Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION II. Dans l'Eglise grecque après le concile d'Ephèse. I Considérations préliminaires

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 454-459).

II. IMMACULÉE CONCEPTION DANS L'ÉQLISE GRECQUE APRÈS LE CONCILE D'ÉPHÈSE.


I. Considération préliminaires.
II. L’ininiaculée conception dans l'Égilse grecque, du concile d'Éphèse à Miche ! Cérulaire.
III. Doctrine des byzantins du xie au xve siècle.
IV. La fête de la Conception. Les textes liturgiques.
V. La croyance à l’immaculée conception dans l'Église gréco-russe à partir du xvi «  siècle.

I. CONSIDÉR.TIONS PRÉUMINAIRES.

L’eXamCU de la tradition grecque sur la conception immaculée de la mère de Dieu, spécialement après le concile d'Éphèse, est particulièrement difficile à faire. L’histoire critique et détaillée de cette tradition sur ce point spécial n’a pas encore été entreprise. Les théologiens catholiques se sont contentés jusqu’ici de citer quelques témoignages plus ou moins probants empruntés à un nombre d’auteurs très restreint. Ces témoignages sont produits, la plupart du temps, isolés de leur contexte, et perdent ainsi beaucoup de leur force. Phénomène curieux : les textes que l’on a fait valoir de tel ou tel écrivain byzantin dont les œuvres se trouvent dans la Palrotogie grecque de Aligne, ne sont pas toujours ceux qui méritaient de venir en première ligne. On a passé sous silence les passages où l’idée du dogme catholique est contenue le plus clairement, ou bien on a noyé ces passages dans une masse d’autres qui ne prouvent pas grand’chose. Visiblement, on s’est trop fié à l'œuvre confuse et dénuée de critique de Passaglia, Commentarius de inimncalalo Deiparx sempcr virginis conceplii. 3 in-é », Rome, 1854-1855. A sa suite, on a trop insisté sur la portée des épithètes mariales, des métaphores, comparaisons ou types plus ou moins accommodaticcs dont abondent la rhétorique et la liturgie byzantines et qui visent très souvent la maternité divine et la perpétuelle virginit ; de Marie et non sa sainteté originelle. On a aussi accordé une importance exagérée au fait de la célébration d’une fête de la conception de la sainte Vierge en Orient, et l’on a voulu en déduire des conséquences théologiques qui, dans le cas, n’ont pas de fondement solide.

Ces erreurs de méthode n’ont pas peu contribué à jeter le discrédit sur la preuve que les apologistes du dogme catholique ont tirée des monuments de la tradition grecque. Ce discrédit a été augmenté par un préjugé tenace qui a cours communément depuis Petau parmi les théologiens et les historiens du dogme. Au c. n du 1. XIV sur l’incarnation, le père de la théologie positive a écrit, prccisément en jiarlanl de l’immaculée conception :.'iiquidem Grxci, n( originalis fere criminis raram, ncc diserlam menlionem scriptis suis (dligerunl, sic ulruni bcala Virgo affinis illi conccpla fuerit, liquidi nihil adniodum trad.derani. Cette brève déclaration, par laquelle Petau se dispense d’examiner la doctrine des grecs, a passé pour un oracle, et on la répète encore. On l’exagère même, et il n’y a pas longtemps qu’un moderniste, qui se piquait d'être un historien informé, osait écrire cette énormilé : « . l'époque de saint Jean Damascône, l'Église grecque ignorait encore le dogme de la faute héréditaire. Klle ne pouvait donc ]ias songer à exempter la sainte Vierge d’une loi qui lui était inconnue. » G. Hcrzog, La sainte Vierge dans l’histoire. II. Débuis de la croi/ance à la sainteté de Marie, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1907, t. xii, p. 549. Si l’on part, de l’idée que les grecs ne songeaient jamais ou presque jamais au dogme fondamental du péché originel, sans lequel le dogme de la rédemption par.lésus-Christ croulerait par la base, il est évident que ce qu’ils disent de la sainteté de Marie perd beaucoup de sa force. Mais rien n’est moins exact que l’affirmalion de F^etau non seulement pour les Pères grecs antérieurs au concile d'Éphèse, mais aussi et surtout pour ceux qui ont vécu après ce concile. Tout ce qu’on peut dire à la décharge de l’illustre théologien, c’est que, depuis qu’il a écrit ses Dogmes théologiques, beaucoup de

documents nouveaux ont été publiés, tandis que d’autres restent encore ensevelis dans les manuscrits des bibliottièqucs. Ces documents nouveaux sont malheureusement peu utilisés, et l’on continue à ne vivre que du passé.

Ce n’est pas ici le lieu "de traiter du péché originel dans l'Église grecque ; la question sera étudiée à l’art. PÉCHÉ ORIGINEL. Nous ne pouvons cependant nous dispenser d’en dire ce qui est absolumeiit indispensable pour l’intelligence des textes que nous apporterons tout ; l’heure pour établir la croyance des grecs à la conception immaculée de la mère de Dieu.

Faisons tout d’abord remarquer la tactique des adversaires de nos dogmes sur le terrain de l’histoire. Pour ruiner l’immutabilité de l’enseignement de l'Église et appuyer une théorie de l'évolution dogmatique qui l’ait disparaître la notion même du dogme, ces adversaires insidieux, qui veulent pourtant passer pour des historiens et des critiques impartiaux, prennent pour point de départ de leurs recherches l’expression la plus complète et la plus récente de la doctrine de l'Église, telle qu’elle a été élaborée après de longues controverses ou de longs siècles de méditation théologique. Ils s’attachent étroitement à cette ultime formule ; puis, ils abordent les monuments de l’antique tradition pour voir s’ils l’y rencontrent en propres termes. Esclaves volontaires et peu sincères d’un verbalisme étroit, et refusant de voir sous l'écorce des textes la substance de vérité qu’elle recouvre, ils concluent à la non-existence de la doctrine là où ils ne trouvent pas la formule actuelle. C’est avec ce procédé qu’on arrive à dire que saint Augustin a inventé le dogme du péché originel, ou que l'Église grecque ignorait ce dogme à l'époque de saint Jean Damascène. C’est par ce procédé encore qu’on n’apercevra la doctrine de l’immaculée conception que dans les textes qui diront en propres termes : " Marie a été exempte du péché originel dès le premier instant de sa conception. » On a vu certains théologiens catholiques sacrifier parfois à cette méthode pseudo-scientifique. N’est-ce pas, en effet, la première règle de toute exégèse d’interpréter les textes en fonction non seulement du contexte immédiat de l'écrit qu’on examine, mais encore de ce qu’on peut appeler le contexte de l’histoire, en tenant compte de l'époque et du milieu où l'écrivain a vécu, a écrit, a parlé? Il y a bien des manières d’exprimer une même vérité. A côté de l’expression adéquate, définitive, scolastique, que d’autres expressions moins parfaites dans la forme et cependant équivalentes pour le fond, surtout quand on songe à la multiplicité des points de vue sous lesquels peut être envisagée une même vérité révélée I

Prenons, par exemple, la doctrine de l’immaculée conception. A côté de la formule dogmatique employée par Pie IX dans la définition, il y a bien d’autres manières de rendre au moins l’idée principale qui fait l’objet direct de la définition. Dire que Marie a toujours été en grâce avec Dieu ; qu’elle a été créée semblable à Adam avant la chute ; qu’elle n’a jamais eu besoin d'être réconciliée avec Dieu ; qu’elle a été sanctifiée ou justifiée dès son apparition dans le sein maternel ; qu’elle a été toujours bénie et seule bénie, surtout si cette expression se rencontre sous la plume d'écrivains qui désignent le péché originel par le terme de « malédiction », àoâ ; qu’il est impossible de supposer en elle la moindre souillure de l'âme ou du corps, surtout si ceux qui parlent de la sorte ont l’habitude, dans leurs écrits, d’appeler le péché originel une souillure, pû-o ;  ; que Marie a été naturellement, ç-jiî :, exempte de la concupiscence, alors que la concupiscence apparaît à ceux qui s’expriment ainsi comme la grande manifestation et l'élément le plus

saillant du péché de nature ; que la mère de Dieu a été soustraite à la corruption du tombeau, parce que l’aiguillon de la mort, le péché, était mortifié en elle, et que, si elle est morte, c’est parce qu’elle devait être conforme à son divin Fils, surtout si ceux qui tiennent ce langage considèrent la corruption du tombeau comme un des principaux châtiments du péché d’origine et désignent même ce péché par le terme de « corruption », çOopa ; que Dieu est intervenu d’une manière toute spéciale pour sanctifier la conception de sa future mère, se préparer un palais digne de lui, de telle sorte qu’elle est véritablement la fille de Dieu, hiij-y. :  ;, Un paradis planté par Dieu lui-même, -ipàoîiaoç OcosÛTsuToç ; que même Dieu a poussé plus loin la délicatesse et la prévoyance et a purifié progressivement, dès l’origine, les ancêtres de la Vierge, afin que ses parents immédiats pussent lui communiquer une nature parfaitement immaculée ; toutes ces expressions, employées par des auteurs qui croyaient explicitement à l’existence d’une tare originelle, sans avoir jamais disserté ex projesso sur sa nature complexe, contiennoit d’une manière suffisamment explicite l’idée de la conception immaculée, telle que l’entend l'Église catholique.

Mais les grecs croyaient-ils réellement à l’existence d’une tare originelle de la nature humaine transmise par la génération à tous les descendants d’Adam à cause du péché personnel de celui-ci ? Je me demande comment on a pu jamais en douter, et où Herzog avait pris ses renseignements, quand il affirmait qu'à l'époque de saint Jean Damascène, l'Église grecque ignorait encore le dogme de la faute héréditaire. Non seulement les écrivains postérieurs au concile d'Éphèse. mais encore les Pères antérieurs, à l’exception de Théodore de Mopsueste et, peut-être, de Théodoret, ont affirmé souvent et d’une manière suffisamment claire, l'état de déchéance et d’opposition au plan divin primitif de la nature humaine transmise par Adam jiécheur à ses descendants. S’ils ont rarement usé du terme même de « péché » pour désigner ce que nous appelons proprement le péché originel, il n’y a là rien qui doive étonner. Le péché originel, considéré comme faute inhérente à chaque enfant d’Adam, unicuique proprium, comme s’exprime le concile de Trente, est un péché sui generis, un péché de nature, étranger à la volonté individuelle de chacun de nous. C’est là une notion subtile, qui va à rencontre de l’acception courante du mot péché et qui produit encore de nos jours sur les étudiants en théologie une certaine surprise. Les simples fidèles n’arrivent guère à la saisir, et l’on sait que beaucoup de ceux qui attaquent le dogme catholique ne la possèdent pas. Il ne faut point, dès lors, tenir rigueur aux Pères de l'Église en général et aux Pères grecs en particulier, obligés de combattre le dualisme manichéen et s’adressant la plupart du temps au peuple dans les écrits qu’ils nous ont laissés, de ce que, antérieurement à toute controverse, et même après, ils ont réservé le mot <> péché " pour désigner les fautes engageant la responsabilité personnelle.

Il est faux, d’ailleurs, que les Pères grecs du iv « et du ve siècle n’aient jamais employé notre terminologie actuelle pour parler du péché originel. Saint Athanase. Oratio contra arianos, i, 51, P. G., t. xxvi, col. 117 : saint Grégoire de Nazianze, Oral., xix, 13, P. G.. t. XXXV, col. 1060 ; saint Basile, Homilia dicta tempore famis, 7, P. G., t. xxxi, col. 324 ; Didyme l’Aveugle. De Trinitate, ii, 12, P. G., t. xxxix, col. 684, et Contra Alanichseos, viii, ibid., col. 1096, disent expressément qu’Adam nous a transmis son péché, iaapTi’a. D’autres, comme saint Isidore de Péluse, Èpist., t. III, epist. cxcv, P. G., t. lxxviii, col. 880, ont recours au terme de pj-o ;, souillure. Saint Jean Chrysostome

parle d’une dette de famille écrite par Adam, ypio ;, ys’.po’ypaîpov --L-.’mvi (passage tiré d’une homélie aujourd’hui perdue, donné par saint Augustin, Contra Julianum, i, 26) et déclare que tous ses descendants subissent comme lui une double mort, la mort de l’âme, qui est le péché, et la mort du corps. Homilia in ebrios et de Christi resurrectione, P. G., t. xlix, col. 438-439. Plusieurs se servent des termes vagues de malédiction, à ; a, zaTâpa, et de condamnation, x.atâ/O’.j ;  :.

Ce ((ui prouve, du reste, d’une manière irréfutable, que l’Eglise orientale a toujours admis le dogme de la faute héréditaire, c’est la conduite qu’elle tint, au début du ye siècle, à l’égard du pclagianisme. Elle ne fut pas moins prompte, alors, que sa sœur, l’Église latine, à repousser comme une hérésie la doctrine de Pelage et de Célestius. Dès 415, un synode de quatorze évêques orientaux réuni à Diospolis, en Palestine, obligea Pelage à confesser qu’Adam fut créé immortel, que son péché a été nuisible à toute l’humanité, et que les nouveau-nés ne se trouvent pas dans l’état d’.dam avant sa chute. Le concile d’Éphèse excommunie et dépose dans son premier canon les prélats qui professent les doctrines du pélagien Célestius. Cf. llefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. I, p. 181, 337. Xestorius lui-même, le disciple fidèle de Théodore de Mopsueste, s’écarte de son maître sur la question du péché d’origine, et reste fidèle à la doctrine traditionnelle, si bien que le pape Célestin l’en félicite : Legimus quam bene tencas originale peccatum. Mansi, Concii, t. iv, col. 1034. Cf. M. Jugie, Nestorius et la controverse neslorienne, Paris, 1912, p. 244-248. A partir du concile d’Éphèse, la mention du péclié originel se rencontre à peu près dans tous les auteurs byzantins qui ont laissé des œuvres théologiques. Comme les Pères antérieurs, ils le désignent par diverses dénominations : péché, àuapTÎa (et quelquefois â ; jâç ; TT| ; j.a, terme particulièrement bien choisi pour marquer un péché permanent, habituel) ; souillure, yj~o :, ijzoi -coYOvtLo’;  ; malédiction, àç.ï, xa-3sa ; corruption, çOo^i ; sentence de condamnation, pôyaii ;, y.T.-iLy.z :  ;  ; dette, /oîcjç ; chute, ~-i~)’j :, ~- : ù’)'j.’x ; maladie, vo’jo ;  ; mort, v£Lp’pa ! ç, OâvaToç ; misère originelle, -po-aTOi’.Lr, TaXatrfi)^ ; ^.

Et qu’on ne se figure pas que ce n’est qu’en passant et rarement que les byzantins parlent de la tare originelle. Cette doctrine leur est familière, et ils y font continuellement allusion. Chose digne de remarque et qui est particulièrement importante pour notre sujet, c’est surtout en célébrant les louanges de la mère de Dieu dans leurs homélies ou leurs cantiques liturgiques, qu’ils rappellent le dogme de la chute originelle. Pas d’homélie sur l’Annonciation qui ne renferme un tableau plus ou moins développé de l’état de justice originelle et de l’état de misère dans lequel le péché d’Adam a précipité le genre humain. Et comme les panégyristes de la Toute-Sainte lui attribuent tous les effets de la rédemption opérée par Jésus, en vertu du principe : Causa causæ est causa causati, rien <le plus fréquent chez les orateurs comme chez les poètes que cette pensée : C’est par Marie que le péché d’Adam a été détruit ; c’est par elle que l’antique malédiction a été levée ; c’est par elle que la nature humaine a été réforméee » rétablie dans l’état primitif. Non seulement les théologiens byzantins affirment souvent l’existence du péché originel, dans leurs œuvres iréniques, mais ils défendent parfois ce dogme contre les attaques des héréticiucs. Léonce de Byzance, au vie siècle, reproche à Théodore de Mopsueste d’avoir nié le péché originel. Contra nestorianos, P. G., t. Lxxxvi, col. 1309. Au vii « , le synode in Trullo donne son approbation offlciclle à la collection canonique des conciles africains, et fait entrer ainsi dans

DICT. Dr, TBêOL. CATMOL.

le droit byzantin les deux premiers canons du II » concile de Milève, reproduits par le synode de Carthage de 418. On sait que le 1° de ces canons affirnie l’immortalité primitive, et que le second proclame la nécessité du baptême pour les nouveau-nés, à cause du péché d’Adam : ut in eis mundetur quod generationc conlraxerunf. Denzhiger-Bannwart, Enchiridion symbolorum, v. 101-102. Expliquant la nature du péché originel, Anastase le Sinaïte se réfère au 1^’canon de Milève, Qusest., cxlhi, P. G., t. lxxxix, col. 796. Les canonisles postérieurs commentent tous les décisions africaines contre Pelage.

Très explicites sur l’existence du péché originel, les Pères grecs et byzantins paraissent aux théologiens modernes très déficients sur la question de la nature de ce péché. Au fait, il faut bien reconnaître que les orientaux n’ont jamais agité ex professo le problème qui préoccupe les théologiens actuels : Qu’est-ce qui constitue l’essence du péché originel ? On sait que ce problème n’est pas encore résolu. L’opinion la plus commune de nos jours est que cette essence consiste uniquement dans la privation de la grâce sanctifiante. Nous ne croyons pas que cette opinion soit irréformable, ni qu’elle réponde pleinement au concept total du péché originel. D’après nous, saint Thomas d’Aquin a trouvé la vraie formule, à laquelle il serait préférable de se tenir, parce qu’elle synthétise admirablement les données de la tradition patristique. Envisagé dans sa totalité et dans l’homme non justifié, le péché originel est l’opposé de la justice originelle considérée dans tout son ensemble (dons surnaturels proprement dits et dons préternaturcls). On peut donc dire qu’il est constitué par la privation de tous les dons de la justice originelle, c’est-à-dire des dons surnaturels et préternaturels. Dans le dessein de Dieu, l’homme devrait naître revêtu de tous ces dons. Leur absence dans le nouveau-né constitue celui-ci dans un état d’opposition avec la volonté de Dieu, c’est-à-dire dans uri état de péché. Dieu, en elïet, a élevé l’humanité à l’état surnaturel, et il continue à la vouloir dans cet état.

Mais il ne saurait y avoir vraiment péché sans transgression libre d’un précepte divin par une volonté créée. Dans le cas du péché originel, la privation en nous du surnaturel et du préternaturel est, aux yeux de Dieu, en relation avec le péché personnel d’Adam. Dieu nous voit tous en Adam comme ne faisant avec lui qu’un même corps mystique et en quelque sorte physique, tout de même qu’il voit en Jésus-Christ toute son Église. Adam est pour lui l’humanité entière. En donnant à notre premier père les dons surnaturels et préternaturels, c’est à la nature liumaine tpi’il les donnait. Adam pécheur est pour lui l’humanité pécheresse. Et cette volonté de Dieu par laquelle il voyait en Adam toute l’humanité n’était point arbitraire, mais fondée sur la réalité, puisqu’en fait, au point de vue physique, l’humanité entière était en Adam comme en puissance : ex une omncs. Si celui-ci était resté fidèle, c’est l’humanité qui fût resiée fidèle et qui aurait acquis pour toujours les dons surnaturels et préternaturels. Les péchés individuels n’auraient pas empêché la génération charnelle d’être à la fois le véhicule de la nature et de la surnature. Du moment qu’Adam a péché, c’est la nature humaine aussi qui a péché et qui a perdu en lui et par lui la justice originelle. A tout fils d’Adam Dieu refuse la grâce et les autres dons, parce qu’il voit dans ce descendant la nature qui a péché dans le premier père. Et cependant il continue à vouloir que cette nature ait le surnaturel et le préternaturel. C’est ce qui nous explique pourquoi la perte de la justice originelle est, à la fois, une peine et une faute. C’est une peine, parce que Dieu nous en prive à cause du péché de notre nature

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en Adam, (-'est une faute, parce que sa privation nous maintient en ojiposilion avec la volonté de Dieu, qui nous veut toujours dans l'état surnaturel.

Si le péché originel dans sa totalité consiste dans la privation de tous les dons qu’il a fait perdre à notre nature en Adam, il est éxident que la privation de n’importe lequel de ces dons dans ilwmwe non juslifit ; déplaît à Dieu et constitue coninic une partie du péché orifiinel total. Cette privation revêt un caractère peccaniineux en quclqne manière, en tant qu’elle est contraire au plan divin primitif.

Il importe cependant de remarquer qu’il y avait une hiérarchie entre les divers privilèges concédés par Dieu à la nature humaine en.Adam. La grâce sanctifiante était l'élément principal et comme la clef de voûte de l'état de justice originelle. C’est en considération de ce don, surnaturel dans son essence, que Dieu avait accordé à Adam les autres dons, dits préternaturels. On peut traduire cette doctrine par la formule scolastique : La grâce sanctifiante constituait le formel de la justice originelle ; les dons prêternaturels en constituaient l'élément matériel. C’est en employant une formule semblable que saint Thoma.s enseigne ciue l'élément formel du péché originel est constitué par la privation de la grâce sanctifiante, et ciue son élément matériel consiste dans la privation de l’immunité de la concupiscence et des autres dons préternaturels Suni. ilieoL, I » 11 : ^', q. Lxxxii, a. 3, 4. Cet élément matériel a quelque chose de peccamineux dans le non-juslifié ; mais il cesse d’avoir ce caractère dans les baptisés et les justifiés. Car une fois que l'âme est ornée de la grâce sanctifiante, l’homme est pleinement réconcilié avec Dieu. Dieu ne lui tient plus rigueur de la privation des dons préternaturels. Cette privation devient une simple absence ; elle n’a plus rien de peccamineux ; selon le mot de saint Augustin pariant spécialement de la concupiscence : transit reaiu, manet actu : le baptême nous délivre de tout péché, mais il ne nous délivre pas de tout mal. Ce n’est qu'à la résurrection générale que Dieu nous fera pleinement participer à la rédemption surabondante acquise par Jésus-Christ. Alors le dernier ennemi de l’homme, la mort, fruit du péché d’origine, sera détruite : novissima autem inimica deslruetur mors. I Cor., xv, 26.

Cette conception thomiste du péché originel s’accorde d’abord parfaitement avec la doctrine officielle de l'Église. On sait Cque celle-ci n’a porté encore aucune définition expresse sur l’essence du péché originel. Un seul point peut être considéré comme indirectement proposé par le concile de Trente : c’est que la privation de la grâce sanctifiante appartient à la notion du péché originel. Chose remarquable : c’est dans ces derniers termes que le concile du Vatican se proposait de formuler un de ses canons : Si quis dixerit peccatum originale formaliler esse ipsam concnpisccnliam, aut physicum seu substantialem naiunv humanæ morbum, et ncgaverit privationem graiisc sanciificanlis de ejus ralione cssc, anathema sit. Collcctio Lacensis, t. vii, p. 566. Le concile se gardait de dire que la privation de la grâce sanctifiante constitue toute la notion du péché d’origine. Il est défini que le baptême enlève le péché originel, que dans le baptisé il ne reste rien de peccamineux : in renatis nihil odit Deus, dit le concile de Trente ; qu’en particulier, dans les baptisés, la concupiscence n’est pas vraiment et proprement un péché : sancta synodus déclarât Ecclesiam calholicam hanc concupiscentiam, quam aliquando apostolus peccatum appellai, nunquam intcllexisse peccatum appellari, quod vere et proprie in renatis peccatum sil, sed quia ex peccato est et ad peccatum inclinât. Denzinger-Bannwart. n. 792. Mais il n’est pas du tout défini qu’avant le baptême, la concupiscence

et les autres privations ne présentent aux jeux de Dieu rien de peccamineux. Le concile de Trente est muet sur ce point ; ou plutôt, il me paraît faire allusion à la doctrine auguslinienne et thomiste, quand il dit dans le canon déjà cité : Si quis perJcsu Cliristi Domini noslri gratiam, qux in baptismale confertur, realum originulis pecculi remitti negat. Qu’on remarque l’expression : reatus originalis peccali. Une fois que l’homme a reçu par le baptême l'élément principal et formel de la justice originelle, c’est-à-dire la grâce sanctifiante. Dieu ne lui impute plus les autres privations. Le reatus qui s’attachait à ces privations comme éléments secondaires du péché originel, envisagé dans sa totalité et sa complexité, n’existe plus. Dieu nous voit, dès ce moment, dans son Christ ressuscité et glorieux, et il nous laisse passagèrement sujets aux misères, suites du péché d’origine, pour que nous ayons part à la patience de Jésus et que par le combat, dans lequel la grâce nous soutient toujours, nous méritions notre couronne : concupiscentia ad agonem relicta est. Cf. Salmanticenses, De viliis et pcccatis, disp. XVI, dub. IV, § 3 et 4.

Inattaquable sur le terrain du dogme, la conception thomiste a le grand avantage de faciliter l’interprétation de la doctrine des Pères tant grecs que latins. Ceux-ci, à quelques rares exceptions près, ne se sont point posé les questions de la théologie actuelle : Quelle est l’essence du péché originel ? ou encore : Quel est l'élément principal de ce tout complexe qu’est le péché originel ? Ils ont simplement noté les différences qu’ils ont trouvées, d’après les données révélées, entre l'état d’Adam avant son péché et son état et le nôtre après sa chute. Tantôt ils ont donné de ces différences une énumération assez complète, tantôt ils ont été frappés davantage par l’une ou par l’autre, et l’ont mise en première ligne avec plus ou moins de bonheur. La plupart du temps, ils ont décrit le péché originel plus par le dehors que par le dedans, plus par ses suites visibles et sensibles que par son fond intime, c’est-à-dire la privation de la grâce sanctifiante et la mort spirituelle. C’est un fait que souvent ils ont mis en relief le secondaire au lieu du principal, sans du reste exclure celui-ci. Avec une conception trop rigide et trop étroite de l’essence du péché originel, on est dérouté par la manière des Pères. La pensée de ces derniers s'éclaire, au contraire, si l’on fait attention que, considérées antérieurement au baptême et à la justification, les privations autres que la privation de la grâce sanctifiante constituent aussi partiellement la nature humaine déchue en état d’opposition avec la volonté de Dieu, c’est-à-dire dans l'état de péché. Et tel Père aura pu paraître identifier le péché originel avec la concupiscence ou la privation de l’immortalité — celles-ci étant considérées dans le non-baptisé — sans pour cela être dans l’erreur. Il aura exprimé simplement une vue incomplète du péché originel : il aura pu oublier dans le cas l'élément principal de ce péché, sans du reste pour cela l’exclure ; il n’aura pas erré du tout au tout.

L’erreur de Luther et des protestants a été de ne pas distinguer., pour ce qui regarde ce que nous appelons les suites du péché originel, deux moments bien distincts ; le moment avant le baptême, et le moment après le baptême. Dans le non-baptisé, la privation des dons préternaturels est à la fois une peine et aussi une partie, partie secondaire, de la faute héréditaire, de la tare de nature. Dans le baptisé, l’absence des dons préternaturels perd son caractère peccamineux, transit reatu ; ce n’est plus qu’une suite pénale, que Dieu nous laisse ad exercilium virtuiis, et qui disparaîtra pleinement un jour. Il semble que les théologiens modernes, préoccupés de réfuter l’erreur protestante, ont aussi trop exclusivement considéré le péché

originel en se plaçant dans le second moment, c’est-à-dire après le baptême, et pas assez l’état de nature déchue, considéré dans son intégrité et sa complexité, antérieurement à la justification Du fait que dans le baptisé il ne reste rien de peccamineux on a trop vite cor du que le péché originel consistait uniquemeni dans la pùvalion de la grâce sanctifiante. C’est pour cela que la synthèse thomiste, envisageant le péché originel comme un tout s’opposant au tout de l’état de justice originelle, sauf à distinguer dans ce tout l’élément principal et l’élément secondaire, le formel et le matériel, nous paraît seule épuiser le concept total du péché d’origine, et merveilleusement condenser et coordonner toutes les données de l’Écriture et de la tradition.

Ces considérations un peu longues ne constituent point une digression inutile au sujet qui nous occupe. S’il est établi, en effet, que les Pères grecs et les théologiens byzantins désignent le péché originel plus souvent par son élément matériel que par son élément formel, et si, par ailleurs, ils écartent de la mère de Dieu cet élément matériel et secondaire, qui pour eux paraissait être le principal, nous serons en droit de conclure qu’ils ont enseigné la doctrine de la conception immaculée. Des textes qui, considérés en eux-mêmes et d’après les conceptions et la terminologie de la théologie actuelle, paraissent notoirement insuflisants pour exprimer l’idée dogmatique, peuvent avoir une tout autre portée, si on les interprète, comme on doit le faire, d’après le contexte de l’histoire, c’est-à-dire d’après l’idée que se faisaient communément du péché originel ceux qui les ont écrits. Si, pour CCS derniers, le péché d’origine est l’ensemble de ce que nous appelons les suites de ce péché dans la nature déchue chez un sujet non justifié, et s’ils exemptent Marie de chacune ou des principales de ces suites, n’est-il pas évident qu’ils ont exprimé à leur manière l’essentiel du dogme défini par Pie IX ?

Or sous quel angle les Pères grecs et les byzantins considèrent-ils le péché originel ? La réponse est facile. La nature humaine, telle qu’elle se trouve en chaque descendant d’Adam, leur apparaît entachée d’une souillure, parce qu’elle est découronnée des privilèges de l’état de justice originelle. Parmi ces privilèges, l’immortalité et l’exemption de la concupiscence frappent surtout leur attention. Saint Jean Chrysostome, commentant le texte de saint Paul ; Per inobedienlinm unius hominis peccalores constitua sunt mulii, Rom., V, 18, s’exprime en ces termes : <- Que le premier homme ajant péché et étant devenu mortel, ses descendants lui soient devenus semblables, rien que de rralurelà cela ; mais, si l’on dit que, par la désobéissance (lu premier, les seconds deviennent pécheurs, où est la logique ? Car il est clair que celui-là n’est pas digne de châtiment qui n’est pas devenu pécheur par lui-même. Que signifie donc ici le mot « pécheurs » ? A mon avis, il veut dire : « soumis au châtiment et condamnés à la mort », to’j-i’JyyPi : Lhi-zi : L}}. L%-.^.îiiw.’xz’xv/rt : Oavâtci. » ]n Epist. ad Ronianos, homil. x, P. G., t. Lx, col. 477. On le voit, saint Jean Chrysostomc réserve le mot de péché pour désigner le péché actuel ; mais il ne nie pas pour cela ce que nous appelons le péché originel, puisqu’il déclare expressément que nous sommes soumis au châtiment et condamnés à la mort en vertu de notre descendance d’Adam pécheur. Le châtiment, la mort, ce sont là les termes généraux qu’il emploie pour exprimer le péché originel et ses suites. Par mort, du reste, nous savons qu’il entend et la mort du corps et la mort de l’âme, c’cstà dire la privation de la grâce.’Voir le texte cité cldessus. De nombreux théologiens byzantins, à l’exemple de saint Jean Chrysostome signalent aussi en première ligne la privation de l’immortalité et de

l’incorruptibilité, quand ils parlent du péché originel, privation qu’ils mettent clairement en rapport avec la faute personnelle d’Adam. Ainsi Gcnnade de Constantinople († 471), /n Epist. ad Romanos, P. G., t. Lxxxv, col. 1672 et 1673, où il écrit : ’H â[xap-ia -tjv JauTT, ; sv TtT) Oavâ-ti) za ; o’.à ToO OavaTou 0uvâaT£ : av ÈxpaTuvsv ; S Anastase I" d’Antioche († 599), De passione et impassibilitate Christi, P. G., t. lxxxix, col. 1350, 1352-1353 ; S. Sophrone de Jérusalem, In S. Deipara ; Annuntiaîioncm, 12, P. G., t. lxxxiith, col. 3229 ; De Hijpapanle, 16, ibid., col. 3298-3299 ; Anastase le Sinaïte, Quæst., cxLm, P. G., t. lxxxix, col. 796 ; S. Jean Damascène, De fide orthodoxa, t. II, c. XXX, P. G., t. xciv, col. 976 ; In Epist. ad Romanos, V, 12, 19, P. G., t. xcv, col. 477 ; Théophylacte, Expositio in Epist. ad Rom., P. G., t. cxxiv. col. 408.

D’autresdocteurs, à lasuitedesaintCyrilled’Alexandrie, insistent surtout sur la concupiscence. Comme saint Jean Chrysostome, saint Cyrille a été amené à dire sa pensée sur le péché d’origine en expliquant le passage du c, v de l’Épître aux Romains. Après avoir affirmé que, par suite de la transgression d’Adam, le péché a envahi la nature humaine, et qu’ainsi tous les hommes ont été constitués pécheurs, il poursuit : « Sans doute, dira-t-on, Adam est tombé, et son mépris du commandement divin l’a fait condamner à la corruption et à la mort. Mais comment les autres hommes ont-ils été constitués pécheurs à cause de lui ? Que nous importent à nous ses péchés personnels ? Comment donc avons-nous été condamnés avec lui, alors que DiCH dit : « Les pères ne mourront pas « pour leurs enfants ni les enfants pour leurs pères ; « celui-là mourra qui péchera, » Deut., xxiv, 16 ? Que répondrons-nous à cela ? I ! est bien vrai que c’est celui qui péchera qui mourra. Or, nous sommes devenus pécheurs, à cause de la désobéissance d’Adam, de la manièresuivante : Adam avait été créé incorruptible et immortel. Sa vie dans le paradis de délices était sainte ; sans cesse son esprit était occupé à contempler Dieu ; son corps, à l’abri de toute atteinte du plaisir honteux, jouissait d’un calme parfait et ignorait le trouble des mouvements désordonnés. Mais, après qu’il fut tombé dans le péché et qu’il eut glissé dans la corruption, les plaisirs impurs envahirent la chair et la loi bestiale qui règne dans nos membres se manifesta. La nature devint donc malade de la maladie du péché, à cause de la disobéissancc d’un seul, c’est-à-dire d’Adam. Et ainsi tous les hommes ont été constitués pécheurs, non qu’ils aient péché avec Adam, puisqu’ils n’exi.’^t aient pas encore, mais parce qu’ils ont sa nature, soumise désormais à la loi du péché. » In Epist. ad Rom., P. G., t. i.xxiv, col. 788-789. Ainsi., d’après saint Cyrille, nous sommes constitués pécheurs par la faute d’Adam, parce que nous tenons de lui une nature privée de ses anciens privilèges. Ce saint insiste visiblement sur la concupiscence, mais il serait faux de dire que c’est elle uniquement qui constitue pour lui le péché. Voici un passage d’un de ses écrits où la privation de la grâce est mise en première ligne : « Ayant échangé contre un plaisir coupable la grâce qu’elle tenait <Ie Dieu et, par suite, ayant été dépouillée des biens qu’elle possédait à l’origine, la nature humaine fut chassée du paradis de délices ; elle perdit aussitôt sa beauté et fut désormais en proie à la corruption. » De ndoratione in spiritii et verilatc, i, P. G., t i.xviii, col. 149.

Un disciple de saint Jean Damascène, Théodore Aboucara ou Abou-Kourra, écrit : » Adam avait reçu de Dieu une nature immaculée ; il la souilla par le péché et les passions, tt" à[jyr, -.y. L%[ -’, :  ; -Uni :, et c’est dans cet état qu’elle nous a été transmise. Opuscula, P. G., t. xcii, col. 1524. Ailleurs, il insiste beaucoup sur l’une des suites de la faute originelle :

l’esclavage du demoii. Jésus-Christ, dit-il, nous a délivrés de cinq ennemis mortels, qui sont : la mort, le diable, la malédiction de la loi et la condamnation, le péché, l’enfer. Nous sommes devenus sujets du diable, en lui obéissant et en désobéissant à Dieu. A l’origine. Dieu avait créé l’homme fort et invincible. Ne pouvant arriver à le vaincre, le diable usa de ruse pour le dépouiller de la grâce, qui faisait sa force. Une fois ce résultat obtenu, il n’eut pas de peine à le précipiter dans toute sorte de plaisirs, de péchés et de désobéissances. Et Dieu permit justement que celui qui l’avait abandonné et avait passé à l’ennemi fût soumis à la tyrannie de celui-ci. » Ibid., col. 1464. Proclus avait dit avant lui : « Par l’intermédiaire d’Adam nous avons tous souscrit au péché ; le diable nous retenait captifs. » HomiL, i, de laudibus B. Marias, P. G., t. Lxv, col. 68fi.

Souillée, avant le baptême, par le fait qu’elle n’a plus les dons de la justice originelle, notre nature redevient innocente aux yeux de Dieu par le sacrement de la régénération. Les théologiens orientaux sont parfaitement d’accord avec le concile de Trente : in renalis nihil odil Deus. Commentant le passage du ps. L : Ecce in iniquitatibus conceplus sum, Hésychius de Jérusalem écrit : « Ces paroles ne font pas seulement allusion à la souillure qui vient d’Adam. A cause de lui, en effet, nous sommes regardés comme souillés dès notre naissance, et, avant que nous ayons atteint l’âge de discerner le bien et le mal, nous avons besoin de purification, tenant de nos parents une tache. » Fragmenta in ps., ps. L, P. G., t. xaii, col. 1201. Olympiodore, diacre d’Alexandrie au viie siècle, déclare que le baptême « eft’ace réellement et complètement la sentence et le péché, àr.oz.j.rsuo ; y.aî âixapTiaç, de notre premier père Adam, qui nous ont atteints nous-mêmes. C’est pourquoi les enfants baptisés, étant absolument purs de toute iniquité et de tout péché, ayant reçu l’Esprit et revêtu le Christ, meurent souvent au moment du baptême ou après, et sont immaculés et saints. » Citation faite par Anastase le Sinaïte, In Hexæm., 1..VI, P. G., t. lxxxix, col. 938. Théodore Abou-Kourra n’est pas moins explicite : « Le Christ nous baptise dans l’eau et dans l’Esprit, et la grâce du Saint-Esprit efïace toute infirmité et tout péché, et nous rétablit dans l’ancienne vigueur et dans la beauté d’avant la chute, xaî si ; to àp/aiov rjOs’vo ; xat xâXXoç to -po tïJ ; -apaSâasoj ; à7 : oLaOîaTr|jLV. » Opuscula, P. G., t. xcai, col. 1469. Théodore, qui nous a dit tout à l’heure qu’Adam nous transmet une nature souillée par le péché et les passions, semble oublier ici que la concupiscence persiste après le baptême. N’est-ce pas nous enseigner indirectement que la concupiscence dans le baptisé ne souille plus la nature aux yeux de Dieu ? Au xie siècle, Siméon, le nouveau théologien, écrit dans le même sens : Quilibel baplizatus lalis jam qualis ille eral qui primas est condilus. Orationes, P. G., t. cxx, col. 324.

Ces quelques citations, qu’il serait facile de mullipher, suffisent, croyons-nous, à établir que les byzantins croyaient au dogme de la faute héréditaire, qu’ils en parlaient plus souvent qu’on ne le dit communément, qu’ils voyaient dans cette tare originelle quelque chose de complexe, c’est-à-dire la privation, due au péché d’Adam, des divers dons de la justice originelle, et que cette privation, dans les non-baptisés, constitue une faute, une souillure que le baptême fait disparaître. En vertu même de cette doctrine, les textes qui, dans les écrits de ces docteurs, écartent positivement de la mère de Dieu la concupiscence, la corruption du tombeau, l’esclavage du démon, à plus forte raison la privation de la grâce divine, ou même n’importe quelle souillure, reviennent à dire que Marie a été exempte du péché originel.

Cette signification est d’autant plus certaine que jamais, pendant toute la période byzantine, il n’y a eu, dans l’Église grecque, de controverse sur la question de savoir si Marie a été préservée de la faute originelle dès le premier instant de l’union de son âme avec son corps. Au contraire, il est évident pour quiconque parcourt l’énorme littérature mariologique de cette époque, tant celle qui est publiée que celle qui se cache encore dans les manuscrits, qu’à Byzance, la mère de Dieu, la Panaghia, est unanimement considérée comme la créature humaine idéale, l’homme par excellence, comme diront de nombreux théologiens, et que, suivant le mot de Théodore Prodrome, au xiie siècle : i II est absolument impossible de supposer ou d’imaginer en elle la moindre trace de souillure ou de péché, » âv v- ; ùjosv ô-(oaTtû3v pj-aoîa ; r] à ; j.aGT ; ’aç l’yv, ; j-ovoï|aa’. r] savTaaO-^vat oÀ’j) ; v/oi/ i’-j.’.. H. M. Stevenson, Tlieodori Prodromi commentarios in carmina sacra melodorumCosmæ liierosolymitani et Joannis Damasceni, Rome, 1888, p. 52. C’est bien là le canon mariologique byzantin, au moins à partir du concile d’Éphèse. A quelques rares exceptions près, il mesure exactement l’idée que se font de Marie et les prélats elles fidèles, elles savants et les ignorants. Il importe de s’en souvenir, quand il s’agit d’apprécier la portée réelle de certaines expressions, qui ne nous donnent, à nous, que l’impression de l’implicite, mais qui, en réalité, traduisaient une croyance explicite dans l’esprit de ceux qui les employaient.

Après ces considérations préliminaires, qui nous ont paru indispensables pour la pleine intelligence des témoignages qui vont suivre, nous allons aborder l’examen de ces derniers, en suivant l’ordre chronologique. Nous donnerons, à propos de chaque auteur, ce qu’il a dit de plus clair sur la matière. Cet examen de la doctrine des théologiens grecs sera divisé en deux sections. Dans la première, nous interrogerons ceux qui ont vécu du concile d’Éphèse à la consommation du schisme byzantin, sous Michel Cérulaire. Dans la seconde, nous poursuivrons l’histoire de la tradition grecque jusqu’au xv<’siècle inclusivement. Nous devrons ensuite parler de la fête de la Conception dans l’Église grecque et de la valeur des témoignages empruntés aux livres liturgiques. Nous terminerons par un bref aperçu de l’histoire de la doctrine dans l’Église grecque et dans l’Église russe à partir du xvie siècle jusqu’à nos jours. Nous avertissons le lecteur que, dans cette étude, nous n’utiliserons pas seulement les sources éditées, mais aussi plusieurs sources encore manuscrites. Ce sont même ces dernières qui nous fourniront les témoignages les plus explicites de la croyance des byzantins au privilège de l’Immaculée.