Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine au Moyen Age I. Développement historique

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 348-351).

III. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION AU MOYEN AGE.

De ces matériaux épais que lui fournissait la tradition patristique, le Moyen Age allait progressivement réaliser la synthèse. Non que la justi2107 JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE

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lication y fût traitée comme un problème spécial : aucune controverse ne mettait encore en évidence ce point ; mais cette question ne pouvait que bénéficier peu à peu. comme les autres, de l’effort qui s’accomplissait dans l’Ecole pour classer les données traditionnelles et en préciser le sens.

I. Développement historique. Sans avoir

proprement une histoire, la théologie de la grâce, dont la justification n’est qu’une partie, apparaît en dépendance des courants généraux qui ont agi sur la pensée médiévale.

Période positive.

Il fallut longtemps, après la

ruine de l’empire romain, pour que s’éveillât le goùl de la recherche théologique. La longue période qui s’étend du viie au xie siècle est, à cet égard, si l’on excepte la trop brève éclaircie de la renaissance carolingienne, une des plus effacées. Tout l’enseignement s’y bornait à la lecture et au commentaire des Livres saints. Encore ce commentaire consistait-il surtout â rapprocher les unes des autres les « sentences des Pères, dont les compilateurs successifs se transmettaient la série sans guère l’enrichir.

Cette méthode impersonnelle avait au moins l’avantage de maintenir le contact avec le passé. Et ce contact, sans soulever encore le problème de la justification, en rappelait en tout cas les principaux éléments. La lecture de la Bible faisait forcément rencontrer les textes, au relief si accusé, de saint Paul et de saint Jacques, et la nécessité s’imposait aux moins exigeants d’en expliquer la lettre ou d’en harmoniser la teneur. Pour cela on s’adressait aux Pères : saint Augustin et Y Ambrosiaster étaient les sources préférées, complétées au besoin par le commentaire de Pelage qu’on lisait sous le nom de saint Jérôme. Ainsi, jusqu’en ces époques si pauvres de pensée personnelle, se constituait autour du texte sacré un petit dossier de citations positives, où se révèlent les tendances des glossateurs et, par là-même, la doctrine générale de l’Église dont ils étaient l’écho.

En réponse à une bravade de Luther, le P. Denitle a réuni dans un volume compact, Luther und Luthertum, t. ir, 2e part. : Die abendldndischen Schriftausleger bis Luther, les extraits des commentaires imprimés ou inédits sur l’Épître aux Romains propres à éclairer le sens que l’exégèse médiévale donnait à la fustitia Dei, Rom., i, 17, et, en général, â la justification d’après saint Paul. l’ne bonne partie de ces textes sont relatifs à la période préscolastique, savoir n. 4-19, du pseudo-Primasius au pseudo-Gilbert de la Porrée, p. 9-49. On y peut voir que les paroles de saint Paul provoquaient déjà quelques explications sur la nature ou les conditions de la grâce justifiante. Et il faudrait en rapprocher ce qu’on disait ailleurs, à propos par exemple de Jac, ii, 14-26, sur les œuvres qui la précèdent OU l’accompagnent, Ainsi se conservaient au moins les matériaux traditionnels et parfois même

s’ébauchait un commencement d’analyse pour en tirer parti.

Il > ; i là du reste une indication à retenir pour les périodes suivantes. Les œuvres exégétiques du Moyen Age sont toujours une source précieuse a consulter, surtout en une matière comme celle-ci qui n’a pas retenu spécialement l’attention de l’École. ( >n j t rouve, suivant les cas, la préparation, La répercussion ou le Complément des expositions plus didactiques contenues dans les traités spéculatifs.

2° Débat » <tr la scolastlque. - 1. L</ dialectique. — Cependant, à partir du r siècle la théologie proprement dite commençait à se constituer, qui ne manqua pas de s’appliquer au problème surnaturel. Inaugurée par saint Anselme, développée par Abé lard et son école, l’investigation rationnelle de la foi

s’est portée sut d’autres points du dogme, sans toucher

directement la doctrine de la justification. Cependantces débuts de la méthode scolastique devaient indirectement lui profiler.

Ainsi le Cur Deus homo de saint Anselme, en accen tuant l’aspect objectif de la rédemption, ne devait-il pas faire penser â son appropriation subjective qui en est Le couronnement ? De fait, ce traité se termine, il, 20-21, P. /… t. ci.viii, col. 428-430, par quelques considérations rapides sur la manière dont les mérites infinis du Sauveur nous obtiennent le salut. En niant la satisfaction du Christ et ramenant toute son œuvre salutaire à l’efficacité psychologique de son amour pour nous, Abélard mettait au centn de sa sotériologie le point précis de la justification individuelle, dont son erreur même invitai ! à mieux préciser les rapports avec l’œuvre rédemptrice. Il n’est pas indifférent de remarquer que cette t licoldu salut est justement par lui développée dans son commentaire de l’Épître aux Romains et que déjà, dans sa langue, les deux termes de n rédemption » et de « justification » sont employés comme synonymeou équivalents. In Rom., ii, 3, P. L. t. clxxviii, col. 833 et 83C.

2. La mystique.

Tandis que la dialectique commençait ainsi son travail méthodique de précision et d’analyse, la mystique s’attachait a vivre es réalités du christianisme.

On a voulu souvent et systématiquement opposer entre i lies ces deux tendances : elles se complètent, en réalité, l’une l’autre. D’autant que le même auteur h s associe plus d’une fois toutes deux. A. Ritschl, Die ehristliche Lehre von der liechtfertigung lùid Ver nung, 2e édit., Bonn, 1882, t. i. p. 4C-47, a déjà fait observer que les Méditations de saint Anselme montrent sous un jour d’expérience et de vie la doctrine abstraite du Cur Drus homo. Il en est de même des lettres d’Abélard par rapport â sa théologie.

Encore plus importants sont les auteurs dont le mysticisme, au lieu de s’affirmer par occasion, constitue, si l’on peut dire, la note dominante. Le plus célèbre et le plus in Huent de tous est saint Bernard. Où pourrait-on, semble-t-il, trouver un témoin plus qualifié de la foi et de la piété médiévales ? Cependant on n’oubliera pas que Luther s’est réclamé de lui et que volontiers les historiens protestants du dogme lui accordent, de ce chef, une place â part comme représentant du i subjectivisme pieux. » Voir R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. m. 2 1’édit.. Leipzig, 1913, p. 127-131.’après Ritschl, op. cit., p. 109-117. Prétention d’où résulte tout au inoins le devoir de consacrer un examen spécial au courant religieux dont la littérature mystique est l’expression.’.'<. l.cs premières synthèses. Car c’est en dehors de lui. d’une manière générale, que l’école entreprenait son œuvre de synthèse.

Le xii siècle a vu naître les premiers essais de Sommes théologigucs ; mais la question de la justification n’y a pas encore de place. Kn vain chercherait-on un traité de la grâce chez Hugues de Saint-Victor, voir t. vii, col. 280. Il n’existe pas davantage dans les

divers ouvrages issus de l’école d’Abélard. tels que la

Summa sententiarum, l’Epitome theologite christianse ou

les Sentences de Roland 1 iandinelli. El rien ne montre mieux que cette lacune de la théologie l’absence

commune de toute préoccupation relative â cet ordre

de problèmes.

Seul Pierre Lombard fait légèrement exception, quand, a propos du premier homme, il réunit quelques i sentences de saint Augustin sur les rapports du

libre arbitre el <ie la grâce des bonnes œuvres, par conséquent, et de la foi dans l’économie du salut. // Sent., dist. l’-l. P. /… t. i soi, col. 701720. Ailleurs, parmi les effets de l’œuvre rédemptrice, J

il fait entrer la justification, /// Sent., dist. XIX, 1, col. 795. Chemin faisant, dans une glose qui devait susciter plus tard beaucoup de commentaires, il semble donner le Saint-Esprit comme principe formel de la grâce sanctifiante, // Sent., dist. XXVI 1, 6, col. 715. Cf. /, dist. XVII, 2 et 18, col. 564 et 569. Par où il a donné une puissante impulsion à l’approfondissement de cette doctrine. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, p. 448, traduction Degert, t. v, p. 178-179.

Mais, dans l’ensemble, ces premiers débuts de la scolastique n’offrent encore, pour la théologie de la justification, que des indications et des éléments dispersés.

Apogée de la scolastique.

Ici encore la situation

reste pour une bonne part la même, et pour les mêmes raisons. Non seulement la justification n’est généralement pas traitée, dans les Sommes, sous forme de problème spécial ; mais les données relatives à la doctrine de la grâce restent le plus souvent éparpillées en divers endroits. Cependant le développement général de la méthode et l’effort de systématisation qui en est le résultat arrivent, ici également, à faire sentir leurs effets.

1. Causes.

D’une part, un des principaux progrès

de la scolastique sur l’ancien augustinisme est la distinction plus nette des deux ordres, naturel et surnaturel. Voir Augustinisme, t. i, col. 2531.

Il devait en résulter un besoin général et croissant de mieux délimiter les rapports entre le premier et le second, d’analyser, par conséquent, la portée de notre libre arbitre et de ses œuvres quant à l’acquisition de la grâce en général et particulièrement de la première grâce. C’est ainsi que le P. Stufler a pu réunir, à travers les écrits de saint Thomas, tous les éléments d’une étude sur sa doctrine de la préparation éloignée à la justification. Zeitschrift fur kalh. Théologie, 1923, p. 1-24 et 161-184. Et l’on en trouverait autant chez les autres scolastiques. D’une manière générale il est reconnu que c’est alors que s’élaborèrent les notions, si importantes pour notre problème, du mérite de condigno et de congruo. Voir Mérite. On commence même à rencontrer en ces matières, autour des certitudes communes de la foi, ces divergences d’école qui ne cesseront plus dans la théologie de la grâce, en connexion avec l’idée qu’on se fait de la chute et de ses conséquences sur les forces de notre nature. Voir Péché originel.

En même temps l’étude de la rédemption devait amener celle de la justification qui en est. le fruit et l’on ne pouvait parler de grâce, dans un siècle d’analyse gagné aux catégories d’Aristote, sans en chercher la nature intime, les relations avec le péché qu’elle fait disparaître, la position ontologique par rapport aux facultés de l’âme et l’influence dynamique sur l’ensemble de notre activité. C’est ainsi que se constitue une technique de l’état surnaturel, dont devait profiter l’étude de l’acte justificateur qui en est le premier moment.

2. Résull it littéraires.

Les matériaux groupés par le maître des Sentences et les commentaires qu’il y ajoute forment ici la première base, sur laquelle le travail méthodique de l’École élèvera peu à peu l’édifice.

Il est déjà très avancé chez Alexandre de Halès, dont l’importance historique, bien mise en évidence par K. Heim, Dus Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1907, p. 35-63, tient à ce qu’il a réalisé, la première et sans doute la plus complète application de l’aristotélisme à cette matière. Cf. Seeberg, Dogmengeschichte, p. 326. Mais ici encore la place d’honneur revient à saint Thomas d’Aquin, à qui les pages consacrées par lui à l’état surnaturel ont mérité, même aux yeux des protestants, d’être

appelé le « docteur de la grâce par excellence ». Harnack, Dogmengeschichte, t. m. 4e édit., p. 621. Ces pages constituent pour nous la meilleure synthèse de la théologie du temps.

3. Résultats théologiques.

Il en résulte pour le problème de la justification un double progrès : progrès formel, par le groupement d’un certain nombre de questions connexes auxquelles chaque docteur devra désormais s’efforcer de rér ondre ; progrès réel parla précision des idées elles-mêmes.

C’est ainsi que le commentaire des Sentences amène saint Bonaventure à disserter de gratinquidditate et de gratia in comparatione ad alium habitum. In II Sent., dist. XXVI et XXVII, édition de Quaracchi, t. ii, p. 630-661, et que saint Thomas consacre à la justifîcatio impii une étude assez poussée parmi les « effets de la grâce ». Sum. theol., Ia-IIæ q. cxiii. De cette technique on retrouve les traces jusque chez les exégètes, témoin le thème classique des « causes de la justification » qui reparaît chez un si grand nombre à partir du xme siècle. Voir Jean de la Rochelle, dans Denifle, op. cit., p. 129 ; Pierre de Tarentaise, p. 149 ; Agostino Trionfo, p. 168 ; Alexandre d’Alexandrie, p. 184 ; Nicolas de Lyre, p. 191, etc.

Trop de facteurs présidaient à ce travail pour que le résultat pût en être uniforme. Aussi bien, en cette matière comme en toutes les autres, voit-on se dessiner, sur le fond commun du christianisme traditionnel, des courants provoqués par les tendances philosophiques et théologiques propres à chaque école. Leur variété et parfois leur hardiesse ont donné le change à certains historiens, qui ont voulu transformer en contradictions ou hésitations sur la foi ce qui n’était que divergence dans les conceptions spéculatives. Mais, à ce point de vue, grand est leur intérêt, puisqu’on en retrouve partout l’influence à pa.tir du xme siècle et jusque dans la rédaction des décrets du concile de Trente.

Pour faire leur juste part à ces divers éléments sans en fausser l’importance respective, il y a donc lieu d’étudier séparément la tradition dogmatique telle qu’elle s’affirme à travers le Moyen Age et les principaux systèmes qui s’efforcèrent en même temps d’en réaliser l’élaboration.


II. Tradition dogmatique. —

Il n’est pas de période qui soit plus sévèrement jugée que le Moyen Age chez les polémistes protestants. Ce serait, dans la doctrine aussi bien que dans la pratique, le règne complet de la Loi et des œuvres au détriment du vrai christianisme. Thomasius, op. cit., p. 432. Et l’auteur d’ajouter, ibid., p. 439-440, que cette décadence était le fait d’une disposition providentielle pour préparer les âmes, par l’expérience de ce nouveau pharisaïsme, à la prédication du pur Évangile que Luther devait leur offrir. C’est dire combien est indéniable, pour qui regarde les faits sans parti pris, la continuité de la tradition catholique à cette époque.

Les protestants ont essayé de s’en consoler en cherchant quelques lueurs jusque dans cette nuit obscure. Et ils ont cru les trouver dans quelques textes où s’affirmerait l’idée de la justification par la seule foi ou de la justice imputée qui en est la conséquence. Ces sortes de dossiers tiennent une place considérable chez les controversistes du xvr’siècle. Voir en particulier H. Hamelmann, Unanimis… consensus de vera justificatione hominis, p. 45-53 et 72-80 ; Gerhard, Confessio catholica, t. II, pars III, art. xxii, c. 3, 4 et 6, Francfort, 1679, p. 1465-1474, 1485-1494, 15161518. Chemnitz écrivait avec une absolue confiance, Loci theologici, pars II ?, De justificatione, C. 4, Francfort, 1653, p. 285 : Particula « sola fide » in articula justipcationis non a nosiris primum excogilata est, sed in iota antiquitale summo consensu in hoc

articulo semper fuit usurpata. Et il se croyait en droit d’ajouler : Veteres in eamdem plane sententiam usurpasse particulam « sola » sicut in nostris Ecclesiis usurpatur.

Mais aujourd’hui les historiens protestants les imins prévenus renoncent à ces sortes d’anticipations. « On s’efforcerait en vain de trouver chez aucun théologien du Moyen Age le concept protestant de la justification, c’est-à-dire la distinction intentionnelle entre justificatio et regeneratio… Si parfois ils semblent parler le langage de la Réforme, c’est dans un tout autre sens, et la tentative de réunir ces expressions au profit de la doctrine réformée, telle qu’elle s’affirme dans Gerhard, est fortement suspecte d’illusion par suite d’observation inexacte. On dit aussi, au Moyen Age, que la foi seule appartient à la justification, que celle-ci est accordée gratuitement, qu’elle n’est pas conditionnée par nos mérites… : mais ce langage recouvre de tout autres conceptions théolo< : iques que les formules similaires des réformateurs. » A. Ritschl, op. cit., t. i, p. 105-107. De tels aveux autorisent à considérer la question comme jugée et permettent, en tout cas, de s’en tenir à une enquête rapide pour constater la permanence de la tradition catholique à travers les sources diverses où la pensée médiévale se montre à nous sous la variété de ses aspects.

Chez les exégètes.

Luther a prétendu qu’il lui

fallut de longues méditations pour trouver le sens de cette « justice de Dieu » qui, d’après saint Paul, Rom., i, 17, est le grand bienfait de la révélation évangélique. Usu et consuetudine omnium doetorum, assure-t-il, doctus eram philosophice intelligere de justifia, ut vocant, formali seu activa, qua Deus est justus et peccatores injustosque punit. A rencontre de cette unanimité, il aurait fini par découvrir le sens tout contraire de ce texte capital : Ibi justitiam Dei cœpi intelligere eam qua justus dono Dei vivit…, scilicet passivam qua nos Deus misericors jusli/ical per fidem. Et cette découverte l’aurait acheminé vers la véritable doctrine de la justification. Préface générale à l’ensemble de ses œuvres écrite par Luther en 1545, Opéra latina var. argum., édit. d’Erlangen, 1. 1, p. 22-23. Cf. Exegelica opéra latina, même édit., t. vii, p. 74.

Or le P. Déni fie, après avoir brièvement relevé cette allégation, Luther und Lutherlum, 1. 1, p. 387-388 et 413-414, trad. Paquier, t. ii, p. 316-318 et 366-367, n’a pas craint de mettre formellement en cause la bonne foi de Luther sur ce point. Pour en faire la preuve.il a publié en volume tout le dossier exégétique relatif à ce texte ou aux textes apparentés, d’après une soixantaine environ de commentateurs qui se succi dent à travers tout le Moyen Age. Ses conclusions ont été aigrement discutées par G. Kawerau, Studien und Kritiken, 1904, t. lxxvii, p. 614-619, et, plus tard par K. IIoll dans la Festgahe consacrée au 70e anniversaire du professeur A. Harnack, Tubingue, 1921, p. 73-92. Quoi qu’il en puisse être de quelques détails, et abstraction faite de ses tendances polémiques, la publication documentaire du P. Déni lie garde toute sa valeur pour montrer que l’unanimité existe en effet, dans l’exégèse médiévale de saint Paul, mais dans le sens exactement opposé à celui que prétendait l’initiateur de la Réforme. Voir l’hommage que lui rend A. Harnack, Dogmengeschichte, t. m. p. 033.

1. Sature de lu justification. Son loquitur hic

(apostolus) de juslitia acquisiia que ex operibus gèneratur, sed loquitur de juslitia infusa que a solo Dca est causaliter effective, que est gratia gratum faciens sive cari tas infusa. Ipsa enim secvndum qmnes a solo Dca creatur… et creando anime injunditur. (’.'est ainsi que s’exprime sur la justice, à propos de II Cor, iii, 9, le viennois Nicolas de Dinkelsbûhl († 1433). Denitle,

p. 246-217. Non moins formel est son contemporain Denys le Chartreux, à propos de Rom., x, 3, Enarr. in Rom., a. 14 : COMMUNITER enim dicunt doctores non esse intelligendum hoc de increata justifia qua ipse in se justus est, sed de justifia quam efficit in nobis per /idem formatam. Opéra omnia, t. xiii, Montreuil, 1901, p. 82. et Déni fie. p. 258.

Un langage aussi ferme atteste que ces témoins du xv siècle sont l’écho d’une longue tradition, dont il est facile, en effet, de vérifier l’existence. Hase est justifia Dei quie, in testamento vetere velata, in novo revelatur, quæ ideo justifia Dei dicitur quod impertiendo eam justos facit, écrit, au IXe siècle, Claude de Turin, précisément sur Rom., i, 17, Denifie, p. 13. Formule qui reparaît chez Rémi d’Auxerre, au xe siècle, ibid., p. 19, et est reproduite par Pierre Lombard, ibid., p. 58. Chez Lanfranc, au xie, la justice signifie également qualiter Deus justos faciat credentes ; Denifie, p. 28. Justifia dicitur quia quos continet justos efficit, dit pareillement Guillaume de Saint-Thierry, au xii e. P. L., t. ci. xxx, col. 557, et Denifie, p. 53. Non qua justus est Deus, précise son contemporain Hervé de Rourg-Dieu, sed qua induit hominem cum jusiificai impium. Denifie, p. 55, et P. L., t. clxxxi, col. 638. Pierre Lombard appuie la même interprétation sur l’autorité de saint Augustin : Non qua Deus justus est, sed qua’homini est ex Deo, id est quam Deus dat homini, Denifie, p. 63, et P. L., t. cxci, col. 1473. Saint Thomas, tout en rappelant d’après l’Ambrosiaster que la justice de Dieu peut désigner ici la fidélité à ses promesses, ne manque pas d’ajouter qu’elle s’entend aussi de justifia Dei qua Deus homines justifical. Denifie, p. 137.

Ces témoignages n’ont pas seulement un intérêt exégétique. En montrant comment le Moyen Age a compris saint Paul, ils attestent aussi que ces divers auteurs se rattachent unanimement à la conception augustinienne, qui fait de la justification une propriété inhérente à l’âme et comme une extension en nous de la sainteté même de Dieu.

2. Conditions de la justification. — Bien qu’elle soit d’origine essentiellement divine, cette grâce requiert le concours de notre volonté. Non quod sine voluntate nostra fiai, sed voluntas nostra ostenditur infirma per legem ut sanet gratia voluntafem, avait dit saint Augustin, De spir. et litt., ix, 15, P. L., t. xi.iv, col. 209. Cette expression est reproduite littéralement par Guillaume de Saint-Thierry, Denifie, p. 54, et P. L., t. clxxx, col. 578, par Pierre Lombard, P. L., t. cxci, col. 1361, et encore, au xve siècle, par Augustin Favaroni, Denifie, p. 229-230. Ailleurs elle est synthétisée en une formule encore plus énergique : Non quod sine Doluntate nostra, sed quod non ex ea, que l’on trouve chez Gilbert (de Saint-Amand ?) au xie siècle. Denifie. p. 33.’Quand ils envisagent la part qui revient à l’initiative divine, nos auteurs font ressortir avec saint Paul, le bienfait de la rédemption et il leur arrive de dire alors que nous ne sommes sauvés que par la foi. Dans ces perspectives dogmatiques, l’expression sola fuie est courante. Voir par exemple l’abbé Smaragde, Coll. in Ep. et Evang., 1’. L., t. en, col. 1 15 et 526 ; Diadema monach., 51, col. 649 : Sedulius Scotus, Coll. in Rom.. iv, P. L., t. ciii, col. 17 : Raban Maur, Enarr, in l-.p. ad Rom., n. P. L., t. < :.i, col. 1313, et Denifie, p. 16 ; Lanfranc, dans Déni lie, p. 29 : saint Bruno, Exp. in Rom., iii, P. L. t. ci.iii, col. 1 1 : et encore, au u f siècle, les Glosulæ Glosularum. Denitle, p. 85. Cette formule, prise la plupart du temps chez les Pères et toujours inspirée de leur langage, n’a pas d’autre portée que chez eux.

D’autant que nos auteurs ont grand soin d’expliquer avec saint Paul qu’ils entendent parler de la