Dictionnaire de théologie catholique/MAURISTES II. Exposé du Jansénisme au sein de la Congrégation

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 10.1 : MARONITE - MESSEp. 213-216).

II. Le jansénisme des mauristes. — Avant d’aborder la période très brillante de l’histoire des Mauristes, pendant laquelle, de 1630 à 1725 surtout, on vit la forte organisation des études donner de si merveilleux résultats, il faut dire quelques mots de cette autre période déplorable pendant laquelle, de 1725 à 1780, le jansénisme vint détourner de leurs travaux un certain nombre de ces hommes en qui l’étude entretenait l’esprit de piété et de fidélité à leurs observances.

L’histoire du jansénisme à Saint-Germain-des-Prés, dit M. Vanel, Les bénédictins de Saint-Germain-des Prés et les savants lyonnais, in-8o, Paris, 1894, p. 234, reste encore à écrire : il y faudrait le dépouillement de la volumineuse correspondance manuscrite, qui dort dans les rayons de la Bibliothèque nationale. Dom Paul Denis, O. S. B., s’était livré à cette tâche, il y a une vingtaine d’années, et il a publié d’intéressants extraits des Lettres des mauristes, dans la Revue Mabillon ; la mort ne lui a pas laissé le temps de poursuivre son travail, ni de réaliser le dessein qu’il exprimait ainsi dans une note, Revue Mabillon, 1909-1910, t. v, p. 354 : « J’espère que le loisir me sera donné un jour d’établir, en me basant sur des documents irréfutables, que les bénédictins de Saint-Maur, auxquels on a tant reproché d’être jansénistes, étaient, à de rares exceptions près, beaucoup moins encore fauteurs des erreurs doctrinales qu’antagonistes déterminés des jésuites. Les longues querelles relatives à l’édition de saint Augustin, ou à la Diplomatique de Mabillon, le rappel du procureur général, exigé par le confesseur de Louis XIV, pour la seule raison que le religieux bénédictin était trop considéré à la cour de Rome (il s’agit de dom Guillaume Laparre en faveur auprès de Clément XI, Revue Bossuet, t. v, p. 224-225), la confiscation, au profit de la Compagnie, de quantité de prieurés de l’Ordre, d’autres rivalités encore avaient créé entre les deux familles religieuses une animosité qui dura jusqu’à la Révolution. »

Le jansénisme eut deux phases principales : la première le montre avant tout, comme un système théologique avec des polémiques ordinairement doctrinales ; elle se termine à la paix de Clément IX en 1669 ; on y rencontre les grands noms de Jansénius et d’Arnaud, elle est marquée par la condamnation des cinq propositions en 1653, sous Innocent X, et par le formulaire d’Alexandre VII en 1665. La seconde phase qui commence aux dernières années du xviie siècle, révèle, dans le jansénisme, un parti d’opposition politique, parlementaire et philosophico-religieuse. Le nom de Quesnel y émerge avec son livre des Réflexions morales, condamné par la bulle Unigenitus en 1713 ; c’est alors que l’on vit un bon nombre de religieux mauristes se ranger parmi les appelants.

1o Durant la première phase, il paraît bien que l’accusation d’être janséniste ne fut pas justifiée en ce qui concerne les bénédictins de Saint-Maur. Nous ne relèverons pas ici les attaques au sujet de l’édition de saint Augustin ; il en a été question à diverses reprises dans ce dictionnaire (voir les mots Blampin, Langlois, Mabillon). Ajoutons seulement quelques détails caractéristiques. Voici ce qu’on relève dans la correspondance de dom Antoine Durban, procureur général à Rome, sous le supériorat de dom Vincent Marsolle : On est en 1679 ; présentés au pape Innocent XI, les deux premiers volumes de l’édition des œuvres de saint Augustin sont reçus avec la plus grande satisfaction, et pourtant la renommée de cet ouvrage a suscité contre la congrégation une incroyable jalousie de la part de certaines gens. Après la mort du cardinal de Retz, ami sincère et dévoué protecteur des mauristes, les haines se déchaînèrent ; on prétendit que le texte de saint Augustin avait été corrompu à dessein et retouché témérairement dans le but de favoriser les erreurs du jansénisme. Ainsi le fait d’avoir imprimé dignetur pour dignatur, fut dénoncé, au souverain pontife, comme une preuve que les mauristes voulaient combattre son infaillibilité, alors que ce changement d’un a en e venait tout simplement de l’inadvertance d’un typographe. Tout un mémoire, concernant cette faute d’impression, fut remis au supérieur général par l’archevêque de Paris, au nom du P.de la Chaise… Le même Père, confesseur du roi, accusait auprès de l’archevêque de Paris, le supérieur général d’être janséniste, à cause d’un index de livres de spiritualité où quelques ouvrages d’auteurs jansénistes étaient cités avec éloge ; pourtant cet index n’avait pas édité sous le gouvernement de dom Marsolle et il y était complètement étranger. Dom P. Denis, La correspondance de dom Antoine Durban, dans Revue Mabillon, 1910-1911, t. vi, p. 200-203.

Le même procureur général, dom Durban, connut d’autres ennuis : ainsi, un ordre royal prescrivit son rappel en France. L’ordre royal avait été sollicité par le P.de la Chaise et l’ambassadeur du roi à Rome : dom Durban était, bien à tort, rendu responsable des retards apportés à la sécularisation de l’abbaye d’Ainay ; de plus, il avait, disait-on, pris nettement parti contre le gouvernement français dans la très grave affaire de la régale, alors qu’il avait observé la défense de s’en mêler, intimée par son supérieur général. A l’occasion de ce rappel, il avait même été question de supprimer l’office de procureur général en cour de Rome. Sur les vives représentations des supérieurs majeurs, le roi renonça à ce projet ; dom Gabriel Flambart fut envoyé pour remplir cette charge : c’était pour lui la seconde fois ; entre autres recommandations, on lui faisait celle de dissiper le soupçon de jansénisme constamment renouvelé contre les mauristes. Ibid., p. 209-210.

Les premiers supérieurs généraux avaient tout fait cependant pour écarter ce soupçon. Il est bon de rappeler à ce sujet qu’en 1650, sous dom Jean Harel, la congrégation de Saint-Maur n’avait voulu se jeter dans aucun parti sur les disputes de la grâce, remettant le tout au jugement de l’Église ; dès 1658, avis avait été donné aux visiteurs de retirer des monastères le livre de Jansénius et autres du temps. En 1652, quand la bulle d’Innocent X contre les cinq propositions fut imprimée à Paris, le supérieur général en fit acheter des copies et envoyer par tous les monastères. Les mémoires du R. P. dom Bernard Audebert, dans Archives de la France monastique, t. xi, Paris 1911, p.  176 et 276.

Inquiet des projets de Louis XIV qui, dès 1672, voulait unir d’un seul coup à la congrégation de Saint-Maur, par mesure impérative, les abbayes non encore réformées du royaume, puis tous les monastères de l’étroite observance de Cluny, dom Vincent Marsolle s’y était opposé de tout son pouvoir ; il ne voyait pas de moindres inconvénients à entreprendre la réforme des monastères d’Italie. Il était soucieux de vivre en bonne confraternité avec les ordres religieux, particulièrement avec les jésuites, qui déjà avaient manifesté leur hostilité. Durant les deux années qu’il fut procureur général à Rome, dom Bernard de Montfaucon eut encore à défendre l’édition bénédictine de saint Augustin ; il le fit avec une verve extrême et une absence de ménagement qui dérouta ses adversaires : il n’avait gardé aucune mesure, les jésuites surtout avaient eu fort à se plaindre de sa vivacité. E. de Broglie, Mabillon et la Société de l’abbaye de Saint-Germain, 2 in-8o, Paris, 1888, t. ii, p. 272. Cependant il se montra l’un des partisans décidés de la bulle Unigenitus et, avec ses disciples, désignés sous le nom de Bernardins, il eut une grande influence sur le changement de dom Vincent Thuillier. Cf. E. de Broglie, Bernard de Montfaucon et les Bernardins (1716-1750), 2 in-8o, Paris, 1891, t. i, p. 43, et t. ii, p. 52.

2o C’est durant la seconde phase du jansénisme, où, après la condamnation du livre de Quesnel, on voit paraître les Constitutionnaires et les Appelants, que les mauristes se compromettent dans cette fâcheuse dispute.

Il y a cependant de l’exagération dans la façon dont s’exprime A. Gazier. À l’entendre, « les bénédictins de Saint-Maur et ceux de Saint-Vanne avaient été les premiers à rejeter la bulle Unigenitus, parce qu’elle ruinait l’autorité des Pères de l’Église, et, quand il fut possible de protester officiellement, ils entrèrent en foule dans la voie de l’appel au concile. A leur tête se trouvaient leurs supérieurs et les plus savants de leurs confrères. » A. Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste, t. ii, p ; 320. J.-B. Vanel est beaucoup plus dans la note juste, quand il fait cette remarque : « certainement, nulle part ailleurs, on ne trouverait associés dans l’étude et vivant sous le même cloître des partisans aussi décidés de la bulle Unigenitus, que dom B. de Montfaucon par exemple ou dom Thuillier, et des appelants aussi irréductibles que dom Gerberon, dom Duret ou dom Louvart. Il arrivait même que deux compagnons de labeur, tels que les fameux dom Martène et dom Ursin Durand, unis dans leurs études, dans leurs voyages et dans leurs publications, se séparaient dès qu’il s’agissait des controverses du temps. » J.-B. Vanel, Les bénédictins de SaintGermain-des-Prés et les savants lyonnais, 1894, p. 233-234.

Dans une étude sur le Journal (ou relation) de dom Claude de Vie, socius du procureur général à Rome (1701-1715), M. Hyrvoix de Landosle, présente ce mauriste comme un janséniste dissimulé, en correspondance avec les plus opiniâtres appelants ; il nous expose à cette occasion la situation des bénédictins à Borne, les difficultés qui leur venaient de la part du roi et des jésuites. Au moment de l’élection de dom Arnoul de Loo, comme supérieur général en 1711, cet auteur constate la bienveillance du pape Clément XI envers la congrégation : la régularité et les labeurs des mauristes édifiaient le Saint Père. « Sans doute, dit M. Hyrvoix, les mauristes étaient gallicans ; tout bon français l’était alors. Quoi que le monde ignorant suppose a priori, les jésuites ne l’ont guère cédé, à cet égard, aux bénédictins, sous Louis XIV, et même

jusqu’à la suppression de leur compagnie… Quant au jansénisme qui envahit la congrégation des bénédictins de Saint-Maur nous en parlerons sans ambages. Les jésuites, sous la pression du pouvoir césarien parvenu en France à son apogée, ont laissé s’amoindrir leur rôle de milice d’élite du souverain pontife… Pénétrée, plus qu’il n’est bon, du sentiment de son utilité, la Compagnie en est venue parfois à perdre la notion du juste en usurpant, par des moyens plus ou moins détournés, les domaines de l’ordre monastique. Louis XIV, en haine des jansénistes, proches parents des calvinistes, et si activement mêlés pendant sa minorité, à l’insurrection véritablement républicaine de la Fronde, s’est beaucoup confié aux protagonistes de l’école adverse, qui flattaient de toute façon l’autorité absolue du prince. Quoique les deux célèbres confesseurs que leur Compagnie lui fournit, le très gallican P. de la Chaise et le P. Le Tellier, meilleur catholique, fussent très différents d’attitude, les jésuites par l’intermédiaire de l’un et de l’autre surent énormément profiter de la bienveillance de leur tout puissant pénitent ; il faut admettre que ce ne fut pas toujours pour leur concilier celle des autres religieux. » Revue Mabillon, t. ii, 1906, p. 23-49. La constatation, faite par un laïque, ne manque pas d’être significative ; elle nous aidera à plaider les circonstances atténuantes, en faveur des mauristes, imbus de jansénisme. Assurément on rencontra parmi eux de fougueux partisans de l’appel contre la bulle, mais l’on n’est pas en droit de dire que ces appelants furent le plus grand nombre, encore moins qu’ils furent engagés dans cette voie par leurs supérieurs. Au moment où parut la bulle Unigenitus, en 1713, le supérieur général dom de l’Hostallerie devait user d’une grande circonspection, n’ignorant pas que la congrégation des mauristes était vue d’un fort mauvais œil par l’entourage immédiat du pape, et souvent décriée à la cour de France par des adversaires irréductibles. Il ne pouvait ignorer complètement que, dans l’audience du 8 juin 1713, le P. Timothée de la Flèche avait remis à Louis XIV, un mémoire qui promettait la publication de la constitution.Unigenitus dans un avenir très rapproché, tout en exprimant des craintes qu’elle ne fût pas reçue comme il convenait en France. Un des articles de ce mémoire était ainsi conçu : « Un des moyens les plus efficaces et les plus prompts d’arrêter le cours d’un si grand mal serait de supprimer la Congrégation de Saint-Maur, que tout le monde sait être la source la plus féconde de l’erreur. Ce coup d’autorité arrêterait le cours du mal ; vous savez depuis longtemps que j’en ai formé le dessein, mais je ne puis réussir, si Sa Majesté n’entre de concert avec moi dans cette bonne œuvre. » Pas une seule fois, pourtant, l’orthodoxie de dom Charles de l’Hostallerie ne put être soupçonnée au cours des luttes doctrinales qu’allait déchaîner la Constitution. Cela ne l’empêchait point d’ailleurs, en écrivant à un ami et confident, de lancer quelques pointes contre les jésuites, qui depuis longtemps déjà étaient sur bien des sujets les adversaires intraitables des bénédictins. Revue Mabillon, t. v, p. 353, 354. Durant tout son généralat qui dura jusqu’en 1720, dom de l’Hostallerie connut des difficultés que dom Philippe le Cerf a exposées exactement, encore qu’il soit un janséniste ardent, dans son Histoire de la Constitution Unigenitus, en ce qui regarde la Congrégation de Saint-Maur, in-12, Utrecht, 1736. Des châtiments sévères furent infligés parle roi pour briser les premières résistances ; dom Jean Varoqueaux, des Blancs-Manteaux, fut arrêté et emprisonné à la Bastille ; dom Georges Poulet, gravement compromis, n’attendit pas qu’on vînt l’arrêter pour se réfugier dans les Pays-Bas et s’embarquer ensuite pour le Canada.

À la suite de la diète qui fut tenue à Saint-Germain le 23 niai 1715 et qui se montra sévère pour dom Chopelet et dom Varoqueaux, on put voir que les supérieurs majeurs n’autorisaient nullement leurs religieux à protester contre la constitution Unigenitus : une lettre circulaire enjoignait à tous les prieurs, de faire défense à tous les religieux « d’avoir aucune relation ni aucun commerce avec toute personne suspecte au sujet de la Constitution ». Il y eut de la part du roi, et plus tard de la part du cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, des instances auprès du supérieur général pour que l’un de ses religieux écrivît en faveur de la Constitution ; dom Charles de l’Hostallerie fit de vains efforts auprès de quelques religieux qui se récusèrent. La mort du roi étant survenue, on abandonna le projet, et pendant plus de quinze ans, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, devait, par son attitude, entretenir les funestes germes d’une division. Le 9 octobre 1718, à Saint-Germain, une assemblée capitulaire, convoquée et présidée par le prieur, dom Charles d’Isard, signait, en majorité, un second et un troisième appel et faisait cause commune avec le cardinal de Noailles dans sa résistance aux ordres du souverain pontife. Pour arrêter un tel élan, dom de l’Hostallerie ne pouvait rien. L’abbé Dubois qui, dès cette époque, influençait le Régent, déclarait en 1719 au cardinal de la Trémoille, notre ambassadeur à Rome « que le pape avait grand tort d’être mécontent de la conduite du général de la congrégation de Saint-Maur, que s’il avait agi contre ses religieux appelants, comme le pape le désirait, les Parlements auraient agi contre le général et auraient soutenu les religieux et leurs appels. » Journal de l’abbé Dorsanne, Rome, 1753, t. 1, p. 450, cité dans Revue Mabillon, t. v, p. 589. Ainsi donc, il ne dépendait pas de la bonne volonté de dom de l’Hostallerie d’enrayer à leur début les troubles provoqués par les appels contre la bulle Unigenitus, au sein de la congrégation de Saint-Maur.

Dom Denis de Sainte-Marthe, qui fut supérieur général de 1720 à 1725, fut suspect à Rome parce qu’on le jugeait favorable aux appelants, mais, à sa mort, une réaction se produisit dans la congrégation de Saint-Maur ; le nouvel élu, qui fut dom Pierre Thibault, était un partisan notoire de la bulle et il mit beaucoup de zèle à procurer la soumission des récalcitrants ; dom Vincent Thuillier, qui avait figuré au nombre des appelants, avait changé de sentiment : propagateur de l’acceptation, il s’adressait en particulier aux professeurs de théologie. Son rôle de pacificateur était ardemment soutenu par Mgr de Tencin, archevêque d’Embrun ; il n’était pas facile depuis le chapitre tenu à Marmoutier en juin 1729, où les appelants avaient triomphé. Dom Alaydon, un des leurs, avait été élu supérieur général ; arrêté à Orléans sur l’ordre de la Cour, il refusait de faire ce qu’on lui demandait, tant que la liberté ne lui serait pas rendue. Dom Thuillier, à force de négociations, amena néanmoins la soumission du supérieur général qui termina ses jours dans le chagrin. Ce fut un acheminement vers la soumission officielle de la congrégation ; les cardinaux Fleury, de Rohan et Bissy chargèrent dom Thuillier d’écrire l’Histoire de la Constitution, de concert avec dom G. Leseur, son compagnon d’études. Vanel, Les bénédictins de SaintGermain et les savants lyonnais, p. 258 ; dom P. Denis, Le cardinal Fleury, dom Alaydon et dom Thuillier, dans Revue bénédictine, 1909, t. xxvi, p. 325 et 370. Dom Thuillier avait-il sollicité ce mandat ou du moins laissé deviner l’empressement avec lequel il l’accepterait ? Cela paraît probable : il s’en promettait beaucoup, disant que « ce travail est le coup le plus mortel que l’on puisse porter an parti qui trouble l’Église de France ». D’après dom Tassin, cette histoire ne vit pas le jour. Au début du xxe siècle, M. Ingold en a publié les livres VII-XIII. Ingold, Rome et la France : la deuxième phase du jansénisme, fragment de l’Histoire de la Constitution par dom Thuillier, Paris, 1901. Si l’on en croit dom Martène (Choses mémorables, Bibl. nat., fonds français, 18817), dom Thuillier, qui avait obtenu de la communauté de Saint-Germain qu’elle rédigeât une lettre au souverain pontife pour exprimer son obéissance et son attachement au Saint-Siège, eût souhaité porter lui-même ce message à Clément XII et en obtenir le titre de procureur général, mais il fut frappé par la mort le 8 janvier 1736.

Pendant que, chez les jansénistes, se produisait une évolution et qu’abandonnant les Réflexions morales comme arme de combat, on faisait grand bruit autour des faux miracles du cimetière de Saint-Médard, dom Bernard La Taste, prieur des Blancs-Manteaux, honoré de la confiance du cardinal Fleury, publiait ses 25 lettres théologiques qui obtinrent un grand succès contre les prétendus miracles du diacre Paris. Voir Yves Laurent, Dom Bernard La Taste, dans le Bulletin de Ligugé, 1903, t. xi, passim ; voir aussi Vanel, Les bénédictins de SaintGermain et les savants lyonnais, p. 263. Il devint second assistant sous le supériorat de dom Laneau, et le cardinal Fleury le fit nommer évêque de Bethléem (évêché érigé sous ce nom à Clamecy).

Durant la seconde moitié du xviiie siècle, les discussions théologiques s’apaisèrent, ou plutôt, la lutte s’engagea surtout entre le Parlement, l’archevêque Mgr de Beaumont et ses curés ; les bénédictins se tinrent plus à l’écart. Malheureusement l’indiscipline des esprits avait été funeste au respect des règles et des observances. En 1765, vingt-huit moines de Saint-Germain adressèrent au roi une requête pour être exemptés des jeûnes et du chant de l’office. Vanel, op. cit., p. 284 ; Porce, Histoire de l’abbaye du Bec, t. ii, p. 507. Voir aussi plus haut col. 410. Cette requête a été généralement jugée avec sévérité et considérée comme un scandale. Picot, Mémoires pour l’histoire du xviiie siècle, t. iv, p. 171 ; E. de Broglie, Mabillon, t. ii, p. 306 ; Ch. Gérin, dans Revue des Quest. hist., 1876, p. 479. Quelques auteurs pourtant ont voulu y voir l’œuvre de moines désireux d’une observance plus stricte. Ainsi dom Anger, dans Revue Mabillon, t. iv, p. 196 ; dom Butler, Monachisme bénédictin, trad. Grolleau, p. 362. Pendant que dom Thuillier, sous le supériorat fort mouvementé de dom Alaydon, s’efforçait de ramener la communauté de Saint-Germain à l’acceptation de la bulle Unigenitus, la cour de Rome s’impatientait ; elle exigeait la révocation des appels. Les lettres des procureurs généraux se faisaient l’écho de graves menaces ; on parlait d’une dissolution de la congrégation de Saint-Maur. Le cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, avait rompu avec la communauté ; il exigeait que tous les appelants fussent congédiés. Le dernier procureur général, dom Pierre Maloet, avait dû quitter Rome en 1729 et s’était réfugié à Frascat’i. En 1733, Clément XII déclarait qu’il ne voulait plus recevoir de procureur de la congrégation tant qu’elle compterait des appelants. Dom Maloet alors quittait Rome définitivement. Un ancien dominicain devenu bénédictin, dom Malachie d’Inguimbert, venu à Rome pour travailler à la vie de Clément XI, resta le correspondant des mauristes après le départ du procureur général. Une détente se produisit, due à la prudence et au zèle du supérieur général, dom Hervé Ménard. Le cardinal de Bissy, abbé commendataire de Saint-Germain, tenta de faire revenir à de meilleurs sentiments les bénédictins révoltés. En 1735, les religieux capitulaires de l’abbaye, les appelants comme ceux qui ne l’étaient pas, sauf un petit nombre qui furent dispersés dans divers couvents de province, signèrent une lettre de soumission au Saint-Siège. Alors, l’orage qui menaçait la communauté, tant du côté de Rome que de la part du pouvoir royal, fut conjuré, et les bénédictins purent continuer en paix leurs travaux d’érudition. C’était, malgré les cris du parti janséniste, avoir sauvé de la ruine une des gloires de la France lettrée, et ce résultat était en grande partie dû au zèle du cardinal de Bissy. E. de Broglie, Bernard de Montfaucon et les Bernardins, t. i, p. 167-168.