologie dogmatique orthodoxe, éd. russe de Pétrograd, 1883, p. 420-421 ; Malinovskii, op. cit., t. ii, p. 386-387 ; Androutsos, Huu.êo>ixy) èE, è716^ecoç ôp0086Çou, Athènes, 1901, p. 301-302 ; Aoyo-a-uxT), p. 370-371 ; Dyovouniotis, op. cit., p. 122-123. L’identité du prêtre principal, qui est Jésus-Christ lui-même, n’est pas oubliée. Mais Malinovskii, op. cil, , p. 387, remarque que le Sauveur offrit immédiatement le sacrifice de la croix, tandis qu’il offre le sacrifice eucharistique mediatement, c’està-dire par l’intermédiaire des prêtres, sans exclure pour cela sa participation actuelle, quoique invisible à ce sacrifice. Il y a également accord complet entre les théologiens gréco-russes et les théologiens catholiques sur les quatre fins du sacrifice de la messe.

A côté des manuels de théologie dogmatique, il faut mentionner les catéchismes et les explications des rites liturgiques, qui s’adressent surtout aux simples fidèles. Ces sortes d’ouvrages conservent une couleur byzantine très prononcée, et l’on y retrouve les principales idées exposées par les anciens commentateurs de la liturgie, surtout celle-ci : que la messe est la représentation de toute l'économie. Signalons, parmi ces ouvrages, celui de Jean Nathanaël : 'H 6sf.a XsiToupyîa (j.ETà è^fiyr^soiM Siaçôpcov StSaaxàXcov, Venise, 1574, qui fut traduit en slavon et entra dans la composition de l’ouvrage intitulé Scrigeal approuvé par le concile moscovite de 1656 et publié par le patriarche Nicon ; celui de Nicolas Bulgaris, 'Iepà xaT7)/7]at.ç YJTOt êÇyJYqaiç tîjç 6etaç xal ôepàç Xei-roupylocc, xal è^szrxmç tcov 5(eipoTovo’j[ji.éva)v, édité à Venise en 1683 et plusieurs fois reproduit depuis, encore très lu de nos jours dans les milieux grecs ; le Tapietov ôpGoSoÇtaç de Théophile de Campanie, Venise, 1780, c. xiv-xvii, p. 28-43 de l'édition d’Athènes, 1908, resté également très populaire. Le Grand catéchisme de Philarète de Moscou, estimé par les Russes à l'égal d’une confession de foi, consacre, malgré sa brièveté, plusieurs questions au symbolisme des rites de la messe, et reproduit bien la conception byzantine : « Quelle part doivent prendre à la divine liturgie les simples assistants, qui ne communient pas ? Rép. : Ils peuvent et doivent prendre part à la messe par la prière, la foi et surtout par le souvenir ininterrompu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a justement recommandé de faire cela en sa mémoire. — Quel souvenir convient-il d'évoquer, au moment où a lieu la procession pour l'évangile ( = la petite entrée) ? Rép. : Le souvenir de Jésus-Christ paraissant pour prêcher l'Évangile. Aussi pendant la lecture dt l'évangile, il faut avoir l’attention et la piété que nous aurions, si nous voyions et entendions Jésus-Christ luimême. — A quoi faut-il penser, quand a lieu la procession pour le tranfert des dons à l’autel (= la grande entrée)? Rép. : Il faut penser à Jésus-Christ allant à son émouvante passion comme une victime à l’immolation, et se souvenir aussi que plus de douze légions d’anges sont là prêtes à le garder comme leur tsar (Le tsar des tsars et le Seigneur des Seigneurs s’avance pour être immolé, dit un tropaire de la messe du samedi saint). — A quoi faut-il penser au moment même de l’accomplissement du mystère, et quand les ministres sacrés communient à l’autel ? Rép. : A la cène mystique de Jésus-Christ lui-même avec les Apôtres, à sa passion, à sa mort et à son ensevelissement. — Que représentent, après cela, l'écartement du voile du sanctuaire, l’ouverture des portes impériales et l’apparition des saints dons ? Rép. : L’apparition de JésusChrist lui-même, à la résurrection. — Que représente la dernière ostension des saints dons au peuple, après laquelle ceux-ci sont cachés ? Rép. : L’ascension de Jésus-Christ au ciel. » Mieux que l’exposé technique d’un manuel de théologie dogmatique, ces brèves demandes et réponses, nous disent la foi vivante de l'Église russe au sacrifice de la messe mémorial de la passion du Sauveur, évocation mystique des principaux mystères de sa vie.

Sur la controverse : Tu es celui qui offre qui est offert et qui reçoit, voir : Mai', Spicilcqium Romanum, t. x, Rome, 1844, p. 1-96 ; Migne, P. G., t. cxl, col. 137-202 ; Nicétas Acominatos, De Manuele Comneno, t. VII, 5, P. G., t. cxxxix, col. 560-564 ; Allatius, De perpétua consensione Ecclesiæ occidentalis atque orienlalis, t. II, c.xii, 5, Cologne, 1648, col. 690-692 ; du même. In Roberli Creyghtoni apparalum, versionem et notas ad hisioriam concilii Florenlini scriptam a Sylucstro Syropulo de imione inter Grœcos et Dalinos exercitationes, Exerc. xxvi, p. 522-538 ; Kinnamos, Hislor., t. IV, c. xvi, P G., t. cxxxiii, col. 517-521 ; Andronic Dimitracopoulos, NixoXâou ètcktxotcou MeOwvt, : Xoyoi 6°jo v.ol-o. tyjç aip£<T£a)i ; tûv ÀjyovTiov tt, v acdTTJptav ûicèp T, jj.(i>v 0-jCTtav [17] zr TpiTb71017TaT bEÔxrfiiTÇoaoLyftrpoii, i), Xà t< ; > Ilarpl fj.6 vu. 'Leipzig, 1865 ; du même, 'ExxXïicrtaTiAY] [icôXiof) /, L-<-, , Leipzig, 1866, p. 345 sq.

Sur la controverse relative à l’incorruptibilité du corps de Jésus-Christ dans l’eucharistie : Nicétas Acominatos, ©Yjtravipbi ; tr, ; ôpÔoSbEtaç, t. XXVII, publié dans les Prolégomènes à l'édition des chapitres théologiques de Michel Glykas par Sophrone Eustratiadès, Mi/xt'/ : o-J rXvLi eu rixç adopta ; tvjç Ôetaç ypaf ?, ; xEipàXaia, t. I, Athènes, 1906, p. /'-p.' ; Michel Glykas, c. i.ix et Lxxxiii, publiés par S. Eustratiadès, op. cit., t. ii, p. 133-135, 348379, Alexandrie, 1912 (comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, le c. Lix, n’est pas autre chose que la fameuse lettre attribuée à Jean Zonaras sur la corruptibilité du corps du Christ, P. G., t. lxxvi, col. 1073, n. 5) ; Pierre Mansour, Lettre à Zacharie, évêque de Doara, et Discours sur le corps immaculé du Christ reçu à la communion, avec la préface de Lequien, P. G., t. xcv, col. 397-412 (nous avons dit que ces deux pièces étaient des écrits supposés, reproduisant des passages entiers des deux chapitres de Michel Glykas sur le sujet) ; Néophyte le Reclus, EuvoïtTtXT] nap ::; -'f3CGT ; 71epi r/j ; vEocpavoOç Sc/ovoia ; î'.te à'^bapTov, e’c’ie qp8xpTY)v ôXpiTTo ; upoc/EXâBïTO rjy.oy.ix (faux titre, puisque l’auteur ne parle que du corps eucharistique), ex 7tvE’jp.ax[v.(i)V Se pïjejEcov àva(içc ?dXo)v r, 7taoE ; E : aacç napiTTfîxja Taç à7to8£t' : Et :, dans le Cod. Paris, græc. 1189, fol. 199 v°-200 v° ; Nicétas Acominatos, De Alexio lsaaci Angeli fratre, t. III, 3, P. G., t. cxxxix, col. 893-898 ; Allatius, De perpétua consensione, t. II, c. xiii, 3, col. 702703, et Exercit.xxw in Creightonum, p. 538-549 ; les auteurs de la Perpétuité de la foi de l'Église catholique sur l’eucharistie, édit. Migne, 1. 1. col. 711-725, et t. iv, col. 565-593, sur le xxme chapitre de l’Hodégos d’Anastase le Sinaïte ; t. iv, col. 677-696, sur la Lettre à Zacharie et le Discours sur le corps du Seigneur de Pierre Mansour ; t. iv, col. 611642, sur la controverse soulevée par Michel Glvkas (cf. sur le même sujet, t. i, col. 413-419) ; t.iv, col. 523-526, sur l’histoire de saint Arsène.

M. Jugie.