Dictionnaire de théologie catholique/JUGEMENT IV. Données de l'Ecriture : Nouveau Testament

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 171-178).

IV. Données de l’Écriture : Nouveau Testament.

Il est dans l’ordre des choses que les idées les plus neuves soient conditionnées par leur milieu. On retrouve cette loi naturelle dans la marche de la révélation divine, et d’une manière plus sensible peut-être en matière d’eschatologie. C’est ainsi que, tout en étant porteur d’un esprit qui devait dépasser le judaïsme, le christianisme en reste cependant tributaire pour son cadre général et pour beaucoup de ses concepts. Ici comme ailleurs, le suprême intérêt des origines chrétiennes est précisément de voir le ferment évangélique aux prises avec cette lourde pâte qui semble d’abord pour lui un obstacle, mais que son action allait transformer. Voir Atzberger, op. cit., p. 192-193.

I. enseignement DE Jésus.

Sans y être prépondérante comme on a voulu parfois le dire, la doctrine des fins dernières tient une place notable dans l’Évangile. Il est tout indiqué de la chercher séparément, d’abord dans les synoptiques, puis dans le quatrième Évangile, pour avoir les diverses formes sous lesquelles nous est conservé renseignement de Jésus en matière de jugement.

1° D’après les Évangiles synoptiques, - - Par rapport à l’ensemble de la prédication évangélique, il est incontestable que le jugement n’est pas une idée de premier plan, et rien ne demandait qu’il en fût ainsi. Il y apparaît cependant de la façon la plus formelle, impliqué dans tout l’enseignement, soit dogmatique, soit moral, de Jésus. Et ce double lien organique par lequel il fait corps avec l’Évangile se trouve correspondre, pour les préciser, au double aspect et à la double fonction que déjà l’Ancien Testament faisait sullisamnient entrevoir.

1. Jugement général.

Jésus s’adressait à des Juifs à qui la pensée des rétributions divines était familière. < >n ne saurait, dès lors, être surpris si le jugement vient sur ses lèvres comme une réalité dont tout le monde admettait l’existence, et qu’il s’agit seulement d’utiliser aux fins de l’Évangile. De fait, le.Maître en évoque la perspective le plus naturellement du monde, et sans la moindre préparation, . soit à l’égard des individus coupables de simples paroles oiseuses, Matth., XII, 36, soit à l’égard des villes du littoral et de la généra’, ion de ses contemporains qui se montrent rebelles

à sa parole, ibid., xi, 22, 24 ; xii, 41-42 et Luc, x r 12, 14 : xi, 31-32, ou qui plus tard refuseront d’accueillir ses envoyés. Matth., x, 15. Pareils traits durent être fréquents dans sa prédication. Le « jour du jugement » ainsi présenté est évidemment une allusion à cette solennelle manifestation de la justice divine qu’Israël attendait à l’ouverture du siècle à venir.

Ce qui est plus caractéristique de l’Évangile, c’est que ce jugement futur y est donné presque toujours — à l’exception de Matth., vi, 4-6, 14-18 et xviii, 35, où il est rapporté au Père — comme l’œuvre du Christ, et le fait est un de ceux où se révèlent de la manière la moins contestable les prétentions de Jésus à la dignité messianique. M. Lepin, Jésus Messie et Fils de Dieu d’après les Évangiles synoptiques, Paris, 3e édition, 1907, p. 271-272 ; J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 4e édition, 1919, p. 270-274 ; et ci-dessus art. Jésus-Christ, col. 1209. On en relève le témoignage « le plus souvent chez saint Matthieu, mais aussi chez les autres synoptiques, » Lebreton, ibid., p. 310, tantôt sous la forme d’allusions rapides au retour du Christ dans la gloire, Matth., xvi, 27 ; Marc, viii, 38 ; Luc, ix, 26, tantôt en récits plus circonstanciés, où l’on voit apparaître le rôle auxiliaire, soit des anges, Matth.. xiii, 30, 39-40, soit des apôtres, ibid., xix, 28, où l’on assiste à la scène même du jugement et au prononcé de la sentence. Ibid., xxv, 31-46.

Il faut évidemment entendre dans ce sens le grand discours eschatologique retenu par nos trois évangélistes, bien qu’il n’y soit directement question que de la parousie du Fils de l’homme en vue de rassembler ses élus des quatre coins du ciel. Matth., xxiv, 31 ; Marc, xiii, 27. Cf. Luc, xxi, 27. La même conviction inspire à Jésus sa réponse à l’adjuration du grand prêtre, Matth., xxvi, 64 ; Marc, xiv, 62 ; Luc, xxii, 69, et dicte son arrêt de mort. Dans ce jugement, certains textes ne semblent attribuer au Christ que le rôle d’un témoin, Matth., x, 32-33 ; cf. Marc, viii, 38 ; Luc, ix, 26 et xii, 8-9 ; mais, dans tous les autres, le Christ en est le véritable agent, qui procède à la séparation des bons et des méchants, porte la sentence et la met à exécution.

En devenant un acte messianique, le jugement participe aux caractères propres du messianisme de Jésus. Tous ces éléments d’ordre matériel et national qui encombraient encore l’espérance d’Israël en sont rigoureusement bannis. Ici le jugement est absolument universel : il ne s’adresse pas seulement aux enfants d’Israël, Matth., xix, 28, mais à toutes les nations, ibid., xxv, 32, cf. xxiv, 30 ; non pas seulement aux contemporains, mais aux peuples du passé, puisque Sodome et Gomorrhe, ibid., x, 15, Tyr et Sidon, ibid., xi, 22, 24, Ninive et la reine de Saba, ibid., xii, 41-42, y seront convoquées. Bien que s’appliquant à l’humanité tout entière, ce ne sera pas un jugement de collectivités ; il sera individuel et, par conséquent, moral : « Le Fils de l’homme rendra à chacun selon ses œuvres. » Matth., xvi, 27 II ne s’agira donc pas de s’évader en effusions sentimentales ou de s’abriter derrière des grâces d’exception : l’important pour les justiciables sera d’avoir accompli la volonté du Père qui est aux cicux. Ibid., vii, 21-23. Et comme la charité est la vertu évangélique par excellence, c’est elle surtout qui déterminera le jugement : charité des sentiments et des paroles, car on nous appliquera la même mesure que nous aurons appliquée au prochain, Marc, iv, 24 et Matth., vii, 1-2 ; cf. xviii, 35 ; charité des actes, car le Seigneur comptera comme fait ou refusé à lui-même ce que l’on aura lait ou refusé au moindre des siens. Matth.. xxv, 3 1-15 : cf., 42 et Marc, ix, 40.

Si donc Jésus a conservé l’essentiel de l’espérance juive, c’esl en lui infusant un esprit nouveau, qui 1753 JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOUVEAU TESTAMENT 1754

aboutit à une véritable transformation. « La nouveauté de l’enseignement de Jésus est d’avoir converti du même coup la notion du royaume et celle du jugement, d’avoir spiritualisé le jugement comme le royaume… Ce jour suprême, c’est le jour de la justice et de la rétribution. Mais tout nationalisme s’est évanoui. Les grandes masses qu’étaient les nations et Israël ne comptent plus. Devant le trône il ne comparaît que des âmes individuelles et l’alternative est pour elles de savoir si elles sont sauvées ou si elles ne le sont pas… Il n’y a plus qu’un juge jugeant l’homme individuel au critérium de l’Évangile. » Batiffol, L’enseignement de Jésus, Paris, 1905, p. 268-271.

A cette spiritualisation du jugement on ne saurait opposer les traits d’apocalypse qui entrent parfois dans sa description. « Jésus recourt aux images populaires dont se revêt la foi au jugement du jour de Jahvé. Jésus parle du roi qui s’asseoit sur le trône de sa majesté pour juger toutes les nations assemblées ; ces anthropomorphismes sont pour lui des expressions paraboliques, dont nous n’avons à retenir que la pensée religieuse que le Sauveur y met… Dans ces divers textes qui se rapportent au jour du jugement, l’essentiel est la coordination de la doctrine du royaume à la doctrine du salut. Tout le reste est secondaire, variable, relatif… On peut conclure que ces images apocalyptiques n’ont qu’une valeur figurative. .. Le jugement subsiste, quelle qu’en soit la représentation. » Ibid., p. 269-270 et 273-274. Cf. Atzberger, op. cit., p. 362-365.

Dans ces conditions, il n’y a rien qui s’oppose à l’authenticité de cet enseignement. Les critiques du protestantisme libéral, estimant cette eschatologie contraire à leur concept du pur Évangile, en veulent reporter l’origine à la première génération chrétienne. Sans prétendre discuter à fond un système qui déborde le cadre de la question présente, il suffira de faire observer ici que la doctrine du jugement messianique est trop liée à l’ensemble de l’Évangile pour en pouvoir être arrachée sans violence et qu’on aboutit par cette vivisection à trancher le lien vital qui unit la pensée de Jésus aux espérances religieuses de sa race et de son temps. Mais, en consacrant cette croyance au jugement divin et s’en proclamant l’exécuteur, par où il prenait contact avec son milieu, Jésus l’a épurée et renouvelée de manière à la mettre au niveau spirituel de toute sa doctrine. Loin de rompre la ligne de la révélation évangélique, elle en est plutôt le complément, comme suite nécessaire ou mieux comme partie intégrante du messianisme transcendant prêché par Jésus.

2. Jugement particulier.

Cette annonce du jugement final est certainement dominante dans l’Évangile et bien des exégètes ne semblent pas y en trouver 4’autre. A supposer qu’il en fût ainsi, il faudrait dire que Jésus a principalement porté son attention sur le principe des rétributions divines et qu’il a insisté, quant à l’application, sur celle que demandait l’affirmation de son rôle messianique.

Déjà pourtant, dans cette perspective générale, le caractère strictement personnel de la procédure et l’objet exclusivement moral de la sentence ne donneraient-ils pas une suffisante solution au problème de la destinée individuelle ? Quand il est sûr que chacun recevra selon ses œuvres, peu importe, en somme, le temps et la manière. Au lieu de promettre une complète satisfaction à la curiosité humaine en matière eschatologique, Jésus nous avertit que « le jour et l’heure » du jugement sont des secrets dont le Père s’est réservé la connaissance. Matth., xxiv, 36 ; Marc, xiii, 32 ; Act., I, 7. Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que le même mystère en couvrît également certaines modalités et qu’il nous fût interdit autant

qu’inutile de savoir s’il est en un ou deux actes, si la suprême manifestation divine fixée à la fin du monde sera ou non précédée d’une autre au moment de notre propre fin. D’autant que l’incertitude qui plane sur le retour du maître est pour chacun de ses serviteurs une perpétuelle invitation à veiller, de manière à se trouver toujours prêts. Matth., xxiv, 42-51 ; Marc, xiii, 33-37 ; Luc, xxi, 34-36. Ainsi la doctrine du jugement particulier serait implicitement contenue dans cette révélation, si conforme à la méthode évangélique, d’une justice à la fois certaine et indéfinie devant laquelle tout homme devra tôt ou tard rendre compte de ses actes.

II n’est pourtant pas impossible d’en trouver dans l’Évangile des traces plus explicites. Le jugement individuel est une conséquence du rôle revendiqué par le Christ dans l’économie du salut.

En effet, la seule prédication de Jésus réalise déjà par elle-même un premier discernement des âmes. Dès sa présentation au temple, Siméon le montrait prédestiné à être un principe, soit de ruine, soit de résurrection, parce qu’il révélerait le fond de bien des cœurs. Luc, ii, 34-35. Telle est, en effet, la condition de son message messianique qu’il peut être un objet de scandale, Matth., xi, 6, et une source d’aveuglement. Ibid., xiii, 13-16. Aussi a-t-il pour résultat d’introduire la division au sein des familles, ibid., x, 34-36, tout particulièrement de faire éclater au grand jour l’infidélité générale du peuple élu et d’amener sa réprobation. Matth., xxi, 31-32 et 42-43 ; xxiii, 33-36. Cf. Luc, xx, 16-18 ; xi, 30 et 50-51. Le fait est bien mis en évidence par Atzberger, op. cit., p. 207.

Or cette sentence atteindra les enfants rebelles d’Israël dès la génération présente ; mais les effets en seront durables, puisque le royaume leur sera définitivement enlevé pour être accordé aux Gentils. De même la discrimination spirituelle introduite par l’attitude de chacun envers l’Évangile n’est-elle pas trop profonde pour ne pas dépasser les limites du temps ? Quiconque fait la volonté du Père est dès maintenant cher à Jésus à l’égal des plus proches parents, Matth., xii, 50, et plus tard le Christ reconnaîtra ses fidèles devant le Père qui est aux cieux, de même qu’il y reniera ceux qui l’auront renié. Ibid., x, 32-33. C’est un même acte moral qui continue — réalité psychologique exprimée sous l’image de ce registre où sont inscrits les noms des élus dans le ciel, Luc, x, 20 — et le moins qu’on puisse dire c’est que cette continuité rend possible, vraisemblable, logiquement nécessaire, une rétribution immédiate après la mort. Aussi le discours sur la montagne donne-t-il l’impression que la récompense céleste suit sans intervalle les sacrifices qui la préparent ici-bas. Matth., v, 8-12. On s’explique par là que le pauvre Lazare puisse être, dès l’instant de sa mort, transporté dans le sein d’Abraham, tandis que le mauvais riche est enseveli en enfer, Luc, xvi, 22 ; cf. xii, 20, et l’on ne s’étonne pas que son repentir in extremis mérite au bon larron la promesse d’être reçu le jour même au paradis. Ibid., xxiii, 43. Premières sanctions indiquées en passant comme une chose qui va de soi et dont la mention prend tout son sens lorsqu’on se rappelle les conceptions courantes du judaïsme à cette époque. Il y a donc identité morale entre la vie présente et la vie future ; mais, comme l’affirmation de cette identité ne saurait d’ordinaire se produire sans un redressement profond des anomalies d’ici-bas, c’est dire qu’elle suppose l’intervention rectificative du jugement divin. Voir Atzberger, op. cit., p. 205.

A la lumière de ces indications, on peut, en effet, discerner deux formes dans la doctrine évangélique du jugement, suffisamment reconnaissables à la différence 1755 JUGEMENT. DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOl VEAU TESTAMENT

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<le leurs caractères distiik tifs. L’un est un acte solennel et où l’on voit comparaître l’humanité entière ; il est annoncé par la parousie du Christ glorieux, précédé de la résurrection, et une date formelle lui est assignée, savoir la fin des temps : èv tîj oovTeXsta toû atwvoç, Matth., xiii, 40 ; èv tîj TraXiyyeveata, ibid., xix, 28. C’est celui qui est dans la pensée du Christ lorsqu’il veut insinuer ou revendiquer sa dignité messianique et qui, de ce chef, s’affirme en traits particulièrement accentués. Mais lorsque Jésus parle simplement en moraliste, soucieux d’éveiller en ses auditeurs le sentiment de leur responsabilité et la préoccupation du salut éternel, le jugement devient une reddition de comptes qui ne met plus en présence que l’âme individuelle et Dieu devenu son juge, qui s’accomplit sans solennité ni date précise et a donc tout ce qu’il aut pour coïncider avec la mort de chacun. Ainsi en est-il dans la parabole des ouvriers de la vigne, Matth., xx, 1-16, qui souligne la miséricorde de Dieu et la gratuité de ses dons, et dans celle du festin des noces qui met en évidence sa sainteté. Ibid., x.xii, 1-14. D’autres portent un enseignement plus directement moral : telles la parabole du créancier et du débiteur insolvable qui prône la charité fraternelle, ibid., xviii, 23-35, la parabole des vierges qui recommande la vigilance, ibid., xxv, 1-13 et celle des talents qui prêche la nécessité de l’effort personnel. Ibid., 14-30 ; cf. Luc, xii, 35-48 et xix, 12-26.

Il est même remarquable que, dans la relation de saint Matthieu, ces deux dernières paraboles, où le jugement prend si visiblement forme individuelle et privée, soient immédiatement suivies, xxv, 31-40, de la grande scène où le Christ est présenté revenant dans sa gloire au milieu de ses anges et s’asseyant sur un trône pour juger toutes les nations. Fût-il accidentel. ce rapprochement n’en marque pas moins la différence réelle des deux économies qui s’entrecroisent dans l’ensemble complexe de l’Évangile, différence qui devait s’épanouir plus tard en concepts formellement distincts.

D’après l’Évangile de saint Jean.

Entre la

relation des synoptiques et celle de saint Jean, ici comme souvent ailleurs, c’est le tour qui diffère plutôt que le fond réel des idées. Le jugement messianique tient moins de place dans le quatrième Évangile que dans les autres ; mais il y apparaît sensiblement avec les mêmes traits.

1. Juyement présent.

Conformément à sa tendance mystique, l’évangéliste se plaît à présenter l’incarnation et la prédication du Fils de Dieu comme un premier et véritable jugement. Non qu’il s’agisse d’une vindicte comme celle qu’attendaient les Juifs : dans ce sens « Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais bien pour le sauver. » ni, 17, cf. viii, 15 et xii, 47. Sa parole n’en est pas moins un principe de discernement qui fait ressortir la diversité des âmes et les classe en catégories définitives. Ge côté psychologique et moral déjà dessiné dans les synoptiques passe ici au premier pian.

Dès le prologue, il est marqué en tenues sévères que " la lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise, » i, 5, que le Verbe de Dieu < est venu parmi les siens et que ceux-ci ne l’ont point reçu. Ibid., 11. Yérilé générale qui comporte bien des exceptions Lu réalité, les hommes ont pris a l’égard du message divin des positions diverses, et cette diversité établit entre eux des différences qui dispensent de toute procédure judiciaire.’Celui qui croit au Fils de Dieu n’est pas jugé, > ni, 18a ; car il a déjà la vie éternelle pal le fait de sa foi et, de ce eliet, n a pas a venir en jugement, v, 24 : ternie qui est ici, comme plus bas, v, 29. pris au sens pessimiste de condamnation. < Quant a celui qui

ne croit pas. il est déjà jugé » par le fait de son incroyance. < Car voici en quoi consiste le jugement c’est que la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. ni, 186-19. Autant que la parole de Dieu dont elle ne se sépare pas, la parole de son Fils unique est un principe de mort ou de vie pour les âmes, suivant l’option qu’elle détermine de leur part. Et dans ce sens le Christ est bien venu

< pour le jugement, afin que ceux qui ne voient pas puissent voir et que ceux qui voient soient aveuglés ». îx. 39. Il y a donc un jugement qui se réalise dès icibas et qui anticipe les résultats de l’autre. C’est dire que la discrimination spirituelle des âmes, si elle commence dans le temps, se prolonge jusque dans l’éternité.

En même temps que cette redoutable signification individuelle, l’avènement du Verbe divin a une portée historique générale. Les synoptiques songeaient volontiers au jugement d’Israël, qui allait rendre compte de ses longues infidélités : il s’agit ici de tout l’univers et des puissances mauvaises qui le mènent contre Dieu. « C’est maintenant le jugement du monde, prononce le Christ à la veille de sa passion ; c’est maintenant que le prince de ce monde sera jeté dehors. » xii, 31. Cf. xiv, 30. Allusion au triomphe qui suivra sa mort, triomphe déjà commencé par l’œuvre de sa vie et, dès lors, tellement certain qu’il peut dire que

< le prince de monde est déjà jugé. » xvi, 11.

2. Jugement futur.

Ne pourrait-on craindre cependant que cette insistance sur le jugement présent se produisît au détriment de l’eschatologie traditionnelle ? Il n’en est rien. Car le quatrième Évangile, évoque lui aussi, v, 25-29, la perspective de la parousie et de la résurrection : le tout en vue du dernier jugement. - — ainsi P. Schanz, Commentar ùber… hl. Johannes, Tubingue, 1855, p. 247-218 et la plupart des exégètes contre Belser, Das Evangelium des hl. Joltannes, Fribourg, 1905, p. 179 — dont il marque bien, en une de ces belles synthèses doctrinales où il excelle, qu’il constitue un droit messianique. « De même que le Père a la vie en lui, ainsi a-t-il pareillement donné au Fils d’avoir la vie en lui. Et il lui a donné le pouvoir de faire le jugement parce que c’est le Fils de l’homme.’Ibid., 26-27. Cꝟ. 22. L’authenticité de ces textes a été rejetée sans une autre raison que l’a priori. Charles, op. cit., p. 370-372, d’après K. Wendt, Die Lehre Jesu, 1. 1, p. 249-251.

Ce jugement eschatologique est d’ailleurs en connexion étroite avec celui que l’Evangile inaugure dès ici-bas. c Si quelqu’un entend mes paroles et ne les observe pas, ce n’est pas moi qui le jugerai ; car je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. Celui qui m’écarte et ne reçoit pas mes paroles a son juge dans la parole même que j’ai prononcée : c’est elle qui le jugera au dernier jour. » xii, 47-48. Dans cette expression si caractérisée du spiritualisme johannique, on reconnaît la donnée fondamentale des synoptiques, savoir que la profession de l’Evangile sera, dans l’avenir connue dans le présent, le seul objet et le seul critérium du jugement divin. Ici le ton est abstrait et la formule générale, tandis que là tout se traduisait en maximes concrètes : mais, au stylé lires, c’est bien partout la même doctrine et le même esprit.

Toutes nos sources sont d’accord pour dire que renseignement de JésUS a conservé la croyance justice de Dieu et au jugement qui la doit manifester, d’accord aussi pour attribuer à ce jugement le enracine d’un acte exclusivement moral et spirituel. Là est l’essentiel de la révélai ion évangélique, qui rectifie 1rs déviations du judaïsme en assimilant tout ce qu’il y avait de religieux et, par conséquent, d’éternel dans les aspirations encore un peu confuses de l’Ancien >

Testament. Ce jugement est un acte divin qui commence dès cette vie pour se consommer dans L’autre, d’après la réponse que chaque conscience d’homme fait à l’appel du Fils de Dieu. Une forme plus saillante s’affiche au premier plan : celle qui clôturera l’ère présente du monde et marquera l’avènement définitif du royaume de Dieu par le triomphe du Christ. Mais, dans cette perspective lointaine qui intéresse les destinées générales du monde, on aperçoit tout au moins l’indice d’une économie providentielle du même ordre, à la publicité près, et d’exercice permanent, qui arrête d’une manière absolue la destinée de chacun suivant la direction morale de sa vie. La tradition catholique ne fera qu’expliciter le contenu réel de l’Évangile en distinguant un jugement général et un jugement particulier.

II. doctrine de SAINT PA vl.- — S’il est des doctrines que le génie de saint Paul a marquées de son empreinte, ce n’est pas le cas pour l’eschatologie. II ne fait guère sur ce point que refléter les conceptions communes du christianisme naissant.

Jugement général.

Comme dans l’Evangile, c’est

ici la pensée du jugement général qui domine. « On sait, écrit le P. Prat, que l’enseignement eschatologique de saint Paul suivit une marche nettement décroissante, <> La théologie de saint Paul, t. ii, Paris, 1912, p. 485 ; cf. p. 512, et l’on voit dès lors des historiens qui le distribuent bravement « en ses quatre étapes ». Charles, op. cit., p. 379. Quoi qu’il en soit de cette évolution, elle n’affecte pas la doctrine du jugement, qui se présente sensiblement sous la même forme dans ses divers écrits et qu’on peut dès lors synthétiser sans lui faire tort. Voici les points principaux oit semble s’affirmer davantage l’originalité de l’apôtre.

1. Raison d’être du jugement.

Il n’est pas besoin de démontrer que la notion chrétienne de Dieu entraînait la foi au jugement. Aussi voit-on que cette vérité entrait habituellement dans la prédication de saint Paul, Act., xvii, 31 et xxiv, 25, et il semble résulter de Hebr., vi, 2 qu’elle appartenait à la primitive catéchèse apostolique.

L’apôtre en dégage le principe quand il rappelle que le Dieu saint ne saurait être qu’un « Dieu vengeur du péché », I Thess., iv, 6, et, par conséquent, redresseur des injustices dont le monde est témoin. « Car il est juste aux yeux de Dieu de renvoyer raflliction à ceux qui nous affligent et de vous accorder à vous, les affligés, le repos avec nous. » II Thess., i, 6-7. Et comme cette justice n’apparaît pas dans le cours ordinaire du monde, le croyant en attend la manifestation avec certitude dans la vie future : il y aura « un joui - de colère, » qui sera « la révélation de la justice de Dieu en ses jugements, » Rom., ii, 5 — Sixaioxptaîa toù 0eoû, expression intraduisible qui désigne « plus encore le caractère du juge que celui du jugement, » P. Lagrange, L’Épîlre aux Romains, Paris, 1916, p. 45 — et rétablira l’ordre violé en remettant chacun à sa place. Ibid., 7-8 et II Thess., i, 9-10. Le dogme du jugement est étroitement associé à celui de la justice, c’est-à-dire incorporé à la notion de la Providence.

2. Auteur du jugement.

A la suite de l’Évangile,

où le jugement est donné comme une fonction messianique, l’Église naissante, en prêchant Jésus Messie, le proclamait « juge des vivants et des morts ». Act., x, 42. Cette formule est passée dans saint Paul, II Tim., iv, 1, qui rapproche nettement le jugement de la parousie, II Thess., i, 7-8 ; cf. Hebr., ix, 28, et aime appeler le grand jour attendu yjfxépa toû xupîou, I Cor., v, 5 ; cf. i, 8 ; II Cor., i, 14 ; I Thess., v, 2, ou encore 7j[xépx XpiaToij’Iïjaoù. Philipp., i, 6, 10 etu. 16. « Le jugement est si intimement lié à la parousie qu’il est impossible de séparer ces deux scènes d’un même

drame réunies par l’Église sous un même article du symbole. » Prat, op. cit., p. 512.

De ce drame l’Apôtre a recueilli l’affabulation traditionnelle. « La parousie emprunte largement la mise en scène et le coloris du jour de Jéhovah dont elle est la réalisation typique. » Mais ces images ne doivent pas pour autant être confondues avec la réalité qu’elles expriment. « Dans toute prophétie et toute apocalypse, la part du type, du symbole et de l’allusion aux prophéties antérieures est difficile à démêler. Ni la prophétie ne devrait s’expliquer comme un récit historique, ni l’apocalypse comme une prophétie ordinaire. Ce genre littéraire comporte des symboles traditionnels qu’il serait dangereux de prendre à la lettre et dont le sens, conditionné par une série de prédictions plus anciennes, reste toujours mystérieux et flottant. » Prat, ibid., p. 510. On est sûr de rester dans la pensée profonde de saint Paul en retenant que ce « jour du Seigneur » a pour but de faire éclater sa gloire, II Thess., i, 10. et d’établir ce règne triomphal, I Cor., xv, 25, qui doit aboutir à ce que Dieu soit tout en tous. Ibid., 28.

Mais le Christ peut-il accomplir cette œuvre sinon à titre d’agent divin ? C’est pourquoi l’on a vu plu^ haut que le jugement était rapporté par l’Apôtre à Dieu lui-même. Cf. Rom., ii, 6-7 et Hebr., x, 30-31 ; xii. 23. Rien d’ailleurs n’est plus facile que d’accorder ces deux vérités et saint Paul a très heureusement indiqué la ligne de leur conciliation. « Dieu, disait-K aux Athéniens, a fixé le jour où il jugera la terre selor. la justice dans l’homme qu’il a choisi. » Act., xvii, 31. Cf. Rom., ii, 16 : ’Ev fj T)(iépa xpîvet, ô ©eôç xi xpvnzv. tcôv àv8po>TUi>v… Stà Xpiaroû’Itjctoû. Sous le bénéfice de cette précision théologique, il peut situer indifféremment le jugement, soit devant le « tribunal de Dieu, » Rom., xiv, 10 — c’est la leçon authentique contre celle de quelques manuscrits, suivis par la Vulgate, qui portent : tm (3y)(i.aTt, toû XpiaToû par symétrie avec le texte suivant : voir Lagrange, op. cit., p. 327 et Cornely, In Rom., Paris, 1896, p. 705-706,

— soit devant le « tribunal du Christ ». II Cor., v, 10. A côté du juge principal, l’Apôtre fait aux « saints », dans l’acte du jugement, une place mal définie, I Cor., vi, 2-3.

3. Objet du jugement.

- Quel qu’en soit l’auteur, le jugement sera toujours une œuvre de justice, c’est-à-dire la suprême réalisation de l’ordre moral.

Chacun y devra « rendre compte pour lui-même, » Rom., xiv, 12, et s’y présentera avec tout ce qu’il a fait en sa vie, soit de bien, soit de mal. II Cor., v, 10. Une implacable lumière éclairera nos actes les plus cachés, Rom., ii, 16, et jusqu’aux secrètes intentions des cœurs. I Cor., iv, 5. A cette enquête rigoureuse correspondra une sentence proportionnée. Comme Jésus, l’Apôtre reprend l’antique formule de la justice intégrale : « Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. » Rom., ii, 6 ; cf. II Cor., xi, 15 ; II Tim., iv, 14 ; I Cor., m, 8. Et de même qu’il n’y a pas « acception de personnes » dans la distribution des dons divins, Act., x, 34, il n’y en aura pas non plus dans la rétribution. Rom., ii, Il et Col., iii, 25. Le mal n’y sera pas oublié, ibid., mais pas davantage le bien, Eph., vi, 8, de sorte que chacun recevra 7rpôç à ër : pa :  ; ev. II Cor., v, 10. Économie de justice qui est aussi bien une loi de nature ; < « car ce que sèmera l’homme, il le moissonnera. » Gal., vi, 8. A condition de ne pas méconnaître le principe religieux qui en est l’âme, on ne peut que rendre hommage, avec H. C. Charles, op. cit., p. 399, au caractère « parfaitement philosophique » de l’idée de jugement dans saint Paul.

Son efficacité moralisatrice n’en est que mieux assurée. La perspective du jugement divin est une terrible menace pour le pécheur endurci, Rom., n.. 1759 JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITl RK : NOl VEAU TESTAMENT 1760

3-5 ; cf. Hebr., x, 27-31 ; pour les autres, une invitation pressante à fuir le péché, I Thess., iv, 3-6 ; cf. Hebr., xiii, 4 et I Cor., vi, 9-10 ; pour l’Apôtre lui-même, un motif de se dépenser dans les labeurs de l’apostolat,

I Cor., ix, 16-27 ; pour tous, en un mot, une raison de s’adonner avec persévérance « à l’œuvre du Seigneur, en sachant que notre effort n’est pas vain dans le Seigneur. » 1 Cor., xv, 58. Moyennant quoi, pour tout chrétien fidèle à sa foi comme pour saint Paul lui-même, elle peut devenir une source d’inébranlable confiance. II Tim., i, 12 etiv, 6-8.

4. Sujets du jugement.

Ce jugement sera absolument universel. « Tous nous devons comparaître » devant le tribunal divin, Rom., xiv, 10 et II Cor., v, 10, cf. Hebr., xii, 23, tant les vivants que les morts,

II Tim., iv, 1, c’est-à-dire les morts ressuscites aussi bien que les témoins de la parousie. I Thess., iv, 14. Les Gentils y figureront comme les Juifs, à cette seule diflérence que ceux-ci seront jugés d’après la Loi mosaïque, ceux-là d’après la loi naturelle gravée dans leur conscience. Rom., ii, 12-16.

Avec les hommes, le jugement atteindra d’une certaine façon les esprits angéliques. « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » I Cor., vi, 3. Mais l’Apôtre n’explique pas comment. S’il est vrai surtout, comme l’estime le P. Prat, op. cit., p. 513, que nous devions juger « non pas seulement les anges déchus, mais les anges restés fidèles, » ceci ne peut guère s’entendre que d’une comparaison ou d’un contraste entre notre conduite et la leur. « Pour conclure, continue le même auteur — et c’est tout ce qui importe ici — le jugement aura la même extension que le mérite et le démérite. Anges ou hommes, tous ceux qui ont été soumis à l’épreuve, qu’ils en soient ou non sortis vainqueurs, auront à comparaître devant le tribunal de Dieu. »

Jugement particulier.

Autant la doctrine de

saint Paul est explicite sur la rétribution finale, autant elle l’est peu sur la rétribution immédiate.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas contraire à l’existence du jugement particulier. Elle le serait si l’Apôtre avait conçu l’état de l’âme après la mort, à la manière des anciens Juifs, comme une sorte d’engourdissement. Cette théorie lui est attribuée par un certain nombre de théologiens protestants modernes, voir Atzberger, op. cit., p. 212, sous prétexte qu’il applique volontiers aux morts le nom de dormants ». I Thess., iv, 12-15 ; I Cor., xv, 18-20. Métaphore traditionnelle, cf. Mattli., xxvii, 52 ; Joa., xi, 11 ; A et., vii, 60 et xiii, 36, largement justifiée par la ressemblance du sommeil et de la mort, et dénuée, par conséquent, de toute signification doctrinale.

Mais « que devient l’âme séparée du corps ? Quels sont ses rapports avec Dieu, avec les vivants, avec les autres défunts ? Sur tous ces problèmes, saint Paul nous donne peu d’indications et moins encore d’enseignements. » Prat, op. cit., p. 496.

Ce « peu d’indications » est fourni par son expérience personnelle, que l’on doit sans nul doute étendre pareillement à tous les justes. Au moment de son martyre, le diacre Etienne priait le Seigneur Jésus de « recevoir son esprit ». Act., vii, 59. Poussé par son amour, saint Paul, lui aussi, a « le désir de se dissoudre et d’être avec le Clirist : » sort qui lui paraît bien meilleur que de continuer ici-bas un ministère apostolique pourtant nécessaire. Philipp., 1, 23-24, C’est que, tant que nous sommes dans le corps, nous sommes éloignes du Seigneur : » d’où la sainte nostalgie qui )e hante de < s’éloigner du corps et de demeurer auprès du Seigneur. » Il Cor., v, 6-8. Toutes paroles qui supposent évidemment que l’union au Christ coïncide avec la dissolution corporelle. Elles s’accordent avec

la doctrine générale de l’Apôtre, d’après laquelle la

mort elle-même ne saurait éteindre en nous la divine charité, Rom., viii, 38-39 ; car « vivants ou morts, nous sommes au Seigneur. » Ibid., xiv, 8 ; cf. I Thess., v, 10. Cependant il faut bien reconnaître que, même à la fin de sa vie, saint Paul parle encore de la récompense qu’il attend èv èxeîvT) tyj "fpépa, II Tim., iv, 8 ; cf. i, 12 : expression qui ne signifie pas le jour de sa mort, comme parfois on l’a cru, par exemple Simar, Die Théologie des hl. Paulus, p. 252. mais le jour du suprême jugement. Atzberger, op. cit., p. 206. Preuve que, malgré son mysticisme, c’est le jugement général qui domine toujours son esprit et son cœur.

Au total, il est incontestable que saint Paul entrevoit pour les justes la possession immédiate de la béatitude céleste dès le moment de leur mort. Cela étant, < il est naturel que les pécheurs subissent leur châtiment dès la fin de l’épreuve. » L’induction est certainement autorisée par la logique et l’on peut se rappeler que les Actes parlent de Judas, en termes voilés mais significatifs, comme s’en étant allé par son suicide e’.ç tôv tôhtov tôv ÏSiov. Act., i, 25. « Toutefois l’Apôtre ne dit rien à ce sujet. » Prat, op. cit., p. 497. Ce qu’il ne dit pas, peut-être pourrait-on croire qu’il l’insinue, si, dans II Cor., v, 10 : ïvaxopûarjTai ëxaaToç xà Sià toG o-o>u.aToç, les derniers mots devaient être pris assez strictement pour indiquer un moment où l’âme est séparée du corps. Mais cette exégèse est encore trop problématique pour s’imposer. On voit que saint Paul n’apporte aucun éclaircissement à la doctrine évangélique sur l’échéance des sanctions. Dans la mesure où il la confirme, il témoigne à son tour indirectement en faveur d’un premier acte de la justice divine destiné à les répartir aussitôt après la mort. Voir Labauche, op. cit., p. 375-376.

Peut-on trouver chez lui des témoignages directs ? Beaucoup de théologiens invoquent dans ce sens le texte déjà cité, II Cor., v, 10, dont le contexte, tout entier relatif à la destinée individuelle, autoriserait à dire que cette manifestation de tous « devant le tribunal du Christ » signifie notre jugement particulier. Mais les meilleurs exégètes catholiques entendent ce passage du jugement dernier, voir Cornely, In II Cor., Paris, 1892, p. 153-154, et cette interprétation s’harmonise mieux avec la doctrine générale de l’Apôtre.

Tout aussi classique et sans doute moins fragile est l’argument établi sur la célèbre incise de Hebr., ix, 27 : àuoxeÏTat toïç àvOpwiroiç aracÇ à7roGaV£Îv, ptexà 8è toûto xptaiç, où le jugement semble présenté comme immédiatement consécutif à la mort. Cependant l’expression |i.£Ta toûto ne signifie pas autre chose, par elle-même, que la succession chronologique des deux événements, sans postuler nécessairement qu’elle soit sans aucun intervalle. Par ailleurs tout ce verset n’est qu’une comparaison entre la destinée humaine et la mission rédemptrice du Christ. De même que l’homme meurt une fois, Sl-kolE, àTCoGavsîv, et est ensuite jugé, ꝟ. 27, ainsi le Christ, ꝟ. 28, s’est immolé une fois, garai ; TrpoævexŒtç, et il apparaîtra une seconde fois, ex Seuxépou… tocpOy)asTai, en vue de sauver ceux qui l’attendent. Si le sacrifice du Christ est mis en parallèle avec la mort de l’homme, la même symétrie doit présider au second membre de la comparaison et le jugement de l’homme coïncide avec l’apparition glorieuse du Clirist. C’est pourquoi beaucoup d’exégètés ne veulent trouver ici encore que le jugement général, par exemple, FTllion, l.n suinte Bible commentée, t. viii, p.492. Et ceci interdit au théologien prudent de faire une confiance absolue sur un texte de sens aussi contesté.

Aussi ceux là même qui s’attachent avec le plus d’énergie È trouver dans saint Paul la nient ion directe du jugement particulier, comme I.. Atzberger, op. cit.. p. 208-209, doivent-ils convenir qu’il n’existe pas de 1761 JUGEMENT. DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOUVEAU TESTAMENT 1762

témoignage formel et propre à exclure toute hésitation. Sans doute serait-il excessif de prétendre, comme on l’a fait, que cette doctrine est étrangère à l’Apôtre, mais les textes ne permettent pas de prouver qu’elle s’affirme chez lui d’une manière explicite. Tout au plus peut-on dire qu’elle est dans la logique de sa pensée. « Il ne nous parle pas non plus du jugement particulier… Mais ce discernement immédiat est dans la nature des choses et il ressort de ce fait que ni le bonheur des élus, ni, par analogie, le supplice des réprouvés n’est différé jusqu’à la parousie. » Prat, op. cit., p. 497-498. « Cette pénurie de détails sur les choses de l’au-delà, dit sagement le même auteur, ne doit pas nous surprendre, tout l’intérêt de l’Apôtre convergeant vers le fait de la résurrection et cette vérité capitale que les justes sont unis intimement au Christ dans la mort comme dans la vie. » A l’exemple de Jésus son maître, Paul a concentré son attention sur l’essentiel, savoir nos destinées éternelles et la certitude qu’un jugement divin les fixera suivant nos mérites. Pour le reste, il semble s’être fait une règle d’observer le suprême avertissement du Christ, Act., i, 7 : Où^ ûfiûv ècmv yvcôvai xpôvouç 73 y.oapoùç oûç ô roxTrjp sŒto èv tîj ESîa èÇouata.

/II. DOCTRINE DES AUTRES APOTRES. — En dehors

de saint Paul, les autres écrits néo-testamentaires n’offrent guère d’élément nouveau.

Épître de saint Jacques.

Toute morale dans

son objet, cette épître insiste sur les œuvres et sur leurs rétributions. « Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous. » iv, 8. Les riches orgueilleux seront dépouillés, 1, 10-11 ; car leurs injustices crient vengeance devant le Seigneur et leur amassent un trésor qui sera liquidé « dans les derniers jours ». v, 3. Au contraire, celui qui aura soull’ert l’épreuve recevra « la couronne de vie ». 1, 12 ; cꝟ. 11, 5. Par moments, il semble que la loi divine s’élève à une sorte de personnification qui lui permet de convaincre le pécheur qui la viole. 11, 9. Mais, en réalité, c’est Dieu qui est « l’unique législateur et juge, qui a le pouvoir de sauver et de perdre. » iv, 12. C’est lui qui réserve « un jugement sans pitié à celui qui n’a pas eu de pitié, » 11, 13, et une plus sévère justice à ceux qui par leur fonction acquièrent plus de responsabilité, ni, 1.

Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un acte divin quelconque : ce jugement se confond avec la « parousie du Seigneur », que l’Apôtre exhorte ses lecteurs à attendre avec confiance, à l’exemple de l’agriculteur qui attend de récolter le fruit de son travail. « Prenez donc patience, vous aussi ; fortifiez vos cœurs, parce que la venue du Seigneur approche. Ne murmurez pas, frères, les uns contre les autres, afin de n’être pas jugés ; car voici que le juge est à nos portes. » v, 6-8. Tel est, sans vaines spéculations, le thème d’ordre exclusivement pratique et d’inspiration hautement morale qui commençait à consoler et stimuler les chrétiens du premier jour, comme il console et stimule encore ceux d’aujourd’hui.

2° Épîlres de saint Pierre. — Ici également c’est la note morale qui domine ; mais elle entraîne déjà plus de considérations dogmatiques.

L’Apôtre écrit à des fidèles éprouvés pour leur procurer consolation et réconfort, I Petr., 1, 6-7, à des fidèles observés et persécutés par un monde hostile pour leur rappeler les obligations de leur foi. iii, 14-15 et iv, 13-16. Une des pensées les plus efficaces à cette double fin est celle du jugement. Car les chrétiens invoquent pour père « celui qui juge sans acception de personnes suivant l’œuvre de chacun. » 1, 17. « Ses yeux sont sur les justes et ses oreilles s’ouvrent à leurs prières ; mais son visage est sur ceux qui font le mal. »

m, 12 ; cf. Ps., xxxiv, 16-17. Personne n’échappe à sa justice et c’est sa propre maison qu’il visite la première. « Si donc il commence par nous, quel sera le sort de ceux qui qui ne croient pas à son Évangile ? Et si le juste se sauve à peine, l’impie et le pécheur que deviendront-ils ? » Ibid., iv, 17-18. Ce jugement divin sera l’œuvre spéciale du Christ, qui est le « juge des vivants et des morts ». auquel tous les infidèles devront rendre leurs comptes, iv, 5. Voilà pourquoi les chrétiens sont instamment invités à ne pas perdre de vue ce jour où éclatera la révélation de sa gloire, èv àTCoxxXô^Ei.’Ivjaoij XpwToû. 1, 8 et 13 ; cf. iv, 13 et v, 1. Tout cela ne peut évidemment s’entendre que du jugement final.

Néanmoins, « le jour du Seigneur » tardait à se manifester : la deuxième épître de saint Pierre a pour but de répondre au scandale provoqué par ce retard, m, 3-4. Voilà pourquoi l’auteur commence par rappeler les grands exemples de la justice divine dans le passé : châtiment des anges rebelles, déluge, destruction de Sodome et de Gomorrhe, tous faits qui prouvent que Dieu sait sauver les justes et punir les méchants. 11, 3-9. Il en sera de.même à l’avenir et, après un temps de patience qu’il prolonge par miséricorde, Dieu aura son jour, qui sera « un jour de jugement et de ruine pour les impies, » ni, 7 ; cꝟ. 11, 12, en même temps qu’il marquera la fin du monde au milieu d’effroyables catastrophes, iii, 7-13.

Chemin faisant, l’Apôtre précise que les anges coupables, « réservés pour le jugement, » sont déjà enfermés dans le « tartare », asipotç Çocpoo xapTapcÔTaç — - seul exemple biblique de cette expression, d’après Charles, op. cit., p. 357 — pour y être punis. 11, 4. Ainsi en est-il pour les pécheurs, qui sont déjà l’objet d’un châtiment en attendant le jugement qui leur est réservé. ?. 9. Le texte de la Vulgate : in diem judicii reseruare cruciandos pourrait faire illusion ; mais l’original grec témoigne, sans aucun doute possible, que le châtiment est déjà commencé : oïSsv xùpioç… àSîxouç eîç yjizépav xpîaeojç xoXaÇofxévouç -rïjpe’ïv. Nulle part n’est mieux indiquée la distinction et la relation qui existent entre les deux échéances de la justice divine. Et il est clair, bien que le mot n’y soit pas, que ces sanctions provisoires supposent autant que les autres l’intervention d’un jugement.

De toutes façons, l’Apôtre insiste chaque fois sur les conséquences que cette pensée doit avoir pour exciter le chrétien à mener une vie sainte, I Petr., 13-15, à conserver son âme pure, II Petr., iii, 11, 14, à l’exercer èv àyLdoKoiiy.. I Petr., iv, 19.

Épîlres de saint Jean.

Il y a peu de place pour

le jugement au milieu des effusions mystiques dont ces épîtres sont remplies. Ainsi que dans le quatrième Évangile, « celui qui croit au Fils de Dieu a le témoignage de Dieu en lui », I Joa., v, 10 ; avoir le Fils c’est avoir la vie et ne pas l’avoir c’est n’avoir pas la vie, Ibid., 12. Le péché est donc déjà par lui-même une source de ténèbres et de mort. I Joa., 11, 9-11 ; iii, 1415. Cependant l’Apôtre sait aussi qu’il appelle une sanction future, qui se traduira par la confusion du pécheur èv t^ roxpouata aÙToîi, 11, 28, que la filiation divine des justes, ébauchée dès maintenant, doit avoir alors son épanouissement, iii, 2, et nos bonnes œuvres leur « pleine récompense ». II Joa., 8. La multiplication des « antéchrists » lui donne même à penser que « la dernière heure » est là. 11, 18. Mais le grand fruit de la révélation du divin amour est précisément de nous donner « confiance pour le jour du jugement, » iv, 17 ; car c’est alors surtout que s’exercera pour nous auprès de Dieu la médiation du Christ. 11, 1. Sans y être prépondérante, l’eschatologie commune est au terme du mysticisme de saint Jean.

4° Épître de saint Ju.dc. — Au contraire, cette petite 1 763

    1. JUGEMENT##


JUGEMENT, DONNEES DE L’ÉCRITURE : NOUVEAU TESTAMENT

épître n’a guère pour objet que d’annoncer le jugement. Sa maniera rappelle beaucoup la deuxième de

s. tint Pierre. Ici également sont évoquées les punitions décernées autrefois par Dieu aux Israélites incrédules, aux anges coupables, à Sodome et aux villes voisines, 5-7, à Coré et à ses émules, ꝟ. 11. A propos des anges, L’auteur enseigne, lui aussi, qu’ils sont dès maintenant enchaînés dans les ténèbres et réservés ainsi etç xptoiv y.syà.Lt]ç iftiépaç. v. G.

Ce « grand jour » verra également le châtiment des pécheurs. L’auteur emprunte pour l’annoncer la prophétie d’Hénoch, i, 9 : « Voici qu’il est venu le seigneur avec ses saintes myriades, pour exercer son jugement contre tous et convaincre tous les impies de toutes les œuvres d’impiété dont ils se rendirent coupables et de toutes les injures articulées contre lui par les pécheurs impies. » y, lô. Mais ce jour-là, les justes peuvent compter sur la miséricorde du Christ qui leur rendra la vie éternelle, ꝟ. 21.

Apocalypse.

C’est ici le livre eschatologique

par excellence ; mais, à raison même de son objet, il n’en est pas de plus diflicile à interpréter.

1. Principe du jugement.

On y voit que l’auteur écrit dans un temps de trouble et de persécution, où « la bête est déchaînée contre les chrétiens, xiii, 7, et s’enivre de leur sang, xvii, (i. Épreuve qui, en même temps que les cœurs, atteignait parfois les esprits. On devine une inquiétude dans la plainte que les martyrs adressent à Dieu, vi, 10 : « Jusques à quand, Seigneur, toi le saint et le véridique, ne juges-tu pas et ne venges-tu pas notre sang sur les habitants de la terre ? » Pour répondre à ces angoisses qui mettent en cause la Providence, le prophète insiste sur la justice de Dieu et affirme que le moment viendra où le ciel et la terre reconnaîtront que « grandes et admirables sont ses œuvres, justes et saintes ses voies t. xv, 3-4 ; cf. xvi, 7.

2. Jugement général. - — Or, pour Jean, ces voies divines se manifestent par un « jugement à plusieurs phases, » qui « s’étendent sur tous les temps messianiques. » B. Allô, L’Apocalypse, Paris, 1921, Intr., p. cxxiu. « L’Apocalypse décrit avec beaucoup d’ampleur les jugements historiques et continus, où la présence du juge est voilée. » lbid., p. cxci. Cette présence se dévoile, en tout cas, au regard du prophète, qui entend l’ange s’écrier d’une grande voix : « Craignez Dieu et rendez-lui gloire, parce qu’elle est venue l’heure de son jugement. » xiv, 7. Heure de Dieu, mais aussi heure du « Fils de l’homme », qui apparaît un peu plus loin tenant dans la main la faucille aiguisée avec laquelle il s’apprête à moissonner la terre. lbid., 14-16. Pour Jean, Dieu et le Christ ne se séparent jamais dans l’œuvre du jugement : l’ange qui jette à son tour sa faucille sur la vigne terrestre, ibid., 17-19, doit sans doute être considéré comme un exécuteur de leur commune sentence. Dans tous les cas, i il faut entendre le jugement au sens large ; ici, … il s’applique spécialement à Iiabylone et a la Bête, réalités historiques. » Allô, op. cit., p. 217. Les chapitres suivants racontent, en effet, la chute de « la grande prostituée » vaincue par l’Agneau, xvii, 11, et cette ruine est expressément donnée comme le jugement divin sur elle, xviii, 8, 10 : jugement qui réalise tout à la fois la revanche de ses victimes et la gloire de Dieu. X VIII, 20 ; i, 12.

Outre ce jugement, historique et restreint, qui atteint la grande ennemie de Dieu, le prophète annonce « gaiement les assises solennelles où devront comparaltre tous les hommes a la tin îles temps.

Ce ingénient eschatologique est annoncé une première lois lorsque les vingt-quatre vieillards, prosternés devant l’Éternel, saluent par avança son règne glorieux. Elle est venue ta colère et le moment

pour les morts d’être jugés, et de récompenser tes serviteurs les prophètes, les saints, (tous) ceux qui craignent ton nom, petits et grands, et de détruire ceux qui détruisaient la terre. » xi, 18. Ailleurs le prophète avait décrit les convulsions cosmiques dont il sera précédé, vi, 12-17. Il termine son livre par un tableau de la scène elle-même, dont le P. Allô admire à juste titre < la sobriété grandiose ». Op. cit., p. civ. Cf. p. 303. Le mystérieux règne millénaire est fini, Satan et ses suppôts sont dévorés par le feu du ciel. Puis voici que < sur son grand trône blanc » siège « Celui devant la face duquel s’enfuient le ciel et la terre. » Tous les morts ressuscitent, « les grands et les petits », pour comparaître devant le trône et « des livres sont ouverts, » sur le contenu desquels les morts sont jugés. La sentence reçoit aussitôt son exécution : ceux qui sont enregistrés « sur le livre de vie » entrent dans la céleste Jérusalem ; les autres, avec la mort et l’Hadès, sont précipités « dans l’étang de feu ». xx. 7-15 et xxi, 1-5. Ici pas plus que tout à l’heure l’auteur de ce jugement n’est nommé, Allô, p. 304 ; mais le rapprochement avec vi, 16 ; xi, 15 ; xxii, 7 et 12-15, ne laisse pas douter qu’il ne soit l’œuvre du Christ comme agent et fils de Dieu.

Qu’il s’agisse du jugement sous sa forme historique ou sa forme eschatologique, ce sera toujours "un acte de haute justice. Le châtiment des ennemis de Dieu n’est que la juste rétribution de leurs crimes. « Rendezlui comme elle-même a rendu, est-il dit de Babylone, et multipliez-le par deux suivant ses œuvres ». xviii, 6. Discours qui, dans l’original, ne s’adresse d’ailleurs pas aux victimes de la ville impie — comme pourrait le faire croire la leçon erronée de la Vulgate : Reddite Mi sicut et Ma reddidit vobis — mais o aux ministres de la justice divine ». Allô, p. 267. Une semblable menace s’applique à ses complices, xviii, 4 et xvi, 6. Il en est de même au grand jugement, où les défunts seront jugés y.a-x zà. spvx aÙTcôv. xx, 12 et 13. D’une manière générale, le Christ est le Dieu qui récompense ses serviteurs fidèles et qui rend « à chacun selon son œuvre. » xxii. 12 : cf. ir, 23.

3. Jugement particulier.

Mais cette « œuvre » n’est-elle pas terminée avec la vie et dès lors ne doit-elle pas recevoir immédiatement la sanction qu’elle mérite ?

Jean voit les âmes des martyrs « sous l’autel » céleste et Dieu donner « à chacun une robe blanche », qui ne saurait être qu’un insigne de gloire, vi, 9 et 11. Pourquoi ce privilège serait-il réservé aux martyrs ? Un texte semble faire croire que l’auteur en a conçu la généralisation. < Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, dès à présent ! Oui, dit l’Esprit, pour qu’ils se reposent de leurs labeurs ; car leurs œuvres suivent avec eux ». xiv, 13. Telle est, rectifiée sur l’original, la traduction du P. Allô, qui s’empresse d’y lire la promesse d’une récompense immédiate après la mort. Op. cit., p. 220 221. Cependant, prise au sens strict, cette parole ne signifie pas autre chose que la relation morale qui unit la vie présente à la vie future, et les morts ne peuvent-ils pas êlre dits « bienheureux », même bienheureux « dès à présent >, par l’assurance certaine de la résurrection qui leur est garantie ? D’autant qu’aux ꝟ. 10 et Il le châtiment des pécheurs semble être remis à l’avenir. Tout ce qu’on peut dire, c’est que ce texte permet et même appelle logiquement la rétribution Immédiate ; mais il ne prouve pas que cette logique se soit Imposée à l’esprit du voyant comme elle s’impose au notre.

Le même, sur xxii, 12 cite plus haut, gloser : « La rétribution qu’annonce le Christ s’opérera et sur terre, et Immédiatement après la mort, et au jugement général, Alto, 17 ». cit., p. 331, c’est tout au moins ajouter beaucoup a un texte Indéterminé. C’est

j-urtout ne pas tenir suffisamment compte des mots qui précèdent : « Voici que je viens promptement, » ibid, , 12 et 7, qui ne peuvent guère s’entendre que de la parousic.

Conclusion générale. — Au total, les perspectives ne sont pas encore nettement séparées, pas plus dans l’Apocalypse que dans les autres écrits du Nouveau Testament, et à cet égard non plus ce livre n’apporte « aucun enrichissement substantiel au Credo de l’Église primitive ». Allô, p. xcvn. « Quand les Apôtres enseignent aux hommes le jugement de Dieu, la différence entre le jugement particulier et le jugement général n’apparaît pas tellement claire et distincte ; leur pensée passe de l’un à l’autre. » Weinhart, art. Gericht ( gottliches), dans Kirchenlexikon, t. v, col. 397. Et il faut ajouter que, si elle se fixe plus volontiers sur le jugement général, tous les principes sont posés par eux qui mèneront bientôt à la distinction formelle du jugement particulier. On n’oubliera d’ailleurs pas que la doctrine des fins dernières relève de la prophétie, Atzberger, p. 195, et que l’obscurité est une règle du genre.

Il reste que la révélation chrétienne, telle qu’elle résulte de l’Évangile et des écrits apostoliques, a marqué pour toujours la doctrine des fins dernières de son empreinte propre. De l’Ancien Testament elle a retenu le dogme de la justice divine comme un postulat de la loi morale et la foi en sa manifestation publique comme une nécessité du plan providentiel. Mais le jugement attendu devient ici un acte d’ordre spirituel et transcendant, qui, pour la plus grande gloire de Dieu et de son Christ, doit un jour fixer les destinées éternelles de tous les hommes suivant la valeur morale qu’ils ont acquise au cours de l’épreuve terrestre. N’est-ce pas là tout l’essentiel ? « L’horizon peut paraître plus ou moins lointain, la crise suprême plus ou moins proche ; mais c’est là un point accessoire et l’eschatologie chrétienne acquiert une netteté de contours, une fermeté relative de lignes que n’eut jamais l’eschatologie judaïque. » Prat, op. cit., p. 489. Cf. Labauche, op. cit., p. 378 et Atzberger, op. cit., p. 356-357. C’est sur ces points accessoires, où planait encore quelque indécision, qu’allait désormais porter le développement.