Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine dans la Sainte-Ecriture IV. Saint Paul

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 320-333).

IV. Saint Paul. —

Nous avons dans ses Épîtres l’exposé parallèle et antithétique de deux économies de justification et de deux ordres de justice. Il sied de les étudier séparément.

I. la justice de La Loi.

Ce qu’elle est.

La

nature de cette justice est clairement énoncée Phil., ni, 9 : « et inveniar in Mo non habens meam jusliliam quæ ex lege est, sed illam quæ ex fide est Christi Jesu, quce ex Deo est jusliliu in fuie. CJ’ai voulu tout perdre)… afin d'être trouvé en lui, non avec ma propre justice — c’est celle qui vient de la Loi — mais celle qui naît de la foi dans le Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. » L’opposition principale est entre : justiliam quæ EX LEGE EST, et : illam quæ EX FIDE EST, c’est-àdire entre la justice de la loi et la justice de la foi. Une opposition secondaire se découvre entre : MEAM justiliam, qui est la justice de la Loi et : illam… quæ EX deo EST, à savoir la justice de la foi.

Cette dernière opposition se retrouve Rom., x, 3 : c Ignorantes justiliam Dei et suam quærenles staluere justiliæ Dei non sunt subjecti. (Les Juifs) méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir leur propre justice, ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » Justitiæ Dei non sunt subjecti semble devoir s’entendre de l’attribut divin, ce qui inviterait à comprendre dans le même sens le justiliam Dei du début. Cf. E. Tobac. Le problème de la justification dans saint Paul, Lcruvain, 1908, p. 127. Cependant, fait remarquer le P. Lagrange, « l’opposition entre la justice propre, qui était certainement, dans la pensée des Juifs, une qualité inhérente à leur personne, d’une part, et d’autre part, la justice de Dieu, indique que cette dernière est aussi du même ordre, inhérente à l’homme mais conférée par Dieu. Avant, d'être conférée, elle était offerte, et c’est dans cet état que les Juifs ne s’y sont pas soumis… * Épître aux Romains, Paris, 1916, p. 253. Justice de Dieu signifie donc justice qui vient de Dieu et nous avons la catégorique antithèse : justice qui vient de Dieu et justice propre. La poursuite de la seconde, fondée sur la méconnaissance de la première, a été cause que les Juifs ne se sont pas soumis à celle-ci, qui leur était offerte, et donc ne l’ont point reçue.

Résultats qu’elle produit.

1. La conséquence de

cette conduite des Juifs est énoncée Rom., ix, 30-32 : Quid ergo dicemus ? Quod génies, quæ non sectabantur justiliam, apprehenderunt jusliliam (manifestement conçue comme une qualité inhérente), justiliam autem quæ ex fide est. Israël vero, sectando (sectans) legem justitise, in legem [justiliœ] non pervenit. Le second justitise, insuffisamment attesté, semble devoir être considéré comm ; une glose, qui d’ailleurs n’est pas inexacte. De ce texte difficile on a proposé trois principales explications : a) Origène : El hic locus… in uno eodemque versicuto, diverse nominat legem. Cerium est enim quod Israël seclabatur legem justiliæ secundum litteram (c’est-à-dire la Loi mosaïque), sed in legem non pervenit. Quam legem ? Sine dubio, spirilus. Origène traduit par Rufin, Comment, in

Epist. ad Romanos, vii, 19, P. G., t. xiv, col. 1155. Ce changement de sens pour legem est difficile à admettre. Voici la preuve qu’en donne Origène : Ncque enim hoc diceret Apostolus quia legem quam seclabatur et quam tenebat et quam habebat, in hanc non pervenerit. Ibid. C’est très contestable, car parvenir, c’est ici, accomplir. — b) Saint Jean Chrysostome : Tu enim, Judœe. inquil ( Paulus), ncque jusliliam ex lege (mosaica) reperisli ; illam enim (legem) transgressus es et obnoxius factus es malediclioni ; hi (Génies), qui per legem (mosaicam) non venerunt sed per aliam viam, majorem hac (i. e. juslilid leyis) invenere justiliam, quæ ex fide est. Comment, in Ep. ad Romanos, xvi, 10, P. G., t. lx, p. 563. C’est l’exégèse adoptée par le P. Lagrange avec cette correction : « L’idée d’une justice légale n’est pas exprimée aussi nettement que le veut Chrysostome, qui entend vôji.oç Sixoaoaovrçç par hypallage « la justice de la loi », mais la Loi intervient pour indiquer qu’Israël ne cherche pas purement la justice, mais un certain ordre de justice, sa loi à lui. » Op. cit., p. 259. Le mot loi s’entendrait donc les deux fois de la Loi mosaïque, qui effectivement prescrivait la justice. — c) Saint Thomas : Dicitur lex juslitiæ lex spirilus vitæ per quam homines justificantur, ad quam Judœorum populus non pervenit, quam lumen seclabatur observandoumbram hujus spiritualis legis quæ consislit in observationibus cœremonialibus (In Ep. ad Rom., c. ix, lect. 5, in fine). Donc, les deux fois, le mot lex veut dire lex spirilus vitæ. Le P. Cornely développe cette exégèse dans Epist. ad Rom., Paris, 1896, p. 537. Il est difficile de se prononcer entre ces deux dernières explications. La seconde semble mettre trop au premier plan la Loi mosaïque et l’on a peine à comprendre que saint Paul attribue au fait qu’ils ont suivi la voie des œuvres, ꝟ. 32, cet échec des Juifs qui aurait consisté à n’avoir point pratiqué la Loi. La troisième exégèse aboutit à éliminer le rôle de la Loi mosaïque et l’opposition entre Gentils et Juifs s'évanouit. Retenons simplement que saint Paul fait allusion à une justice poursuivie par la voie des œuvres et que cette justice, qui est la grande ambition des Juifs, il la met, au moins implicitement, en rapport avec la Loi mosaïque.

2. Telle est bien l’idée que nous trouvons exprimée, quoique dans un esprit différent, Rom., x, 5 : Moyses autem scripsit, quoniam juslitium quæ ex lege est, qui fecerit homo, vivel in ea. La justice de la Loi est donc bien une justice d'œuvres que, dans cet endroit encore, ꝟ. 6 sq., saint Paul oppose, de ce chef, à la justice de la foi. Même idée encore et même opposition Gal., ni, 12 : Lex autem non est ex fide sed : Qui fecerit ea, vivet in Mis. De même, quoique indirectement, Gal., ii, 16 : Et nos (Judœi) in Christo Jesu credimus (credidimus) ut juslificcmur ex fide Christi et non ex operibus legis. — Rom., ii, 13 : Non enim audilores legis jusli sunt apud Deum sed faclores legis justificabuntur (c’est-à-dire seront déclarés justes au jugement dernier, sens forensique eschatologique ; contre saint Augustin : seront rendus justes). L’identification de la justice de la Loi avec la justice des œuvres n’y est pas moins manifeste. — Rom., ii, 23-27, développe la même idée sous un autre aspect : « Toi (Juif), qui te fais gloire de la Loi, tu déshonores Dieu par la transgression de la Loi… Certes la circoncision est utile, si tu observes la Loi ; mais si tu transgresses la Loi, de circoncis tu es redevenu incirconcis. Si donc l’incirconcis garde les préceptes de la Loi, Ta 81.xaic>[x.aTa toû vôfiou, juslilias legis, ne faudra-t-il pas le regarder comme circoncis. De sorte que l’incirconcis demeuré tel que l’a fait la nature, qui aura accompli la Loi, te jugera, toi, qui avec la lettre et la circoncision, Six ypàjifiocTo ; xal ^epi-ro^ç, per litteram et circumeisionem, auras transgressé la Loi. »

Nous avons donc, opposée à la justice de Dieu qui est la justice de la foi, une justice propre, qui est la justice de la Loi, laquelle est elle-même une justice des œuvres. Cette justice des œuvres donne sujet à qui la possède de se glorifier. Rom., iv, 2 : Si enim Abraham ex operibus justificatus est (ce qui, d’ailleurs, n’est pas le cas), habet gloriam, et Eph., ii, 8-9 : Gratia enim salvati estis per fidem, et hoc non ex vobis. Dei enim donum esi, non ex operibus, ne quis glorietur. Se glorifier, on serait fondé à le faire, si l’on avait été sauvé et justifié en suite de ses œuvres. Surtout les œuvres donnent le droit strict d'être reconnu juste et traité comme tel, Rom., iv, 4 : « A celui qui a des œuvres, le salaire n’est pas compté par faveur, mais selon ce qui est dû. » Par ces caractères, la justice des œuvres et de la Loi achève de se différencier de la justice de la foi, avec laquelle elle est en complète opposition.

3° Possibilité de l’atteindre. — Existe-t-elle, dans le fait, cette justice de la Loi et des œuvres ? Des affirmations explicites et réitérées de saint Paul semblent bien dire que non. Rom., iii, 20 : Quia ex operibus legis non jusli/icabitur omnis caro coram Mo. Nul ne sera justifié devant lui en suite d’oeuvres de la Loi. — Rom., ix, 31-32 : « Israël, poursuivant une loi de justice, n’est point parvenu à la Loi. Pourquoi ? parce qu’il n’a pas cherché à parvenir par la foi, mais par les œuvres. » — Rom., x, 3 : « Méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » — Gal., ii, 16 : « Sachant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la Loi… nous aussi nous crûmes au Christ Jésus, pour être justifiés par la foi au Christ… car par les œuvres de la Loi aucune chair ne sera justifiée. » — Gal., iii, 10 : « Car tous ceux qui procèdent par les œuvres de la Loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit soit quiconque ne persévère pas dans la pratique de ce qui est écrit dans le Livre de la Loi. » Et le contexte indique que cette malédiction a passé de la sphère du droit dans celle des faits, car saint Paul continue : < Il est clair que nul par la Loi n’acquiert la justice devant Dieu, puisque Celui qui est juste par la foi vivra. Or la Loi ne procède pas par la foi, mais : Celui qui pratiquera ces choses en vivra. »

La thèse est radicale. D’où vient que nul ne sera justifié devant Dieu à raison des œuvres de la Loi ? C’est, bien entendu, à saint Paul lui-même que s’adresse notre question. Voici sa réponse ou les éléments, progressivement plus décisifs, de sa décision. Rom., m, 20 : Per legem enim cognitio peccali. La Loi fait mieux connaître le péché. Qu’est ce à dire ? Rom., iv, 15 : I.ex enim iram (Dei) operatur. Ubi enim non est lex, nec prsevaricatio, c’est-à-dire de transgression d’une loi positive, ce qui est l'évidence même. Mais cette transgression est elle donc fatale ? Rom., vii, 3 : Cum enim essemus in carne, passiones peccatorum, quæ per legem erant, operabantur in membris nostris ut fruetiflearent morti. Lorsque nous étions dans la chair, les liassions (causes) des [léchés (rà 7roc07)[iaTa Ttùv à[Jiap"n.âiv), excitées par la Loi, agissaient dans nos membres pour donner des fruits à la mort. Celle parole commence de nous introduire au cœur du problème. Cum essemus in carne définit la situation des chrétiens avant leur baptême. Passiones peccatorum s’entend de (lassions qui conduisent an différents péchés. Quæ per legem erant attribue à la Loi au moins une part de responsabilité dans l’existence OU dans l’activité « le ce s passions. Ut marque la conséquence de Cette activité des passions plutôt que le but. l’niiti [liaient morti, fructification dont nous avons

un copieux détail par ex. Rom., i, t.s sq. 4° l.c rote de lu Loi, - Sommairement énoncée

dans ce verset, Rom., vii, 5, la pensée de saint Paul sur le rôle effectif de la Loi va s’expliciter et s’approfondir Rom., vii, 7-25. Page célèbre, où l’on s’accorde à distinguer deux parties : 7-12 et 13-25.

Que dirons-nous donc ? La Loi est-elle péché ? Loin de làl Mais je n’ai pas connu le péché sinon par la Loi. Car en vérité je n’aurais pas connu la convoitise, si la Loi n’avait dit : Tu ne convoiteras pas. » Mais le péché ayant pris occasion du commandement a produit en moi toute convoitise ; car, sans loi, le péché est mort. Tandis que moi je vivais naguère sans loi ; mais quand le commandement est venu, le péché a repris vie, et moi je suis mort, et le commandement qui était pour la vie, s’est trouvé être pour la mort. Car le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit, et, par lui, m’a tué. Ainsi donc la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. »

Quelle est cette histoire et de qui est-elle l’histoire '? Grande incertitude. En face de la loi, saint Paul place son « moi ». « Mais tout le mondf reconnaît qu’il représente plus que sa personnalité évoluant dans son histoire particulière… Ce qu’il va dire émane de sa conviction la plus intime, de ses expériences comme de ses réflexions, mais enfin c’est de l’homme qu’il s’agit. De quel homme et dans quelle situation ? C’est ici que commence le désaccord. » Lagrange, Épîlre aux Romains, p. 166. Trois principales interprétations, ici encore, s’offrent à nous : a) Origène : Sine lege autem peccalum mortuum esse in nobis, hoc est antequam, per œtatem, ralionabilis intra nos vigeat sensus.. Sine hac lege (rationis) et Paulum et omnes homines cerlum est aliquando vixisse, hoc est in œtate puerili. Omnes enim similiter, per illud tempus, nondum capaces hujus naturalis legis existant… Comm. in Ep. ad Rom., vi, 8, traduction de Ru fin, P. G., t. xiv, col. 1082. Cette histoire serait donc celle de l’enfant avant et après l'éveil de la raison. Saint Jérôme l’entend de même, mais avec application particulière au jeune Israélite, pour qui cette révélation de la convoitise et le réveil du péché ne sont pas l'œuvre de la raison seule mais de la Loi mosaïque. Epist. ad Algasiam, cxxi, 8, P. L., t. xxii, col. 1025. — b) Saint Jean Chrysostome : « Ceux qui étaient avant la loi savaient bien qu’ils avaient péché ; ils le surent plus exactement après que la loi (mosaïque) eut été donnée et dès lors furent exposés à commettre de plus grands crimes. Car ce n’est point la même chose d’avoir pour accusateur la nature, ou bien au contraire en même temps que la nature le roi qui dicte clairement toutes ses lois. « Je vivais jadis sans loi. Mais quand donc ? Avant Moïse. In Ep. ad Rom., xii, 5, P. G., t. i.x.col. 501. Ainsi pour ces auteurs la question est celle des deux états de l’humanité avant et après la loi mosaïque. De même saint Thomas. Ep. ad Ram, , c. vii, lect. 2. — c) Théodore de Mopsueste : « J’ignorerais la convoitise, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras pas, c’est-à-dire, j’aurais ignoré qu’il ne fallait en aucune manière être l’esclave de ses convoitises, si la loi ne l’avait pas dit d’une manière précise. En disant en moi (l’apôtre) vise tous les hommes, et c’est en somme l’histoire d’Adam qu’il met en œuvre pour décrire l’histoire de l’humanité… « Je vivais d’abord sans loi. » Il s’agit d’Adam aussitôt après la création, avant que Dieu lui prescrivît de s’abstenir de l’arbre. » In Ep. ad Rom., vii, S sq., /' G., t. i, vi. col. 81 1. Ce que le P. Lagrange approuve en ces tenues : « De même que la Loi de Moïse est devenue, dans l’argumentation ( de saint Paul), toute loi positive divine, de même l’homme n’est ni le gentil ou l’israé lite avant Moïse, ni le jeune Israélite qu’avait été

Paul. Il faut faire, pour l’homme comme pour la loi, abstraction de l’histoire. La loi interdit les désirs. Pour juger de l’effet de cette interdiction, il faut sup

poser un homme qui n’a pas encore été mis en présence de la loi divine. Il serait, par hypothèse, dans un état d’innocence qui est la vie par rapport à Dieu. C’est sur ce thème que la question peut être résolue sans aucune donnée la tranchant d’avance, et la solution sera d’autant plus solide que l’homme ne sera pas un enfant. D’un enfant il aura l’innocence, mais il aura la responsabilité consciente de l’homme fait. Or cette situation a existé en réalité. Ce fut celle d’Adam. Tout naturellement les faits se déroulent comme au Paradis, et on s’aperçoit au texte que Paul en a conscience, sans ôter tout à fait à la scène ce qu’elle a de transcendant par rapport à l’histoire. De cette façon, la question est tranchée à fond, il ne restera qu’à faire l’application à la loi mosaïque. » Épître aux Romains, p. 168. Exégèse séduisante, à laquelle on ne peut guère objecter que le peccalum revixil du y. 9. Le P. Cornely s’attache à l’interprétation d’Origène, précisée par saint Jérôme. Ep. ad Rom., p. 359 sq.

Nous avons, en toute hypothèse, dans la seconde partie de notre texte, ꝟ. 13-25, une description de la vie sous la Loi mosaïque. : « Ce qui est bon est-il donc devenu pour moi la mort ? Loin de là. Mais le péché afin de paraître péché m’a donné la mort au moyen d’une chose bonne, afin que le péché soit (tenu) pour coupable à l’excès par le fait du commandement. Car nous savons que la loi est spirituelle (c’est-à-dire de l’ordre de l’esprit) ; mais moi je suis charnel (aâpxivoç, fait de chair, non pas axpxixôç, dominé par la chair) vendu au service du péché. Car ce que je fais, je ne le sais pas ; car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais (La Vulgate glose : non enim quod volo bonum hoc ago : sed quod odi malum illud faa’o). Si donc je fais ce que je ne veux pas, je reconnais que la loi est bonne. Mais alors ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que ce n’est pas le bien qui habite en moi, c’est-à-dire dans ma chair. En effet le vouloir est à ma portée, mais non la pratique du bien. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Moi qui voudrais faire le bien, je constate cette loi que c’est le mal qui est à ma portée ; car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres… Ainsi donc je suis le même qui sers par la raison la loi de Dieu, mais par la chair la loi du péché. »

Le « moi », désormais, n’est plus considéré dans cet état d’innocence, au moins relative, que supposaient lesꝟ. 7-9. Le péché, réveillé, a triomphé. Le conflit se développe dorénavant dans des conditions plus défavorables. Le péché n’est plus un agent extérieur à l’homme, comme dans le cas d’Adam innocent, ou un principe intérieur mais engourdi, comme dans le cas de l’enfant. Il est devenu, à côté de la loi de la convoitise, une « loi » des membres. De ce « moi » nouveau, l’apôtre dit qu’il est « tombé au pouvoir du péché ». Presque tous les commentateurs anciens et la quasi-unanimité des contemporains, catholiques et non catholiques, entendent ce nouveau « moi » de l’israélite sous la Loi mosaïque.

Par réaction contre le pélagianisme, saint Augustin, reprenant une idée de saint Méthode et de saint Hilaire, en vint, vers la fin de sa vie, à entendre ce « moi » du chrétien : Verba Apostoli, quibus caro contra spirilum (en fait Paul évite de dire spiritum) confligere ostenditur, eo modo exposui lanquam homo describatur nondum sub gralia constilutus. Longe enim postea, etiam spirilualis hominis, et hoc probabilius, esse posse illa verba cognovi. Retract., ii, 1, P. L., t. xxxii, col. 629

L’autorité de saint Augustin a entraîné saint Grégoire le Grand, Pierre Lombard et saint Thomas. Au xvie siècle, Cajétan, Salmeron, Estius, etc., ont suivi. Cette exégèse ne pouvait que plaire aux réformateurs. Luther, Mélanchthon, les calvinistes l’ont adoptée. Tout ce qu’il semble possible d’accorder à saint Augustin, c’est que ce conflit entre la loi divine et l’homme, que saint Paul contemple et décrit dans l’âme de l’Israélite vivant sous la loi de Moïse, demeure possible, mutatis mutandis, même chez le chrétien, tant la loi est impuissante par elle-même à assurer la pratique du bien.

Seule, comme il a été établi plus haut, l’observation effective de la Loi peut conduire l’Israélite à la justice des œuvres et de la Loi. La Loi est, d’ailleurs, faite en elle-même pour assurer la pratique du bien. Mais le péché, par le moyen de la convoitise, péché et convoitise qui ont leur siège dans « les membres », dans « la chair » même de l’homme, tournent la Loi à un effet tout opposé. A quoi il se trouve que la Loi, du moins pour ce qui est de l’homme fait de chair, donne occasion, en irritant la convoitise par la défense même et en réveillant le péché. Si bien qu’elle succombe sous leur commun assaut ; n’étant par elle-même qu’une norme extérieure et nullement une force active. Situation sans issue, du moins sans autre issue que celle-ci : « La loi de l’esprit de vie en le Christ Jésus (que Paul, Eph., ii, 15, oppose à la loi des ordonnances toutes en prescriptions : tôv v6[jlov tûv êv-roXôSv èv S6yji.aaiv) cette loi de l’esprit l’a délivré (Vulgate me liberavit) de la loi du péché et de la mort. Car ce qui était impossible à la Loi, parce que (in quo) elle était sans force, à cause de la chair… « Rom., viii, 2sq.

Saint Paul, se référant implicitement à cette belle analyse, en vient à écrire I Cor, xv, 56 : Stimulus autem morlis peccatum est, virtus vero (la force) peccali lex. Ainsi se trouve justifié et expliqué le mot plusieurs fois répété : Non jusliflcabitur homo ex operibus legis. La raison donnée par saint Paul est que la Loi, à la prendre toute seule, est condamnée à n’être point observée par l’homme, et à provoquer même les transgressions.

Que signifie, dans ces conditions, le témoignage que saint Paul se rend à lui-même, Phil., iii, 6 : Secundum justitiam, quæ in lege est, coni>ersalus sine querela, irréprochable quant à la justice de la Loi…, à savoir au temps de sa jeunesse pharisienne ? Saint Thomas commente ainsi : Hsec justitia consista in exterioribus… Nom quantum ad justitiam exteriorem, Apostolus innocenter vixit… Non autem ail : sine peccato, quia querela est peccatum scandali proximorum (c’est-à-dire un péché particulier) in his quæ sunt exteriora. In Ep. ad Phil., c. iii, lect. 2. Ce doit être cela. Saint Paul, en tout cas, marque peu d’estime pour cette justice de la Loi qu’il possédait : « Ces titres qui étaient pour moi des avantages (à savoir cette justice et ses autres avantages juifs), je les ai considérés comme un préjudice à cause du Christ. Oui certes, et même je tiens encore tout cela comme un préjudice, eu égard à l’extraordinaire valeur de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui, j’ai voulu tout perdre regardant tout comme de l’ordure, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non avec ma propre justice — celle qui vient de la Loi — mais avec celle qui naît de la foi dans le Christ. >

5° Altitude de saint Paul par rapport aux œuvres. — Il y a lieu, toutefois, d’observer que la pensée de saint Paul, lorsqu’elle passe de l’ordre en quelque mesure abstrait, où se meut Rom., vii, 7-25, à l’ordre réel, où d’autres facteurs, en dehors de ces quatre : la loi, la raison, la convoitise, le péché, peuvent intervenir et, par exemple, la grâce de Dieu, se révèle plus 205"

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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nuancée. Il est, en effet, difficile d’admettre que Rom., 11, 13, par exemple, n’ait aucune signification dans la réalité : « Ce ne sont pas en effet ceux qui entendent lire une loi (àxpoxTod vôu.ou, sans article) qui sont justes auprès de Dieu, mais ceux-là qui la mettent en pratique, seront justifiés. » D’autant que, d’après Rom, ii, 14, il peut se rencontrer des gentils qui accomplissent les prescriptions de la Loi mosaïque : Cum (Ôxav : c’est plus qu’une simple possibilité) enim Gentes (ë6vy) qui dit moins que là. e6vy) mais plus que èôvixoi, des gentils individuellement : Lagrange), qui Legeni non habent, naturalilcr (dictante rationé) ea quæ legis sunt faciunt… De même Rom., h, 26, où la pensée de saint Paul ne fait pas non plus l’impression de se mouvoir parmi d’impossibles imaginations : « Si l’incirconcis garde les préceptes de la Loi, ne faudra-t-il pas le regarder comme circoncis. » Encore Rom., ii, 7 : « Dieu rendra à chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui se livrant avec persévérance aux bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité… gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au juif d’abord et au gentil. » Or l’apôtre n’en est pas encore à envisager l’ordre chrétien.

Ces paroles et d’autres semblables suffisent à montrer que saint Paul n’a pas, à l’endroit des œuvr.-.s, cette indifférence, cette hostilité même que certains exégètes protestants contemporains s’obstinent encore à lui prêter (Jûlicher, par exemple). « Paul, écrit le P. Lagrange, ne songe pas à annuler toute idée de lois morales, mais il insinue que selon cette économie il fallait donc se faire sa justice…, ce qui ne devait pas être aisé. Rien plus, il a montré plus haut que la Loi ne donnait pour cela aucun secours, Rom., vu. de sorte que, si l’on isole cette justice de la grâce, ce qui va de soi quand on la distingue de la justice de la foi, c’est un leurre, c’est une prétendue justice propre a laquelle on ne peut arriver. Comment hésiter quand le choix s’impose entre une justice d’œuvres et une justice saisie par la foi ? » Épître aux Romains, p. 254.

Le jugement de fond demeure donc : Xon justificabitur homo ex operibus legis. Même les propos apparemment contraires que nous avons rapportés ne permettent pas d’en restreindre la portée pratique, car ils supposent tacitement l’intervention de facteurs autres que la Loi. Mais, dans ces conditions, il était inévitable que saint Paul en vint à définir le rôle de la Loi dans le plan divin du salut. Sa pensée sur ce point nous est livrée par les Épîtres aux Romains et aux Galates. Rom., v, 20 : Lex autem subintravil ut abundaret delictum. Le sentiment commun est que ce ut doit s’interpréter causaliter. L’entendre, avec saint Jean Chrysostome comme exprimant une simple conséquence, c’est.sûrement affaiblir la pensée de saint Paul. Mais, fait observer saint Thomas, cette causalité vis-à-vis du péché peut s’interpréter de deux manières bien différentes. 1. l’otest responderi ut dieatur quod ly UT (eneatur causaliter, ila taitien quod loquatur Aposlolus de abundantia delieti secundiun quod est in nostra cognitione, ut sit sensus : Lex subintravil ut abundaret delictum, id est ut tibundantius delictum cognosceretur, Ep, ail Rom., c. v, lect. 6, C’est l’opinion de saint Cyrille d’Alexandrie ; elle a

lis préférences du P. Lagrange. 2. Potest exponi ila quod h/ i’t teneatur causaliter (au sens normal du moi, c’est-à-dire par rapport au péché lui même et non plus à la connaissance du péché) ila lumen quod abundantia delieti non intelligatur ftnts legis subin tranlis, sed id quod ex abundantia delieti sequitur, scilicet humiliatio hominis… Intentio ergo Dei legem dantis non terminatur ml abundan’tiam peccaiorum. sed ad humtlilalem hominis propter quam permistt

abundare delicta. S. Thomas, ibid. C’est l’exégèse de saint Augustin, à laquelle le P. Cornely apporte son suffrage. Formulées d’un point de vue différent, ces deux explications aboutissent au fond à la même conclusion. Pour que l’homme connaisse qu’il est pécheur, Dieu a « subintroduit » la Loi laquelle, en la manière qui a été précisée, Rom., vii, 13-25 (plutôt que 7-12, car le premier triomphe du péché est présupposé et il s’agit de la Loi de Moïse), multiplie les transgressions.

Saint Paul rattache ailleurs plus explicitement cette action et ce rôle de la Loi aux définitives intentions de Dieu. Rom., x. 4 -.Finis enim legis Christus, ad juslitiam omni credenli, est commenté en ces termes par saint Thomas : Intentio cujuslibet legislatoris est facere homincs justos ; unde mullo magis Lex Vêtus, hominibus dirinitus data, ordinabatur ad faciendum Iwmines justos. Hanc lamen justiliam lex per seipsam Jacerc. non poterat (toutes ces formules sont d’une parfaite justesse). Sed ordinabat homines in Christum, quem promittebat et præfigurabat. Ep. ad Rom., c. x, lect. 1. La plupart des exégètes récents, par contre, entendent téXoç dans le sens de terme, simplement, ce qui réduit Rom., x, 4, du moins dans sa première partie, à signifier le caractère provisoire de la Loi et son abolition lors de la venue du Christ.

Gal., ni, 10 : Quid igitur lex ? Propter transgressions (en vue des transgressions) posita est donec venirel semen (à savoir le Christ) cui promiscrat. La Loi fut ajoutée (TrposexéOy ;), par Dieu cela va sans dire. La causalité divine, est plus accusée ici que Rom., v, 20 où Dieu n’est pas nommé. Nous avons dans ce texte comme une combinaison de Rom., v, 20 et x, 4 avec téXoç = terme. Cette doctrine sur le rôle de la Loi, saint Paul l’attribue expressément à l’Ancien Testament lui-même, Gal., iii, 22 : *< Mais l’Écriture a tout enfermé sous le péché, afin que la promesse fut réalisée par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants. » Même idée Rom., iii, 21, qui est à lire comme conclusion du réquisitoire dressé contre les Juifs, Rom., ii, 1-ui, 20.

Le mot de Gal., iii, 23-25 : « Avant que vînt la foi, nous étions placés sous la garde de la Loi, enfermés dans l’attente de la foi qui devait être révélée. De sorte que la Loi a été notre pédagogue jusqu’au Christ afin que nous fussions justifiés par la foi ; la foi étant venue nous ne sommes plus sous l’autorité d’un pédagogue » Ce mot, disons-nous, semble bien ajouter quelque chose aux textes déjà cités, l’idée que la Loi et la vie sous la Loi acheminaient d’une certaine manière les Israélites au Christ. Cette idée, d’ailleurs, n’est-elle pas sous-jacente à Rom., v, 20 : Ex quo sub lege custodiebamur, fait remarquer saint Thomas, lex juitnostcr pœdagogus, id est diriqens et conservons in Christo, id est in via Christi. Ep. ad Galalas, c. iii, lect. 8. Cependant le plus grand nombre des Pères interprètent ce rôle de pédagogue attribué à la Loi dans un sens très strict, qui le réduit à celui de geôlier, ꝟ. 23. Le P. Cornely approuve qui, d’ailleurs, attribue à la loi-geôlier un objectif final favorable. Le P. Lagrange aussi, mais en accentuant la nuance favorable : >< La comparaison du pédagogue, qui explique ce qui précède, est cependant de nature à atténuer ce rôle ingrat de geôlier. C’esl décidément l’intérêt des Israélites qui prévaut. » Êp. aux Uni, p. 90. Emprisonné dans la Loi qui si’révèle impuissante à lui assurer la justice, Israël se trouve amené à chercher une issue et une autre voie de salut. Cf. Gal., il, 16 : Scientes autem quod non justiflcatur homo ex operibus legis, etc. Cou ne voit pas, toutefois, que saint Paul ail donné beaucoup de relief à cet aspect du rôle di la I di, que les fails. d’ailleurs, ne confirmaient guère.

En tout ceci, poursuit l’apôtre, se révèle la parfaite cohérence du plan divin, tel que l'Écriture elle-même l’expose. Cette économie de salut, dont Israël se considère comme le bénéficiaire, ne nous est-elle pas donnée comme inaugurée dans la justification d’Abraham ? La promesse que Dieu lui l’ait n’en est-elle pas la définition et l’officiel établissement ? Or les paroles par lesquelles l'Écriture nous rapporte ce grand événement sont expresses : Rom. iv, 1-14 : « En effet si Abraham a été justifié d’après des œuvres, il a sujet de se glorifier, mais non auprès de Dieu (la construction est embrouillée mais la pensée est claire : Abraham n’a pas été justifié par des œuvres). Que dit en effet l'Écriture ? « Abraham a cru en Dieu et cela lui fut compté comme justice… » Nous disons en effet : « la foi d’Abraham lui fut comptée comme justice. » Comment donc a-t-elle été comptée ? Était-il alors circoncis ou incirconcis ? Il n'était pas circoncis, mais incirconcis. Et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi, justice qu’il avait avant d'être circoncis, de façon qu’il devînt le père de tous ceux qui croient, sans être circoncis, de sorte que leur justice leur soit comptée, et le père des circoncis, qui n’ont pas que la circoncision, mais de plus marchent sur les traces de la foi, qu’avait, encore incirconcis, notre père Abraham. Car ce n’est pas moyennant la Loi, mais moyennant la justice de la foi que fut faite à Abraham et à sa postérité la promesse d'être héritier du monde. En effet, si ceux qui se réclament de la Loi étaient les héritiers, la foi serait sans objet, et la promesse sans effet. » Sur cette idée l’Apôtre avait déjà insisté, Gai. iii, 15 sq. : « Frères, je raisonne comme on le fait parmi les hommes. S’il s’agit d’un homme, encore est-il que personne ne tient pour nulle une disposition en bonne forme, personne n’y ajoute des dispositions nouvelles. Or les promesses ont été dites à Abraham et à son lignage ; il n’est pas dit : « Et aux lignages » comme s’il s’agissait de plusieurs mais comme pour un seul : « Et à ton lignage », qui est le Christ. Eh bien, je le dis : Une disposition déjà prise en bonne forme par Dieu, la Loi survenue quatre cent trente ans après ne l’infirme pas, de façon à rendre nulle la promesse. Car si l’on héritait en vertu de la Loi, ce ne serait pas en vertu de la promesse. » Et poussant à fond son raisonnement, Paul en vient à écrire, ꝟ. 21 : « La Loi serait donc contraire aux promesses de Dieu ? Non certes I Car si une loi eût été donnée capable de procurer la vie, alors vraiment la justice eût procédé de la Loi. » Et c’est alors vraiment qu’elle serait contraire à la promesse, tandis que, par l’impuissance de la Loi à justifier, s’affirme la cohérence du plan divin, tel qu’il a été défini, à l’origine, dans le cas. d’Abraham. La justification par la foi au Christ est, au contraire, en parfait accord avec ce plan divin. Pour l'établir, saint Paul utilise l’incidente rapportée plus haut : Non dicit : ET 8EMINIBUS, quasi in multis, sed quasi in uno : ET SEMIN1 tuo qui est Christus. L’incertitude règne sur le point de savoir qui est ce Christ, descendance d’Abraham. Le Christ individuel, historique, répondent saint Jean Chrysostome, Théodoret, Tertullien, saint Jérôme, l’Ambrosiaster, saint Thomas. Promiserat Abrahse Deus fore ut per semen ipsius benedicentur génies ; semen autem ejus secundum carnem est Christus. S. Jean Chrysost., Comm. in Ep. ad Gal., iii, 4, P. G., t. lxi, col. 654. Au sentiment de saint Irénée, de saint Augustin, c’est le Christ mystique : Semen Abrahæ est Ecclesia, per Dominum adoplionem quæ est ad Deum accipiens. Irénée, Cont. hæres., V, xxxii, P. G., t. vii, col. 1211. C’est cette seconde exégèse qu’adopte le P. Cornely. Le P. Lagrange préfère la première : « Nous croyons donc que Paul a ici en vue le Christ individuel, mais conçu comme principe d’unité du

peuple chrétien. » Ep. aux Gal., p. 76. C’est seulement dans la suite que la pensée évolue vers le Christ mystique : « Mais l'Écriture a tout enfermé sous le péché afin que la promesse fut réalisée par la foi en.lésusChrist en faveur des croyants… Vous tous qui êtes unis au Christ par le baptême, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni juif, ni gentil ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus d’homme ni de femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. Or si vous faites partie du Christ, donc vous êtes le lignage d’Abraham, héritiers selon la promesse. » ni, 22 ; 27-29. La justification par la foi au Christ est donc en parfait accord avec la plan divin de salut établi au bénéfice d’Abraham et de sa postérité. Par contre, insiste plus loin saint Paul : « Vous avez été séparés du Christ, vous qui cherchez votre justification dans la Loi. » v, 4.

Saint Paul avait donc le droit de dire, Rom., nr, 21 : Nunc autem sine lege justitia Dei manifestala est, testificata a Lege et prophetis. A présent, c’est sans loi que se manifeste la justice de Dieu à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes.

II. la JUSTICE de la FOI.

Ayant ainsi éclairé notre marche, nous pouvons aborder l'étude de la justice de la foi.

Existence d’une justice conférée par Dieu.

1. Les

divers textes. — a) Rom., i, 17 : Justitia enim Dei ineo (i. e. in evangelio) revelatur ex fide in fidem, sicut scriptum est : Justus autem ex fide vivit (vivet). Dans l'Évangile se révèle la justice de Dieu, allant de la foi à la foi, comme il est écrit : Or le juste par la foi vivra.

Justitia Dei, SixaioauVY) Geoû, peut être un génitif d’attribution et signifier la justice attribut de Dieu. C’est l’exégèse d’Origène : Justitia enim Dei in evangelio revelatur per id quod a salute nullus excipitur, sive Judœus, sive Grœcus, sive barbarus veniat. Comm. in Ep. ad Rom., i, 15 ; P. G., t. xiv, col. 861. Il s’agit de la justice distributive de Dieu, qui ne fait pas acception des personnes. L’Ambrosiaster l’entend plutôt de la fidélité de Dieu à ses promesses. In Ep. ad Rom., i, 17, P. L., t. xvii, col. 56. En faveur de cette exégèse on peut alléguer avec le P. Lagrange les raisons suivantes : a. C’est le sens des mots dans l’Ancien Testament spécialement, quand il y a révélation : àTtEKaXu^sv ty)V Sixa107ÙVY]v aÙTOÛ, Ps. xcvm (xcvn), 2 ; b. la colère de Dieu qui se révèle ( ꝟ. 18) est mise en parallèle avec la justice de Dieu ; or cette colère est bien la colère de Dieu même ; c. la justice de Dieu, Rom., ni, 5, est bien l’attribut divin. Ép. aux Rom., p. 19. — Justice de Dieu, cependant, peut être un génitif d’auteur ou d’origine et signifier la justice qui vient de Dieu, la justice conférée à l’homme par Dieu. C’est l’interprétation de saint Jean Chrysostome : Et justitiam, non luam, sed Dei, ejus largilalem et facililalem subindicans. Neque enim ex sudore et labore illam perficis, sed ex superno dono accipis, hoc unum ex te ipso ufjerens quod credas. Deinde, quia vix credibilis sermo videtur esse quod mœchus, mollis, sepulcrorum effossor, prsesligiator confeslim, non modo a supplicio eripiatur, sed eliam justus fiai et justus suprema (i. e. Dei) justitia, a Veteri Testamento sermonem confirmât… In Ep. ad Rom., ii, 6 ; P. G., t. lx, col. 409. De même saint Augustin : Hœc est justitia Dei quæ, in Testamento Veteri velata, in Novo revelatur ; quæ ideo justitia Dei dicitur quod, imperliendo eam, justos facit : sicut Domini est salus (Ps. iii, 9), qua salvos facit. De spiritu et littera, xi, 18, P. L., t. xliv, col. 211. — Une troisième exégèse, qui essaie de, combiner les deux précédentes, a été proposée par Sanday-Headlam, qui arguent de Rom., ni, 26 : ut sit ipse justus et juslificans eum qui est ex fide Jesu Christi. « La seconde partie de cette formule n’est nullement en opposition avec la première ; elle en dérive au contraire par une suite naturelle et inévitable. Dieu

attribue la justice au croyant parce qu’il est juste lui-même. » Commentary on the Epist. to the Romans, Edimbourg, 1900, p. 25. Justice de Dieu signifierait donc à la fois, la justice-attribut et la justice conférée. Exégèse compliquée, dont le principal mérite est d’insister sur la qualité, et non pas seulement sur l’origine divine de la justice de Dieu dans l’homme ; justus suprema justifia (Chrys.). — Une quatrième interprétation, Tolet, Estius, etc., explique justice de Dieu dans le sens (faible) de justice devant Dieu. — Quant à l’exégèse justice de Dieu = sa justice vindicative s’exerçant sur les pécheurs, que Luther assure avoir été l’interprétation commune, saint Augustin faisant seul exception, c’est une pure imagination. Le P. H. Denifle l’a copieusement démontré pour les écrivains occidentaux, Die abendlândischen Schri/tausleger bis Luther ùber JUSflTlA BEI, Rom., /, 17, und JVSTIFI-C &.TIO, Mayence, 1905.

L’interprétation proposée par Origène est peu suivie. M. Tobac l’a reprise et renouvelée en lui donnant un tour eschatologique, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 115 sq. Celle de saint Jean Chrysostome, justice de Dieu = justice conférée ou imputée s’impose de plus en plus, aussi bien parmi les exégètes protestants que parmi les catholiques. Parmi ces derniers, les PP. Cornely, Lagrange, Prat, lui ont donné leur suffrage. Les arguments allégués en faveur de l’exégèse d’Origène sont peu concluants, remarque le P. Lagrange : « On répondra donc aux arguments d’abord proposés que Paul ne s’est pas tenu au sens normal du mot d’après l’Ancien Testament au moment où il inaugurait une théologie fondée sur le fait nouveau de l’Évangile ; le passage cité (Rom. ni, 5) a gardé le sens ancien, d’ailleurs parfaitement justifié en soi ; c’est une question de contexte. Le rapprochement avec le i. 18 est plus apparent que réel ; l’idée de justice doit être expliquée d’après le concept de Paul, non d’après une antithèse incomplète. » Ep. aux Rom., p. 20. Le P. Cornely va sans doute trop loin lorsqu’il prête aux Pères du Concile de Trente, définissant la « cause formelle » de la justification : juslitia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos facit (Sess. vi, c. vu), l’intention d’interpréter d’autorité, Rom., i, 17.

In eo revelatur de fide in fidem. — Les anciens exégètes ont cherché à préciser quelles étaient ces deux fides. Leurs explications sont assez divergentes. Tertullien écrit : Sine dubio et evangelium et salutem jusio Deo députât, ut ita dixerim, juxla hæretici (Marcionis) distinctionem, ex fide Legis in fidem Evangelii. Adv. Marcionem, t. V, c. xiii, P. L., t. ii, col. 503. De même Origène, saint Jean Chrysostome, Théodoret, etc. — L’Ambrosiaster : ex fide (i. e. fidelilalc) Dei promittentis in fidem hominis credentis juslitia Dei revelatur. In Ep. ad Rom., i, 17, P. L., t. xvii, col. 56. — Saint Augustin : ex fide scilicet annuntiantium in fidem obedientium. De spirilu et lillera, xi, 18, P. L., t. xliv, col. 211, ou : ex fide verborum quibus nunc credimus quod non videmus, in fidem rerum qua in seternum quod nunc credimus oblinebimus. Quæst. evang., ii, 39, P.L., t. xxxiv, col. 1353. Saint Thomas : ex fuie unius arliculi in fidem alterius, quia ad jusiiftcaiionem requiritur omnium articulorum fides. In Ep. ad Rom., c. i, lect. fi. C’est vouloir préciser à l’excès cette formule de saint Paul, hébraïsme courant pour exprimer le progrès de la foi dans le croyant. Par contre la remarque des PP. Cornely et Lagrange, rattachant ex fide à justitia Dei, plutôt qu’à revelatur, mérite d’être retenue e1 confirme l’explication de justice de Dieu dans le sens <le justice conférée.

Ainsi s’amorce la liaison des concepts de justice et

de toi, que vient confirmer une citation d’Habacac,

i, 4, d’après les Septante : Justus autem ex fide riril

(vivet, vr ( a£Tai). Les PP. Cornely et Prat tiennent à lier ex fide à vivit. Le P. Lagrange, pour ce qui concerne saint Paul, préfère lire Justus… ex fide, sans d’ailleurs y attacher beaucoup d’importance. De toutes manières, en effet, il est évident que la justice est rattachée à la foi. Dans saint Paul, sinon dans Habacuc, vivet s’entend de la vie éternelle, promise au juste en dépendance de la foi.

b) La formule : justice de Dieu reparaît, Rom., iii, 5 : Si autem iniquilas noslra jusliliam Dei commendat…, mais avec le sens usuel de justice-attribut et plus précisément de justice vindicative.

c) Rom., iii, 21-22, au contraire, reprend et commente l’idée énoncée Rom., i, 17 : « .Maintenant la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes, a été manifestée sans loi, et précisément cette justice de Dieu qui, par la foi en Jésus-Christ (va) à tous ceux qui croient, car il n’y a pas de distinction. » Nul doute que nous n’ayons à faire à la justice communiquée.

d) Rom., iii, 24-26 est difficile : Justiftcati gratis per graliam ipsius, per redemplionem quæ est in Christo Jesu. Quem proposuit Deus propiliationem per fidem in sanguine ipsius, ad ostensionem justiliee suée, — propter remissionem (i. e. tolerantiam) præcedentium delictorum in suslentalione (in tempore sustentationis) Dei — ad ostensionem (dico) justitiæ ejus in hoc tempore, ut sit (i.e. appareat) ipse justus et juslificans (i. e.juslificando) eum qui est ex fide Christi Jesu. « Justifiés gratuitement par sa grâce moyennant la rédemption qui est en le Christ Jésus, que Dieu a disposé comme un moyen de propitiation par la foi en son sang, afin de montrer sa justice, ayant supporté les péchés passés sans les punir dans ( le temps de) la patience de Dieu, afin de montrer sa justice, dans le temps présent, pour qu’il soit (établi qu’il est) lui-même juste et qu’il rend juste celui qui a eu foi en Jésus-Christ. » Ce texte nous intéresse ici à raison de la formule : juslitia Dei, qui s’y rencontre à deux reprises. Devons-nous considérer ad ostensionem, sic ëvSsûiv, justitiæ suse et ad ostensionem, Tipoç ttjv ëvSeiÇiv, justitiæ ejus comme deux propositions parallèles mais distinctes (Cornely), la première se rapportant au temps qui a précédé Jésus-Christ, la seconde à celui qui le suit, ou bien comme une même formule énoncée puis reprise (Lagrange) et se référant à l’époque chrétienne ? La seconde interprétation semble devoir être préférée. « On ne voit pas que le temps de la tolérance soit celui d’une manifestation de la justice. » Lagrange, Ép. aux Rom., p. 77. Pour qui l’accepte, le sens à donner à justitia Dei apparaît commandé par les f.2122, où cette formule s’entend de la justice conférée. Ainsi saint Thomas : Ad ostensionem justitiæ suæ, id est ad hoc quod suam justiliam Deus oslenderet, et hoc propter remissionem præcedentium delictorum ; in hoc enim quod præcedentia delicta Deus remisit (toleravit), quæ lex remittere non poterat, nec homines propria virtute ab eis se præcavere poteranl, oslendil quod necessaria est hominibus juslitia qua juslificentur a Deo. hx Ep. ad Rom., c. iii, lect. 3. Saint Thomas, à plus forte raison, interprète dans le même sens de justice conférée Le second justitia Dei : Ut in hoc tempore graiieesuam jusiitiam perfecte ostendcrcl. plénum remissionem peccatorum Iribucndo… Ibid. Pour ce qui regarde du moins l’interprétation de justitia Dei, Le P. Lagrange se range à ce sentiment et Le met en valeur. Le P. Cornely, développant l’explication sommairement énoncée par saint Jean Chrysostome, défend L’idée de justice attribut de Dieu, mais au sens très général de perfection morale et de sainteté. De même le P. Prat :

évidemment sa justice intrinsèque », La théologie de saint Paul, t. ii. 7 édit., Paris, 1923, p. 295. « Évidemment » est trop dire.

e) Rom., x, 3 : « Ignorantes enim jusliliam Dei et suam quærentes statuere justitise Dei non sunt subjecti. Méconnaissant la justice de Dieu, et cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » L’antithèse justiliam Dei et suam qustitiam) invite à entendre cette justice de Dieu de la justice conférée par Dieu à l’homme. Plus clair encore en ce sens apparaît II Cor., v, 21 : « Celui qui n’avait point connu le péché, il l’a fait péché pour nous afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » Le verset suivant vi, 1 : « Or donc, étant ses coopérateurs, nous vous exhortons à (ïaire en sJrte de) n’avoir pas reçu en vain la grâce de Dieu, » à savoir lorsqu’ils sont devenus justice de Dieu dans le Christ, traduit justice de Dieu par grâce de Dieu, qui désigne ici, non pas la bienveillance de Dieu (Cajétan), mais un don divin fait à l’homme. Enfin Phil., ni, 9, est parfaitement clair et confirme généralement nos précédentes explications : « J’ai voulu tout perdre… afin d’être trouvé en lui non avec ma propre justice, celle qui vient de la Loi, mais avec celle qui naît de la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. » Justitia Dei est repris sous la forme justitia ex Deo qui ne laisse place à aucun doute.

2. Idées qui se dégagent des textes.

Nous pouvons donc considérer comme acquise l’existence dans l’homme, d’après saint Paul, d’une justice conférée par Dieu. Dans l’homme : disons mieux, dans le croyant. La plupart des textes que nous avons étudiés nous montrent, en effet, cette justice de Dieu dans l’homme liée à la foi. Le fait n’est pas contestable. Ajoutons seulement que, pour saint Paul, cette liaison de la justice à la foi se vérifie aussi bien pour le temps qui a précédé le Christ que pour celui qui le suit. L’Apôtre voit dans la justification d’Abraham le modèle et le symbole de toute justification. Or celle-ci s’est accomplie en liaison avec la foi. Et il prend la peine de préciser qu’il en a été de même pour tous les justes reconnus qui ont précédé le Christ. Cf. Hebr., xi.

Lien qui unit la justification et la foi.

Avant

d’entreprendre l’analyse du lien qui unit la justice à la foi, il est indispensable d’esquisser celle de la foi elle-même au sens de saint Paul.

1. La foi d’après saint Paul.

a) Les textes. — Le texte capital est Rom., x, 13-17 : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc invoqueraient-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? et comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu ? et comment entendraient-ils si personne ne prêche ? et comment prêcherait-on si l’on n’avait été envoyé… Mais tous n’ont pas obéi à l’évangile, ÛTCYjxoojav, Vulg., obediunt. Car Isaïe dit : Seigneur qui a cru à notre prédication (tf[ àxof), Vulg. auditui)1 La foi dépend donc de la prédication et la prédication de la parole du Christ. » Ce qui nous donne cette suite : la parole ou l’enseignement du Christ, c’est-à-dire, l’Évangile, la mission de prêcher donnée aux Apôtres, leur prédication, xirjpûaaovToç, àxof), l’audition, àxoûawaiv, et enfin deux actes qui semblent intimement liés et pratiquement équivalents, l’obéissance et la foi, Û7raxor ; v, 7TiaTiç. - — Les textes de Gal., iii, 2, 5 : Ex operibus legis Spiritum accepistis an ex auditu fldei ? Est-ce à cause des œuvres de la Loi que vous avez reçu l’Esprit, ou pour avoir prêté l’oreille à la foi ? suggère pour auditu, àxoï) le sens d’audition (Lagrange) plutôt que celui de prédication (Cornely).ce qui donne : l’audition conduisant à la foi, l’accueil fait à l’Évangile. L’interprétation : prédication de la foi comme nécessaire, proposée par quelques exégètes protestants, est complètement étrangère au contexte. — - 1 Thess., ii, 13 est obscur à force de concision et de plénitude : Quoniam cum accepissetis (71apaXaê6vTeç = recevoir

d’un intermédiaire transmettant ce qu’il a lui-même reçu)ano&(’s verbum auditus De^Xoyov àxovjç rcxp’tjjjlwv too 6eoû ; construction étrange : lier yov à toù 0soô, formule reprise plus loin et détacher àxoîjç nxp’Y)|xà)v, àxoîjç pouvant signifier audition (Lagrange), ce qui est peut-être plus littéral, ou prédication (Cornely), accepistis illud (èô~s ; acr8s = àxor) au sens d’audition et déjà ÛTtaxoïj) ut verbum Dei. » Et l’on peut traduire : « Nous rendons grâces… de ce que, lorsque vous avez reçu par notre intermédiaire la parole de Dieu que vous entendiez de notre bouche, vous l’avez accueillie… comme parole de Dieu. » — Rom., i, 5 et xvi, 26 : ad obediendum fidei, eiç » 7raxo7)V tÛcttswç est bien près de signifier : l’obéissance qui est la foi même. Le P. Cornely comprend : l’obéissance à la foi comme dans Act., vi, 7 : Û7rr)xouov ttj metzi. — H^br., xi, 1 : Est autem, fides sperandarum rerum substantialimôatocoiç = « la réalisation » au sens anglais, ce qui fait « réaliser », ce qui fait apparaître les biens espérés comme « substantiels » ) argumentum (sXsyx ? — ce qui convainc de la vérité) non apparentium. Les deux membres de phrase sont rigoureusement parallèles et, pour le fond de la pensée, de signification identique. Substantia vaut argumentum ; sperandarum rerum vaut non apparentium ; cf. Rom., viii, 24 : Nam quod videt quis, quid sperat ? Sur la première équivalence, cf. M. A. Matins, The Pauline ïliaxiQ-Hnosvyioiç, , Washington, 1920, et sur la seconde saint Thomas, Ep. ad.. Hsebr., c. xi, lect. 1. — Rom. x, 9 : in corde luo credideris, et II Cor., x, 5 : in captiuitatem redigentes omnem intelleclum (ttôcv vot)ixoc) inobsequium(JiTZxy.ai])) Christi, formules suggérant que le cœur et l’esprit (la pensée) s">nt pareillement intéressés dans la foi. — II Th., iii, 2 : Non enim omnium est fides est parallèle à Rom., x, 16 : Sed non omnes obediunt (’J7r/)xojcrav) evangelio, avec, peut-être, cette nuance particulière, que la foi est un don de Dieu (la foi n’est pas le lot de tous).

b) Idée qui ressort des textes : Complexité du concept de foi. — La foi, dans saint Paul, nous apparaît donc, premièrement, comme une soumission, un assentiment de l’esprit à des énoncés tenus pour vrais sur le témoignage du Christ (et de Dieu), qui les a enseignés à ses Apôtres. Ceux-ci, sur son ordre, nous les ont transmis par la voie de la prédication et, les ayant entendus de leur bouche, nous les avons accueillis et leur avons donné créance comme à la parole de Dieu. Rom., x, 5, insinue que notre cœur n’est pas demeuré étranger à cet assentiment de notre esprit ; II Thess., ni, 1, 2 ; Eph., ii, 8, et d’autres textes de même inspiration, donnent à penser que Dieu lui-même joue en tout cela un rôle actif. Les vérités que nous croyons, renfermant l’annonce et la promesse de biens, un mouvement de désir, d’espérance à leur endroit se dessine, qui accompagne la foi dès son origine même. Enfin il se pourrait que, le mot Ô7raxor), choisi comme équivalent de 7Ûctt !, ç, insinue que ces vérités-biens sont aussi, pour une part, des vérités-règles de conduite, auxquelles le croyant se soumet, obéit.

L’examen des prépositions avec lesquelles saint Paul construit les mots croire et foi accroît encore cette impression de la complexité psychologique de la foi paulinienne. « Quand l’objet de la foi est indiqué, écrit le P. Prat, à part certaines locutions exceptionnelles, comme « foi en l’évangile, foi en la vérité », c’est toujours Dieu ou le Christ. Et alors l’objet matériel coïncidant avec l’objet formel, la notion de la foi est assez complexe. Si croire à Dieu, 6sco, peut n’être que prêter foi à son témoignage, croire en Dieu ajoute à ce concept des nuances délicates dont les particules grecques rendent bien le sens. Croire en Dieu n’est pas seulement croire à son existence, mais se reposer sur lui, éra, 6ew, comme sur un appui inébran

lable, se réfugier en lui, ètù 6e6v, comme en un asile assuré, tendre vers lui, eîç Geôv, comme à sa fin. suprême. » La théologie de saint Faut, t. ii, p. 286. Mêmes constructions avec le mot Christ : Nous avons dans (èv), le Christ, Gal., iii, 20 ; I Tim., iii, 13 ; au (eîç) Christ, Rom., x, 14 ; Gal., ii, 16 ; Phil., i, 29 ; Col., ii, 5 ; en prenant appui sur (eut) le Christ, Rom., x, 11 ; avoir foi au (tw) Christ, II Tim., i, 12 ; envers (rcpôç) le Christ, Phil., 5. La formule : foi de Jésus-Christ, Rom., m, 22, 26 ; Gal., ii, 16, 20 ; iii, 22 ; Phil., iii, 9, dit tout cela à la fois. L’exégèse de Haussleiter interprétant foi de Jésus-Christ dans le sens de foi qu’avait Jésus-Christ lui-même, au lieu de foi dont Jésus-Christ est l’objet, qui est l’explication commune, mérite à peine d’être mentionnée et n’a trouvé aucun accueil. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 543. — Le mot d’Eph., m, 17 : Christum habitare per (Sià) fidem in cordibus vestris, implique une étroite liaison de la foi avec le Christ son objet. — De même Hebr., xii, 2 : Aspicientes in auctorem fidei et consummatorem, Jesum, où nous voyons reparaître d’autre part, avec consummatorem, le concept de foi-espérance. Parmi les endroits qui assignent à la foi un objet spécial, ceux-ci méritent d’être signalés : Rom., iii, 25 : Quem proposuit Deus propitialionem per fidem in sanguine ipsius. In sanguine détermine à la fois propitialionem et per fidem ; Rom., x, 9, cf. iv, 24 : et in corde tuo credideris quod Deus suscilavit illum (Christum) a morluis ; Col., ii, 12 : Resurrexislis (in baptismo) per (Sià) fidem operationis (génitif d’objet) Dei qui suscitai>it illum (Christum) a morluis ; IThess., iv, 13 : Si enim credimus quod Jésus mortuus est et resurrexit.

Le concept paulinien de foi renferme donc, se référant à un objet lui-même complexe, tout un ensemble d’éléments psychologiques divers, désir, confiance, obéissance, reliés, comme à leur centre, à cette créance que notre esprit accorde à Dieu et au Christ, laquelle définit premièrement la foi mais n’en épuise point la richesse. Nous sommes loin de la notion luthérienne de la foi pure confiance, qui d’ailleurs embarrasse de plus en plus, par son étroitesse anti-psychologique et son opposition aux textes, les exégètes protestants. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 539.

2. Justice et foi.

Mais il est temps de revenir à notre dessein principal qui est d’analyser le lien qui, pour saint Paul, rattache la justice à la foi. Voyons les textes. Ils nous ofïrent, pour ce qui regarde la justice et la foi, des constructions diverses, analogues à celles que nous avons rencontrées pour les mots foi et croire.

a) Analyse des principales expressions. — La justice est rattachée à la foi par l’intermédiaire de la préposition èx : Rom., ix, 30 : Justitia autem quæ ex fide est ; x, 6 : Quæ autem ex fide est justitia ; Rom., i, 17 : Justitia enim Dei in eo (evangelio) revelatur ex fide ; v, 1 : Juslificati ergo ex fide ; Gal., ii, 16 : Ut justificemur ex fide Christi ; Gal., iii, 24 : Ut ex fide justificemur. Manifestement distincte de la foi, la justice en procède, la justification trouve en elle son point de départ et d’appui. dette dernière idée s’affirme plus nettement encore, Rom., iii, 24 : Et justificans eum qui est ex fide Jesu Christi, et surtout iii, 30 : Qui jusliftcat circumeisionem (les circoncis) ex fide ; Gal., ni, S : Ex fide jusliftcat dentés Deus. Il devient évident que si la justice, distincte de la foi, en procède, ce n’est pas directement et comme une dérivation naturelle, mais par l’intermédiaire d’un acte divin dont elle est l’effet et le terme.

Ailleurs le rapport de la justice et de la justification a la foi est exprimé par le moyen de la préposition instrumentale Stâ, qui ne prend tout son sens qu’en fonction de l’acte divin justificateur : Hoin., iii, 22 : Justitia autem Dei (quee est) per fidem Jesu Christi ; Rom., iii, 30 : qui jusliftcat… præpulium (les gentils)

per fidem ; Phil., iii, 9 : Serf illam quslitiam) quæ ex fide (per fidem) Jesu Christi. L’homme est justifié, Dieu justifie l’homme par le moyen de la foi, en utilisant la foi comme cause instrumentale. Les constructions avec i-izi, Philip., iii, 10 : Quæ ex Deo est justitia in fide (ènl ttj 71îaTei), et avec xoctoc, Hebr., xi, 7 : Et justitiæ quæ per (secundum) fidem est, introduisent l’idée de la foi base de la justice, de la foi norme et mesure de la justice. De toutes ces formules la plus énergique est sans doute la construction avec le datif, Rom., iii, 28 : Arbitramur enim hominem juslificari per fidem (marsi, fide) ; Rom., v, 1 : Per quem (Christum) habemus accessum per fidem (tîj 7Ûstei) in gratiam islam, celle qui est exposée au chapitre précédent, la justice secundum gratiam.

Cette construction : juslificari fide fait ressouvenir de Rom., iv, 3sq., que c’est ici le lieu d’éclaircir’Etût-TE’jæv 8s’Aopocàfx tù ©Eco, xoù èXoyîgÔïj aù-w eîç Sixaioaûv/]V, Credidit AbrahamDeo et reputatum est ei ad justitiam. C’est une citation de Gen., xv, 6 d’après les Septante. L’hébreu porte : « Il (Dieu) lui compta cela comme justice. » Les Septante ont mis le verbe hébreu au passif èXoyîo-Qt). Ce verbe que la Vulgate traduit tantôt repulatur et tantôt imputatur se rendrait plus justement par deputari (Ancienne Latine, Tertullien, saint Cyprien, saint Irénée latin, etc.), avec le sens de : mettre ou porter au compte de quelqu’un. Ad (sîç) juslitiam, c’est-à-dire comme justice, comme valant justice. Le P. Lagrange a montré que XoyïÇopixi possède, de lui-même et dans l’usage courant, cf. I Reg., 1, 13 ; Job, xii, 23 ; Ps. cv, (evi), 31 ; Is., xxix, 17 ; xxxii, 15 ; xl, 17 ; Os., viii, 12, et dans saint Paul lui-même, Rom., ii, 16 ; ix, 8, cf. Act., xix, 17, un sens fort, celui d’une équivalence réelle entre deux choses. Nulle part la mise en compte d’une valeur ne suppose un défaut de proportion entre ce qui est fourni et l’estimation qui en est faite, sauf, bien entendu, le cas, sans intérêt ici, où il y aurait erreur. Le même exégète écrit à propos de Rom., v, 3 : « C’est presque l’expression de satisfaction que Jahvé accorde à ceux qui observent la loi (Deut., vi, 25 ; xxiv, 13) ; il n’est pas directement question de la justification première d’Abraham, mais du mérite de son acte de foi, mérite tel qu’il équivaut à une œuvre parfaite. Le cas d’Abraham apparaît analogue à celui de Phinéès. Ps., cv (evi), 31, où il s’agit d’un acte de zèle et à celui de Siméon et de Lévi, Jubilés, xxx, 7, 19, qui tirèrent vengeance des gens de Sichem. Lagrange, Ép. aux Rom., p. 84 sq.,

Ce n’est que dans les versets suivants, d’après le P. Lagrange (contre Cornely), que la pensée de. l’Apôtre prend un autre tour ou plutôt se précise et se nuance : Ei autem qui operatur, merces non imputatur (depulatur) secundum gratiam sed secundum débitum. Ei vero qui non operatur, credenli autem in eum qui jusliftcat impium, repulatur (depulatur) fides ejus ait justitiam. Or à celui qui a des œuvres, le salaire n’est pas compté par faveur mais selon ce qui est dû, tandis que celui qui n’a pas d’oeuvres, mais qui croit en celui qui rend juste l’impie, sa foi lui est comptée comme justice. Secundum propositum gratinDei de la Vulgate clémentine est une glose, d’ailleurs exacte. Cille équivalence entre loi et justice, dont leꝟ. 3 nous offre un cas typique, saint Paul précise maintenant qu’elle n’appartient pas à l’ordre du debttum, du droit strict, niais à celui de la gratin, c’est-à-dire de la bienveillance. L’équivalence n’en subsiste pas moins dans cet ordre particulier. Devant la bienveillance divine, quoique non par devant sa justice, foi vaut justice. I.e P. Prat, envisageant les choses d’un point de vue différent, s’attache, non sans quelque excès, à la seule considération de la disproportion qui existe entre la foi et la justice. La théologie de saint Paul, t. ii, p. 206.

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    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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b) La doctrine qui s’en dégage et l’interprétation luthérienne. — Pour conclure. — a. La foi n’est pas la justice. — La formule de Luther citée par le P. Prat : Ea (vera fiducia cordis) est formalis justifia propler quam homo justificatur, c’est-à-dire est déclaré juste par imputation légale de la justice du Christ, outre qu’elle est libellée dans une langue philosophique peu intelligible, n’est pas paulinienne. Si la justice n’est pas la foi, elle en procède d’une certaine manière, en ce sens que la foi est un titre réel, secundum graliam et non secundum debitum, à l’obtenir de Dieu. Bien plus, dans cette collation de la justice par Dieu, elle joue, conjointement avec le baptême, le rôle d’instrument. Qu’est-ce à dire ? La théologie luthérienne a accueilli cette notion de la foi instrument de la justification, mais en l’accommodant à sa façon de concevoir la justification et la foi elle-même. Simple condition sine qua non et qui ne joue aucun rôle positif dans la justification, ou moyen d’appréhender la justice du Christ, elle garde toujours ce caractère essentiel de n’avoir par elle-même aucune valeur morale, d’appartenir à un ordre distinct et hétérogène par rapport à la justice. Ce n’est sûrement pas ainsi que saint Paul l’entend. La foi, pour lui, représente une activité de l’homme et, de sa part, une préparation positive à la justice. Comme l’a dit fort justement le Concile de Trente, elle est humanse salutis initium, fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess. vi, De juslificatione, c. vrn. Si la justice, au sens de saint Paul, représente, dans sa notion la plus générale, un état normal de relation avec Dieu, il est aisé de comprendre que la foi, par où nous accordons créance à la parole de Dieu et par où nous commençons de prendre à son égard les dispositions effectives qui conviennent, représente une amorce et un inilium de la justice. C’est ainsi qu’elle est de notre part une vraie collaboration à la justification et qu’elle peut être utilisée par Dieu comme instrument de pleine justification. Très généralement, les exégètes protestants contemporains reconnaissent, au moins tacitement, que Luther et les théologiens luthériens orthodoxes ont trahi la pensée de saint Paul. Aussi les voyons-nous réintroduire une notion sensiblement différente de la foi, de son rôle dans la justification, et, en fin de compte, de la justification elle-même.La foi recouvre une valeur religieuse et morale ; la justification n’est plus aussi radicalement isolée de la sanctification ; la foi redevient l’un des principes de la vie du croyant justifié. Voir plus loin. Ces multiples relations de la justice avec la foi, toutes fondées sur la nature même de la foi, dont la valeur morale et religieuse la rend propre à amorcer dans l’homme une vraie justice et la qualifie, secundum graliam, pour devenir aux mains de Dieu, l’instrument approprié de notre complète justification, saint Paul les exprime par cette formule synthétique : la justice de la foi, dont il aime à se servir, Rom., iv, 11, 13, etc., quand il veut opposer la justice conférée par Dieu à la justice de la Loi et des œuvres. Cf. Lagrange, Ép. aux Rom., p. 137 sq. ; Prat, La théologie de saint Paul, t. il, p. 540 sq.

b. La justification par la foi seule. — Commentant Rom., iii, 28 : Arbitramur enim jusliftcari hominem per fidem (nlazsi) sine operibus legis, Luther s’est cru autorisé à traduire per fulem par per fidem solam. C’est la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule. Préoccupé de l’anéantir à sa source même, le P. Cornely se jette dans une exégèse discutable et bien superflue de ce texte de l’Épître aux Romains : In hac sententia autem…, uti ex vocabulorum ordine… clare jam eluect, prwcipuum pondus inesse verbis SixaioûaGxi et /c-piç ëpycov vôfxo’j… quippe quæ primum et ultimum locum occupent, aliud autem nomen (memç, per fidem) nonnisi velut secundarium quoddam complemen DICT. DE THÉOL. CATHOL.

tum inseri ad viam indicandam, qua homo sine operibus Legis justificetur, Op. cit., p. 200. Saint Thomas explique plus objectivement : Non autem solum sine operibus cseremonialibus, quæ graliam non conferebant sed solum significabant, sed eliam sine operibus moralium prœceptorum, secundum illud : Non ex operibus justiliæ quæ fecimus nos, Tit., iii, 5, ita tamen quod intelligat (vel intelligas) : sine operibus prsecedentibus justiliam, non autem sine operibus subsequenlibus, quia ut dicitur, Jac, ii, 16 : Fides sine operibus, scilicet subsequenlibus (la parenthèse est de saint Thomas), morlua est et justificare (ce qui s’entend ici de la « justification seconde » )> non potest. Ep. ad Rom., c. iii, lect. 4.

Inacceptable, la formule per fidem solam ne l’est proprement qu’au sens luthérien, c’est-à-dire dans une doctrine qui, après avoir faussé le concept paulinien de foi, représente la justification, non pas comme l’acte inaugural de la vie du croyant dans le Christ — ce qu’elle est pour saint Paul — mais comme une sentence divine formulée en dehors de la vie réelle et qui ne s’inquiète pas des œuvres qui pourront suivre, sentence irrévocable à la seule condition que la foi subsiste. Cette doctrine est si manifestement étrangère et contraire à la pensée de saint Paul que les exégètes protestants contemporains se voient contraints de l’abandonner, à des degrés divers et par des voies différentes, l’un après l’autre. Le texte Eph., ii, 10 est particulièrement catégorique : « Nous sommes son ouvrage (de Dieu) ayant été créés en Jésus-Christ pour faire de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions, xTiaOsVTSÇ èv Xpia-rcp’Iyjctoû sttI spyoïç àyaôoù ;. » Sur quoi le P. Cornely fait remarquer très justement que êxcl désigne ici la fin, le but » Ep. ad Ephesios, Philipp., et Col., Paris, 1912, p.77. Cf. aussi, II Cor., ix, 8 ; Col., i, 10 ; Tit., iii, 8, etc.

Le long passage Rom., vi-vm, si intimement lié à la péricope iii, 21-v consacrée à la justification, décrit amplement la vie nouvelle, vie de justice et de sainteté, que doit désormais mener le croyant justifié. Bien plus le jugement final portera sur les œuvres du chrétien postérieures à sa justification première, II Cor., v, 10 : « Tous il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ (il s’agit des chrétiens justifiés par la foi et le baptême) afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps, selon ses œuvres, soit bien soit mal. »

La foi, qui persiste, bien entendu, dans le justifié, devient comme le milieu intérieur où se développe sa vie dans le Christ. Gal., ii, 20 : « Si maintenant (depuis le baptême) je vis dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi. » La foi est dite agir par la charité, Gal., v, 10 : Sed fuies quæ per charilalem operatur. La pensée de saint Paul rejoint ici celle de saint Jacques, Jac, ii, 16 : Sic et fides, si non habeat opéra, morlua est in semelipsa.

3. Gratuité de la justice.

C’est en fonction de cette dépendance de la justice par rapport à la foi, dans sa première origine, que saint Paul signale la gratuité de la justification. Il faut noter comme particulièrement catégoriques en ce sens, Rom., iii, 24 : Juslificati gratis per gratiam (i.e. benevolenliam) ipsius (Dei) : Eph., ii, 8 : Gratia enim estis saluali per fidem, et hoc non ex vobis. Dei enim donum est — non ex operibus, avec cet objectif cher à saint Paul : ne quis glorictur. L’on ne peut douter que la reprise : Dei enim donum est n’ajoute quelque chose à l’affirmation première : Gratia enim estis salvali per fidem. S’il s’agissait seulement de marquer la différence qui existe entre la justifia ex fuie et la juslitia ex operibus, dans l’esprit de Rom., IV, 5, le mot gratia suffisait. Si saint Paul revient et insiste, c’est apparemment qu’il veut rapporter la foi elle-même à cette gratia. Saint Thomas entend directement la clause : Dei enim

VIII.

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donum est, de la foi elle-même et il rappelle le mot de Phil., i, 29 : Yobis autem donutum est pro Christo, non solum ut in eum credatis, sed eliam pro eo patiamini. Ep. ad Eph., c. ii, lect. 3. J. E. Belser préfère dire simplement : « Que la foi elle-même ne soit pas purement notre œuvre personnelle, c’est ce que suppose l’ensemble de la construction, » Der Epheserbrief des Ap. Paulus, Fribourg-en-B., 1908, p. 57 ; cf. Prat, Lu théologie de saint Paul, t. ii, p. 289, qui tient cette nuance comme n’ayant qu’un intérêt secondaire, le canon 5 du concile d’Orange sur l’initiurn fidei et son interprétation d’Eph., ii, 8 étant, de l’une et de l’autre manière, justifiés.- — Intéressant aussi est Tit., iii, 5 : « Dieu nous a sauvés non à cause des œuvres de justice que nous avions faites, non ex operibus justitiee, -z&v èv Sixaioaùv-fl = faites en état de justice, mais selon sa miséricorde. .. afin que justifiés par sa grâce, nous devenions héritiers de la vie éternelle. » Ces œuvres « dans la justice » nous ne les avons pas faites, t. 3, ni ne pouvions les faire, n’étant pas en état de justice.

/II. la JUSTIFICATION. — Il nous reste à étudier l’acte même de justification dans saint Paul.

1° Sens possibles du mot justifier. — Pour l’exprimer saint Paul se sert, à l’actif et au passif, du verbe Sixaioûv. H. J. Holtzmann, traduisant le sentiment commun des exégètes protestants, a écrit : « Le verbe Sixouoùv désigne dans l’Ancien Testament, un acte judiciaire favorable à celui qu’il concerne, c’est-à-dire l’acte par lequel le juge déclare quelqu’un innocent. » Lehrbuch der Neuleslament. Théologie, t. ii, 2e édit., Tubingue, 1911, p. 141. C’est ce qu’on appelle le sensus forensis, c’est-à-dire le sens déclaratif judiciaire, qu’il ne faut pas confondre avec le sens déclaratif simple, c’est-à-dire non judiciaire. Beaucoup d’exégètes catholiques ont accepté cette opinion touchant le sens de Sixaioûv dans la Bible grecque. Le P. Prat continue de la tenir pour généralement exacte : « Nous admettons sans balancer, écrit-il, que la justification de l’homme éveille d’ordinaire dans l’Ancien Testament et même dans le Nouveau l’idée d’un jugement divin, qu’on peut du moins l’y découvrir sans faire violence aux textes (l’atténuation est sensible), que dans un petit nombre la justification est purement déclarative. Il en est ainsi, par exemple, toutes les fois qu’il s’agit du jugement final qui ne produit pas la justice en l’homme mais la présuppose… » L’on éprouve quelque peine à entendre ce qui suit, qui semble contredire la formule initiale : « Mais ce n’est pas le. sens ordinaire : ce qui le prouve, c’est l’impossibilité de remplacer, dans la plupart des cas, le verbe « justifier » par ses équivalents prétendus « déclarer juste » ou « traiter comme juste ». La théologie de saint Paul, t. ii, p. 297 sq.

Cependant le commentaire du P. Lagrange sur l’Épître aux Romains, publié en 1916’, a marqué sur ce point une vive et heureuse réaction. Au sentiment du savant exégéte, l’interprétation du Sixaioùv biblique comme signifiant une déclaration de justice prononcée parle juge représenterait une généralisation injustifiée C’est ce qu’il entreprend de faire voir en reprenant après P. Feine, Théologie des Neuen Testaments, Leipzig, p. 409 sq., mais pour aboutir à îles conclusions bien différentes des siennes, l’examen des quarante-cinq endroits des Sepl ante où paraît le verbe Sixaioûv.

Il est nécessaire de reproduire les grandes lignes de cette suggestive enquête.

Aixaioûv traduit pis à la voix hiphil : Ex., xxiii, 7 ; Dcut., xxv, 1 ; IlKcg., xv, 1 ; II I Kcg., vui, 31 ; Il Parai., vi, 23 ; Ps., i.x.xxii (î.xxxi), 3 ; Is., v, 23, L, H ; i.m, 1 1. Dans tous ces cas, le sens de : déclarer Juste en justice (sensus forensis) ne lait aucun doute, sauf pour Is., l, 8, où nous avons plutôt celui de : défendre en Justice, ce qui représente une nuance sensiblement différente.

Aixaioûv traduit la voix hitphaël du même verbe, Eccle., vu, 5 et, au passif, Gen., xliv, 16, avec le sens de : se justifier soi-même devant un juge. C’est toujours le sens judiciaire mais non point déclaratif. La voix piël de p-rs est rendue par Stxxioijv : à l’actif. Jer., iii, 11 ;

Ezech., xvi, 51, 52, avec le sens de : se montrer juste par comparaison à un autre qui se conduit plus mal ; au passif, Job, xxxii, 32, avec le sens de : se voir donner raison. Le sens proprement judiciaire n’apparaît plus.

Le qal de pis est rendu par Sixxio^aOai : Gen., xxxvi, 26 ; Ps., xix (xviii), 10 ; l(li), 4 ; cxliii (cxlii), 2 ; Is., xuii, 9, 26 ; xlv, 25, 26 ; XLn, 21. Dans tous ces cas, le sens déclaratif et, à plus forte raison, le sens forensique proprement dit, est étranger à l’hébreu. L’on est d’autant moins autorisé à le présumer pour le grec que le contexte ne s’en accommode point. On n’a pas assez pris garde à ces faits.

Lorsque Stxaioôv traduit nsr, nous avons pour

le qal, Michée, vi, 11, le sens de : être pur et pour le piël, Ps., lxxiii (lxxii), 15, celui de : rendre pur (cas unique dans l’Ancien Testament).

Le P. Lagrange examine à part les onze cas de l’Ecclésiastique que M. P. Feine a portés en bloc à l’actif du sensus forensis ou, à tout le moins, du sens déclaratif : vii, 5 ; ix, 12 (17) ; x, 29 (32) ; xiii, 22 ; xxxiv (xxxi) 5 ; xlii, 2, pour lesquels nous avons l’original hébreu ; i, 28 ; xviii, 1, 22 ; xxvi, 28 ; xxxiii, 14, pour lesquels nous ne l’avons pas. Le sens déclaratif n’est établi sûrement que pour x, 29 (32) et xlii, 2.

Les versions grecques, autres que celle des Septante font l’impression de traduire plus volontiers encore le qal de pis par le passif 81xouo’jo-0ai dans

le sens de : être juste. L’Apocalypse de Baruch, xxt, 9, 11, 12 ; xxiv, 1, 2 ; li, 3 ; iii, 7 ; IV Esdras, xii, 7 ; les Psaumes de Salomon ( qu’on allègue souvent en faveur de sensus forensis) ii, 16 ; iii, 5 ; iv, 9 ; viii, 7, 27, 31 ; ix, 3, suggèrent, s’ils ne l’imposent pas, le sens d’être ou de devenir juste. « On voit, conclut le P. Lagrange, combien il est peu exact de dire avec Sanday-Headlam que dans l’Ancien Testament le mot a toujours ou presque toujours un sens forensique ou judiciaire. » Ép. aux Rom., p. 128. L’on n’est donc pas fondé à aborder l’exégèse de saint Paul avec l’idée préconçue, et non vérifiée par les faits, que Sixxioôv était, dans la langue biblique, un mot technique signifiant la sentence favorable rendue par le juge au bénéfice d’un inculpé. Même le sens déclaratif large, c’est-à-dire non strictement judiciaire, n’a pas à être obligatoirement présumé, à défaut du sensus forensis proprement dit.

Il est un cas cependant où le sens forensique s’impose et c’est lorsque le verbe Stxoaoûv est employé dans un contexte eschatologique et pour signifier le jugement dernier. Or d’après M. A. Titius, Der Paulinismus unter dem Gesichispunkt der Seligkeil, Tubingue, 1900, p. 157 sq., la justification représente toujours dans saint Paul un acte messianique et donc d’ordre en soi eschatologique, M. K. Tobac, qui a très bien mis en valeur cette ingénieuse théorie, s’applique à justifier en ces termes l’équation : acte messianique = acte eschatologique, qui est à la base du système : « (’/est qu’avec le Christ le règne messianique est présent, le royaume a commencé, la communauté est là, existante, intimement unie à son chef, consciente des réalités qu’elle possède et des espérances qu’elle attend, se préparant à la parousie. Pour elle plus de jugement, ou plutôt le jugement a eu lieu déjà : elle est justifiée. Du côté de Dieu, tout est fait ; il dépend d’elle de conserver celle Justification et de la voir ratifiée au jugement final de Dieu. On dirait qu’à certains moments le présent et le futur se confondent pour saint Paul 'JIM iO

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et ne lui apparaissent pas comme à nous clairement distincts. La justification présente, c’est en même temps la justification future : il n’en conçoit qu’une, c’est la justification messianique. Il n’oublie pas cependant que notre vie est encore cachée, attendant son apocalypse, Col., iii, 4, que nous ne sommes sauvés qu’en espérance, Rom., viii, 23, et c’est pour cela qu’il pourra en d’autres circonstances, présenter cette même justification comme future, comme s’accomplissant au grand jour du jugement. » Le problème de la justification dans saint Paul, p. 218. Ce qui suit achève de dégager la véritable idée génératrice du système, qui en fait aussi la faiblesse principale : « Dans saint Paul, la justification consiste toujours, selon nous, dans le décret d’admission au royaume messianique. Plus tard lorsque la perspective du règne eschatologique s’éloigna et que le règne présent ou préparatoire absorba toute l’attention, la disjonction entre la justification présente et future, entre la justice et le salut s’opéra aussi définitivement. » Ibid., p. 216 note. M. A. Titius admet qu’il existe déjà dans saint Paul des traces de cette différenciation. Cette interprétation, fait remarquer à bon droit M. Tobac, n’est aucunement liée à la doctrine luthérienne de la justice imputée. Cela est si vrai que, chez M. Titius, elle devient l’instrument d’une énergique réaction contre cette doctrine impossible.

Pour séduisante qu’elle puisse paraître à certains égards, l’interprétation forensique-eschatologique de la justification dans saint Paul a soulevé de justes et notables critiques. L’une de ses faiblesses, que le P. Prat a plus particulièrement signalée, c’est de supposer à la formule : justice de Dieu, le sens constant, dans saint Paul, de justice-attribut, de justice divine salvifique. La théologie de saint Paul, t. ii, p. 549. Le même auteur p. 548, témoigne son étonnement en présence du caractère eschatologique attribué à la justification paulinienne. De façon plus générale, l’eschatologisme qui est à la base de cette interprétation de saint Paul appelle des réserves et demanderait, pour le moins, une soigneuse révision et mise au point. Le P. Lagrange conteste l’affirmation suivante de M. Tobac : « Cette justi fication (prononcée par le Messie) dans la théologie juive apparaît donc bien comme forensique et eschatologique ; c’est le décret d’acquittement, d’admission à la vie dans le royaume messianique au jour du jugement. » p. 14. — « Assurément, écrit le P. Lagrange le messianisme, d’après quelques juifs, devait s’ouvrir par un certain jugement… Mais était-ce l’opinion des pharisiens et de la majorité des Juifs ? Dès le temps des Psaumes de Salomon (environ 40 ans avant Jésus-Christ), on distinguait le messianisme temporel et les fins dernières. Les apocalypses d’Esdras et de Baruch supposent cette distinction fondamentale. Le jugement de Dieu, après les temps messianiques, était dès lors vraiment le jugement final. C’est alors que serait rendue pour chacun la sentence du justification et de condamnation. Et c’est cette conception qui avait déjà prévalu (sur la vue ancienne qui mettait sur le même plan l’avènement du Messie et la consommation finale), qui allait prévaloir de plus en plus. Personne ne songeait à nier le jugement final, comprenant la déclaration de justice, la répartition du sort des justes et des méchants. On ne pouvait le transporter tout entier à l’entrée de la période messianique. A-t-on eu l’idée de le dédoubler pour ainsi dire, de placer à l’arrivée du Messie une ombre, une répétition du jugement général, une sentence d’admission aux biens messianiques ? C’est ce dont je ne vois pas trace dans les textes. » Ép. aux Rom., p. 134. Telle n’est sûrement pas, en particulier, l’idée que les Évangiles synoptiques prêtent aux représentants du judaïsme officiel.

Le sens du mol dans saint Paul.

Nous avons

donc le droit d’étudier en eux-mêmes les textes de saint Paul où paraissent le verbe Sixoaoûv et le substantif verbal SixaÊwaiç, et d’user, pour en déterminer le sens, de la liberté que nous laisse l’emploi large et divers qu’en a fait la Bible grecque.

1. Sens du mot « être justifié ». — Commençons par les textes où Sixaioûv est au passif : Rom., ii, 13 : Non enim audilores legis justi sunt apud Deum, sed factures legis juslifïcabuntur. C’est à tort que saint Augustin traduit : seront rendus justes. Le sens forensiqueeschatologique est regardé par tout le monde comme certain. — Rom., iii, 20, cf. Gal., ii, 16 : Quia ex operibus legis non justi ficabitur omnis caro coram Mo (Deo). C’est une citation du Ps., cxlii (cxliii), 2. Le P. Cornely se prononce pour le sens forensique-eschatologique clans Rom. comme dans le Ps. D’après le P. Lagrange, saint Paul éliminerait la perspective eschatologique du Ps. Le sens déclaratif simple se trouve lui-même exclu par la clause coram Mo. Par qui serait faite cette déclaration de justice devant Dieu ? Sens probable : nul ne sera en état d’établir sa justice.

— Rom., iii, 24 : Justificati gratis per gratiam ipsius xfi aÙToù /api-ut., per(Sià) redemptionem, etc. « Rendus justes par la grâce sanctifiante » (Cornely) suppose à per gratiam une signification qu’il est difficile d’établir avec certitude chez saint Paul. Le P. Lagrange propose : « Devenus justes par la bonté de Dieu », plutôt que « tenus pour justes », à cause de per redemptionem, qui évoque l’idée d’instrument et donc d’efficience. — Rom., iii, 28 : Arbitramur enim justi ficari homincm per fidem (tocttsi). « Est rendu juste ou devient juste » (Cornely) ; de même Lagrange à cause de per fidem (fide). — Rom., iv, 2 : Si enim Abraham ex operibus justi ficalus est : « Aobtenu la justice « (Cornely) ; « est devenu juste, ou, tout au plus a été reconnu juste, puisqu’il est fait allusion à une activité d’Abraham » (Lagrange). — Rom., v, 1, 2 : Justificati ergo ex fide, pacem habeamus ad Deum per dominum Jesum Christum, per quem et habemus accessum per fidem in gratiam istam. « Ayant reçu la justice » (Cornely) ; « reconnus justes en suite de la foi » ou, et mieux, « devenus justes » (Lagrange). Le sens de « devenus justes » ou même de « rendus justes » semble préférable à cause de l’idée de réconciliation suggérée par pacem. — Rom., v, 9 : Justificati in sanguine ipsius (Christi). « Ayant acquis la justice » (Cornely, Lagrange), sous forme de purification, dans le sang du Christ. — Rom., vi, 7 : Qui enim morluus est, justificatif est a peccato. Formule juridique signifiant que l’accusé échappe par la mort à toute action judiciaire. — I Cor., iv, 4 : Nihil enim mihi conscius sum ; sed non in hoc justificatus sum. « Je ne me tiens pas pour juste » (Lagrange) ; le P. Cornely s’attache, sans raison, à maintenir le sens déclaratif large : sese lamen dijudicare et fidelem declarare non audet. — I Cor., vi, 11 : Sed abluli estis, sed sanctificali estis, sed justificati estis in nomine Domini. C’est l’un des textes dont se réclament tout particulièrement les partisans de la théorie forensique-eschatologique. « Ils ont été purifiés…, délivrés de ces péchés que Paul vient d’énumérer et dont quelques-uns d’entre eux étaient chargés ; ils ont été sanctifiés…, arrachés à la tyrannie du péché, à la domination de ce monde mauvais et transplantés dans le voisinage de Dieu et ainsi ils ont été justifiés… (c’est-à-dire) reconnus par Dieu en qualités de justes et d’inscrits au royaume messianique, d’où ils étaient exclus à cause du péché. » E. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, p. 252. L’intérêt de ce texte, c’est que tout en établissant, croit-on, le sens forensique de justifier, il maintient la réalité de la justice en faisant de la justification comme la reconnaissance et la consécration juridique d’une purification et sanctification préalables. Mais nous avons ici  :

une allusion manifeste au baptême, et c’est la causalité baptismale que décrivent pareillement ces trois termes : purifier, sanctifier, justifier, et cette seule remarque sullit à rendre invraisemblable le sensus /orensis pour justifier. « Quoi de plus clair, écrit le P. Lagrange, pour prouver que la justification n’est pas une déclaration extérieure distincte de la sanctification qui est intérieure. » Ép. aux Rom., p. 131. C’est qu’en effet ces trois termes par où saint Paul décrit l’action du baptême dans le croyant semblent bien avoir foncièrement le même sens. Tel est également le sentiment des PP. Cornely et Prat. Un passage, parallèle pour le sens principal, Eph., v, 20 : Christus dilexit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro eu, ut illam sanctificaret, mundans luvacro aquæ in verbo vitæ, où sanctificaret est déterminé par mundans, montre que l’ordre : purifier, sanctifier, justifier, n’a pas pour saint Paul d’intérêt particulier et n’exprime ni une gradation ni une succession qui ne se peut changer. Le sens de justificuti estis est donc dans cet endroit, I Cor., vi, 11 : « constitués justes » (Cornely) ou « devenus justes » (Lagrange). — Gal., 11, 1C, 17 : Scienles autem quod non justificatur homo ex operibus legis, nisi per (Stà) fidem Jesu Christi ; et nos in Christo credimus (credidimus) ut juslificemur ex fide Christi et non ex operibus legis, etc. La formule per fidem, énonçant l’idée de la causalité instrumentale de la foi dans la justification, suggère pour justifucmur le sens, non pas d’être déclarés justes, mais de devenir justes (Cornely, Lagrange). — Gal., m, 11 : Quoniam autem in lege nemo justificatur apud Deum. Le sens d’être déclaré juste est exclu parla finale apud Deum. Déclaré juste par qui ? « Établir sa justice devant Dieu « (Lagrange), plutôt que « être rendu juste devant Dieu » (Cornely). — Gal., ni, 24 : Ut ex fide juslificemur. « Devenir justes » (Lagrange). — Gal., v, 4, 8 : Evacuati estis a Christo, qui in lege juslificamini (cherchez la justice)… Nos enim spiritu ex fide spem justifiée exspectamus. Spein justitiæ n’est pas l’espérance qui a pour objet la justice (Tobac) mais les biens que la justice espère (Cornely, Lagrange). La conclusion de M. Tobac tombe donc : « La justice et sa reconnaissance par la sentence de justification sont certainement présentées ici, ainsi que dans toute l’Épître aux Galates, comme eschatologiqru.es, comme objet d’espérance. » Op. cil., p. 236, note. — Tit., iii, 7 : Ut justificati gralia ipsius. D’après le contexte, cela se passe au baptême. Le sens de : devenus justes ou même de : rendus justes est donc certain.

2. Sens du mot « justifier ». — Le verbe Sixotioûv à l’actif se rencontre Rom., iii, 26 : Ut sit ipse jus tus cl ju.stip.cans qustifttando) eum qui est ex fric Jesu ( hnsli La mention de la foi (ex fide) et le contexte, ꝟ. 25, 28, suggèrent le sens de rendre juste plutôt que déclarer juste, qui est trop faible (Cornely, Lagrange). — Rom., 111, 30 : Qui juslificat (Sixauonei = juslificabit) circumeisionem ex fide et privpulium per fidem. Le sens eschatologique et donc forenslque, suggéré par le futur, est exclu par la mention de la foi comme instrument <Ie justification. « Futurum…normam déclarai generalem, quæ nunc adhibetur semperque adhibebitur. » Cornely, l’.p. ad Rom., p. 202. Loin., iv, 5 sq. :

Ei vero <P" """ operatur, credenti autem in eum qui justifleai impium, reputatur fuies ejus ml justiliam… Sicul et David dicit beatitudinem hominis cui Dcus accepta fat justiliam sine operibus : Beati quorum vernissa sunt iniquitates, quorum tecta suni peccata. Déclarer juste l’impie sans que rien soit changé dans son étal réel est un défi au bon sens. Juslificat impium a d’ailleurs pour parallèle Beati quorum remissæ sunt iniquitates, rappelant lui-même, pour autant <iu moins qu’il s’agit de saint Paul, les textes relatifs à la purifl cation des péeliés. Les expressions reputatur (députa lur) fiiles ad justiliam et accepto jcrl justiliam (XoyiÇe-roa)

sont elles-mêmes fortes et d’esprit réaliste. L’idée d’une action dont la justice réelle est le terme est présente partout dans ce passage. — Rom., viii, 30 : Hos et justifleavit ; quos autem justificaint hos et glorificauit. Le sens de « rendre juste 1 est recommandé par le glorifl.cavit qui suit et qui est causatif (Lagrange). — Rom., vm, 33 : Dcus qui juslificat, quis est qui condemnabil. Déclarer juste par sentence judiciaire (Cornely). Le P. Lagrange trouve ce sens trop fort. A ce compte, l’hypothèse même d’une condamnation serait inconcevable. Il préfère la traduction : soutenir la cause ou mieux donner la justice. — Gal., iii, 8 : ex fide justificat Génies Deus. Cf. Rom., v, 17 ; ix, 30. Le sens est certainement : confère la justice.

3. Sens du mot « justification ». — Quant au substantif verbal Sixxitoatç nous le rencontrons deux fois. Rom., iv, 25 et v, 18. Il signifie, la première fois vraisemblablement, la seconde fois sûrement, la collation de la justice. — Rom., iv, 25 : et resurrexit propler juslificationem noslram. Il est significatif cjue la justification soit liée à la résurrection du Christ au lieu de l’être à sa mort. « La résurrection suggère l’idée de vie, » (Lagrange) et donc celle de justice réelle. — Rom., v, 18 : Sic per unius justiliam (SixaiwpiaTOÇ opposé à TCapot7T7a)ji.aToç = acte juste ou de justice) in ornnes homines in juslificationem vitæ, c’est-à-dire la justification qui donne la vie. La pensée est d’ailleurs confirmée au ꝟ. 19 : Sicut enim per inobedientiam unius hominis peccalores constituti sunt mulli, ila per unius obedilionem justi constiluentur, seront faits justes.

Le langage de saint Paul apparaît donc en parfaite harmonie et continuité avec celui de la Bible grecque. Le sens de « devenir juste » pour St, xaio’jaOai est seulement plus fréquent chez lui et celui de « recevoir ou de conférer la justice, » qui sont corrélatifs, y prend un relief, nouveau sans doute, mais que ne condamnait point l’usage ancien et que la doctrine paulinienne appelait et éclairait.

Le concept de justification.

Les trois lignes

distinctes suivant lesquelles s’est développée notre recherche en regard de ces trois concepts : justic ! de la loi, justice de la foi, justification, aboutissent donc à la notion d’une justice réelle conférée par Dieu au croyant. Le. fait ne peut vraiment être contesté.

1. Justification et rédemption.

- Mais comment se peut-il faire que Dieu confère ainsi la justice, sans œuvres, sur le seul titre de la foi et, ce qui est encore plus déconcertant, à des impies ? Car pour saint Paul, il s’agit bien d’impies, de pécheurs. Il était réservé à l’Apôtre de formuler explicitement, le premier, cette doctrine du péché originel, dont ni l’Ancien Testament ni la théologie juive au premier siècle de 1ère chrétienne, bien qu’elles en contiennent l’amorce ou, si l’on veut, l’écorec, a savoir la déchéance de l’humanité entière en suite du péché d’Adam, ne nous livrent la notion précise et certaine. On la peut lire Rom., v, 12 sq. Ce péché du premier homme, qui fait tous les hommes pécheurs, dont tous les hommes sont coupables, les a livrés, surtout lorsque la loi est intervenue, à l’empire du péché, dont ils ont fait personnellement les œuvres, .Juifs et Gentils. Rom., iii, 9 : « Nous venons de prouver que Juifs et Gentils sont s tus le péché, » Rom., iii, 23 : « Tous ont péché et sont dépourvus de la gloire de Dieu. » La vraie formule de la justification est donc bien pour saint Paul, Rom., IV, 5 : credenti in eum qui justifiait impium, qui rend juste l’impie.

Cette justification de l’impie a été rendue possible par « la rédemption qui est dans le Christ Jésus. » Rom., iii, 21 : Justificati gratis per graliam ipsius, per redemptionem qurn est in Cliristo Jesu, quem proposuit Drus propitiationem per fidem in sanguine ipsius, ad ostensioncm justitiæ su : c propler rrmissioncm (toleran

tiam) præcedenlium delictorum in suslenlalione Dei — ad oslensionem (dico) justitiie ejus in hoc tempore ut sit ipse juslus et justiftcans eum qui est ex fide Jesu Christi. « Tous ont péché et sont dépourvus de la gloire de Dieu, lequel les justifie (désormais) gratuitement par sa grâce, moyennant la rédemption qui est en le Christ Jésus, que Dieu a disposé comme un instrument de propitiation par la foi en son sang ; afin de montrer sa justice, ayant supporté les péchés passés sans les punir dans le temps de la patience de Dieu ; pour montrer (dis-je) sa justice dans le temps présent, afin qu’il soit établi qu’il est lui-même juste et qu’il justifie (rend juste) celui qui a eu foi en Jésus. » — De même Rom., v, G-10 : « Le Christ, lorsque nous étions encore impuissants, au temps voulu, est mort pour des impies… Dieu prouve (ainsi) son amour pour nous en ce que, nous étant encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. A plus forte raison donc, justifiés que nous sommes maintenant dans son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. En effet, si, étant ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, nous serons sauvés dans sa vie.

Gal., i, 3 : « A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher au mauvais siècle présent. » — Eph., i, 7 : « En lui (Jésus) nous avons la rédemption acquise par son sang, la rémission des péchés, selon les richesses ele sa grâce. » - — Enfin Rom., iv, 23 : « S’il a été écrit que cela lui fut compté à justice (la foi d’Abraham) ce n’est pas seulement à son propos, mais aussi à cause de nous, auxquels cela doit être compté, à nous qui croyons en celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur, lequel a été livré à cause de nos iniquités et ressuscité à cause de notre justification. » Saint Paul connaît donc deux moyens ou instruments de justification, moyens associés et dont le second dépend du premier, la mort rédemptrice et la résurrection du Christ, moyen externe, et la foi, moyen interne.

Qu’est-ce donc que cette justice conférée à des impies, cette justice dont la collation par Dieu est devenue possible grâce à la rédemption accomplie par le Christ, cette justice sans œuvres et pour laquelle la foi est, du côté du pécheur, la seule condition et préparation requise, la foi paulinienne s’entend, dont nous avons dit la complexité psychologique ? Ce n’est pas pour saint Paul une qualité de l’ordre purement moral, mais de l’ordre moral et mystique tout ensemble. Nous avons déjà vu qu’il faisait de la foi, commencement dans l’homme de la justice, quoique non pas la justice encore, un don de Dieu, une « grâce », c’est-à-dire une réalité de l’ordre mystique ou divin. Mais il n’est pas moins évident que la foi est une qualité de l’ordre moral, puisqu’en elle et par elle, le pécheur commence de recouvrer vis-à-vis de Dieu et du bien moral dont il est la réalisation suprême et la norme première, des rapports normaux, de justes et droites dispositions ou intentions. Nous apercevons pareillement dans la justice paulinienne, à la fois un don de Dieu, une réalité de l’ordre mystique et une valeur de l’ordre moral.

2. Justification et baptême.

« La justification, écrit le P. Lagrangc, se produit à un moment déterminé, normalement au baptême qui est aussi un acte très concret… La justification est donc, d’après Paul, le don de la justice fait par Dieu à celui qui a cru, demandé et reçu le baptême. » Ép. aux Rom., p. 140. Ce n’est pas la foi toute seule mais la foi avec le baptême, et plus spécialement le baptême, qui est, entre les mains de Dieu, l’instrument de notre justification. La foi la commence, mais c’est le baptême qui la consomme. Nous avons signalé cette liaison de la justification avec le baptême, où nous sommes purifiés.

sanctifiés et, pour tout dire, justifiés. I Cor., vi, 11 ; Tit., iii, 7. Au moment décisif, la doctrine de saint Paul sur la justification rejoint donc sa théologie du baptême et se confond avec elle. L’idée très positive qu’il se fait de la justice se confond, pour ce qui regarde du moins la réalité qu’elle entend traduire, avec sa conception des effets du baptême dans le croyant.

Ce n’est point ici notre tâche d’analyser les effets du baptême. Rappelons seulement que le baptême, sacrement de notre incorporation à Jésus-Christ, nous associe à sa mort et à sa vie. Rom., vi, 3 sq. : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort. Nous avons donc été ensevelis avec lui parle baptême (pour nous unir), à sa mort, afin que, comme le Christ a été ressuscité des morts par la gloire de son Père, nous marchions, nous aussi, dans une vie nouvelle. » Plus clairement encore Col., ii, 12-13 : « Ensevelis avec lui dans le baptême, vous avez été dans le même baptême ressuscites avec lui par votre foi à l’action de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous qui étiez morts par vos péchés… il vous a rendus à la vie avec lui, après vous avoir pardonné toutes vos offenses. » Associés à la mort du Christ, qui a été une mort pour (l’expiation de) nos péchés, I Cor., xv, 3 et une mort « au péché », Rom., vi, 10, nous recevons, dans le baptême, la rémission de nos péchés (purification) et nous mourons au péché pour ce qui regarde sa domination ultérieure. Rom., vi, 2, 6, etc. Associés à la vie du Christ ressuscité qui est une « vie en Dieu », « une vie pour Dieu », Rom., vi, 8, 10, nous devenons « saints », au baptême, par notre participation même à la vie du Christ. Gal., ii, 20, dit bien les deux choses : Christo confixus sum cruci (cveaTpaùpo ; |j(.ai). Vivo autem jam non ego, vivit vero in me Christus. Purifié du péché et sanctifié, le baptisé est justifié ; c’est un autre mot pour dire la même chose. C’est dans ce contexte baptismal qu’il faut lire I Cor., i, 30 : « C’est par lui (Dieu) que vous êtes en Jésus-Christ, lequel de par Dieu, a été fait pour nous sagesse et justice et sanctification et rédemption. » et II Cor., v, 21 : « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. »

Une précision cependant s’impose, qui achèvera de dégager la notion propre de justice et de justification. J’en emprunte la formule au P. Lagrange : Cet « argument (à savoir la justification mise au passé et la sanctification présentée comme étant en voie de réalisation, Rom., vi) prouve bien que la justification est un acte initial. Il est vrai que si la sainteté ou l’Esprit est donné et progresse, on en peut dire autant de la justice. Mais nous ne songeons pas à nier que l’idée de justice implique un rapport extérieur plus directement que celle de sainteté. Il est de la nature d’un rapport extérieur qu’il soit établi extérieurement, constaté une fois pour toutes. On ne grandit en justice qu’autant que la justice est identifiée à la sainteté, à la vie intérieure, à l’Esprit donné, à la grâce reçue. Mais la justice entant qu’elle marque la restitution des rapports souhaitables entre Dieu et l’homme se rétablit et ne change plus, à moins que ces rapports ne soient rompus de nouveau. Voilà pourquoi la justification est, plus que la sanctification, liée à l’acte extérieur du baptême. » Ép. aux Rom., p. 140 sq. C’est juste et cela fait entre les trois effets attribués au baptême, sinon une différence réelle, du moins une distinction conceptuelle. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 302.

Réalité de l’ordre mystique et en premier lieu, puisqu’elle est, pour saint Paul, un effet du baptême, un don positif de Dieu, une « grâce », la justice conférée n’en est pas moins une valeur de l’ordre moral. En elle achèvent de se rétablir les relations normales de 207.".

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT JACQUES

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l’homme avec Dieu, dont la foi avait commencé la restauration, (’et achèvement est L’œuvre du Saint-Esprit reçu au baptême et de la charité qu’il répand en nos cœurs, Rom., v, 5 : Carilas Dei diffusa est in cordibus nos ! ri s per Spiritum Sanction qui dalus est nobis. Or la valeur morale, particulière et générale, de la charité est sans cesse mise en lumière par saint Paul, I Cor., xiv ; Rom., xiii, 10 : Plénitudeergo legis est dileclio. La foi avec la charité constituent dorénavant un principe d’œuvres bonnes. Gal., v, 6 : Sed /ides qua’per charitatem operaiur.

Telle est, dans ses éléments essentiels, cette doctrine paulinienne de la justice et de la justification, source principale de l’enseignement de l’Église, et que la théologie catholique s’est appliquée à approfondir et à synthétiser.