Dictionnaire de théologie catholique/HYPOSTATIQUE (Union) VIII. Erreurs modernes

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 280-291).

humaine, elle perd les sieiines et nice versa ; comment, dans ce cas, l’incarnation se serait-elle faite, les propriétés de chaque nature restant sauvées ? » Bellarmin, op. cit., t. III, c. IX, X. Cf. Bécan, op. cit., n. 14-li », 22-28. Les lutlicriens apiniyaient leur conception de la communication des idiomes sur certains textes de l’Écriture. I-e premier est le texte de Col., ii, : sur le sens de ce texte, voir col. 447 ; et, par rapport à l’usage qu’en firent les luthériens, Grégoire de Valencia. In Siim. S. Thomse, III », q. ii, p. ii, § 2 ; Bécan, op. cit.. n. 28-30. Le deuxième texte est tiré de Luc. X, 22 ; cf. Joa., xv, 3. Le troisième est le texte deMatth., xxNTTi, 18. Mais tout ce que le Père a donné au Fils, y compris la puissance, ne s’entend pas nécessairement d’une communication faite à la nature humaine. Les attributs divins ont été communiqués à l’hypostase du Verbe incarné et non à sa naturcliumaine comme telle. Bécan, n. 31, 32. — b) L’ubiquisme est contraire à l’Écriture aussi bien qu’à la tradition. — - Les textes de l’Écriture sont multiples, qui assignent à l’iiumanité du Christ, ; tel instant déterminé, une présence locale et, comme on dit, circonscriptiYe ; cf. Matth., xxviii, 6 ; Joa., vi, 3, 24 ; xi, 15 ; tandis que l’ubiquité est représentée comme un attribut distinguant Dieu de la créature. Cf. Jer., xxiii, 25 ; Ps. cxxxviii, 7 ; Sap., 1, 7. « Plusieurs articles du s mbole, cf. Bellarmin, c. XII, supposent que l’humanité du Christ n’est pas présente en tous lieux ; comment comprendre autrement la conception, la nativité, la mort, la sépulture, l’ascension du Sauveur" ? Pour les ubiquistes, tous ces articles doivent s’entendre de la manifestation de la présence du Christ en tel ou tel lieu donné, alors qu’en tous les autres elle restait invisible ; cette interprétation contredit les textes de l’Écriture et des Pères sur lesquels sont fondés les articles de notre symbole. » Bellarmin. op. cit., t. III, c. xii ; cf. J. de La Servière, La théologic de Bellarmin, Paris, 190 p. 61. De plus, les Pères tirent un grand argument contre les eutychiens du fait que, le corps du Christ n’étant pas en tout lien comme sa divinité, les deux natures doivent être distinctes. Que devient cet argument dans la théorie ubiquiste ? Bellarmin, c. xiv ; de La Servière, p. 62. — c) L’ubiquisme est condamné par ses conséquences logiques. — -Tout d’abord, admettre l’ubiquité de l’humanité du Christ, c’est nier la présence réelle, à laquelle cependant les luthériens ne veulent pas renoncer : « En etïet, dit Bellarmin, c. xiii. si la chair du Christ est partout, nous n’avons pas liesoin de l’eucharistie ; et il est bien inutile d’aller à l’église, de réciter les paroles de la cène, de se préparer à la communion, puisque, sans sortir de nos maisons, nous trouvons dans notre pain, dans notre vin, dans tous nos autres aliments, le corps du Christ. » Brenz répond « que, si le corps du Christ est partout vraiment, personnellement, quoique non localement, présent d’une présence céleste, il est présent à la cène par définition et précepte divin, le Christ ayant, par sa parole, décrété et défini où il voulait qu’on distribuât son corps et son sang aux communiants. » De duabus naturis, p. 21. Luther donne une réponse analogue, Dcjensio verborum cœnie, t. xxiii, p. 149. Seule, cette communion est elhcace..vec cette théorie, conclut Bellarmin, c. xiii, on tombe en plein calvini&me. « Si je ne reçois rien à la cène qui n’existe également en dehors de la cène, si ce n’est une efficacité spéciale du corps du Christ, je ne reçois pas vraiment ce corps du Christ, mais seulement une vertu particulière émanant de lui. » De La Servière. op. cit.. p. 62. Mais l’ubiquisme ruine surtout la.doclrine de l’incarnation, i : Enlever à l’humanité du Christ son être corporel et terrestre, ponr lui attribuer, avec Brenz, l’excellence, la majesté, la beauté de Dieu même, c’est manifestement changer l’humanité en divinité, et dé truire tout le ni stère de l’incarnation, « Bellannin, c, XXX, Cette conclusion de Bellarmin est pleinement justifiée. Poussé jusqu’à sa dernière formule logique, l’ubiquisme admet que l’union hypostatique consiste dans la communication des propriétés : cette formule le place dans l’alternative de choisir, comme explication finale de l’incarnation, entre le nestorianisme ou le monophysisme. Le nestorianisme, si la nature divine et la nature humaine sont envisagées comme concrètes et préexistantes à la communication réciproque de leurs propriétés. Le monophysisme, si l’on considère que, par cette mutuelle communication, les deux natures perdent respectivement leurs propriétés pour revêtir les propriétés l’une de l’autre. Brenz oscille entre ces deux extrêmes que la logique lui impose. Dans le De majestate Domini nostri Jesu Cliristi ad dexteram Dei Patris, et de vera præsentia… in cœna, Francfort, 1563, il enseigne que l’union hypostatique résulte de ce que le Fils de Dieu a répandu ses dons et ses propriétés sur le fils de Marie, et dès lors, comme le remarque Bellarmin, op. cit., i. III, c. i, d’un seul coup, on enseigne le nestorianisme et l’eutychianisme. Brenz espère amortir la conséquence nestorienne en affirmant que « l’union du Fils de Dieu avec le fils de Marie n’est pas, comme chez les autres hommes, une union passagère, transitoire, mais qu’elle est permanente et consiste en ce que Dieu confère au fils de l’homme toute sa majesté et l’orne de tous les dons célestes et divins, onmem majesiatem suam conférât, omnibus suis rselestibus ac divinis donis omet. En réalité, il oppose la conception eutychienne à la conception nestorienne, mais ne résout pas la difficulté. La conciliation apparente des éléments contradictoires de l’ubiquisme, tentée par Chenmitz, et reproduite, dans la Formula concordise, par l’énumération des trois sortes de présence possible pour le corps du Christ (présence corporelle, spirituelle, céleste), voir plus haut, n’est pas en réalité une solution : les difficultés restent entières, en ce qui concerne l’état de glorification. On comprend dès lors que certains théologiens luthériens aient été amenés logiquement à nier, soit la réalité de la nature liumaine après l’ascension, tel Flacius Illyricus ; soit la réalité de la nature divine, le Christ n’étant qu’un homme, doué de la conscience divine, cette conscience divine étant l’être vrai de Dieu en lui. En effet, en exagérant la doctrine de la communication des idiomes, et en attribuant à la nature ce que la logique et la vérité attribuent à la seule personne, les luthériens semblent vouloir réduire la nature humaine du Christ à une simple apparence, renouvelant en cela l’erreur gnostique, voir col. 463, et contredisent par là à la fois et la vérité historique et le dogme traditionnel de l’incarnation. Si le Christ a paru visiblement dans le ntftndc, en tel endroit déterminé, à tel moment fixe et si sa vie s’est écoulée avec toutes les apparences extérieures de la vie naturelle de l’iiomme ; si, en un mot, tous les états de son humanité ont été des réalités, il faut bien admettre que ces réalités humaines ne s’expliquent en lui qu’à la condition de dift’érencier le divin de l’humain. Or, l’ubiquisme, tout en maintenant verbalement la distinction des natures, comporte l’attribution, en raison de l’union hypostatique, à la nature humaine, des propriétés de la divinité : l’humanité du Christ, d’après cette doctrine, devrait être simultanément partout, et toutes les circonstances de sa vie, conception, naissance, enseignements, souffrances, mort, ascension, auraient eu lieu simultanément et, à l’endroit où elles se passaient, d’une manière visible et corporelle, et partout, d’une manière invisible et céleste. N’est-ce pas là une affirmation contradictoire et ne de%Tait-on pas en conclure que la présence du Christ et son action en un lieu

déterminé n'étaient qu’une présence et une action apparentes, une illusion de la vulgaire raison qui admet que le lieu d’une chose est le lieu où cette chose apparaît ? « Cette opinion, remarque à bon droit le protestant Hase, op. cit., p. 256, introduit quelque chose de magique et de faux dans la vie de Jésus, puisque toutes les circonstances oii il paraît agir humainement sont réduites à de pures apparences, ou, pour parler plus clairement et plus loyalement, la personne du Christ est réduite à un fantôme gnostique. De là, il résulte évidemment que le dogme tend à entrer de plus en plus en contradiction directe avec la réalité historique. » L’incarnation ne serait eu réalité qu’une théophanie de plus, analogue aux théophanies de l’Ancien Testament. D’autre part, les imaginations auxquelles fatalement aboutissent les dogmatisants de l’ubiquisme, si manifestement en contradiction avec les données historiques, ne peuvent manquer d’amener une réaction tout aussi funeste pour le dogme de l’incarnation. Devant l’impossibilité d’expliquer l’union hypostatique par la communication réelle des attributs divins à l’humanité, il faut, si l’on veut sauvegarder la réalité de cette humanité, nier l’union physique du Verbe de Dieu à Jésus-Christ : » Une fois la sagesse des sociniens décidée, dit encore Hase, op. cit., ]). 236, à laisser monter un homme au ciel et à l’adorer, toutes les théories imparfaites des anciens Pères de l'Éghse et toutes les imaginations fantasques des anciens hérétiques ont reparu ; les rationalistes ont fini par avoir le courage de déclarer ouvertement que le 'Christ n’est qu’un homme. »

Sur l’ubiquisme, consulter spécialement Dorner, Enlwickelangsgeschichte dcr Lchre uon der Person Christi, Berlin, 1854, t. ii ; Fr. J. Stahl, Die lutlierische Kirche und die Union, Berlin, 1860 ; H. Sclimid, Die Dogmalik dcr evang. - hiUierischen Kirche, Francfort-sur-le-Meln, 1876 ; H. Schultz, Die Lehre uon der GôWxeil Christi, Gotha, 1881 ; Nitzsch, Lehrbuch der euangelixchen Dogmalik, Fribourg, 1892 ; Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. m ; art. Ubiquildt et Communicatio idiomatiim, de la Realencyclopâdie fiir prolesl. Théologie ; Ubiqiiildlslehre, da Kirehenlexikon.

L’erreur de Hardouin et de Bernnjer.

Au

xvine siècle, le P. Hardouin, voir t. vi, col. 2042-2046, et son disciple le P. Berruyer, voir Dictionnaire de la Bible de M. 'Vigouroux, t. ii, col. 1627, tous deux de la Compagnie de Jésus, proposèrent une théorie de l’union hypostatique à tendances rationalistes et nestorieimes. Cette théorie, aujourd’hui tombée dans le plus complet oubli, mérite cependant une attention particulière, tant à cause de la façon dont elle était formulée, que » arce qu’elle est l’antécédenl logique des théories plus modernes de Giinther et des rationalistes. Elle a été formulée par le P. Hardouin dans son Commentarium in NoDuni Testamentiim, Amsterdam, 1741. misàTIndex, le 28 juillet 1742. Le P. Hardouin d’ailleurs était mort depuis douze ans, lorsque son commentaire fut publié. Mais c’est surtout le P. Berruyer qui reprit la thèse de son maître, dans la H"- partie de son llistoirs du peuple de Dieu, publiée en français, Paris, 1753, suivie des cinq dissertations latines qui forment le t. viii et contiennent l’exposé didactique et la défense de la théorie. La II' partie de V Histoire du peuple de Dieu fut mise ù l’Index le 17 avril 1755 ; elle avait d’ailleurs été publiée à l’insu des supérieurs du P. Berruyer et sans doute du P. Berruyer lui-même. Dictionnaire de la Bible, t. ii, col. 1628.

1. Exposé.

Abusant de la comparaison <le la greffe entée sur le tronc, ces auteurs exposent que l’humanité du Christ doit Être considérée comme un véritable sujet uni au Verbe : elle garde donc toutes les pro priétés de l’hypostase proprement dite. Dans son union et en vertu même de son union avec le Verbe, elle doit être considérée in recto comme étant le Christ, le Fils de Dieu : sccundum veram et germanam generationis filiationisquc rationem, in propositionc cujus subjectum et pncdicatum in recto est sanctissima Christi humanitas compléta Verbo in génère subsistendi, Jésus Christus Dominas nosier uere dici potest et débet naturalis Filius Dci, Dei, inquam, ut vox illa, Deus, supponit pro Deo une et vero, subsislente in tribus pérsonis, agente ad extra, et per actionem transcuniem et liberani uniente humanitatem Christi sanctissimum primo conceptionis suæ inslanti, cum persona unu divina, in unitate personæ, Diss. H, p. 48. Trois assertions sont à relever dans cette déclaration : a) Le sujet et l’attribut de cette proposition : Jésus-Christ est le Fils naturel de Dieu, c’est, considérée in recto, l’humanité même du Christ en tant que complète dans sa subsistence par son union au Verlie ; b) Jésus-Christ, c’està-dire cette humanité, est le Fils naturel de Dieu, selon la vraie notion de la filiation et de la génération ; c) Jésus-Christ est le Fils naturel de Dieu, de telle façon que Dieu signifie ici Dieu dans son unité et sa trinité, agissant ad extra et, par une action libre et transitive, unissant, dès le premier instant de sa conception, l’humanité sainte du Christ avec la personne divine. — De ces principes on doit déduire les conclusions suivantes, qui éclairent la structure de tout le système -.a) Il j' a donc, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, deux filiations naturelles : l’une existant dans la personne du Verbe, par rapport au Père ; l’autre réalisée dans l’humanité de Jésus, physiquement unie à la personne du Verbe, ibid., p. 49-50 ; logiquement Berruyer devrait admettre que cette deuxième filiation' existe par rapport au Père, au Verbe, à l’Esprit-Saint, c’est-à-dire par rapport à toute la Trinité : la filiation de Jésus-Christ n’est-clle pas, en etïet, conséquente à l’action ad extra de la Trinité dans l'œuvre de l’incarnation ? Mais il évite cette conclusion inadmissible, en rappelant que l’action transitive ne dépend pas des trois personnes comme telles, mais des trois personnes dans leur communauté de nature et d’action. De même que la création, commune aux trois personnes, est cependant rapportée purement et simplement à Dieu, de’meme le Fils de Dieu est tel par rapport à Dieu, subsistant en trois personnes sans doute, mais considéré dans sa nature et comme agissant ad extra. Quoniam autem non a tribus pérsonis agentibus, quatenus sunt a se invicem distinctæ, sed qualenus unus sunt nutura Deus, peracta est mundi créât io, ideo Deus simpliciter dicitur mundi creator. Non est crgo secundum legitimam prædicandi rationem Jésus Christus, sive Trinitatis, sivc Iriuni personarum, sive suiipsius, sive Spiritus Sancti Filius ; vrrum Filius ncduralis et est et proprie dicitur Dei unius in tribus pérsonis subsistenlibus quidem, sed secundum naturam speclati et ad extra agentis, p. 50-51. Cf. Défense de la seconde partie de l’Histoire du peuple de Dieu contre les c(domnies d’un libelle intitulé : Projet d’instruction paslonde, Avignon, 1755. — b) Dieu le Père, par rapport à.Jésus-Christ considéré dans son humanité, est donc Père jiar simple appropriation : recte, sed per appropriationem, ut aiunt, Deus Pater, sive prima persona, dicitur Pater Jesu Christi, liominis-nvi, Dei et Filii, quenwdmodum recte dicimus : Credo in Detim Palrem omnipotrntem. creatorem rccli et terrœ… C’est en ce sens que soivent, dans l'Évangile, Jésus-Christ, Homme-Dieu et Fils de Dici, cmploie l’expression : Père..Jésus-Christ, Homme-Dieu, pourrait donc être appelé l’ils naturel de Dieu, sans que cette apiiellation impli(|iil pour autant les dogmes de la trinité et de l’incarnation, ce dernier constitué par la vérité atlirniant l’union de

la seconde personne de la Trinité avec l’humanité : Fateor ista dogmata duo non includi lormaliier et explicite in nolionc Filii Dci, qimlis a nobis describitur aut deftnitur. Dans l’hypothèse où Dieu, tel que les Juifs le connaissaient, c’est-à-dire un Dieu unique et personnel, mais sans la trinité des personnes, se serait uni une humanité afin de racheter le genre humain pécheur, cette humanité unie à Dieu, JésusChrist, devrait encore être dit et cru Fils véritaljle et naturel de Dieu : oporterct (crcdi) rcvclanti Dco, Jesum Christum esse venim naliiralemque Dei Filium, per vcram et pbysicam unionem. sanctissima ; suie humanitatis cum Deo sic cognito et rcuclalo in unilalem personie, p. 76-78. — c) Il n’y a cependant pas deux Fils en Jésus-Christ, mais un seul, dont la filiation est doublement justifiée : Per aclionem unientem, … fil ut secundae personis divinis, qaæ prius erat Filius Dei, propter generationem œternam, sub alia ratione denominetur in tempore Filius Dei propter generationem temporalem, sive aclionem Dei ad extra, qua humanilas Christi unila est hijpostatice personæ uni divinie. Cette dénomination nouvelle affecte directement l’humanité en tant qu’unie au Verbe et devenue par son union l’humanité du Verbe, complète dans sa subsistance à l’instar d’une hyposlase. — d) Ces dernières paroles nous amènent à la conclusion philosophique qui est à la base du système de Berruyer : l’humanité en Jésus-Christ est une quasi-hypostase, en raison de son union avec le Verbe divin. On peut lui accorder les attributs du suppôt : expliquant le texte de l'Épître aux Romains, i, 3, De Filio suo qui factus est ei (Deo) ex semine David secunduni carnem, Berruyer s’exprime ainsi : Verba, ut jacenl, in obvio et nalivo sensu nulla formidine inlerpretare de Jesu Christo Deo et homine, qui ex semine David per Mariam in Filium suum derivato, factus est in tempore Deo uni et vcro Filius secundum carnem ; intcHige dicta instar supposili et in masculino génère de sanctissima Christi humanitate, quæ superveniente Spiritu Sancto in Mariam, et virtute Altissimi ei obumbrante, conjuncta est in tempore cum persona una divina, unione reali, phijsica et substantiali in unitatem personæ et individuam societatem naturee, p. 109. On trouve les m’emes formules dans Hardouin, Comment. N. T., Rom., i, 4. — e) Relativement à la sainte Vierge, Hardouin et Berruyer admettent pleinement le titre de mère de Dieu. Marie est mère de Dieu en raison de la double filiation du Verbe incarné, Berruj^er, op. cit., p. 55 ; filiation du Verbe et filiation de l’humanité unie liypostatiquement au Verbe. L’affirmation touchant la maternité divine de Marie est orthodoxe, mais les raisons de cette maternité auraient dû conduire leur auteur à concéder à la sainte Vierge une maternité divine d’honneur dans le sens nestorien. Voir plus loin. Évidemment de telles assertions ne trouvent pas de fondement dans l'Écriture ni dans la tradition, et cependant Berruyer est obligé de rendre compte des affirmations si précises de la sainte Écriture touchant la filiation divine en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il le fait en expliquant que les attributs et toutes les dénominations qu’accorde à Jésus-Christ l'Évangile, concernent en réalité l’humanité, entendue comme on vient de V exposer. Eo sensu intelligendasuntonmia… quæ de Jesu Christo Filio Dei a scriptoribus sacris in tertia persona narrantur aut pronuntiantnr ; omnia nul fere omnia quæ in illorum scripiis de scipso Jésus Christus Filius Dei in prima persona loquens dixisse perhibctur. p. 90. Cf. p. 3, 4, 5. Aucun attribut, même celui de Fils de Dieu, qui ne concerne donc l’humauité du Christ, en tant qu’unie au Verbe : tous ou presque tous les prédicats qui, d’après l’interprétation traditionnelle, ne conviennent au Sauveur qu’en raison de sa divinité, se vérifient directement dans son hu manité sainte. D’après Berruyer, ce sont tous les auteurs du Nouveau Testament qui ont parlé de Jésus en ce sens, p. 8 ; et les textes de saint Jean, Joa., i, en entier, et I Joa., v, 7, font à peine exception, p. 105. L’exégèse de Berruyer part de ce principe absolu, auquel il n’ai)porte pas ou presque pas de tempérament : Dico propositiones fere omîtes quæ sunt de Jesu Christo in Scripturis sanctis Xovi præsertim Testamenti, habere pro objecta in recto Ilominem-Deum, sive humanitatem Christi in Verbo subsistentem. Dico insuper omnes et singulas ejusmodi propositiones a Christo Dei Filio et a Deo Christi Pâtre et a scriptoribus.'sacris prolatas semper et ubique vcrificari directe et primo in Homine-Deo, sive in humanitate Christi divinitati unita et Verbo compléta in ratione personæ. nisi, quando propositiones quæ habent pro subjecto in recto compositum illud Iheandricum, habent pro præaicato attribuium aliquod, quod vel naturæ divinæ, ut natura divina est, vel naturæ humanæ, ut est natura humana, essenlialiter convenit, v. g. Jésus Christus est Deus, Jésus Christus est homo. Reliquæ, quotquol sunt, et laies sunt fere omnes, verificantur in Jesu Christo Hominc-Dco, quia mixtæ sunt et résultant ex unione facta in tempore humanitatis Christi sanctissimæ cum persona una divina in unitatem personæ : quod est scriptorum omnium Novi Testamenti objectum in recto fere perpetuum, ). 18-19. Quant à la tradition, Berruyer entend bien être d’accord avec la tradition primitive : l’appellation de Fils de Dieu chez les premiers chrétiens n’avait pas d’autre sens que celui qu’il lui accorde. Au temps où écrivait saint Jean, Filius, selon l’usage courant, signifiait, en parlant de Jésus-Christ, l’humanité unie au Verbe. Voilà pourquoi saint Jean, pour rappeler l’incarnation, ne dit pas Filius caro factus est, mais Vcrbum caro faclum est, p. 195 ; voilà pourquoi aussi, dans la formule trinitaire du baptême, c’est le mot Filii et non Verbi qui est employé, afin de bien désigner ici que l’on entend parler de l’humanité sainte de Jésus, p. 150-154. Même sens dans les doxologies : per Dominum nostrum Jesum Christum Filium tuum, etc., ou dans les formules du signe de la croix ou des bénédictions, p. 154155. De plus, sur ce point, la doctrine des Pères est difficilement appréciable et le P. Berruyer semble plutôt l’esquiver. Cf. Legrand, op. cit., col. 831-834. 2. Critique.

Toutes ces interprétations des textes scripturaires et des formules de la tradition catholique sont fantaisistes. Non seulement elles sont contraires au sens véritable de l'Écritureetauxdonnées traditionnelles, mais elles aboutissent, dans l’interprétation des formules, à des conclusions si évidemment fausses, qu’elles sont par là même condamnées. Si, en effet, dans les formules scripturaires et traditionnelles, le terme Fils de Dieu, par exemple, doit être toujours entendu de l’humanité de Notre-Seigneur dans le sens où l’explique Berruyer, que faudra-t-il entendre par l’Esprit-Saint, dont l’invocation termine ces formules ? La formule du signe de la croix : in nomine Palris, etc., signifiera nécessairement : au nom de Dieu subsistant en trois personnes, qui est Père du Christ, en tant qu’il a uni l’humanité au Verbe, et du Fils, c’est-à-dire de la très sainte humanité du Christ, qui, par son union avec une personne de la Trinité, est devenue le Fils de Dieu, et du Saint-Esprit. On se demande quelle peut être ici l’acception de ce dernier terme de la formule. Legrand, op. cit., col. 831. La faculté de théologie de Paris, en censurant plusieurs propositions de Berruyer, en 1762, a noté sévèrement son système d’interprétation des formules scripturaires et traditionnelles : on trouvera l’exposé des considérations théologiques des censures portées dans Legrand, op. cit., col. 857-893. Mais la principale des considérations est que le système d’in

terprélatioii de Berruyer énerve singulièrement les preuves scripturaires du dogme de la trinité et du dogme de l’incarnation. Berruyer admet lui-même implicitement cette conclusion, puisque, pour lui, Jésus-Christ, Homme-Dieu, pourrait être appelé Fils de Dieu, sans que cette appellation impliquât les dogmes de la trinité et de rincarnation. Voir plus haut. Voir, dans la censure de la faculté, les propositions 43 et 138. Sur le vrai sens du terme Fils de Dieu, voir ce mot, t. v, col. 2386 sq. Mais, en nous tenant sur le terrain strictement théologique du problème de l’union hypostatique, les critiques à formuler contre le système de Berruyer peuvent se résumer sous trois chefs principaux.

a) Le concept philosophique de l’humanité unie au Verbe est équivalent chez Berruyer au concept de l’hypostase ou de la personne. L’humanité est un véritable sujet auquel on attribue légitimement les qualités même divines : c’est, comme on le dit habituellement, en résumant d’un mot la conception de Berruyer, un quasi-suppôt, une quasi-hypostase ou personne. Il s’en faut de si peu que ce soit un véritable suppôt, une hypostase ou personne complète, que l’on ne voit pas bien ce qui manque en réalité à l’humanité de Jésus-Christ pour être une personne. La logique devrait conduire Berruyer à admettre la dualité de personnes en Jésus-Christ, tout comme elle le conduit à admettre une double filiation, ^'oi^ la censure de la proposition 21, qui résume la doctrine de Berruyer sur ce point, proposition notée par la faculté de Paris, comme fausse, erronée, téméraire, entachée de superstition, scandaleuse et conduisant au nestorianisme ; par certains côtés, la thèse de Berruyer incline vers l’arianisme, parce qu’elle enlève aux arguments traditionnels leur valeur démonstrative en faveur de la consubstantialité du Fils, c’est-à-dire du Verbe, et vers le sabellianisme, parce qu’elle enlève aux mêmes arguments leur valeur démonstrative relative à la distinction des trois personnes consubstanticlles. - — b) Le concept de la filiation divine, tel que le propose Berruyer, est complètement en dehors de la tradition théologique. Des définitions de l'Église contre l’adoptianisme, voir t. i, col. 419, il résulte que « la filiation naturelle de Jésus-Christ… a. a pour unique fondement la génération éternelle du Verbe, celui-ci gardant son titre de Fils dans toute nature qu’il daigne s’unir ; b. constitue Jésus-Christ le Fils naturel du Père seul, et non point de la Trinité ; c. due uniciuement à la propriété personnelle du Verbe et non à l’union hypostatique, cette filiation disparaîtrait si, au lieu du Verbe, le Saint-Flsprit ou le Père s'était incarné ». Quant à l’opinion subsidiaire défendue par certains théologiens, tels que Suarez, De incarnatione, disp. XLIX, sect. i, n. 5 ; sect. ii, n. 24 ; Vasquez, In Sum. S. Thomæ, III », disp. LXXXIX, c. xiv, et qui consiste à considérer en Jésus-Christ deux filiations naturelles, bien que non condamnée, elle ne saurait être admise. Voir.'doptianisme, t. i, col. 420. A plus forte raison faut-il rejeter l’opinion de Berruyer, phis accentuée encore dans ses formules. — c) Dans l’opinion de Suarez, le défaut d’extranéité dans la nature humaine par rapport au Verbe (en raison de l’union hypostatique ) exclut toute possibilité d’interpréter la filiation quant à la nature humaine dans le sens d’une filiation adoptive. Mais dans l’opinion de Berruyer, cette possibilité, non seulement n’est pas exclue, mais elle semble l’aboutissant logique des prémisses posées. Jésus-Christ est Fils naturel de Dieu en raison de l’action ad extra, commune aux trois personnes divines, et qui unit la nature humaine au Verbe. Cette action nd rxlra semble bien être l’unicpie lien de la divinité à l’humanité dans l’incarnation. Telle n’est pas la doctrine catholique, qui attriliuc sans

doute à la Trinité, comme cause efficiente, l'œuvre de l’incarnation, mais qui enseigne formellement que seule la deuxième personne de la Trinité s’est incarnée : ce que les théologiens expliquent en rappelant que la personne du Verbe divin seule termine l’incarnation en assumant l’humanité à son être personnel. Voir col. 507, et Incarnation. L’opinion de Berruyer ne semble laisser au Verbe aucun rôle particulier dans l’incariialion : celle-ci résulte del’action commune des trois personnes. Sans doute, elle maintient l’union personnelle dans les formules qu’elle emploie, mais elle n’en rend pas suffisamment compte. L’union entre la divinité et la sainte humanité du Christ semble bien n'être qu’une union morale à la façon de Nestorius : on ne voit pas ce qui différencie les relations de la Trinité et de l’humanité de Jésus et les relations de la Trinité et de l'âme juste. Bien d'étonnant que cette opinion ait été qualifiép sévèrement par Benoît XIV et par Clément XIII. Benoît XIV, dans son bref du 17 février 1758, condamna la deuxième partie de l’Histoire du peuple de Dieu, comme contenant des propositions’irespectivement fausses, téméraires, scandaleuses, favorisant l’hérésie sinon hérétiques », et Clément XIII, avec termes identiques, censura la troisième partie par son bref du 2 décembre 1758, en déclarant que la « mesure du scandale était comble ». La Sorbonne censura pareillement 74 propositions (1702-1764). Cf. de Backer, Bibliothèque des écrivains de la C’f de Jésus ; Schôrckh, Christliche Kirchengeschichte, t. vii, p. 181 ; Schsetzler, Das Dogma von der Menschwerdung, Fribourg-en-Brisgau, 1870, p. 201 sq.

Gûnther.

Avec la thèse de Berruyer, expliquant

l’union hypostatique sans relation explicite au mystère de la sainte Trinité et avec la seconde personne de la Trinité, la porte était ouverte au rationalisme. L’action divine ad extra, fondement de cette union, semble la réduire à la proportion d’une union simplement morale. C’est sur ce dernier point, tout particulièrement, que l’introduction de la philosophie moderne dans la théologie accentuera l’explication purement dynamique de l’union hypostatique, et fera de Jésus un homme, semblable aux autres hommes quoique plus iiarticulièrcment uni à Dieu par la grâce qui l’inonde. Toutefois, entre Berruyer et Giinther, le point de départ et l’aboutissement de cette évolution, il faut signaler un théologien aujourd’hui bien oublié, le P. Stattler, jésuite, qui, dans ses polémiques antikanliennes et ses essais de conciliations avec le protestantisme, esquissa le premier d’une façon précise la théorie de l’union dynamique. On trouvera sa thèse exposée dans sa Theologia theoreticn christiana. Eichstadt, 1760, à l’Index, décret du 10 juillet 1797. Cf. Scliætzler, op. cit., 1870, c. xiv. Mais c’est Giinther, voir t. VI, col. 1992 sq., qui donna â cette théorie sa forme plus précise et définitive, sous laquelle elle fut directement condamnée par l'Église.

1. Exposé.

Le fondement de la théorie de Giinther se trouve dans la conception moderne de la personnalité, constituée par la conscience de soi. Voir Hypostase, col. 431. Dans le Christ, Giinther distingue deux consciences, la conscience divine et la conscience humaine, donc deux personnalités. L’union entre la divinité et respril ( Gcis/) de rinimanité est conçue comme celle de l’csiirit et de l'âme (Scele) dans le composé humain. Voir Formk nu corps humain, t. VI, col. 561-562. C’est par la continuité des deux consciences, dont l’inférieure (la conscience humaine) est pour ainsi dire enveloppée et absorbée jiar la supérieure (la conscience divine), que s’explicpie l’unité de personne dans leCJirist, unité non numérique, mais lormelle, dijnnmicn-organique, quc Giinther jiréscnte comme le constitutif de Vuninn hypostatique. Cette explication amène Giinther à d’autres conséquences,

iiotaniiueiiL en ce qui contenie l’iiupeccabilité du Christ. Sur ce dernier point, voir Jésus-Christ. On trouvera exposé le système de Giinther principalement dans son ouvrasse : Vorsclm[e zur spcculaliven Théologie des posiliven Christenthums, t. ii, Incarnationsthéorie, Vienne, 1829.

2. Critique.

On a déjà relevé, voir Hypostase, col. 433, les conséquences erronées de la conception moderne de la personnalité constituée par la conscience de soi. En réalité, c’est établir en Jésus-Christ deux personnes réelles, unies par la simple continuité des consciences. N’est-ce pas là le nestorianisme, sous une forme nouvelle ? Giinther s’en défend, et les disciples de Giinther renchérissent sur cette défense. — a) Tout d’abord, le dualisme nestorien, à leur avis, accentuait beaucoup plus, en Jésus-Christ, la séparation des natures, jusqu'à faire des deux natures deux personnes véritables. Giinther, au contraire, s’efforce de ramener le duaJ'^iiie des natures à l’unité de la personne. De plus, affirme Giinther, l’erreur de Nestorius consistait surtout à nier l’union hypostatique au moment de la conception du Christ. Or, nous avons vii, cf. col. 534, que cette dernière assertion est inexacte, Nestorius ayant admis l’union de la divinité et de l’humanité dès le premier instant de la conception du Christ. La seule différence qui subsiste entre le giinthérianisme et le nestorianisme réside donc en ce que Giinther ajoute à l’union morale du nestorianisme l’union dynamico-organique des deux consciences se continuant et se superposant dans le Christ. Mais cette addition, relativement à la constitution intime de la personne du Christ, est totalement inefficace. Ontologiquement, il n’y a donc aucune différence entre la conception de Nestorius et celle de Gunther. — b) Gûnther fait grand cas du progrès de la philosophie pour détourner de sa thèse les anathèmes autrefois portés contre le nestorianisme. Si l'Église, au temps de Nestorius, a défini sa foi en se servant de formules qui paraissent contraires à la doctrine proposée par Giinther, c’est que les concepts philosophiques dont elle disposait étaient alors insuffisants. C’est précisément parce que la philosophie contemporaine a fourni une nouvelle conception de la personnalité, qu’il est permis de trouver dans une formule philosophique différente l’expression même du dogme de l’incarnation. Vorschule, t. ii, p. 283. Cf. Vacant, Éludes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1898, t. ii, n. 839. Cette affirmation de Giinther semble supposer que le dogme varie ses formules selon les systèmes philosophiques qui se succèdent au cours des âges : erreur pernicieuse qui ferait de la philosophie, dans l’expression des vérités religieuses, la maîtresse de la théologie, alors qu’elle n’en est, en réalité, que la servante. Voir Dogme, t. iv, col. 1602 ; Vacant, op. cit., n. 842. La prétention de Giinther a d’ailleurs été directement signalée et condamnée par Pie IX, bref Eximiam tuam, 15 juin 1857, Denzinger-Bannwart, n. 1656. — c) Baltzer, Neue theologische Briefe an Dr Anton Gûnther, Breslau, 1853, p. 162-163, invoque en faveur de l’opinion de son maître un prétendu symbole « approuvé » au concile de Chalcédoine. Voir le texte dans Mansi, t. vi, col. 889. Ce symbole semble exclure, en effet, l’unité numérique en Jésus-Christ pour ne laisser subsister qu’une unité morale. Cf. Knoodt, Giinther und Clemens, Bonn, 1854, p. 325. On y affirme que nous croyons en un seul Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, entendant par là principalement le Verbe, Dieu et Seigneur, mais entendant aussi avec lui Jésus de Nazareth, que Dieu a marqué de son esprit et de sa vertu, pour le rendre participant, par cette union au Verbe, de sa filiation et de sa puissance. Ce symbole, loin

d’avoir été approuvé (ainsi que le pensait Knoodt) au concile de Chalcédoine, a été formellement condamné. Ce symbole altéré était l'œuvre de Théodore de Mopsueste, cf. Walch, Ketzergeschichte, Leipzig, 1769, t. v, p. 354 ; il avait été répandu par les nestoriens et apporté au concile d'Éphèse par le prêtre Charisius, qui le lut au cours de la VI « session, Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. ii, p. 331, afin de le faire condamner. La condamnation fut portée en termes non équivoques, déclarant soumis aux anaIhèmes du concile quiconque, évêque, clerc ou laïque, croira ou enseignera les doctrines renfermées dans la profession apportée par le prêtre Charisius touchant l’incarnation du Fils unique de Dieu… Ce symbole, lu derechef au pseudo-concile appelé le Brigandage d'Éphèse, fut en fin de compte, avec les actes du pseudo-concile, évoqué devant le concile de Chalcédoine, qui devait juger la cause de Dioscore. Voir t. iv, col. 1373-1374. Si Théodore de Mopsueste sembla trouver une grâce apparente devant le concile de Chalcédoine, le V « concile œcuménique se chargea de parfaire la condamnation déjà portée à Éphèse. Voir session VI « , Mansi, t. ix, col. 229. Sur la condamnation de Théodore, voir Franzelin, De Verbo incarnato, p. 210-213 ; Pirot, op. cit., p. 304, 322. — d) De même, dans la x « lettre, Baltzer invoque, avec aussi peu de droit, l’autorité de saint Anselme. Saint Anselme avait écrit : In Christo Deus est persona et homo est persona, nec lamen duæ sunt persona :, sed una persona. Car Deus homo, c. vi, P. L., t. clviii, col. 278. Mais on a vu plus haut, col. 511, combien l’interprétation nestorienne doit être éloignée de ce texte. Saint Anselme représente, au xiie siècle, la plus pure tradition cathofique.

3. Condamnation.

La doctrine de Giinther et de ses disciples, renouvelant en fait l’hérésie nestorienne, ne pouvait qu'être condamnée par Rome. Une première condamnation générale fut portée contre le giinthérianisme par une mise à l’Index des ouvrages du maître, le 8 janvier 1857. Giinther se soumit le 13 janvier. Mais le souverain pontife, tout en marquant sa joie de la soumission de Giinther, dut préciser dans la suite quels points étaient répréhensibles, au point de vue de la foi, dans les doctrines condamnées en bloc. On a vii, à propos des éléments constitutifs de la nature humaine. Forme du corps humain, t. vi, col. 562-563, les documents qui précisèrent la condamnation globale. Au sujet de l’incarnation. Pie IX se contente d’affirmer, dans son bref au cardinal de Geissel, archevêque de Cologne, que le dogme de l’incarnation n’est pas correctement exposé par Gunther : in compertis pariler habemus, neque meliora, neque accuraliora esse, quæ traduntur de sacramento Verbi incarnati deque unitate divinæ Verbi personæ in duabus naturis divina et humana. Denzinger-Bannvrart, n. 1655. L’indication est sommaire, mais suffisante, puisque l’erreur giinthérienne aboutit précisément à la négation de l’unité numérique de la personnalité en Jésus-Christ. Voir également le bref Dolore haud mediocri, 30 avril 1860, dirigé principalement contre Baltzer, et adressé à l'évêque de Breslau. Denzinger, 10e édit., n. 1513.

Le concile du Vatican se proposait d’anathématiser les erreurs christologiques de l'école giinthérienne. Il convient de signaler le projet de constitution dogmatique relatif au mystère de l’incarnation et les canons projetés contre l’explication de Giinther.

a) Schéma rcformatum constitutionis dogmaticae. de doctrina catholica. Caput VI. De mijsterio Verbi incarnati.

(N. 2.) Sicut in SS. TriniDe même que dans la très tate très personae distinctse sainte Trinité les trois perin una subsistunt natura, ita sonnes subsistent en une na

in Christo, contra una divina persona in duabus subsistit naturis distinctis et divcrsis. Ex qiio quidem sccunduni SS. Patrum admonitionem intelligant onincs oportet, cssenti », substantise seu natur » notionem cum notione hypostasis, sabsistentise seu personse minime confunden(lam ; ne cum manifesta sacratissimorum dogmatum subversione tôt semper dicantinesse personse, quot sint intellectuales, sive ut loquuntur sui consci » natura ^. CoUeclio Lacensis, t. vii, col. 559.

b) Canones (Projet).

Can. 2. Si quis negaverit liumanam Cliristi naturam ita Deo Verbo esse unitara, ut Verbum in ea tanquam sibi propria facta subsistât.

Can. 3. Si quis unam personam Jesu Christi tanquam plures complectentem intelligat, duasquc in mysterio Christi personas introducat, divinam et liumanam, quae nexii indissolubili inde a conceptione conjunctæ uiiani personam compositam efficiant, a. s.

Can. 4. Si quis dixerit tôt necessario esse personas, quot sunt intellectus et voluntates ; aut negata duplici in Christo persona negari humana ! naturae pcrfectionem, a. s. Jbid., col. 566.

ture unique, ainsi, à l’inverse, dans le Christ, une seule personne divine subsiste en deux natures distinctes et diverses. Aussi cst-il nécessaire que tous retiennent, d’après la doctrine même des Pères, que la notion d’essence, de substance ou de nature ne doit en aucune façon être confondue avec la notion d’hypostase, de subsistence ou de personne, de peur que l’on n’en arrive à affimier — ce qui serait la négation des dogmes les plus sacrés — qu’il y a autant de personnes qu’il existe de natures intelligentes ou, selon l’expression des novateurs, conscientes de soi.

Si quelqu’un nie que la nature humaine du Christ soit imie au Verbe de façon que le Verbe subsiste en elle comme en une nature qu’il a faite sienne, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un comprend l’unique personne de Jésus-Christ comme renfermant plusieurs (sujets) et, par là, introduit dans le mystère du Christ deux personnes, l’une divine, l’autre humaine, qui, dès l’instant de la conception unies parun lien indissoluble, forment une seule personne composée, qu’il soit anathème.

.Si quelqu’un dit qu’il y a nécessairement autant de personnes qu’il y a d’intelligences et de volontés ; de telle sorte que refuser au Christ la personnalité humaine, c’est lui enlever la nature luunaine co-nplète. qu’il soit anathèmc.

Rosmini.

A pioprement parler, Rosmini n’a

pas de système cliristologique. Sa théorie de l’union h ypostatique a été simplement esquissée en fonction de son système pliilosophique général, à l’occasion d’un commentaire sur le i’^"’chapitre de l’Évangile de saint Jean. Il faut néanmoins accorder à cette esquisse quelque attention puisqu’elle a été expressément réprouvée par l’Église, dans la réprobation de la proposition 27 « extraite des œuvres de Rosmini, et condamnée par le Saint-Ollice, le 14 décembre 1887. Voir Denzinger-Bannvvart, n. 1917.

1- Lxposé. — Pour comprendre la pensée de Rosmini, il faut se rappeler qu’il accorde aux créatures deux existences, l’une objective, l’autre subjective. L’existence objective, existence non pas seulement idéale, mais réelle, est celle que Us créatures possèdent dans le Verbe de Dieu, et en ce sens le Verbe est cette matière invisible dont le livre de la Sagesse, xi, 18, dit que toutes choses oui été faites, prop. 19. Dcnzinger-Uannwart, n. 2019. Par l’existence subjective, les créatures possèdent un être particulier, distinct de l’être du erbe. Kosmini suppose cette assertion fondamentale, lorsque, à propos de l’action surnaturelle (le l’cuc-haristic dans les Ames, il aborde an préalable le problènie de l’union hypostatique. J.’inlroduzione rirl Vant/clo seconda diouaniri cnmmrnlala, Turin, 1882, Icz.ione lxxx, p. 279 sq. D’après cette théorie générale, l’humanité du Christ existait, avant

l’incarnation, dans le Verbe ; mais comme elle n’y était que selon son existence objective, à l’instar de toutes les autres créatures, elle n’était pas unie au N’erbe hypostatiquement : « L’existence objective des créatures est réelle par le Verbe, mais elle ne l’est pas dans les créatures elles-mêmes, dont l’existence propre est exclusivement subjective ; ainsi les créatures peuvent exister dans le Verbe, et elles sont le Verbe liii-mOme, sans cependant exister encore en elles-mêmes. Par là, les créatures, en raison de leur existence objective, ne sont pas en elles-menies, et, lorsqu’elles existent subjectivement, le Verbe ne les renferme pas nécessairement, bien qu’il les iiossède objectivement et que l’existence objective et l’existence subjective soient deux modes du même être. De telle façon que, pour que le Verbe « assume » à lui et s’unisse une créature intelligente considérée dans l’être qu’elle possède en soi, il ne sullit pas qu’il la possède objectivement, bien que réellement, en lui-même, mais il est nécessaire qu’il s’unisse subjectivement à cette créature, ou, pour mieux dire, qu’il unisse cette créature subjectivement à lui-même », p. 280. Comment expliquer l’union selon l’être subjectif, rincarnalion’? « Il faut considérer que c’est le propre de l’Espril-Saint d’agir dans le sujet, puisque l’Esprit s’unit comme principe actif à la volonté humaine. La volonté humaine, dans cette union avec riCsprit. s’élève jusqu’à la reconnaissance pratique de l’être, et par-dessus tout, de l’Être absolu, ce qui constitue la sanctilication de l’homme. Or, il semble que l’on doive croire que dans l’humanité du Christ la volonté humaine lut tellement ravie par t’Esprit-Saint dans l’adhesion à l’Être objectif, c’est-à-dire au erbe, qu’elle lui a cédé entièrement le gouvernement de l’homme. Le Verbe a pris ainsi personnellement ce gouvernement et, par là, s’est //icarné. La volonté humaine demeurait avec les autres.puissances subordonnée à cette volonté, au pouvoir du Verbe, et le Verbe, premier principe de cet être théandrique, accomplissait toutes clioses ou les faisait accomplir par les autres puissances, avec son consentement. Ainsi la volonté liumaine cessa d’être personnelle dans l’homme, et ce qui constituait dans tes autres hommes la personne demeura dans le Christ simple n(Uure. » Prop. 27". C’est ainsi cpic s’explique l’union hyjiostatiquc, dont la réahsalion est vraiment l’œuvre du Saint-Esprit agissant dans riuimanité du Christ.

2. Critique.

I>n réalité, l’explication de Rosmini, alistraction faite de la thèse erronée de l’ontologisme qu’elle recouvre, ressuscite, sous une autre fornie, l’hérésie nesloriennc. L’union li jiostatique n’est plus l’union substantielle, pliysiquc. réelle, selon la subsistence, LaO’J-o^Tajtv, telle que l’ont définie les conciles et proposée les Pères de l’Église ; mais c’est une union accidentelle, par l’accord des volontés, selon la grâce, union purement morale et qui laisse subsister en Jésus-Christ les éléments physiques constitutifs de deux personnes comidètes. Aussi est-ce à juste litre que la proposition <|uc nous avons soulignée dans le texte a été réprouvée. D’autre jiart, rexplication de Rosmini laisse entrevoir une confusion d’être et de facultés, ime suppression de la volonté humaine ou tout au moins de ses fonctions, tpii touche de près au monophysisme ou au monolhélisme. Cf. Didiot, La fin du rosminiunisme, dans la Revue des sciences ecclésias’tiques, 1888, p. 120.

La théologie protestante contemporaine.

Xous

n’avons pas à nous occuper de la théologie protestante qui a versé dans le pur rationalisme. Celle théologie a existé, de tous temps, dans l’Église réformée, depuis les sociniens. voir ce mot, jusqu’aux rationalistes contemporains. Le rationalisme, sous toutes ses fornu’s, ))rocède de la philosophie hégélienne : il

nie la divinité du Clirisl et explique par l’illusion personnelle de Jésus, par la négation des paroles attribuées parl’Évanpileà Jésus, pardes infiltrations étrangères dans la rédaction des livres inspirés, et par mille autres hypothèses aussi peu adniissibles, le fait historiquement rapporté des alfirmations touchant la divinité du Messie. Sur les interprétations rationalistes de la vie et de la personne du (Jirist, voir Jésus-Chkist. Nous ne pouvons évidemment considérer ici que les doctrines maintenant les deux termes extrêmes de l’union hypostatique, l’élément divin et l’élément humain en Jésus. Ces deux termes ne sont niés ni par les protestants conservateurs, ni même par les libéraux. Mais les premiers prétendent admettre sans restriction la personnalité divine de Jésus, tandis que les autres se tiennent sur un terrain doctrinal moins assuré et plus mouvant. Tous d’ailleurs rejettent les formules d’Éphèse et de Chalcédoine. La christologie orthodoxe trouve à peine un protestant instruit pour la défendre dans sa forme traditionnelle. Cf. Fr. Loofs, Wliat is the truth about Jésus Christ, Edimbourg, 1913, p. 184. Le dogme défini à Chalcédoine n’est de nature, dit-on, à satisfaire ni le cœur ni la tête. Kirpatrick, dans Dictionary of Christ and the Cospel, 1906, t. I, Incarnation, p. 812 ; cf. Mackintosh, The doctrine of thepcrson of Jésus Christ, Edimbourg, 1912 ; W. Sanday, Christologies, Oxford, 1910, p. 54-55. Rejetant les formules catholiques de l’union des deux natures en une seule personne, tout en prétendant en maintenir le sens dogmatique, les protestants ont dû trouver des systèmes plus en rapport avec la philosophie moderne. La définition de la personne jjar la conscience de soi jouera ici un grand rôle. VoirHYposTASE, col. 431.

1. Le protestantisme libéral.

Le protestantisme libéral se rapproche du rationalisme, en ce sens qu’il ne reconnaît pas en Jésus-Christ un être divin proprement dit. Dieu, Jésus ne l’est pas ; mais, grâce aux effusions incomparables des faveurs divines dans son âme, il s’est élevé à un degré de perfection inégalalde par les autres hommes, et, par rapport au Christ, définitive. C’est par ce concept de perfection surhumaine, due à l’influence de la grâce divine, que le protestantisme libéral d’un Auguste Sabatier se différencie du pur rationalisme. Jésus a été la parfaite image du Père, et « voyant Dieu son Père dans le miroir filial de la plus belle âme qui fut jamais, conscient de le connaître et de l’aimer plus et mieux que ceux qui l’entouraient, indigné du rigorisme littéraliste que les Pharisiens imposaient aux hommes sous couleur de garder la Loi, sentant en lui-même une force et une ardeur capables de changer le monde, le Maître Nazaréen a pu sans blasphème dire ce que les Évangiles lui font dire et prendre les attitudes qu’ils lui prêtent… Jésus n’a été qu’un homme, mais l’homme dans le cœur duquel s’est révélé le plus complètement le cœur paternel de Dieu. » Ainsi résume la position de Sabatier, dans l’art. Jésus-Christ, du Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, M. de Grandmaison. Cette explication de l’élément divin en Jésus-Christ a été reprise et accentuée par M. Harnack. Conscient de sa haute valeur personnelle, Jésus, dans la pensée de M. Harnack, s’est donné aux hommes pour le médiateur universel, le juge suprême et le consolateur de l’humanité. La communication qu’il faisait de ses dons aux hommes manifestait, à la lumière des expériences quotidiennes, la gloire que le Père lui avait donnée et la puissance dont il l’avait comblé. L’essence du christianisme, trad. franc., 1907, p. 176. On trouvera dans l’article de M. de Grandmaison des indications suffisantes relativement à cette thèse, admise par MM. Wernle, Die Anfànge unserer Religion, Tubingue, 1904 ; Julicher, Die Religion

Jesu, dans la collection Die Kultur der Gegenwart, Leipzig, 1906, t. i, fasc. 4 ; W. Boussct, Jésus, dans la collection des Religionsgeschichlliche Volksbûcher, Tubingue, 1904 ; A. Meyer, Jésus, dans Unscre religiôsen Erzieher, Leipzig, 1908, t. i ; W. Heitmiiller, Jésus, Tubingue, 1913 ; II. Weinel, Jésus, dans la collection Die Jilassiker der Religion, Berlin, 1912, etc. Il nous suint présentement de retenir la doctrine esquissée par ces différents auteurs pour la juger en fonction du dognie catholique de l’union hypostatique. Qu’ils le veuillent ou non, les protestants libéraux sont obligés de faire de Jésus-Christ, à l’instar des rationalistes, un prophète, plus grand, meilleur, plus inspiré que ses prédécesseurs, mais à coup sûr homme comme eux et tout autant qu’eux. L’union de cet homme avec la divinité s’explique simplement par la grâce céleste qui inonde son âme et lui communique des dons extraordinaires. C’est dans ce sens qu’ils sont obligés d’interpréter les textes, rapetissant la figure de Jésus à des proportions simplement humaines. Objectivement, la personne du Sauveur n’apparaît plus en réalité, dans ce système, composée de deux éléments essentiels, l’un divin, l’autre humain ; mais elle est toute absorbée dans l’humanité, l’élément divin étant constitué par une faveur, une grâce extrinsèque, en somme, à la constitution intime de Jésus. Nous retombons ainsi dans le nestorianisme. Ou bien, s’ils veulent éviter cette conclusion funeste pour la divinité du Sauveur, les libéraux sont obligés de voir en Jésus une transcendance véritable. Mais, ne voulant pas aller jusqu’au bout des conclusions où devrait les amener la logique, ils se refusent à suivre les catholiques jusque dans la confession des deux natures en une personne, ils font du Christ une personnalité d’un genre particulier. Ainsi le Messie nous apparaît comme dépassant l’humanité sans toutefois arriver à égaler la divinité. Compromis qui se rapproche singulièrement des anciens concepts ariens, apollinaristes et monophysites. Tant il est vrai que, lorsque l’on abandonne la voie traditionnelle, il faut nécessairement tomber dans les excès que la tradition catholique a précisément rejetés.

2. Le protestantisme conservateur.

On prétend ici sauvegarder la divinité même du Verbe unie à l’humanité de Jésus, mais on veut en expliquer l’union ineffable, en se dégageant des voies tracées à Éphèse et à Chalcédoine. Trois systèmes principaux sont en présence : la kénose, la subconscience, l’influx divin. Ici encore, il est intéressant de voir comment les erreurs modernes ne sont que la reproduction des anciennes conceptions hérétiques.

a) La kénose. — On étudiera ce système en un article spécial. Présentement, nous n’en dirons que ce qui se rapporte immédiatement à la question de l’union hypostatique. Le principal appui du système est le texte aux Philippiens, ii, 7. On en discutera le sens à l’art. Kénose. Mais ce texte n’est qu’un appui ; en réalité, il n’est pas à la source de la doctrine de la kénose. L’origine première de la kénose est la difficulté de concevoir deux natures complètes unies en une seule et même personne. Parmi les solutions données à ce problème (lequel est en réalité le problème de l’union hypostatique), une des solutions possibles était de concevoir une des deux natures amoindrie afin de pouvoir être complétée par l’autre et former avec elle un tout unique. Cet amoindrissement équivaut à un véritable dépouillement, à une kénose. La kénose est donc au fond de la théologie christologique d’Arius, voir col. 468, d’Apollinaire, voir col. 469, et, en général, des monophysites, voir col. 477. La doctrine de l’ubiquisme, voir col. 542, contribua beaucoup à introduire le système de la kénose dans le protestantisme. Dans l’état d’humiliation, c’est.

avons-nous vii, la /-fj’^ ;  ;, c’est-à-dire l’usage secret, ou la LÉvwa’.ç, c’est-à-dire la complète abstention, qui explique en Jésus la présence de la divinité. Les protestants modernes ont repris cette thèse générale de Chemnitz, sous diverses formes. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1912, t.n, noteK, et Kénose. Mais au lieu que ce soit, comme dans l’ancienne exégèse luthérienne de Phil., ii, 7, l’humanité qui s’efface, il s’agit, dans la moderne kénose protestante, de l’effacement de la divinité ; le sj-stème, envisagé simplement au point de vue théologique et relativement à la seule union hypostatique, est inadmissible, car à la fois il supprime l’union substantielle des deux natures dans le Christ et il altère la véritable notion de la personnalité. Il supprime l’union substantielle des deux natures, en impliquant « un mélange d’où résulte une nature nouvelle qui est pour ainsi dire la combinaison des deux autres. Or, le fini ne peut pas se combiner avec l’infini, si ce dernier ne perd momentanément son infinité. » Prat, loc. cit., p. 241. Au fond du système de la kénose, c’est donc le monophysisme que l’on retrouve. L’immutabilité divine oppose à ce système une réelle difficulté, que résolvent les partisans de la kénose en répondant « ou bien que nous ne savons pas en quoi l’immutabilité divine consiste, ou bien que Dieu peut faire tout ce qui n’est pas inconciliable avec son caractère moral, autrement dit avec sa sainteté ». Ibid. Cf. d’après le P. Prat, J. A. Dorner, Ueber die richtige Fassung des dogmatischrn Begrifjs der Unvcranderlichkeit Gottes, mit besondenr Beziehung auf das gegenseitige Verhâltniss zwischen Gottes ûbergeschichtlichem und geschichtlichem Leben, dans Jahrbùchcr fur deutsche Théologie, 1856, t. i, p. 361-416 ; Die neiirren Lûugnungen der Unverandcrlichkeil des personlichen Gottes, 1857, t. ii, p. 440500 : Die Geschichte der Lehre von der Unveranderlichkeil Gottes bis auf Schleiermacher nach ihren Hauplzûgen historisch-kritisch dargestellt, avec deux répliques à Dorner par Liebner, Christologisches, ibid., t. iii, p. 349-366, et par Hasse, Ueber die Unvertinderlichkeit Gottes und die Lehre von der Kenosis des gôttlichen Logos mil Rûcksicht auf die neuesten christol. Verhandlungen, ibid., t. iii, p. 366-417. En second lieu, ce système altère la véritable notion de la personnalité : « Une certaine philosophie identifie la personne avec la conscience ; la perte de la conscience (du sentiment du moi) équivaudrait à l’anéantissement de h personne. Dès lors il est impossible d’admettre deux consciences dans un même sujet, car deux consciences seraient deux personnes. Il n’y a donc pas dans le Christ une conscience divine et une conscience humaine ; il n’y a qu’une conscience divine ou une conscience humaine. Mackintosh l’affirme crûment et comme une vérité incontestable : There iverc nol in him (Christ) Iwo consciousnesscs or tivo wills, but the unity of his personal life is fundamental. Expositorg limes, t. XXI, p. 107. Avec ce principe, on ne peut échapper à la kénose, à moins de dire que l’humanité est absorbée dans la divinité. » Prat, op. cit., p. 242.

b) La subconscience. — Cette théorie a été mise en relief par M. W. Sanday, principalement dans Christologies ancient and modem, Oxford, 1910. Dans l’esquisse christologique de M. Sanday, « il n’est plus question de personne ni de natures : concepts scolastlques, massifs, usés ! A leur place, la conscience pscholoRique, avec ses deux étages : conscience, claire lumière maîtrisée et moralement constante, mais appauvrie ; simple aiguille indicatrice d’actions plus profondes ; — semi-conscience intermittente, lueurs vives projetées de temps en temps par le fonds subliminal où se cache et agit l’élément divin présent dans l’âme humaine. Cette double conscience répond aux deux couches de puissances superposées dans le

moi total. En lui s’étagent les acquisitions superficielles du premier moi : connaissables, exprimables, mais précaires et vite épuisées ; et au-dessous, les ressources immenses, inappréciables, et partiellement ineffables, du moi subconscient. Le Moi superficiel du Christ, tel qu’il se connut et s’exprima, fut entièrement, exclusivement humain. Mais de temps en temps, la Déité présente à son Moi subliminal s’impliqua, se fit jour confusément dans certaines paroles que la conscience humaine collective, par un procédé obscur et subconscient, lui aussi, mais certain, interpréta dans le sens plénier que pressentait peut-être, mais que n’exprima ni ne connut nettement Jésus deNazareth. » L. de Grandmaison, Bulletin de littérature religieuse moderne, dans les Recherches de science religieuse, t. ii, p. 197-198. Sur le système de M. Sanday et les critiques qu’il soulève, voir en entier cet article de M. de Grandmaison, dont on résume ici les conclusions. Ce système suppose en premier lieu, de la part du Verbe, la kénose : « Notre-Seigneur Jésus-Christ, en s’incarnant, assuma cette impuissance. Il ne pouvait pas, par suite d’un acte propre et délibéré d’abnégation, arborer pour ainsi dire sa divinité. Il savait que la condition qu’il assumait ne permettait qu’une certaine mesure ^ans la manifestation de lui-même. » Christologics, p. 178. — En second lieu la psychologie même du Christ exige, en raison de la perfection de l’activité humaine en Jésus, que l’on restreigne le plus possible (si tant est qu’elle ait jamais existé) cette activité s’exerçant dans le domaine, éclairé par intermittance, de la conscience subliminale. Une telle activité, en effet, n’a dans l’organisme qu’un rôle secondaire et conditionné par les faiblesses et les imperfections des facultés humaines. — En troisième lieu, il faudrait conclure : « 1° que Jésus fut Dieu sans le savoir, de cette connaissance certaine et claire qui lui eilt permis une alTirmation du fait ; que notre jugement sur lui dépasse par conséquent le jugement qu’il pouvait porter, et porta en réalité sur sa personne ; 2° que notre profession de foi : « Jésus est Dieu », si elle vise Jésus de Nazareth, doit s’expliquer ainsi : au-dessous du Moi superficiel, conscient, intégrant le Moi humain total, s’étendait un Moi profond, ineffable, subconscient, lieu et siège d’une « Déité »  » en continuité avec l’infini de la Divinité ». Christologics, p. KHi. Toutefois, ce qui était divin dans le (Jirist, n’était pas soustrait à la vue au point d’être totalement noyé et submergé dans la nuit de l’insconscient. Il y avait une sorte d’échelle de Jacob par laquelle les forces divines rassemblées en bas trouvaient une issue, ]ionr ainsi dire, jusqu’à l’air libre… » Ibid., p. 166. Ainsi la vie de Jésus était toute humaine, mais " dans ses racines les plus profondes, en continuité avec la vie de Dieu même », p. 167, 168. De Grandmaison, loc. cit., p. 202203. La deuxième conclusion a le grand tort, en su))primant les notions traditionnelles de nature et de personne, d’être formulée en des ^nétaiihores, qii, si elles étaient prises à la lettre, nous conduiraient à concevoir le cas du Christ, dans son union avec Dieu, comme « un cas majeur, privilégié », divin, « mais au fond du même ordre que celui de tout homme sincèrement religieux », c’est en quelque sorte un retour déguisé au nestorianisme. Objectivement d’ailleurs la substitution de la notion de conscience psychologique à la notion de personne doit aboutir aux erreurs dogmatiques que l’on a signalées à Hypostasi-, , coI.4.’{5. « Nous verrons dans le Christ incarné <leux moi juxtaposés ou superposés…, nous sommes confrontés à deux sujets d’opération, deux res))onsabIes, deux consciences, deux personnes ! Pour fuir le mystère implirpié dans la formule traditionnelle, n’cst-on pas acculé à un inconcevable dualisnie ? » De Grandninison. loc. cit., p. 205. La première conclusion contredit

d’ailleurs tout ce que l’histoire nous apprend du (Christ : « Ce n’est pas cette ixiiasedu Christ que nous renvoient les documents scripturaires. J.a glorification du Christ ressuscité n’est jamais représentée comme révélant à Jésus lui-même sa divinité. Elle est, pour les Onze et les autres discijjles, une preuve, un signe, un témoignage hors pair de la vérité de la mission du Maître. Le travail d’interprétation, attribué à son Esprit, s’opère en eux, non en lui. Dans tous nos Evangiles, non seulement (c’est trop évident) dans l'Évangile de Jean, mais dans les Sj’noptiques, Jésus est toujours représenté comme sachant d’où il vient, où il va, et les restrictions, les lenteurs, l'économie imposée à la manifestation de ce qu’il est, sont volontaires et réfléchies. » De Grandmaison, loc. cil., p. 206207.

c) L’influx divin. — « Parlant du mystère de la Trinité et observant justement que la notion de " personne » appliquée à ce mystère est fondée sur les relations des Termes divins, M. (Reinhold) Seeberg pense que la « divinité » de Jésus a été constituée par un influx, une énergie, ime sorte d' « idée force » divine, faisant, de l’homme Jésus de Nazareth, l’organe de Dieu, son instrument pour la fondation sur terre du royaume des cieux. Jésus n’eut d’autre personnalité que son humaine personnalité ; mais la volonté personnelle de Dieu collaborait de telle sorte avec la sienne, que la vie de Jésus devenait, en quelque manière, une seule chose avec la volonté personnelle de Dieu. » De Grandmaison, art. Jésus-Christ, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, t. ii, col. 1395. Cette conception se rapproche beaucoup de l’antique hérésie de l’adoptianisme, que M. Seeberg traite d’ailleurs avec faveur. Lchrbuch der Dogmengeschichtc, Leipzig, 1913, t. ra, p. 53-58. Voir les idées christologiques de M. Seeberg dans son ouvrage, Die Grundwahrhcilen der christlichen Religion, Leipzig, 1910, et dans le mémoire, Wer war Jésus ? dans Aus Religion und Geschichte, Leipzig, 1909, t. ii, p. 226 sq. La conception de M. Loofs, dans ses articles Christologie, Kenosis, de la Realencijklopadie fur jirot. Théologie, et surtout dans la dernière lecture de What is Ihe truih about Jésus Christ ? p. 228-241, est plus vague encore : « La personne historique du Christ a été une personne humaine, seulement himiaine, mais enrichie, transformée par une inhabitation de Dieu ou de l’Esprit de Dieu, d’un caractère unique, qui restera inégalée à jamais et a fait de Jésus « le Fils de Dieu », révélateur du Père et initiateur d’une liumanité nouvelle. Un écoulement, une effusion, une inhabitation divine analogue, mais inférieure, sera le lot final de ceux qui sont rachetés par le Christ. » De Grandmaison, loc. cit., col. 1395. « En résumé, pouvons-nous conclure avec le même auteur, les théories " continentales » (il s’agit des théories émises ailleurs qu’en Angleterre) des protestants conservateurs abandonnent carrément ce que l'Église catholique a toujours considéré comme la pierre d’angle du dogme de l’incarnation. Pour les auteurs (qu’on vient de citer) et ils font autorité dans leurs Églises, la personne de Jésus ne fut qu’une personne humaine. Un influx, un don, une effusion de l’Esprit de Dieu survint, analogue à l’inspiration prophétique, mais d’une espèce plus haute, d’une richesse plus large, et ainsi créatrice de prérogatives plus singulières. Jésus est un homme divinisé, d’une façon mystérieuse, mais capable de lui conférer la dignité de « Fils de Dieu » et les pouvoirs conséquents que nous connaissons par les Écritures. A proprement parler, il ne faudrait pas dire : « la divinité du Christ », mais « la Divinité dans le Christ ». Pour bien faire, il ne faudrait plus adorer le Christ, mais Dieu dans le Christ, col. 1395.

Ces indications, trop sommaires pour donner une idée de la christologie protestante contemporaine, qui sera étudiée à Jésus-Christ, sont néanmoins suffisantes en ce qui concerne le point précis de l’union hypostatique. A sacrifier les formules traditionnelles, les protestants en arrivent linalement à nier complètement, sinon le mystère de l’incarnation, du moins le dogme catholique de l’union hypostatique.

7 » Le modernisme. — On a vu à Hypostase, col. 432, comment le modernisme reprend les formules rationalistes de l'école gûnthérienne relativement à l’exl )ression à donner au dogme. Mais le rationalisme <iui est à la base de cette conception a trouvé chez les modernistes une formule nouvelle qui est à la base de tout le système. La révélation, pour le moderniste, n’est plus, à l’origine, qu’un étal subjectif et naturel, une impulsion, une lumière relatives au royaume du ciel, à sa nature, à son avènement. Sur ces données imprécises, la conscience chrétienne élabora les premières formes du dogme, et ce travail tout naturellement se porta sur la personne même du Christ : » Les Actes, dit II programma der modernisti, p. 81-83, se faisant l'écho de l’enseignement chrétien primitif, décrivent Jésus comme un homme auquel Dieu a rendu témoignage par les miracles, les prodiges, les signes qu’il a opérés par son entremise. Act., II, 22. Il est le Messie ; sa mort ignominieuse lui a conféré la gloire céleste et il doit revenir pour inaugurer son royaume. Voilà la foi naïve et intense des liremiers disciples. Mais le Christ a appelé les membres de la famille humaine fils de Dieu et s’est donné comme leur modèle. Il est le Fils de Dieu par excellence, d’après la synonymie que la tradition messianique établissait entre ce titre et celui de Messie… Mais re qui marque le point culminant de cette élaboration, c’est la traduction du concept hébraïque du Messie par le concept platonicien du Logos ; c’est l’identification du Christ, tel qu’il était apparu aux âmes attendant dans l’angoisse la rédemption d’Israël, avec la notion abstraite, gennée en terre hellénique de l’intermédiaire cosmique entre l'être suprême et le monde ; c’est la transcription, pourrait-on dire, de la valeur morale et religieuse, inhérente à une conception hébraïque, inintelligible pour le monde gréco-romain, en langage alexandrin, lui conservant ainsi la même valeur éthique et religieuse », p. 70 sq. Le dogme de l’incarnation et a fortiori le dogme de l’union hypostatique ne sont ainsi que le résultat des élaborations successives de la pensée chrétienne réfléchissant sur elle-même. Les formules dont l'Église s’est servie, se sert encore actuellement, pour exprimer sa croyance, ne sont pas des énoncés irréformables : elles ne sont que l’expression plus ou moins heureuse des expériences religieuses des chrétiens ; et il faut les considérer comme « soumises à un travail perpétuel d’interprétation, où la lettre qui tue est efficacement contrôlée par l’esprit qui vivifie… L'évolution incessante de la doctrine se fait par le travail des individus, selon que leur activité réagit sur l’activité générale. » Loisy, L'Évangile et l'Église, p. 158, 174. Sur cette conception générale de l'élaboration des dogmes dans la théologie moderniste, voir le décret Lamentabili, prop. 20 « , 21, 22', Denzinger-Bannwart, n. 2020-2022. Cf. J. Lebreton, Modernisme, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, t. iii, col. 675-685, et Mgr H. Quilliet, L'évolution et le modernisme, § 2 et 3, dans les Questions ecclésiastiques, , p. 219 sq., 325. D’où il suit que les formules christologiques élaborées avec des notions empruntées à des systèmes philosophiques périmés ne sont plus adaptées à l'état de la science moderne. Voir Hypostase, col. 433.

Au début, le dogme de l’union hypostatique se

résout dans la conscience que le Christ possède de sa qualité de Messie, fils de Dieu. Mais cette conscience n’implique pas la conscience de la divinité unie à l’humanité. « La divinité de Jésus n’est pas un fait de l’histoire évangélique dont on puisse vérifier critiquement la réalité, mais c’est la définition du rapport qui existe entre le Christ et Dieu, c’est-à-dire une croyance dont l’historien ne peut que constater l’origine et le développement. Cette croyance appartiendrait à l’enseignement de Jésus, et l’historien devrait le reconnaître, si le quatrième Évangile était un écho direct de la prédication du Sauveur, et si la parole des Synoptiques sur le Père qui seul connaît le Fils, et le Fils qui seul connaît le Père, Matth., xi, 27 ; Luc, x, 22, n’était pas un produit de la tradition. Mais le quatrième Évangile est un livre de théologie mystique, où l’on entend la voix de la conscience clirétienne, non le Christ de l’histoire, et j’ai expliqué, dans l’Évangile et l’Église, p. 45, 46, pourquoi le passage de Matthieu et de Luc a chance d’être un fruit de la spéculation théologique, l’œuvre d’un prophète chrétien, comme le quatrième Évangile. » A. Loisy, Autour d’un petit livre, p. 330. Le Christ historique s’est toujours personnellement distingué de Dieu et n’a pas eu conscience d’être Dieu. C’est la théologie postérieure qui a superposé la christologie de saint Jean, fruit d’une spéculation étrangère à la conscience du Christ, à la christologie des Synoptiques. « En soi, le dogme est une construction doctrinale que le théologien est enclin à interpréter comme une réalité psychologique, sauf à créer, pour la circonstance, une psychologie spéciale, qui n’est pas une psychologie, puisqu’elle n’est pas fondée sur l’observation, mais sur des raisonnements dont le point de départ est une interprétation non historique de l’Évangile. Le théologien conçoit deux intelligences et deux volontés distinctes, on peut dire deux consciences qui sont comme superposées, avec pénétration réciproque, la conscience humaine étant entièrement subordonnée à la conscience d’être Dieu. On ne reconnaît, dans cette doctrine, ni la psychologie que laissent entrevoir les Synoptiques, ni la simple théologie de Jean, mais une combinaison des deux, avec prédominance de l’élément johannique. » Ibid., p. 148-149.

A l’origine de l’élaboration du dogme de l’union hypostatique, nous trouvons donc l’idée messianique, existant dans la conscience de Jésus, et manifestée par lui dans ses paroles et ses actes. Cette idée implique un rapport tout particulier d’union entre Dieu et l’homme Christ. Mais il n’est pas établi que ce rapport, quoique spécial et unique, dépasse l’ordre créé et humain et comporte une participation substantielle à la divinité. Puis, la conscience chrétienne, par une évohition graduée, aurait ajouté et superposé à cet élément primitif des éléments nouveaux et étrangers. « En premier lieu, saint Paul aurait imaginé que Jésus, non seulement avait été prédestiné éternellement à la dignité messianique, mais encore avait réellement préexisté au ciel avant de venir sur la terre. Jésus était l’homme céleste, I Cor., xv, 47-48, qui était prédestiné par Dieu et qui préexistait auprès de lui, pour venir, au temps marqué par la Providence, réparer la faute de l’homme terrestre, détruire le péché et ses suites, sauver le monde par la foi. i » A. Loisy, op. cit., p. 123, Dans un second stade, l’apôtre aurait fait du Christ, non « plus seulement l’agent médiateur du salut des hommes, mais l’agent intermédiaire de la création », p. 124. Philon avait essayé de relier le monde’.i Dieu par le Logos, idenlifié à la Sagesse de l’Ancien Testament. Paul assigne harlimenl cette plarc an Christ éternel, image « lu Dieu invisible, premier-né de toute créature, par qui et pour qui tout a été fait, en qui tout subsiste, premier

en tout, dans le monde physique, pour l’amener à l’existence, et dans le monde moral, pour rétablir, par sa mort et sa résurrection, la paix au ciel et sur la terre », p. 125. A son tour, l’auteur de l’Épître aux Hébreux représente le Fils comme la splendeur de la gloire divine et l’image de la substance incréée. Enfin, Jean complète l’idée de Paul, en découvrant, dans la vie de Jésus, la révélation même du Logos, du Verbe divin, p. 126. Désormais, on a « les éléments essentiels de la christologie ecclésiastique, la notion du Verbe incarné, du Christ Fils de Dieu et Dieu parce que Verbe fait chair en Jésus », p. 119. « Tout n’était l)as dit cependant, et la foi avait encore à trouver le moj’en de concilier entre elles la réalité de l’histoire évangélique, la théorie de Paul et celle de Jean, pour en faire un système coordonné », p. 126. « Ce fut l’œuvre des docteurs et des premiers conciles. Le travail entier de la pensée chrétienne, depuis Paul, Jean, Justin, Irénée, jusqu’aux derniers conciles qui ont fixé le dogme, tend à définir le rapport de prédestination et d’union qui rattache Jésus à Dieu. Le travail théologique n’a pas son point de départ en dehors de l’histoire, dans la spéculation pure ; car l’explication hellénique n’est pas prise à côté du fait initial ; elle s’appuie sur ce fait, elle coïncide avec lui ; on peut même dire qu’elle sort de lui… La modalité de la pensée johannique n’est pas juive, mais la substance de cette pensée était dans les Synoptiques, et la pensée des Synoptiques reflète ce qu’il est bienjiermis d’appeler la consciencepsychologiquede Jésus », p. 134.

De cet exposé succinct de la doctrine moderniste relativement à l’élaboration du dogme de l’union hypostatique, exposé que l’on emprunte à M. Lepin, Les théories de M. Loisy, Paris, 1908, p. 61-74, il résulte que, si le dogme christologique se produit bien autour du fait évangélique, il ne sort pas strictement de lui ; il le dépasse, il y ajoute des faits et des éléments nouveaux et étrangers. Il faut, dit à bon droit M. Lepin, enqiloyer les termes à rebours de leur sens ordinaire, pour prétendre, comme le faisait M. Loisy, qu’ « aucune solution de continuité ne se remarque entre le fait et son interprétation ». Tout au contraire, il apparaît bien que le Christ de la théologie n’est pas celui de l’histoire, mais lui est bien supérieur ; cf. décret Lamentabili, jirop. 29’; / « doctrine christologique que lions livrent Paul, Jean et les conciles de Nicée, d’Éphèse, de Chalcédoine, n’est pas celle que Jésus enseigna, mais celle que conçut de Jésus la conscience chrétienne. Prnp. 31. fin somme, le modernisme proclame équivalemment l’incompatibilité des données de l’histoire avec les définitions actuelles de la foi. Cf. Lepin, Christologie, Commentaire des propositions 27 « , 38" du décret du Saint-Office « Lamentabili », Paris, 1908 ; Jésus, Mr.< : sie et Fils de Dieu, Pnria, 1910, c. iii, IV, et appendice. Voir.Jésus-Christ.

IX. Lks coroli, mriîs df, l’union hypostatique. — On les indiquera brièvement en renvoyant aux articles spéciaux où ils seront étudiés.

La maternité divine de la sainte Vierge.

Tout

d’abord, le dogme de la maternité divine mérite une place à part, puisque c’est sa définition au concile d’Éphèse, cf. Éphèsk, t. v, col. 137 sq., par la consécration otTicielle du mot (-t^oToxo ; dans la terminologie ecclésiastique, qui a été le point de départ par voie de conséquence de la définition du dogme de l’union hypostatique. Voir, dans l’art. CvniM.r. p’-Xlexandrie (.Saint), les anathématismes et le symbole d’union, t. iii, col. 2509, 2511. A proprement » arlcr, le dofiine de la maternité divine est si intimement lié au dogme de l’union In-postalique, qu’il résume en lui toute l’économie de l’incarnation. Cf. S. Jean Damascène, r)e fuir orthodoxa, t. III, c. xii, P. G., t. xciv, col. I(128. Voir Marie.

2° La communiculion des idiomes et l’emploi des termes concrets et abstraits. — Voir Abstraits (Termes), t. I, col. 285-286, et Idiomes (Communication des),

t. VII.

La perfection de l’humaiiite unie à lu divinité.


Perfection dans l’ordre naturel, mais surtout dans l’ordre surnaturel : pour l’intelligence du Christ, science parfaite, voir Agnoètes, t. i, col. 587 ; vision intuitive, voir Jésus-Christ ; pour la volonté, impeccabilité jointe à une liberté certaine, ibid., et Rédemption ; perfection qui laisse subsister dans la nature humaine les imperfections requises par la mission rédemptrice du Sauveur, en particulier la passibilité. Voir Jésus-Christ et Rédemption.

4° Possibilité de l’accomplissement de cette mission rédemptrice. — D’une part, infériorité du Christ, considéré dans la nature humaine, par ra])port au Père, au Saint-Esprit et à lui-même, considéré dans sa nature divine : donc possibilité de satisfaire à Dieu. D’autre part, en raison de l’union hypostatique, satisfaction suffisante, c’est-à-d re de condignité. Voir Rédemption, Congruo (De), t. iii, col. 1145 ; Incarnation.

5° Dualité d’opérations en Jésus-Christ, en raison des deux natures, divine et humaine, et très particulièrement dualité de volontés. Voir Monothélisme. Mais, en raison de l’attribution des opérations au même sujet, Jésus-Christ, coordination nécessaire entre les opérations, soit dans l’ordre de la perfection morale, soit dans l’ordre de l’exécution, soit dans l’ordre de la satisfaction. Aussi les opérations de JésusChrist ne sont pas des opérations purement humaines si elles procèdent de la nature humaine, ou purement divine, lorsque, procédant de la nature divine, elles se rapportent à l'œuvre de l’incarnation ou de la rédemption : ce sont des opérations divino-humaines, voir Théandriques (Opérations). De ce principe général se déduit pareillement la doctrine concernant le sacerdoce et la prière du Christ. Voir Jésus-Christ.

6 » Unique filiation naturelle du Christ. — Le Christ, Fils de Dieu, Verbe incarné, est fils naturel et non pas adoptif de Dieu. Voir Adoptianisme, 1. 1, col. 408-413. On ne peut même pas concevoir en lui une double filiation naturelle, une par rapport à la génération divine, l’autre en raison de la naissance temporelle. Ibid., col. 420, et Jésus-Christ.

Adoration unique de Jésus-Christ.

Voir JésusChrist et Cœur sacré de Jésus (Dévotion au), t. iii,

col. 283-285, 293-298.

I. Ouvrages généraux.

1° Partie positive : Petau, De tbeologicis dogmatibus. De incarnatione, 1. III-VII ; Thomassin. Dogmata theologica. De incarnatione, I. III ; Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1900-1912 ; Scheeben, La dogmatique, t. V, trad. franc., Paris, 1882, t. iv ; Schwane, DogmengeschiclUe, Fribourg-en-Brisgau, 1892 ; R. Seeberg, Lelirbuch der Dogmengeschiclite, Erlangen et Leipzig, 1895 ; Loofs, Leitfaden zum Studium der Dogmengeschichte, Halle, 1893 ; Harnack, Lehrbiich der Dogmengeschiclile, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1893-1897 ; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907-1916 ; et, pour la partie du moyen âge, Bach, Die Dogmengeschichte des katholisclien Mittelalters, Vienne, 1873-1875. Les textes dans dom Maran, Divinitas Dom.ini nosiri Jesu C/iris(i, Wurzbourg, 1859, mais plus spécialement dans Diekamp, Doctrina Palriim de incarnatione Vprbi, lIunster-en-Westphalie, 1907 ; Cavallera, Thésaurus doclrinie catiioliciE ex documentis magisterii ecclesiastici, Paris, 1920, n. 659-781 ; et dans les Enchiridions de Denzinger-Bannwart et de Rouet du Journel. — 2° Pour la partie spéculative, la bibliographie sera donnée d’une façon complète à Incarnation, dans la nomenclature des ouvrages publiés sur ce dogme. Se référer aux indications données au cours de l’article.

II. Ouvrages spéciaux.

1° Sur la christologie antérieure aux discussions du v siècle : Dorner, Dic Lettre von der Person Clirisli, 2e édit., Stuttgart, 1845 ; G. Voisin, L’apollinarisme, Louvain, 1901, 111= partie ; La doctrine

chrialologique de saint Alltanase, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, t. i ; Dræseke, Apollinarios von Laodicea, dans Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1892, t. vii, fasc. 3-4 ; Lietzmann, Apotlinuris von Laodicea und seine Scluile, Tubingue, 1904 ; Baltzer, Christologie des ht. Hilarius von Poitiers, Rottwcil, 1889. — 2° Controverse nestorienne : L. Fendt, Die Christologie des Nestorius, Kempten, 1910 ; Bctliune-Baker, Ne.slorius and his teaching ; a fresli examination o/ the évidence uiith spécial référence to tite ncwty recovcred Apology of estorius, CaiTibridge, 1908 ; A. Rehrmann, Die Christologie des hl. Cyritlus von Alexandrien, Hildesheim, 1902 ; J. Mahé, Les anathémalismes de saint Cyrille et les évêques orientaux du patriarcat d’Antioclie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, 1906, t. vu ; M..Jugie, Nestorius et ta controverse ncstorienne, Paris, 1912 ; J. Labourt, Le christianisme dans l’empire perse, Paris, 1904, spécialement, c. ix ; Bertram, Theodoreti episcopi Cyrensis doctrina christologica, Hildesheim, 1883. — 3° Controverse monophysite, voir t. v, col. 1608-1609. — 4° Sur la christologie de saint Augustin : O. Scheel, Die Anschauung Augustins iiber Christi Person und Werh, Leipzig, 1901 ; C. van Crombrugghe, La doctrine christologique et sotériologique de saint Augustin et ses rapports avec le néoplatonisme, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, 1904, t. v. — 5° Théologie grecque postérieure aux controverses du v siècle : F. Loofs, Leontius von Byzanz, Leipzig, 1887 ; J. P. Junglas, Leontius von Byzanz, Paderborn, 1908 ; Ermoni, De Leontio Byzantino, Paris, 1895 ; W. Ruegamer, Leontius von Byzanz, Wurzbourg, 1894 ; J. Pargoire, L'Église byzantine de 527 à 754, Paris, 1905 ; Straunbinger, Die Christologie des ht. Maximus Confessor, Bonn, 1906 ; M. Peisker, Severus von Antiochen, Halle, 1903. — 6° Sur saint Jean Damascéne, voir ce mot. — 7° Sur la doctrine scolastique et particulièrement thomiste : Terrien, S. Tlmma' Aquinatis doctrina sincera de unione hypostatica Verbi Dei cum humanitate amplissime declarala, Paris, 1894 ; Sclnvalm, Le Christ d’après saint Thomas d’Aquin, Paris, 1910 ; Villard, L’incarnation d’après saint Thomas, Paris, 1908 ; Hugon, Le mystère de l’incarnation, Paris, 1913, principalement 111'= partie.

A. Michel.