Dictionnaire de théologie catholique/GRACE III. La grâce actuelle

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 200-226).

III. GRACE ACTUELLE.

I. Existence. IL Essence. III. Division. IV. Efficacité. V. Nécessité de la grâce actuelle pour l’homme justifié.

I. Existence.

Dans la première partie de cet article nous avons démontré l’existence de la grâce considérée en général, en entendant par là tout don interne et surnaturel, par lequel l’homme est rendu capable de faire des œuvres salutaires et de mettre en pratique les préceptes divins, dont l’observation est requise à l’obtention de la béatitude éternelle. Dans la seconde partie nous avons considéré en particulier ce don, qui est appelé la grâce sanctifiante : elle est habitat Ile et permanente, elle est pour l’homme à l’instar d’une nouvelle nature, d’où dérive, au moyen des vertus infuses, l’activité surnaturelle. Nous recherchons maintenant s’il existe des influences surnaturelles qui sont des impulsions dont toute la raison d’être consiste à mouvoir l’homme immédiatement et exclusivement à des actions salutaires.

1° L’Écriture sainte nous fait connaître l’existence de telles entités. —

1. Le Christ, parlant des adultes et de leur adhésion à son œuvre, dit : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’envoie ne l’attire. » Joa., vi, 44. Venir au Christ signifie ici croire, comme le Sauveur l’explique : « Il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient pas… C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a pas été donné par mon Père. » Joa., vi, 64, 65. Donc pour que l’homme croie au Christ il ne lui suffit pas d’entendre la prédication de la doctrine chrétienne, ni d’avoir cette connaissance et ces désirs qui peuvent résulter naturellement de cette audition, mais il faut que le Père l’attire. Il y a donc ici une influence divine, qui s’exerce dans l’intérieur de l’homme. Elle est expliquée par Jésus : « Quiconque a entendu le Père et qui a reçu son enseignement vient à moi. » Joa., vi, 45. L’influence divine, qui attire l’homme à la foi, comporte un effet produit dans son intelligence et l’éclairant sur la vérité. Cette conclusion est confirmée par cette parole : « Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. » Joa., vi, 45. Les assertions prophétiques, auxquelles Jésus fait allusion, se trouvent dans Isaïe, liv, 13, et dans Jérémie, xxxi, 34, et elles enseignent que l’économie messianique aura pour prérogative l’influence immédiate de Dieu, éclairant les intelligences humaines sur la vérité.

Cette même influence est affirmée encore dans les Actes, xvi, 13 sq. : « Le jour du sabbat, nous nous rendîmes hors de la porte, sur le bord d’une rivière, où nous pensions qu’était le lieu de la prière. Nous étant assis, nous parlâmes aux femmes qui s’étaient assemblées. Or, dans l’auditoire était une femme nommée Lydie : c’était une marchande de pourpre…. craignant Dieu, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu’elle fût attentive à ce que disait Paul. » Ici donc aussi la prédication est nettement distinguée de l’influence produite immédiatement par Dieu sur l’âme de Lydie : c’est cette influence qui la rend efficacement attentive et fait qu’elle comprend ce qui lui est prêché. Sans examiner à fond l’essence de cette influence divine, nous pouvons dire qu’elle est surnaturelle, d’abord pane qu’il s’agit d’une communication spéciale et d’un secours spécial de Dieu, secours qui n’est pas compris dans le concours général que Dieu doit à sa créature, ensuite parce que ce secours interne et spécial est donné précisément pour un acte salutaire et par conséquent appartient à l’ordre des dons surnaturels, comme nous l’avons démontré en établissant la nécessité de la grâce pour tout acte salutaire. Remarquons enfin cpie liniluence décrite est, de sa nature, transitoire, car elle est tout entière ordonnée à Yack de foi. Elle est encore réellement distincte de la grâce sanctifiante, puisqu’elle est donnée avant la justification.

2. L’influence divine, interne et intime, requise à la foi salutaire, est enseignée par saint Paul : « Moi j’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ainsi celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose ; Dieu, qui fait croître (est tout). » 1 Cor., iii, 6. Paul a rempli à Corinthe le rôle de celui qui plante : il a le premier prêché l’Évangile aux Corinthiens et a mis dans leurs âmes la semence de la foi ; après son dépari est arrivé Apollos, qui par sa prédication a, pour ainsi dire, arrosé ce que Paul avait planté. Mais de même que, pour la moisson naturelle, ceux qui plantent et ceux qui arrosent ne font pas autre chose que réaliser les conditions externes requises à la croissance, ainsi en est-il des prédicateurs pour la moisson spirituelle ; ils proposent ce qui est nécessaire à la foi, mais ils ne la produisent pas. La cause véritable de la croissance de la plante est sa force vitale interne qui lui est donnée par Dieu ; c’est encore l’influence interne et vitale donnée par Dieu, ou la grâce. Cf. Cornely, Commentarius in priorem Epislolam ad Corinlhios, Paris, 1890, p. 78. Dans la pensée de saint Paul, les prédicateurs de l’Évangile sont les coopérateurs, ayvepyoî, de Dieu dans l’œuvre de la sanctification des hommes : leur activité se termine à ce qui est extérieur à la foi et à la sanctification ; celles-ci sont l’effet du secours interne qui vient de Dieu. Ce secours n’est pas le concours général de Dieu, car il est dans l’ordre de la foi et de la justification, qui sont des dons gratuits et qui dépendent des mérites de Jésus-Christ, comme l’expose l’apôtre, Rom., m, 22-24 ; Eph., il, 8-10 ; ce sont des dons surnaturels comme nous l’avons démontré en exposant l’existence de la grâce considérée en général. Enfin ce secours surnaturel est actuel, c’est-à-dire qu’il est essentiellement ordonné et qu’il se termine à des actes qui sont requis préalablement à l’état de justification.

Dans les justes il est aussi une influence du Saint-Hsprit, qui détermine des actes, notamment des supplications. Rom., viii, 15, 26. C’est encore par cette influence que l’homme peut résister volontairement aux assauts de la concupiscence. Rom., vii, 5-vm, 5. La coopération des prédicateurs à l’œuvre de la conversion des hommes est, elle aussi, un cfïet d’une influence divine spéciale : « Ce n’est pas que nous soyons par nous-mêmes capables de concevoir quelque chose comme venant de nous-mêmes, mais notre aptitude vient de Dieu. » Il Cor., m. 5. Dieu, qui, parsa grâce interne, produit la foi dans les âmes, exerce encore son influence sur l’intelligence des prédicateurs et la rend apte à concevoir les pensées opportunes. De ce texte on peut conclure que l’aptitude à penser salutairement, chez ceux qui arrivent à la foi, est aussi l’effet de la grâce divine actuelle. Saint Paul compare les Corinthiens convertis à une lettre écrite, par son ministère, non avec de l’encre, mais par l’Esprit du Dieu vivant, 3 : l’interprétation la plus probable de ces paroles les explique de l’action interne et surnaturelle que l’Esprit-Saint exerce sur les âmes et par laquelle il produit en elles des actes salutaires ; en ce sens, le texte confirme l’existence des grâces actuelles.

Le texte de l’Épître aux Philippiens, ii, 13 sq. : « Ainsi, mes bien-aimés, comme vous avez toujours été obéissants, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement…, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir, » n’est pas expliqué de la même manière par tous les interprètes, notamment pour ce qui concerne la portée des mots avec crainte et tremblement. Cf. Prat, Théologie de saint Paul, t. ii, p. 125 sq. ; Knabenbauer, Commentarius in Epislolas ad Ephesios, ad Philippenses et ad CoLossenses,

Paris, 1912, p. 225 sq. Quoi qu’il en soit, les paroles de l’apôtre contiennent l’affirmation d’une influence interne et surnaturelle sur l’activité mêmes par laquelle les justes se sanctifient, notamment sur l’acte de vouloir le bien et son exécution, sur la résolution de bien faire et sa mise en pratique. L’apôtre n’explique pas en quoi consiste cette influence sur la volonté, mais, d’après sa doctrine générale, nous devons comprendre que c’est un effet de l’Esprit-Saint qui habite dans les justes. On ne peut pas conclure de ce texte qu’une influence spéciale et surnaturelle est requise pour chacun des actes salutaires dans l’homme justifié : l’apôtre considère en général l’activité par laquelle l’homme se sanctifie : il doit agir lui-même et opérer son salut, mais il ne peut pas le faire seul ; il doit être aidé par Dieu qui agit intimement en lui, suscite de bonnes résolutions et renforce la volonté dans leur exécution. Ainsi l’activité salutaire de l’homme dépend réellement de Dieu, et l’homme doit craindre parce qu’il peut perdre ce secours divin.

2° Les Pères, avant le pélagianisme, enseignent aussi l’existence d’une influence surnaturelle affectant directement les actes salutaires et l’existence d’un secours divin surajouté à l’énergie humaine pour résister aux tentations ou pour réaliser les actes vertueux. Saint Ignace d’Antioche dit que c’est avec l’aide de Jésus que nous repousserons victorieusement tous les assauts du prince de ce monde. Ad Magn., i, 2. Clément d’Alexandrie connaît l’influence de la grâce sur les actes de la volonté et y voit deux forces conjuguées. Voir Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 174 sq. Origène connaît aussi cette influence divine qui se surajoute à l’énergie volontaire et la renforce, sans cependant détruire la liberté. De principiis, 1. III, c. i, n. 22, P. G., t. xi, col. 289, 301. La nécessité du secours divin, qui laisse intacte la liberté humaine, est aussi affirmée par saint Éphrem. Cf. Tixeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 213. Tertullien décrit la puissance de la grâce divine qui surpasse l’énergie naturelle et fléchit le libre arbitre. De anima, n. 21, P. L., t. ii, col. 285. Cf. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 270 sq. Marius Victorinus, In Epist. ad Phil., ii, 12, 13, P. L., t. viii, col. 1212, expose très bien aussi comment notre activité salutaire dépend et de nous et de Dieu : c’est nous qui voulons, mais c’est Dieu qui opère en nous l’acte de vouloir et qui donne l’efficacité au vouloir salutaire. Saint Cyrille de Jérusalem, Cal., xvi. P. » . P. G., t. xxxiii, col. 244, décrit comment le Saint-Esprit illumine l’intelligence par de bonnes pensées. L’influence spéciale de Dieu sur les actes salutaires de connaissance et de volition se trouve maintes fois affirmée par saint Basile, De Spiritu Sancto, c. xxvi, n. 61 sq. ; Epist., vu. lxxix, P. G., t. xxxii, col. 180, 184, 244, 453 ; par saint Grégoire de Nysse, cf. Tixeront, op. cit., p. 145 ; par saint Grégoire de Nazianze, cf. Hummer, Des hl. Gregor Nazianz Lehre von der Gnade, Kempten, 4890, p. 66 sq. ; par saint Jean Chrysostome, In Joa., homil. xlvi, 1 ; In Epist. 7 ara ad Cor., homil. xxiv, l, P. G., t. lix, col. 257 ; t. i.xi, coï. 198. Saint Cyrille d’Alexandrie montre la grâce agissant dans les actes par lesquels l’homme se prépare à la justification. Gf.Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyrill von Alexandrien, p. 138 sq.

C’est surtout dans les œuvres de saint Augustin écrites contre le pélagianisme et dans les documents des conciles réunis contre cette hérésie, qu’il faut chercher la doctrine catholique concernant la grâce actuelle, c’est-à-dire du secours donné précisément pour les actes qui sont salutaires en celui qui les produit ; nous ne parlons pas de ce qu’on appelle maintenant les charismes ou gratiæ gratis datæ.

L’homme, de lui-même, peut pécher ; mais il ne peut pas produire des œuvres de justice (opéra justa) ou observer tout ce qui comporte la justice sans le secours K ; ->

GRACE

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de Dieu : ce secours est interne, mais c’est un secours et il faut que l’homme y ajoute l’effort spontané de sa volonté ; c’est ainsi que Dieu opère en nous notre salut. Ce secours, la grâce divine, non seulement nous fait voir ce que nous devons faire, mais nous aide à réaliser ce qu’il nous a montré. Ce secours consiste dans la connaissance certaine du bien à faire et dans la délectation victorieuse (scientia cerla, delectatio victrix) ; c’est Dieu qui nous fait connaître ce qui nous était caché, et qui rend agréable ce qui ne nous plaisait pas. De peccalorum meritis et remissione, 1. II, c. v, xix, P. L., t. xi.iv, col. 153 sq., 170. La nécessité du secours divin pour éviter le péché est affirmée dans De naliira cl gratia, c. xxvi, P. L., t. xliv, col. 261. Ces livres furent écrits par Augustin avant le concile de Carthagc en 418. Là on définit que la grâce est un secours donné à l’homme pour qu’il puisse éviter le péché, can. 3 ; que ce secours consiste et dans la connaissance et dans l’amour de ce que nous devons faire, can. 4 ; que ce secours est nécessaire pour accomplir les préceptes divins, can. 5. Denzinger-Bannwart, n. 103-105. Dans les canons, que nous venons de citer, il est question de la gratia justificationis : ce tenue ne désigne pas uniquement la grâce sanctifiante ; il désigne aussi ces secours qui influent sur l’intelligence et la volonté et aident ainsi surnaturellement l’homme à faire le bien ; cette portée du terme ressort de la description même qui est donnée de la gratia justificationis dans ces décrets. Saint Augustin, De gratia Christi, écrit en 418, indique très clairement que, sous le nom de grâce, il faut entendre un secours surajoute aux facultés naturelles, 1. I, c. iii, P. L., t. xliv, col. 361 sq., qui influe sur l’acte même par lequel nous voulons le bien, c. v, vi, col. 363, qui est une connaissance et une dilection infuses par Dieu dans l’âme, c. xiii, xiv, xxvi, col. 367, 368, 374, notamment aliquod adjutorium bene ageiidi adjunctum naturse alque doctrinæ per inspirationem flagrantissimx et lnminosissirn ; v charitatis, c. xxxv, col. 378. On sait que le mot charilas ne désigne pas toujours, chez saint Augustin, la vertu infuse de charité, ni l’acte de charité parfaite. Souvent il désigne généralement toute inspiration vers le bien, par opposition à l’amour des choses inférieures, à la concupiscence. Cf.’fixeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 486. C’est ce dernier sens qu’a le mot charilas dans le texte que nous venons de citer.

Quand il s’agit d’actes salutaires, c’est-à-dire d’actes par lesquels l’homme se prépare positivement à la justification ou exerce la sainteté chrétienne, il est toujours question d’un secours surnaturel. Voir Augustin’, t. i, col. 2387. La grâce surnaturelle et interne, qui influe sur les actes salutaires, sans détruire le libre arbitre, est aussi affirmée dans le document Induculus, c. 12. Denzinger-Bannwart, n. 141. Cf. Célestin, t. ii, col. 2058 sq. Saint Prosper, Contra Collatorcm, c. vii, n. 2, 3, P. L., t. li, col. 230 sq., décrit les diverses allections, produites par le Saint-Esprit, par lesquelle les hommes sont attires au Christ, d’après le texte, Joa., vi, 44. Le IIe concile d’Orange affirme plus catégoriquement encore l’existence de la grâce actuelle et sa nécessité : personne ne peut avoir une pensée salutaire, ni croire, sans une illumination et une inspiration du Saint-Esprit, can, 7. Denzinger-Bannwart, n.180.

3° Les scolasliques anciens se sont occupés de la grâce sanctifianle plus que de la grâce actuelle ; ils nous ont néanmoins exposé l’existence et la nécessité de celle-ci. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, a 2, q. i, Opéra omnia, Quaræchi, t. m. p. 682 ; S Thomas, Quodl., I, a. 7 ; Sum. theol., I’II’, q cix, a. fi ; q. exi, a. 2 ; q. cxii, a. 2. Dans ces passages saint Thomas parle d’un secours intérieur et gratuit, c’est-à-dire surnaturel, qui meut l’âme au bien salutaire ; il ne s’agit donc pas de la coopération naturelle

de Dieu ; de plus, saint Thomas distingue explicitement une double grâce : le secours divin qui nous meut à vouloir et à exécuter le bien, et le don habituel infus. Sum. theol., I" II*’, q. exi, a. 2. Ces passages sont tout différents de celui qu’on lit In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i, a. 4, où le saint docteur semble ne pas exiger, pour la conversion de l’adulte, la grâce actuelle proprement dite. Sur la grâce actuelle, voir aussi Duns Scot, t. iv, col. 1899 sq. ; Capréolus, In IV Sent.. 1. II, dist. XXVIII, a. l.concl. 6, t. vi, p. 286 ; Dcnys le Chartreux, Summa fidei orthodoxæ, 1. II, a. 117, 118, t. xvii, p. 325 sq.

1° Le concile de Trente a repris la définition du IIe concile d’Orange, Denzinger-Bannwart, n. 813, mais de plus a exposé ce qu’il entend par grâce prévenante et quels sont les effets qu’il lui faut attribuer. C’est à la grâce prévenante qu’il faut attribuer le commencement de toute activité salutaire, notamment de toute l’activité par laquelle l’homme adulte parvient à la justification. La grâce prévenante comporte avant tout la vocation ; Dieu touche le cœur de l’homme par l’illumination ou l’inspiration (ces deux termes sont synonymes) du Saint-Esprit, l’homme la reçoit en lui. et peut librement y consentir ou la rejeter ; il doit agir, c’est-à-dire coopérer à cette impulsion pour arriver à la justification, de façon que l’activité salutaire soit reflet et de la grâce de Dieu et de la libre volonté de l’homme. Les différents actes par lesquels les adultes, excités et aidés par la grâce, se disposent à la justification, sont notamment la foi, la crainte, l’espérance, la charité initiale, la détestation des péchés, le propos de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins. Sess. vi, c. v et vi, Denzinger-Bannwart, n. 797-798. On trouvera une explication plus détaillée du sens de ce décret dans Hefner, Die Enlslehungsgeschichte des r Trienter Rechl/erligungsdekretes, p. 139 sq., qui cite à propos, p. 154, une remarque d’André de Vega, Tridenlini decrcli de justificationc expositio et defensio, Cologne, 1572, p. 89 : « Les Pères du concile, en énumérant ces six dispositions, n’ont pas eu l’intention d’affirmer qu’elles soient toujours toutes nécessaires, et que personne ne peut être justifié si l’une ou l’autre fait défaut. Quant à l’ordre de succession d’après lequel elles sont exprimées, ils n’ont pas voulu établir qu’il est toujours observé soit par Dieu soit par l’homme dans la préparation à la justification. »

Les hérésies et les controverses qui, après le concile de Trente, ont surgi au suj et de la grâce actuelle, concernen t non pas son existence, niais sa nature et sou efficacité.

II. Essence.

Doctrine catholique.

1. Les

textes, que nous avons cités pour démontrer l’existence de la grâce actuelle, nous ont déjà fait connaître que celle-ci consiste dans une influence divine, surajoutée à l’énergie naturelle, influence qui fait que l’homme connaît ce qu’il doit savoir, aime et veut ce qu’il doit vouloir pour être sauvé. Mais comme cette connais sance et cette volition se réalisent dans des actes d’intelligence et de volonté, tous les théologiens enseignent que le concept de grâce actuelle comprend des actes et des actes d’intelligence et de volonté : sous cette forme, la thèse est un dogme de foi, exprimé dans le can. 7 du IIe concile d’Orange. Denzinger-Bannwart. n. 180. En précisant davantage, on donne le nom d’illumination à l’influence exercée par Dieu sur lin telligence, et le nom d’inspiration à l’influence exercée par Dieu sur la volonté. Cependant, chez les Pères, ces termes sont souvent synonymes, et l’un des deux s’emploie fréquemment pour désigner les deux effets. On admet aussi que Dieu, en vue d’aider l’homme à bien agir, opère parfois sur les facultés sensibles, notamment sur l’imagination, l’appétit sensitif : ces influences (Usines peuvent rentrer aussi dans la catégorie des grâces actuelles. Cf. Palmieri, De gratia actuali, thés. xii, p. 44. Le même auteur, thés, xiii, p. 46, applique encore le concept de grâce actuelle anx influences exercées sur nous par les créatures, qui sont en dehors de nous, mais dont l’action est réglée par la providence. Ce sont là des grâces externes. Celles-ci sont, dans le cours ordinaire des choses, l’occasion ou la condition requises à l’octroi des grâces internes ; nous ne nous occupons que des dernières.

2. Les actes, que nous considérons maintenant, sont avant tout des actes indélibérés, qui se produisent indépendamment d’une délibération et d’une élection libre, qui préviennent notre activité libre et auxquels nous pouvons consentir ou que nous pouvons rejeter.

u) Comme l’homme ne peut rien vouloir sans qu’il ne connaisse l’objet de sa volition, il est évident que le commencement de l’activité salutaire se trouve dans un acte d’intelligence ; comme cet acte est l’effet de la grâce divine, il est évident qu’il y a des illuminations immédiates et surnaturelles, c’est-à-dire que Dieu suscite directement en l’homme des pensées salutaires, les actes cognoscitifs par lesquels l’homme perçoit sicut nporlet ce qui est requis à l’obtention de la foi ou à l’exercice subséquent de cette vertu ou à la pratique de la perfection chrétienne. Les textes cités plus haut, Joa., vi, 44 ; Act., xvi, 13 ; I Cor., iii, 6, ne s’expliquent qu’en admettant des illuminations immédiates. C’est d’elles que parlent les Pères dans les passages indiqués ci-dessus. Nous y ajouterons une déclaration importante de saint Augustin : « Tous les hommes de ce règne (du règne du Christ) seront enseignés par Dieu, ils ne recevront pas la doctrine de la part des hommes. Ou s’ils la reçoivent par eux, ce qu’ils en comprennent leur est révélé intérieurement : Et si ab hominibus audiunt, tamen quod intelligiint inlus datur, inlus coruscat, inlus revclatur. Que font les hommes qui parlent du dehors ? Que fais-je moi qui vous parle’?… Celui qui plante et qui arrose agit extérieurement : c’est ce que nous faisons. Mais ni celui qui plante n’est quelque chose ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance, Dieu. C’est cela (qui est exprimé par ces mots) : ils seront tous enseignés par Dieu. » In Joannis Evang., tr. XXVI, n. 7, P. L., t. xxxv, col. 1610.

b) Nous avons vu que Dieu influe aussi sur la volonté pour la mouvoir au bien salutaire. Or on se demande s’il y a des inspirations immédiates, c’est-à-dire si Dieu produit immédiatement dans la volonté des actes indélibérés comme il en produit dans l’intelligence. La raison pour laquelle se pose cette question est celle-ci : quand dans l’intelligence se produit la perception d’un objet, et quand celui-ci est représenté comme bon, aimable, désirable ou comme mauvais, haïssable, il surgit connaturellement dans la volonté des actes correspondants d’amour, de désir, d’aversion, de répugnance ; Dieu pourrait donc, en produisant immédiatement des pensées salutaires, faire naître, par ce moyen, donc médiatement, des mouvements salutaires dans la volonté : ce seraient des inspirations médiates. Les textes de l’Écriture sainte et ceux des conciles peuvent, à la rigueur, s’interpréter en n’admettant que des inspirations médiates ; aussi les théologiens tiennent que ce n’est pas un dogme de foi qu’il y a des inspirations immédiates ; mais aujourd’hui ils admettent leur existence comme certaine. Cf. Jungmann, De gratia, n. 34 ; Palmieri, op. cit., thés, vin ; Hurter, op. cit., t. iii, n. 19 ; Einig, De gratia. Trêves, 1896, thés, i ; Pesch, Præl. dogm., t. v, n. 19. Cette thèse est beaucoup plus conforme au texte de saint Paul. Phil., il, 13, aux canons des conciles, notamment à celui qui dit : Cum sit vtrvuqoe donum Dei il s< iiie quid facere debeamus et diligEDE ut faciamus, Denzinger-Bannwart, n. 104, et à celui-ci : Quod ila Deus in cordibus liominum atque in ipso libero operetur

arbilrio, ut sancta cogitatio… omnisque motus voluirlatis t x Deo sit, op. cit., n. 135 ; ici encore le bon mouvement de la volonté est présenté comme venant immédiatement de Dieu aussi bien que de la bonne pensée. La même doctrine est exprimée dans les prières liturgiques ; par exemple, dans le Sacramentarium leonianum, édit. Feltoe, Cambridge, 1896, p. 81, on lit l’oraison suivante : præsta nobis, Domine, quæsumus, auxilium gratin’tiuv, ul sine qua nihil boni possumus eadem largienle digne quæ tua sunt et < OGITAKE valeamus et FACERE. Dans le Missel romain, l’oraison du viiie dimanche après la Pentecôte dit : Largire nobis semper spirilum cogitandi quæ recta sunt propitius et AGEND1 : ut qui sine t, : esse non possumus, secundum te vivere valeamus. C’est aussi la doctrine de saint Augustin qui insiste spécialement sur l’influence divine dans la volonté, notamment sur Yinspiratio charitatis. -Voir les textes cités plus haut.

L’assertion se prouve par un argument de raison théologique : la nécessité de la grâce, nous l’avons établi dans la première partie de notre article, est une nécessité physique, celle d’élever nos actes à l’ordre surnaturel. Par les illuminations immédiates, l’intelligence est élevée, mais non la volonté ; or il y a aussi des actes salutaires dans la volonté, et, à un certain point de vue, c’est en elle qu’ils se trouvent surtout ; il faut donc encore dans la volonté des inspirations immédiates et surnaturelles pour qu’il puisse exister en elle des actes surnaturels, en l’absence des vertus infuses.

Controverse théologiquc.

C’est à la fin du

xvrsiècle qu’a commencé la grande controverse sur l’essence et sur l’efficacité de h : ^ràce actuelle. L’occasion en a été la publication de l’ouvrage de Molina, Concordia liberi arbilrii cum gratiæ donis, etc., en 1588. II semble que ce n’est pas Molina qui le premier a conçu et enseigné la doctrine qui caractérise cette œuvre, cf. de Scorraille, François Suarez, Paris, 1912, t. i, p. 356 sq. ; mais c’est à l’apparition de ce livre qu’a commencé l’opposition menée principalement par Banez. Voir Banez, t. n. col. 143 ; de Scorraille, np. cit., p. 363 sq.

La question controversée en ce qui concerne l’essence de la grâce actuelle est avant tout celle-ci : la grâce excitante consiste-t-elle uniquement dans les actes vitaux indélibérés, ou bien faut-il admettre des entités ou motions transitoires, qui, produites dans la faculté opéralivc, appliquent celle-ci à son acte, et ont par conséquent pour terme immédiat l’acte vital indélibéré. D’après la première opinion, Dieu produit immèdiatement l’acte vital lui-même, l’influence divine tombe sur l’acte lui-même, non sur la faculté opérative, il est absolument simultané à l’opération de la créature qui vitalement produit le même acte. D’après le second sentiment, Dieu agit immédiatement dans la faculté opérative et la meut physiquement à produire vitalement son acte : cette motion physique qui fait produire l’action de la faculté opérative est parsa nature, nulura (non tempore), antérieure à l’opération à laquelle elle se termine et est pour cela une prémotion physique.

Certains théologiens disent que dans la Bible, dans les écrits des Pères, dans les documents de l’Église, il n’est pas fait mention de ces entités transitoires ou motions, qu’on n’y parle que d’actes (bonnes pensées, bonnes affections) attribués à une influence spéciale et immédiate de Dieu ; que par conséquent il ne faut pas admettre l’existence de ces entités (enlilales fluentes).

Cet argument ne vaut rien. On ne peut pas, en effet, présupposer qu’il faille trouver dans la Bible ou dans les documents, contenant la révélation, l’explication scientifique de toutes les réalités dont ils nous apprennent l’existence. L’Écriture sainte et les documents de la révélation enseignent que Dieu, pour nous aider à agir salutairement, produit en nous des actes indélibérés, mais ils ne disent pas comment Dieu les produit. Cette question esi laissée à notre investigation et c’est par la métaphysique qu’il nous faut déterminer l’essence de ces effets divins dont nous parlons. Aussi c’est à la question métaphysique du concours divin que se rattache logiquement et historiquement la controverse indiquée. On a exposé, dans ses grandes lignes, la doctrine de la coopération divine à l’art. Concours divin, t. iii, col. 781 sq. ; niais il faut que nous insistions davantage sur l’opinion de saint Thomas pour la comparer à celle de Molina.

1. Acles indélibérés.

Il nous faut parler premièrement de la coopération divine, en général, ensuite de la coopération surnaturelle de Dieu, ou de la grâce actuelle. Nous indiquerons hrièvement la doctrine de saint Thomas, celle de Molina, ((.’lie que nous défendons avec ses arguments.

a) Doctrine de saint Thomas. — a. Ce docteur enseigne que Dieu coopère à toute opération de la créature. In IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. ii, a. 2 ; Sum. Iheol., I a, q. cv, a. 5 ; I : l II æ, q. cix, a. 1, 9. Il distingue quatre manières diverses selon lesquelles se fait cette coopération et les énumère dans : ette conclusion : Sic ergo Deus est causa aclionis cujuslibet inquantum dot l’irlulem agendi, et inquantum conservai eam, et inquantum applicat aclioni, et inquantum cjus virilité omnia alia virlus agit. De potentia, q. iii, a. 7. Voir Concours divin, t. iii, col. 785 sq. Il nous faut considérer davantage le troisième mode exprimé par ces mots : inquantum applicat aclioni. Saint Thomas, dans le corps de l’article cité, fait observer que ce troisième mode est distinct des deux premiers : Sed quia nulla res perscipsam movet vel agit, nisi movens non molum. tertio modo dicitur una res esse causa aclionis altcrius inquantum movet ad agendum : in quo non intelligitur collaiio aul conservai io virtutis aclivæ, sed applicatio virtutis ad actioxeh’- Cette application à agir est une entité physique reçue dans la faculté opérative, un être incomplet : Virtus naturalis (c’est-à-dire la faculté opérative), quw est in rébus naturalibus in sua inslitulione collata, inesl eis ut quædam forma habens esse ralum et firmum in natura. Sed lu quod a deo fit in rc naturali, quo actuai. iter agat, est ut intentio sola habens esse quodua m INCOMPLEI’I i/ T.oe. cil., ad 3’m. Il y a donc une impulsion physique, qui n’est qu’impulsion et, pour cette raison, un être incomplet ; cette impulsion est produite par Dieu dans la faculté et elle constitue celle-ci émettant son opération. Cette impulsion est la motion à agir. motion que ne peut pas avoir d’elle-même la faculté opérative : nec virtuti naturali conferri poluit ut moveret seipsam. Ibid. La faculté opérative est passive quant à la réception en elle de ladite motion : In operatione qua Deus operatur movendo naturam non operatcii natura. Loc cit., ad 2° m. La même doctrine est exprimée dans l’opuscule Compendium Iheologiæ, c.cxxx : Necesse est quod omnia agentia per quæ Deus ordincm sux gubernationis adimplct, virtute ipsius Dei agant. ageue igitur cujuslibet ipsorum a Deo causatub, sicut

et MOTUS MOB1L18 A MOTIONE MOVENTIS. Cf. Sum. theol.,

I » , q. cv, a. 5. Il résulte donc que saint Thomas enseigne la prémolion physique, c’est-à-dire que, selon lui, la coopération divine implique une entité physique produite par Dieu dans la faculté opérative, cette entité est essentiellement l’impulsion à agir et, par conséquent par sa nature même, antérieure à l’opération dont elle est le principe, d’où son nom : prémotion.

t>. Quant à l’ordre surnaturel, saint Thomas distingue ce que nous appelons grâce habituelle de ce que nous appelons grâce actuelle : Dupliciter ex gratuita Dei voluntate homo adjuvatur. Uno modo, inquantum anima hominis movetur a Deo ad aliquid cognoscendum vel volendum vel agendum. Et hoc modo ipse graluilus effectus non est qualitas, sed motus quidem animée : exclus enim movenlis in moto est moins. Sum. Iheol., I »

II æ, q. ex, a. 2. Si l’on met ce texte en relation avec la doctrine de saint Thomas concernant la coopération divine avec toute créature agissante, on ne peut douter que le docteur angélique admet une prémotion aux actes salutaires de connaissance et de volonté : Dieu, en effet, meut l’âme à connaître et à vouloir ; c’est un effet gratuit, c’est-à-dire surnaturel, et il n’est que motion, impulsion à agir ; c’est pourquoi il n’est pas, à proprement parler, une qualité : il n’est qu’un être incomplet, purement transitoire, qui n’a pas, en l’âme, esse ralum ae firmum. Cf. Sum. Iheol., I a IV e. q. cix, a. G et 0, où saint Thomas indique comme première raison de la nécessité de Vauxilium gratiæ : nulla res ci râla potest in quemeumque actum prodire, nisi virtute molionis divinse. A la doctrine, telle que nous l’avons exposée, ne s’oppose pas le texte de saint Thomas. In IV Sent., 1. I, dist. XLV, q. î, a. 3 : Inomnibus quorum potentiel activa determinata est ad unum effeclum nihil requiritur ex parle agentis adagendum supra potentiam complétant, dummodo non sit impedimentum ex defeetu rccipienlis ad hoc quod sequatur effectus. Saint Thomas parle ici des actions nécessaires naturelles, c’est-à-dire des opérations qui sont déterminées ou spécifiées par une forme reçue dans la nature ou dans la faculté opérative ; quand la faculté opérative est déterminée par une forme à produire un effet déterminé, la faculté est alors complète au point de vue de la spécification de l’acte ; rien n’est requis ultérieurement dans cet ordre. Mais cela n’exclut pas la nécessité de la prémotion physique, qui ne spécifie pas l’opération, mais la fait sortir de la faculté. La nécessité de la prémotion physique est d’un ordre différent de celui de la spécification de l’acte ; cette motion est requise pour que la créature puisse passer de l’état de repos à l’état d’action, a non agendo ad agendum. Quantumcumque natura aliqua corporalis vel spiritualis ponatur perfecta,

NON POTEST ]N SUUM ACTUM PBOCEDEliE NISI MOYEATUIl

a deo. Sum. theol., I a IL’*, q. cix, a. 1. La prémotion tion physique est donc requise aussi dans la volonté à chaque fois qu’elle commence à vouloir, cf. Sum. theol., I 1 IP’, q. ix, a. 4 ; elle est donc requise pour cet acte indélibéré, qu’on appelle voluntas ut natura. Cf. In IV Sent., 1. III, dist. XVII, q. i, a. 1, q. iii, ad l u " ; Sum. Iheol., III a, q. xviii, a. 3. Nous parlerons plus loin de l’acte libre.

b) Doctrine de Molina. — Elle est radicalement différente de celle de saint Thomas.

a. Dans l’ordre naturel, le concours divin est une influence divine qui ne tombe pas immédiatement sur la faculté opérative, et qui n’atteint que l’opération elle-même, émise par la faculté : il n’admet pas que Dieu meuve la créature à agir, qu’il y ait, de la part de Dieu, une impulsion, par sa nature, antérieure à l’opération et véritablement cause efficiente de l’émission de l’acte : il rejette donc toute prémotion physique. L’opinion de Molina est exposée, Concordia, a. 13, q. xiv, disp. XXVI, Paris, 1876, p. 152 sq. Après avoir indiqué l’opinion de saint Thomas concernant l’influence divine qui applique la créature à l’opération, et avoir avoué que cette doctrine lui semble difficile à admettre, Molina expose son opinion : De même que la cause seconde (la créature) émet immédiatement son opération et par celle-ci produit le terme ou l’effet, ainsi Dieu, par un concours général, in Hue immédiatement dans la même opération et par celle-ci produit le terme ou l’effet. C’est pourquoi le concours général de Dieu n’est pas une influence sur la cause seconde, comme si celle-ci était d’abord mue à opérer : Quo fit ut concursus Dei generalis non sit influxus Dei in CAUSAMSECUNDAM, quasi ili.a pmus eo mot a AGAi… Cette assertion est nettement contradictoire à la thèse de saint Thomas et exclut précisément toute prémotion physique. A la lin de sa dissertation, p. 158, Molina dit encore que

l’effet est produit et par Dieu et par la créature, mais la causalité est partagée ; ni Dieu, ni la cause créée n’est cause entière, complète de l’effet. Pour expliquer cela, Molina introduit l’exemple resté célèbre : nox

SECUS W CUM DUO VRAHUNT NAVIMTOTUS MOTUS PROF1-SClCITUn Ail UNOQUOQUE TRABENTIUM, SED NON TANQUAM A IOTA CAUSA MOTUS, SIQUIDE.V QUIVIS EOIiUM SIMUL

EFFICIT CUM altero omnes ac singulas partes ejusdem motus. Ceci encore est inconciliable avec la doctrine de saint Thomas : pour lui, en effet, Dieu est cause entière, totale, de l’opération de la créature, et la créature aussi est cause entière et totale, chacune dans son ordre ; l’activité de la créature est tout entière subordonnée à l’activité de Dieu ; par conséquent la coopération, dont il s’agit, ne peut pas être comparée à celle des hommes qui, en tirant, font avancer un navire ; dans ce dernier cas, l’activité de chacun est, en soi, indépendante de celle de l’autre, non subordonnée, et par suite, au vrai sens, simultanée, tandis que, pour saint Thomas, l’activité de la créature est subordonnée à celle de Dieu, et celle-ci, en conséquence, est par nature antérieure à celle-là. Cf. Contra gent., 1. III, c. lxvii, lxx ; voir aussi Molina, op. cit., disp. XXX, p. 178.

b. Quant à l’ordre surnaturel, Molina fait consister la grâce actuelle prévenante uniquement dans les actes vitaux, op. cit., disp. XLV, p. 256 ; ces actes vitaux sont produits par Dieu, mais il n’y a qu’une distinction de raison entre l’influence de la créature dans le même acte, disp. XXXVIII, p. 215 sq. ; quand il s’agit d’actes posés par l’homme avant qu’il n’ait les habitus infus, Dieu influe en tant qu’il possède lui-même éminemment Vhabiius de la foi infuse, et en tant qu’il supplée la causalité qui est propre à cet habitus, p. 219 sq. Molina n’admet donc pas d’entité physique, transitoire et surnaturelle, qui physiquement surnaturalise l’acte, et, en ce sens, produit l’effet que produirait Vhabiius infus. Suarez défend la même opinion que Molina : pour le concours naturel, voir Opuscula theologica, opusc. I, 1. I, c. v-vn, Opéra omnia, t. xi, p. 22-35 ; pour la grâce, voir De gratia, 1. III, c. i, n. 12 ; c. iv, n. 2, Opéra omnia, t. viii, p. 8, 16. Notons ses paroles : Ego vero nullum taie auxilium internum, potentiisque animainhærens, præter aclus vitales et acliones corum, nec alias qualilates perse infusas agnosco, p. 8 ; Ego vero censco nullam ialem enlitatem infundi, quæ sit prior, lempore vcl natura, ipso aclu gratiæ excitanlis, vel principium proximum ejus, sed solum Spiritum Sanclum immédiate ac per seipsum infundere hos actus elevando potentiam ad conficiendum illos, p. 16. Cependant quant à l’explication ultérieure de la manière dont ces actes indélibérés et surtout les actes délibérés sont rendus surnaturels, il y a divergence entre Molina et Suarez. Cf. Mazzella, De gratia, n. 148153. Bellarmin n’adhère pas à l’opinion de Molina ni pour le concours divin naturel, ni pour la grâce actuelle qui a pour terme l’acte indélibéré ; il admet la prémotion physique et dit que le sentiment qui la défend est celui de saint Thomas. Cf. De gratia et libero arbitrio, 1. IV, c. xvi, p. 324’; De novis conlroversiis inter Patres quosdam ex urdinc pnvdicalorum et P. Ludovicum Molinam ex Societate Jcsu, § 3, publié par le P. Le Hachelet, Auctarium Bellarminianum, Paris. 1913, p. 107 ; voir aussi, p. 10, 19 sq., 31, 34, 92. Mais Bellarmin rejette la prédétermination physique dans l’acte d’élection. Voir op. cit., p. 109 sq., 179 sq. ; De gratia d libero arbilrio, 1. I, c. xii.

c) En ces dernières années, notamment après la publication de l’encyclique JEterni Patris (1879) par Léon XIII, plusieurs philosophes et théologiens ont défendu la doctrine qui établit la nécessité de la prémotion physique, mais qui rejette la prédétermination physique de l’acte d’élection. Voici comment ils raisonnent.

a. Tout être créé qui passe de la capacité d’agir à l’acte, c’est-à-dire qui passe de l’état potentiel ou de repos à l’état d’activité ou d’exercice actuel, donc tout être qui commence à agir, doit être physiquement appliqué à agir par un autre être ; or cet autre être est Dieu ; donc toute créature est appliquée par Dieu à l’opération. La majeure n’est que l’explication du principe analytique : omne quod movetur ab alio movetur ; c’est-à-dire que tout changement qui se produit dans un sujet exige l’action d’un être en acte. Cf. card. Mercier, Ontologie, Louvain, 1902, n. 186 sq., p. 375 sq. L’agir ou l’opération est une perfection physique que n’a pas en soi l’être qui n’agit pas, et que, par conséquent, il ne peut pas se donner à lui-même, car aucun être ne peut donner ce qu’il n’a pas ; la capacité de recevoir une perfection ne peut pas la réaliser ; donc la capacité d’agir ne peut pas être cause efficiente de l’action et le sujet qui est uniquement capable d’agir, qui est en puissance vis-à-vis de son opération, ne peut pas seul et par soi-même s’élever à l’ordre de perfection qui constitue l’opération actuelle. La mineure s’explique : la perfection, dont il est question, est l’opération, c’est une perfection transcendentale, dont la cause première est l’être qui, par essence, est l’action, c’est-à-dire Dieu. Un être corporel peut recevoir d’un autre corps une application immédiate à l’action, mais cet autre corps, pour appliquer le premier, a besoin d’une application provenant d’un troisième corps, et ainsi de suite ; il faut donc nécessairement arriver, dans cet ordre de causalité, au premier être qui meut, sans être mû lui-même, c’est-à-dire Dieu. Les êtres immatériels et les êtres vivants, comme tels, ne peuvent être appliqués immédiatement et physiquement à leurs actes vitaux que par Dieu seul. Outre cette influence divine, qui consiste formellement à appliquer l’agent à son action, il faut l’influence divine dans l’opération elle-même, en tant que celle-ci est aussi un pur être. Cette dernière influence n’est pas non plus un concours purement simultané. Voir card. Billot, De gratia, proleg., i, p. 25 sq.

b. La coopération divine, dont nous venons de démontrer la nécessité, est réalisée par la prémolion physique. Tout être créé, qui commence à agir, passe réellement et physiquement de puissance à acte, acquiert une perfection. Ce passage, comme nous l’avons vii, se fait par une impulsion divine qui précisément fait sortir l’acte de la puissance ; il faut donc que cette impulsion soit une entité, reçue dans la faculté opérative et mouvant physiquement celle-ci à émettre l’opération, à émettre l’action ; cette entité est donc, par son essence, antérieure à l’action et est donc une pré/nul ion /thi/sique.

c. Dans l’ordre surnaturel, il faut une prémotiuii physique surnaturelle, qui détermine physiquement les actes indélibérés d’intelligence et de volonté, par lesquels l’homme est excité et aidé à poser des actes délibérés salutaires. Nous avons démontré précédemment, d’après la doctrine catholique, l’existence de ces actes indélibérés. Nous en cherchons maintenant l’explication. Or, il faut remarquer, d’abord, que ces actes indélibérés sont produits immédiatement par Dieu, qu’ils ne dépendent pas d’actes précédents ; qu’ils constituent une influence spéciale, par laquelle l’homme connaît et aime sicut oporlet ad salulem. En quoi consiste cette influence ? Les actes dont il s’agit sont vitaux, c’est-à-dire des actes qui émanent de la faculté opérative et qui y restent : il faut donc que Dieu applique la faculté à agir, qu’il la fasse entrer en activité, ce qui se fait par la prémotion physique. Cette prémotion appartient à l’ordre surnaturel, car elle est produite immédiatement par Dieu, elle est mise dans une créature qui n’a aucune exigence h être mue ainsi ; car, avant d’avoir cette prémotion, la créature n’est pas constituée en acte premier [647

GRACE

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vis-à-vis de cette opération : enfin cette prémotion se termine à une opération surnaturelle. Dans l’homme, qui n’a pas encore les valus infuses, ni les dons du Saint-Esprit, la prémotion physique doit être en même temps une entité surnaturelle qui transitoirement élève ou surnaturalise intrinsèquement la faculté opérative et rende ainsi l’acte lui-même intrinsèquement surnaturel. En effet, bien qu’il ne soit pas de loi que les actes indélibérés salutaires sont intrinsèquement surnaturels cette assertion est communément admise par les théologiens et elle se déduit de la nécessité absolue de la grâce pour tout acte salutaire. Or, pour que l’acte vital indélibéré soit intrinsèquement surnaturel, il faut que la faculté, d’où il procède, soit en elle-même surnaturalisée, car l’opération n’est pas autre chose que l’actuatien ou l’actualité de la faculté opérative, cf. S. Thomas, Sum. theol, I q. liv, a. 1 ; De potentia, q. iii, a. 1 : l’acte donc est émis tel qu’il est contenu dans la faculté qui l’émet ; si alors la faculté est intrinsèquement naturelle, l’acte le sera aussi. Il faut donc que la faculté soit intrinsèquement.surnaturalisée par une entité transitoire, virlus fluens, qui fait transitoirement ce que l’habitus surnaturel fait d’une façon permanente. Dans le cas exposé, la prémotion physique apporte donc aussi la surélévation de la faculté. Bien qu’il y ait là deux fonctions distinctes, elles peuvent être exercées par la même entité. Voir Guillermin, dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 386 ; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. XIV, disp. V, dub. vi, § 3, n. 125, p. 486. Quand l’homme possède déjà les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, la prémotion physique à l’acte indélibéré ne sera que la motion appliquant à l’acte une faculté habituellement surnaturalisée et déterminant celle-ci à son objet. Les théologiens récents qui, sans admettre la prédétermination physique dans l’état d’élection, admettent la prémotion physique à l’acte indélibéré sont : H. Gutberlet, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897, t. viii, j). 25sq., 415 sq. ; Pignataro, De gratin (lith.). thés, xv, p. 170 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, p. 365 ; Del Val, Sacra theologia dogmatica, Madrid, 1906, t. ii, p. 499 ; Herrmann, Institutioncs theologiæ dogmaticæ, Rome, 1908, t. ii, p. 207, n. 1130 ; Tabarelli, De gratia Christi, Rome, 1908, p. 244 ; card. Billot, De gratia Christi, p. 148 ; Van der Meersch, De divina gratia, Bruges, 1910, n. 279, 281 ; Manzoni, Compendium theologiæ dogmalicæ, Turin, 1911, t. iii, n. 290, 302. L’entité qui est prémotion physique et surélévation de la faculté appartient reduclive (par réduction) au genre d’accident qui est la qualité et se nomme exactement qualitas fluida. Cf. Guillermin, dans la Revue thomiste, t. x, p. 392 ; card. Billot, De gratia Christi, p. 154.

Corollaire. — a. La prémotion physique surnaturelle est donc ce en quoi consiste essentiellement la grâce excitante : elle est la motion divine, l’influence produite immédiatement par Dieu dans l’âme et elle a pour terme l’acte vital : celui-ci est l’effet immédiat de la motion.

Telle est la thèse exprimée par le cardinal Billot, op. cit., p. 142, en ces termes : Gratia actualis dupliciter consideratur : primo quidem SECl vdi v se, deinde vero in sua proximo et necessario EFFECTU. Considerata in suo proximo et necessario EFFEcru nihil aliud es/ quam actus supernaturalis indeliberalus potentia ; a Deo motic, qui quidam vero sensu in nobis esse dicitur sine nobis. Al sumpta secundumSE est motio in facultate recepta, principians ejusmodi actus. Les théologiens récents, que nous avons cités, en sont donc revenus, pour les actes indélibérés, à l’opinion défendue parBaiïez et son école. Cf. Alvarez, De auxiliis. 1. VII, disp. LVII, n. 1, p. 497 ; 1. VIII, disp. LXXIV, p. 618.

Les auteurs, qui n’admettent pas cette opinion, sont

d’avis que la grâce excitante consiste essentiellement et uniquement dans l’acte vital lui-même et que cet acte lui-même est produit immédiatement par Dieu. Cependant ils ne donnent pas tous la même explication du mode dont cet acte est produit et est rendu surnaturel. Ces uns disent que Dieu lui-même supplée l’élévation qui est produite par la vertu infuse dans l’acte qui émane d’elle : c’est ce qu’on appelle élévation externe ou extrinsèque. Voir cette opinion dans Mazzella, De gratia Christi, n. 149 sq. ; Lahousse, De gratia, n. 105 ; Pesch, Prselection.es dogmatica’, t. v, n. 57. Le P. Palmieri, De gratia actuali, thés, xvi et xvii, croit que l’acte est surnaturalisé par un mode qui n’est pas réellement distinct de la faculté, ni de l’âme. Cette opinion est réfutée par Lahousse, op. cit., n. 100. Mgr Waffelært, Méditations théologiques, t. r, p. 637 sq., enseigne que l’acte vital est surnaturel parce que Dieu s’unit transitoirement la faculté créée comme un instrument par lequeî et dans lequel il produit une action déterminée ; il la produit, non seulement en tant qu’il lui donne l’être, mais en tant qu’il la fait être telle. Xous avouons ne pas comprendre comment, d’après ces explications, on aurait un acte qui serait en même temps vital et surnaturel dans son entité. Cf. Billot, op. cit., p. 150 sq. Certains théologiens invoquent, contre notre thèse, ce principe : Dieu peut produire immédiatement par lui-même tout effet qu’il peut produire aussi par une cause seconde ; ils en concluent que Dieu peut produire immédiatement par lui-même un acte surnaturel sans employer pour cela une cause seconde, une entité créée, une virtus fluens. Nous nions le principe et la conclusion ; Dieu ne peut pas faire l’impossible ; il ne peut pas produire un acte intellectuel sans une faculté qui est l’intelligence ; il ne peut pas produire un acte vital sans une faculté vivante d’où il procède et dans lequel il reste. Ainsi encore il ne peut pas réaliser un acte vital surnaturel sans que, dans la faculté d’où cet acte émane vitalement, il y ait un principe réel de surnaturalisation ; si cela n’y est pas, l’acte émanera vitalement et non surnaturalisé.

b. Le rôle de la grâce excitante se conçoit donc ainsi : Dieu, au moins dans les conditions ordinaires, dispose par sa providence les événements extérieurs à l’homme, par exemple, la prédication, la lecture, cerlains faits particuliers comme la maladie, la mort d’une personne chère, etc., et puis il prédétermine lui-même l’intelligence à des pensées opportunes d’ordre pratique et la volonté à des affections correspondantes. Ainsi la volonté se trouve être affectionnée vers un bien salutaire, par exemple, vers un acte vertueux à poser, ou elle conçoit de l’horreur pour un acte mauvais. C’est ainsi que la volonté est aidée à faire l’acte délibéré, à choisir librement de vouloir ce bien vers lequel elle est actuellement poussée ou de ne pas vouloir ce mal à l’égard duquel elle a actuellement horreur. Les auteurs ascétiques nous donnent la description des effets de la grâce dans l’âme. Voir, par exemple, De imitatione Christi, 1. III, c. n sq. ; S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I. VIII, c. x sq., Œuvres complètes, Annecy, 1894, t. v, p. 89 sq. ; Janvier, La grâce (conférences de N.-D. de Paris), Paris, 1 910, p. 99 sq. Sur la connexion entre les grâces actuelles et les dons du Saint-Esprit, cf. Dons, t. iv, col. 1735 sq., 1775 sq. ; Billot, De virtutibus in/usis, p. 178 sq. tue autre opinion est défendue par Mgr Waffelært, Collationes Brugenscs, 1913, t. xviii, p. 6 sq.

2. Actes délibérés.

Nous avons parlé jusqu’ici des actes vitaux d’intelligence et de volonté, qui sont les termes immédiats des prémotions surnaturelles, des impulsions ou mouvements instinctifs de l’Esprit-Saint sur notre âme : ces actes-là sont indélibérés, c’est-à-dire indépendants de toute délibération de notre part. U nous faut considérer maintenant les actes délibérés : 1649

GRACE

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ce sont les actes de volonté qui, consécutivement à la délibération intellectuelle, constituent l’élection, le choix libre, et aussi les actes qui sont commandés par l’élection. Mais la controverse dont nous nous occupons porte uniquement sur l’acte libre de la volonté.

a) Doctrine de saint Thomas. — a. Il faut distinguer deux genres de motion dans la volonté : l’une est celle qui procède de l’objet, c’est-à-dire du bien connu par l’intelligence ; le bien connu meut, en ce sens qu’il excite l’appétit ; l’autre motion est celle qui procède de la cause efficiente, c’est-à-dire de ce qui agit physiquement dans la volonté, de ce qui l’incline intérieurement et lui fait exercer l’opération. « La volonté peut être mue par deux principes : par l’objet, et c’est ainsi qu’on dit que ce qui est aimable meut l’appétit (appetibile apprehensum movet appelitum) ; et d’une autre manière par ce qui met intérieurement la volonté en mouvement (alio modo ab eo quod inlerius inclinai voluntatem ad volendum). » S. Thomas, Sam. theol., F II æ, q. lxxx, a. 1. Cf. I a, q. xcv, a. 4 ; q. evi, a. 2 ; De verilate, q. xxii, a. 9 ; De malo, q. ni, a. 3 ; Del Prado, De gratta et libéra arbitrio, Fribourg (Suisse), 1907, t. i. p. xvin ; t. il, p. 143 sq. ; t. iii, p. 13, 98 sq.

Ces deux genres de motions ont chacun une fonction propre : la motion qui procède de l’objet concerne la spécification de l’acte, la motion qui procède de la cause efficiente concerne l’exercice de l’acte, c’est la doctrine explicite de saint Thomas, Sum. theol., F II 11’, q. ix, a. 1. I.a volonté, comme toute autre faculté, quand elle commence à agir, doit être mue ou appliquée à agir : c’est la prémotion physique dont nous avons parlé plus haut. Cf. Sum. theol., loc. cit., a. 4 et 9.

b. Il faut distinguer aussi, dans la volonté, deux genres d’actes : l’un est l’acte spontané, naturel, qui suit nécessairement l’appréhension intellectuelle d’un objet sous la formalité de bien ou de mal : c’est la voluntas ut natura. L’autre est l’acte par lequel la volonté choisit, veut un bien alors qu’elle pourrait en vouloir un autre, c’est la voluntas ut ratio ; c’est l’acte qui suit la délibération ou le conseil. Cf. Sum. theol., F IF, q. xiv, a. 1, 2 ; II » II 11’, q. xlvii, a. 1, ad 2°"’; III » , q. xviii, a. 4, ad 2° m ; De malo, q. xvi, a. 4. L’acte dont nous parlons est décrit par saint Thomas en ces termes : Proprium liberi arbitrii est cleclio. Ex hoc enim liberi arbitrii esse dicimur quod possumus unum recipere alio recusalo, quod est eligere. Sum. theol., F, q. lxxxiii, a. 3. Parmi les biens particuliers qui sont l’objet de l’élection humaine, se trouve aussi le vouloir même : la volonté peut vouloir ne pas vouloir ou vouloir considérer tel bien, prendre une décision sur telle question, etc. Potest autem ratio apprehendere ut bonum non solum hoc quod est velle aut agere, sed hoc eliam quod est non velle et non agere. Sum. theol., I a IF 1’, q. xiii, a. 6. Mais l’acte par lequel la volonté choisit est toujours un acte positif, alors même qu’elle choisit ne pas vouloir quelque chose ou ne pas consentir à une inclination. Cette négation est l’objet de l’acte libre. Sum. theol., F IF’, q. i.xxi, a. 5. Il s’agit de voir maintenant comment cet acte procède de la volonté. Nous supposons que cette faculté est en acte de vouloir un bien comme une fin : alors elle-même se meut à vouloir ce qui est ordonné à cette fin, c’est-à-dire elle se meut à l’élection, à l’acte de choisir : Inlclleclus per hoc quod cognoscit principium, redurit scipsum de potentia in actum quantum ad cognilionem conclusionum ; et hoc modo movet seipsum : et simililer voluntas per hoc quod inilt finem, movet scipsam ad volendum ca quæ sunt ad finem. Op. cit., q. ix, a. 3. Il s’agit d’un passage de la puissance à l’acte : l’intelligence qui est en acte de comprendre un principe est capable (est en puissance) d’avoir la connaissance des conclusions contenues dans ce principe ; or l’intelligence se meut elle-même à cet acte. De même la volonté qui actuellement veut une

fin est capable (est en puissance) de poser l’acte par lequel elle choisit les moyens à cette fin ; or la volonté se meut elle-même à cet acte. Il s’agit ici de tout acte d’élection, quel que soit son objet, qu’il soit, au point de vue moral, bon ou mauvais, et il s’agit de l’émanation physique de cet acte : la volonté elle-même en est cause efficiente. Cette causalité concerne l’exercice même de l’acte de choisir et elle dépend de l’activité par laquelle la volonté veut la fin : c’est cette fin qui constitue la volonté principe actif ou moteur de tout ce qui doit servir à réaliser cette fin. Loc. cit., ad 1’"" et 3°’". Saint Thomas, après avoir expliqué comment la volonté se meut elle-même, examine à l’art. 4 si la volonté est mue par quelque principe extérieur. 11 répond affirmativement : la volonté est mue par Dieu. La raison est celle-ci : pour commencer à agir, pour poser le premier acte de vouloir, celui qui concerne la fin, la volonté doit être mue, doit être appliquée à agir, cette application vient de Dieu. Quant à cet acte, la volonté ne se meut pas elle-même, elle est mue : Dieu est la cause efficiente de cet acte. On voit clairement la différence, au point de vue de la causalité efficiente, entre l’acte qui est motion spontanée, nécessaire, à un bien comme une fin (voluntas ut natura) et l’acte qui est l’élection (voluntas ut ratio) : au premier acte la volonté est appliquée physiquement par Dieu, au second acte elle s’applique physiquement elle-même. A l’art. G de la même question, saint Thomas se demande si la volonté est mue par Dieu seul comme par un principe extérieur. Il répond que Dieu seul peul mouvoir la volonté. Il explique la nature de cette motion dans la réponse à la troisième objection. Nous l’interprétons ainsi : Dieu meut la volonté au bien, c’est-à-dire que la nature de la motion divine consiste à mouvoir la volonté vers l’objet représenté (par l’intelligence ) comme bon : c’est l’objet formel général de la volonté. Sans cette motion l’homme ne peut rien vouloir, il ne peut pas passer de l’état de non-activité à l’activité actuelle. Mais l’homme, au moyen de la raison, au moyen de la délibération, se détermine à vouloir ceci ou cela, qui est vraiment un bien ou un bien apparent. Deus movet voluntatem hominis sicut universalis molor ad universale objectum voluntatis, quod est bonum, et sine hac universali molione homo non potest aliqùid velle, sed homo per rationem déterminât se ad volendum hoc vel illud, quod est verc bonum vel apparens bonum. Remarquons que saint Thomas explique par là pourquoi l’homme peut pécher : c’est parce que lui-même se détermine à vouloir ceci ou cela.

Saint Thomas n’enseigne donc pas qu’il faut une seconde prémotion physique, une application physique spéciale pour l’acte d’élection ; il semble au contraire l’exclure en montrant nettement la différence, au point de vue de l’émanation de l’acte, entre la volition spontanée d’un bien comme fin et l’élection des moyens. Ceci n’exclut pas évidemment l’influence divine sur l’élection, en tant que cet acte reçoit de Dieu l’être : cette influence se ramène au quatrième mode d’après lequel Dieu agit en toute créature, et elle n’est pas un concours simplement simultané, mais elle est aussi, par sa nature, antérieure à l’acte ; seulement elle ne constitue pas formellement cette application à l’acte qui est requise quand une faculté opérative à l’état de repos passe à l’agir actuel. Ce que nous venons de dire concerne à proprement parler l’exercice de l’acte électif. Mais cet acte est d’une nature spéciale, il n’est pas spécifié objectivement par une forme qui est imprimée dans la faculté comme l’est l’espèce intelligible dans l’intelligence. La spécification vient de l’objet représenté par l’intelligence. La volonté ne peut vouloir actuellement que ce qui est présenté actuellement comme bon par l’intelligence. Mais pour le cas de l’acte libre, la volonté n’est pas déterminée nécessairenient par l’objet représenté dans l’intelligence. La déterminât ion tant objective que physique de la volition libre, c’est-à-dire le vouloir ceci plutôt que cela, provient de la volonté. La réponse de saint Thomas citée ci-dessus dit que l’homme se détermine à vouloir ceci ou cela : parce que cette détermination vient de l’homme, et non de Dieu, l’homme peut pécher. L’essence même de la liberté exige que la détermination de l’acte vienne de l’homme : non enim esset homo liberi arbitrii, nisi ad cum determinalio sui operis perlinerel, ut ex proprio judicio eligerct hoc aut illud. In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i, a. 1. C’est parce que cette détermination provient de l’homme, que l’acte libre lui est imputé et que cet acte peut être méritoire. Sum. theol., I a II- 1’, q. xxi, a. 4, ad 2’"". Remarquons cette assertion concernant la liberté dans la nature humaine du Christ : Voluntas Christi, liccl sit delcrminata ad bonum, non est tamen determinala ad hoc vel illud bonum. El ideo perlinet ad Christum eligere. Op. cit., III a, q. xviii, a. 4, ad 1°°. Cf. De veritate, q. xxix, a. G, ad l" m ; De malo, q. vi, a. unie. L’indétermination ou indifférence physique concernant tel ou tel bien à choisir est donc de l’essence même de l’élection. Cette indifférence physique disparaît par l’acte physique d’élection, et cet acte, comme tel, vient de l’homme ; c’est pourquoi il reste toujours contingent : ce n’est pas Dieu qui par sa prémotion fait disparaître l’indétermination, mais c’est l’homme lui-même. Sum. theol., I 1 II a’, q. x, a. 4. C’est encore parce que l’homme se détermine lui-même à vouloir qu’il a la maîtrise (dominium ) sur son acte : et ideo determinalio actus relinquitw in potestate rationis et voluntatis. De potentia, q. iii, a. 7, ad 13" m. D’après ces textes donc, l’homme, en acte de vouloir un bien final, choisit un bien comme moyen, et en choisissant il détermine formellement et physiquement son propre acte d’élection ; c’est pourquoi il en est maître et il en est responsable. Dieu laisse à la volonté l’indifférence physique, qui est essentielle à l’acte libre ou contingent. Dieu n’infuse donc pas une entité physique dont l’effet formel et immédiat serait d’enlever l’indifférence physique de la volonté et de prédéterminer physiquement l’acte d’élection. Par conséquent saint Thomas n’enseigne pas la prédétermination physique à l’acte d’élection.

L’interprétation que nous venons de proposer est conforme à celle de Capréolus, In IV Sent., 1. II, dist. XXIV, q. i, a. 1, concl. 5% et a. 2, § 3 ; dist. XXV, q. i, a. 3, Opéra, t. iv, p. 202, 208 sq., 233, 224, 249 sq. ; de Cajétan, In Sum. theol., I q. LX, a. 2. Elle est explicitement défendue par Jean de Gonzalez de Albeda, O. P., Comment, in Sum. theol., Naples, 1037, disp. LVIII, sect. il, t. il, p. 86 ; par Boniface Grandi, O. P., Cursus theologicus, Ferrare, 1692, t. i, p. 46 sq. : par d’autres auteurs de l’ordre des frères prêcheurs cités par le P. Guillermin, qui lui-même a exposé cette doctrine avec une spéciale compétence, dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 655 ; par le P. Jeiler, Sancli Bonavenlune principiu de concursu Dei generali, Quaracchi, 1897, p. 69 sq. ; par le P. Pignataro, De Deo creatore, Rome, 1905, p. 517 sq. ; par le cardinal Billot, De gratia Christi, p. 21 sq. Parmi les auteurs récents qui n’admettent pas cette explication, il faut citer le P. Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théologique, Toulouse, 1907 sq., t. v, p. 304 sq. ; t. vi, p. 300 sq.

b) Doctrine de Molina. — Comme nous l’avons exposé plus haut, Molina n’admet qu’un concours divin simplement simultané, et cela pour toute opération de la créature : il n’établit, sous ce rapport, aucune différence entre l’acte indélibéré et l’acte délibéré, entre l’acte appelé voluntas ut nulura et l’acte appelé voluntas ut ratio. Cf. Concordia, disp. XXVII sq., p. 158 sq. De plus, il faut remarquer la définition qu’il

donne de l’acte libre ou élection : Agens liberum dicitur quod posilis omnibus requisitis ad agendum potest agere vel non agerc, aut ila agere unum ut contrarium agere possit. Concordia, disp. II, p. 10. Si l’on met cette définition en rapport avec la doctrine de Molina, il en résulte que la liberté consisterait aussi en ce que la volonté, quand toutes les conditions requises à son opération sont vérifiées, peut agir ou n’agir pas, choisir ou ne pas choisir. Nous ne nous rangeons pas à cet avis : la liberté ne consiste pas en ce que la volonté puisse agir ou n’agir pas, mais en ce qu’elle peut choisir, c’est-à-dire vouloir ceci plutôt que cela. Quand les conditions requises à cet acte, l’élection, sont vérifiées, l’acte se produit nécessairement ; mais il peut avoir pour objet de ne pas penser à telle chose, de ne rien vouloir concernant telle chose.

c) D’après la doctrine de saint Thomas, telle que nous l’avons exposée, nous admettons les propositions suivantes : a. quand la volonté commence à agir, c’est-à-dire à vouloir indélibérément, elle doit être mise en acte, ou appliquée à agir par une prémotion physique de la part de Dieu ; b. quand la volonté est ainsi en état d’activité et veut un bien final, elle se détermine physiquement elle-même à vouloir ceci ou cela ; une seconde prémotion physique ou application à l’acte n’est plus requise. Mais nous le répétons, l’influence divine, qui constitue le quatrième mode d’après lequel Dieu opère en toute créature, est nécessaire. Cf. Billot, De gratia Christi, p. 19 sq. c. La prédétermination physique à l’acte d’élection est, à notre avis, inconciliable avec la liberté d’indifférence et avec la sainteté de Dieu. a. La prédétermination serait une entité physique, infuse à la volonté, antérieure par sa nature à l’acte d’élection et déterminant physiquement et intrinsèquement celui-ci, c’est-à-dire faisant physiquement vouloir ceci plutôt que cela, en d’autres termes enlevant précisément l’indifférence physique de la volonté par rapport à l’objet à vouloir ; dès lors l’homme lui-même n’aurait rien à déterminer physiquement dans cet acte, il n’aurait aucune maîtrise sur le choix, il ne pourrait pas en être responsable, il ne serait pas libre. p. Si la prédétermination physique était nécessaire, elle le serait à tout acte d’élection, quel que soit son objet. Dès lors Dieu prédéterminerait physiquement et de la même manière l’acte qui a pour objet un bien dans l’ordre moral, et l’acte qui a pour objet un bien apparent qui, dans l’ordre moral, est un mal ; donc Dieu serait cause physique et immédiate du péché comme il l’est de l’acte vertueux. Il serait cause du péché, non pas seulement en tant qu’il est une opération physique, mais encore en tant qu’il est un acte moralement désordonné, car c’est Dieu qui aurait déterminé la volonté à vouloir ceci (le mal moral) plutôt que cela (le bien moral).

d. Dans l’ordre surnaturel, la grâce actuelle excitante consiste, comme nous l’avons exposé plus haut, dans la prémotion physique surnaturelle qui a pour terme l’acte indélibéré de l’intelligence et l’acte indélibéré de la volonté. Quand l’homme est ainsi excité à vouloir un bien salutaire, il ne faut plus une nouvelle application à l’acte d’élection pour le consentement à la grâce : l’homme se détermine lui-même à vouloir ceci, par exemple, l’objet salutaire vers lequel il est porté par l’impulsion de la grâce excitante, ou cela, un objet différent. Quand l’homme est en état de grâce et possède par conséquent les vertus infuses, il est clair qu’il ne faut aucune virlus fluens supernaturalis pour surnaturaliser intrinsèquement l’acte libre de consentement : il émane d’une faculté intrinsèquement surnaturalisée par V habitas. Mais quand il s’agit de l’homme | privé des vertus infuses, faut-il alors une virlus fluens i supernaturalis nouvelle pour surnaturaliser intrinsè ! quement l’acte libre du consentement ? Les molinistes et d’autres théologiens répondent que non ; ils disent que la surnaturalisation, produite par la motion à l’acte indélibéré et restée encore dans la volonté quand celle-ci se détermine au consentement, suffit à surnaturaliser cet acte de consentement. Cf. Guillermin, dans la Reuue thomiste, 1902, p. 657 sq. ; Billot, De gratia Christi, p. 155 sq. Il y a cependant à cette thèse une réelle difficulté : la virlus fluens de l’acte indélibéré se termine à cet acte et semble ne pas pouvoir surnaturaliser un autre acte, l’acte d’élection. Le P. Pignalaro, De gratin (lith.), p. 221 sq, enseigne qu’il faut une nouveile virtus fluens supernaturalis pour l’acte d’élection.

III. Division.

Saint Thomas, Sum. theol., I » II æ, q. exi, indique une triple division, a savoir : gratia (jratum /aeiens et gratia gratis data, operans et coopérons, prœveniens et snbsequens. Nous avons expliqué déjà le sens de la première ; il nous reste à parler des deux suivantes, ainsi que d’autres dont saint Thomas ne parle pas à l’endroit cité.

Grâce opérante et coopérante.

Cette distinction

a son fondement dans la doctrine de l’Écriture sainte : on y montre Dieu excitant l’homme au bien salutaire, Eph., v, 14 ; II Tim., i, 9 ; Apoc, iii, 20, et l’aidant à réaliser ce bien. Rom., viii, 26. 30 ; Apoc, iii, 20. Saint Augustin explique clairement ce double effet dû à la grâce divine : Ipse ut velimus operatur incipiens, qui volentibus eooperatur perficiens… Ut ergo velimus sine nobis operatur ; cum autem volumus et sic volumus ut faciamas, nobiscum cooperatur : tamen sine, illo vel opérante ut velimus, vel coopérante cum volumus, ad bona piclalis opéra nihil valemus. De gratia et libéra arbitrio, c. xvii, n. 33, P. L., t. xliv, col. 901. Le IIe concile d’Orange exprime aussi la distinction susdite : Mull t Deus facit in homine bona quæ non facit homo (c’est la grâce opérante). Nulla vero facit homo bona quæ non Deus præslat ut facial homo (c’est la grâce coopérante). Quoties bona agimus Deus in nobis tdquc nobiscum ut operrmur operatur. Denzinger-Bannwart, n. 192, 182.

Saint Thomas, loc. cit., a. 2, explique cette distinction en disant qu’elle exprime divers effets de la grâce, et non diverses entités : c’est la même grâce qui est tantôt opérante et tantôt coopérante. Cette diversité d’effet se trouve réalisée aussi bien pour la grâce sanctiliante que pour la grâce actuelle. La grâce sanctifiante est opérante (non effective, sed formaliler), en tant qu’elle rend formellement l’âme agréable à Dieu, et coopérante en tant qu’elle est principe de l’acte méritoire, qui est un acte libre ; c’est-à-dire quand l’homme justifié opère librement un acte salutaire, c’est la grâce sanctifiante qui est ie principe du caractère méritoire de cet acte : c’est en ce sens qu’elle est coopérante. La grâce actuelle est opérante en tant qu’elle a pour effet une opération salutaire au point de vue de laquelle notre âme est seufement mue et Dieu seul est moteur ; elle est coopérante quand elle a pour effet une opération à laquelle notre âme se meut elle-même en même temps qu’efle y est mue. Cette définition oiïre quelque diffieufté dans son application. Il paraîtrait à première vue que la grâce est opérante quand elle se termine à l’acte indélibéré, et coopérante quand elle se termine à l’acte délibéré, c’est-à-dire au consentement libre donné à l’impulsion divine. Mais tel ne semble pas être le sens de saint Thomas : d’après lui. la grâce est opérante par rapport à l’acte indéliiéré et aussi par rapport à l’acte délibéré, par rapport au consentement librement donné ; mais quand l’homme par ce consentement s’est fixé une fin à atteindre et qu’il y tend par des actes commandés par la volition de cette fin, alors la grâce qui soutient l’homme dans l’exécution de sa volonté est coopérante. Cf. Cajétan, In J am Il’q. exi, a. 2 ; Soto, De

natura et gratia, 1. I, c. xv, fol. 62 ; Alvarez, De auxiliis, disp. LXXXII, c. xlvii ; Billot, De gratia Christi, p. 101 sq. Il faut remarquer encore que la distinction susdite peut s’appliquer à une opération salutaire particulière ou bien à l’œuvre totale de la sanctification personnelle.

Grâce prévenante et subséquente.

Cette terminologie

a son origine dans les. Psaumes lviii, 11, et xxii, 6 : Misericordia ejus præveniet me ; misericordia ejus subsequetur me. Saint Augustin, invoquant ces textes, enseigne que tous les actes salutaires de l’homme sont un effet de la grâce divine et il la décrit en ces termes : Ubi quidem operamur et nos, sed illo (Deo) opérante cooperamur. Prævenit autem ut sanemur, qui cl subsequetur ut eliam sanali vegetemur ; prævenit ut vocemur, subsequetur ut glorificemur ; prævenit ut pic vivamus, quia sine illo nihil facere possumus. De natura et gratia, c. xxxi, n. 35, P. L., t. xliv, col. 264. De même dans l’écrit Contra duas c/iislolas pelagianorum, 1. II, c. ix, n. 21, P. L., t. xliv, col. 586, il attribue le commencement de l’amour du bien à la grâce par laquelle Dieu nous prévient, et l’achèvement à la grâce qui suit. Sous cette terminologie saint Augustin désigne donc des effets différents de la grâce considérée en général. C’est dans le même sens que s’exprime l’Église dans certaines oraisons liturgiques : Tua nos, quæsumus, Domine, gratia semper et præveniat et scquatur. Orat. dom. XVI po ?l Penlescosten. Aetiones noslras. .. adspirando præveni et adjuvando prosequere ut cuncta nostra operatio et oratio a le semper incipial et per te cœpta finiatur. Oral, in sabbato quai. temp. Quadragesimæ.

Saint Thomas, loc. cit., a. 3, enseigne la même chose : cette distinction ne considère que l’ordre de priorité ou de postériorité qui s’établit entre les divers effets attribués à la grâce, soit habituelle soit actuelle ; par exemple, vouloir délibérément un bien salutaire et puis exécuter cette détermination sont deux effets de la grâce ; quant au premier, elle est prévenante, quant au second, elle est subséquente.

Saint Thomas indique d’autres applications, et dans sa réponse ad 2°"’, il affirme de nouveau que cette distinction ne concerne pas l’essence de la grâce, mais seulement ses effets : la grâce en tant qu’elle est prévenante n’est donc pas, de ce chef, réellement distincte de la grâce subséquente ; la grâce subséquente, en tant qu’elle appartient à la gloire céleste, ajoute saint Thomas, n’est pas réellement distincte de la grâce prévenante par laquelle nous sommes justifiés en cette vie. La chanté de cette vie ne disparaît pas au ciel, mais elle y est perfectionnée : de même la lumière de grâce (c’est-à-dire la grâce sanctifiante ) est fa même en cette vie et dans l’autre ; il en est ainsi parce que la charité et la grâce sanctifiante n’incluent, dans leur concept, aucune imperfection.

La doctrine de saint Thomas est, quant à sa substance, la même qu’expose Pierre Lombard, Sent., 1. ii, dist. XXVI, et que tenaient les scolastiques anciens. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, q. vi, Opéra omnia, t. ii, p. 615 sq., et les Scholia, p. 646, 655.

Grâce excitante et adjuvante.

Nous trouvons

ces termes chez saint Augustin : Quocirca quoniam quod a Deo nos averlimus nostrurn est, et hsec est voluntas mala ; quod vero ad Dcum nos convertimus, nisi ipso excitante et adjuvante non possumus, et hœc est voluntas bona. De piccaliiriim merilis et remissione, 1. II, c. xviii, n. 31, P. L., t. xliv, col. 169. Le concile de Trente s’est servi des mêmes termes pour décrire la conversion de l’adulte et les dispositions requises à sa justification ; c’est depuis lors que la distinction susdite a été universellement employée par les théologiens. Le concile parle des grâces actuelles : chez les adultes, le commencernent de la justification doit provenir de la grâce prévenante, c’est-à-dire de la vocation ; par la grâce excitante et adjuvante, s’ils y consentent librement et y coopèrent, ils sont disposés à la conversion et à la justification ; l’opération de Dieu et la coopération de l’homme sont, en outre, expliquées comme il suit : c’est Dieu qui touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint-Esprit ; l’homme peut librement accepter cette inspiration en y consentant (assentiendo), il peut aussi la rejeter en voulant autre chose (dissenliendo). Sess. vi, c. v, et can. 3, 4, Denzinger-Bannwart, n. 797, 8t3, 814. Le concile établit ici, contre les protestants, la nécessite de la grâce et de la libre coopéralion de l’homme : dans l’œuvre de la conversion, la première part revient à la grâce qui prévient, meut, excite ; sous l’empire de cette excitation, l’homme peut librement y consentir ou refuser le consentement ; s’il consent, il coopère avec la grâce. La grâce divine produit l’illumination et l’inspiration : ce sont des actes indélibérés ; le consentement ou le dissentiment, de la part de l’homme, sont des actes délibérés.

Le concile ne dit rien sur une distinction réelle entre la milice excitante et la grâce adjuvante ; sous cette double dénomination il désigne le principe d’où dépend et auquel répond le libre consentement et la libre coopération de l’homme ; mais ce consentement peut aussi ne pas être donné : c’est alors le dissentiment. C’est le libre choix de l’homme qui détermine l’un ou l’autre effet. Après le concile, beaucoup de théologiens, tant de l’école moliniste que de l’école banésienne, ont appliqué principalement, sinon exclusivement, les termes expliqués plus haut à la grâce actuelle, et leur ont donné un sens restreint : ils entendent par grâce excitante la grâce en tant qu’elle suscite l’acte indélibéré dans l’intelligence et dans la volonté ; par grâce adjuvante, la grâce en tant qu’elle est principe de l’acte délibéré. De plus, ils considèrent comme synonymes, d’une part, les termes opérante, prévenante, excitante ; d’autre part, les termes coopérante, subséquente, adjuvante. VoirMolina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XVII, p. 37 ; disp. XXXIX, p. 223 ; Suarez, De gratta, 1. III, c. xx, n. 8, p. 90 ; c. xxi, n. 14, p. 94 ; c. xxiii, n. 3, p. 100 ; c. xxiv, n. 6, p. 104 ; Goudin, De gratia Dei, q. v, a. 1, p. 252 sq. ; Billuart, Tractatus de gratia, diss. V, a. 1, Summa S. Thomte, Paris, s. d., t. iii, p. 123 sq.

Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XXXIX, p. 222 sq. ; disp. XL, p. 229 sq.. enseigne que la grâce excitante, prévenante, opérante est la même réalité que la grâce adjuvante, coopérante, subséquente ; la première consiste dans les actes vitaux indélibérés ; si l’homme consent (ce qui se fait par le seul acte délibéré de la volonté), cette même grâce est adjuvante. Bellarmin, De gratia et libero arbiirio, 1. I, c. xii, n. 29, p. 244, n’admet pas cette assertion ; pour lui, la grâce coopérante est efficace ab intrinseco ; mais non pas au sens où l’explique l’école banésienne, c’est-à-dire en admettant la prédétermination physique ; Bellarmin réfute cette opinion. Loc. cit., n. 8 sq. ; cf. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, p. 101 sq. Notons encore que Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, c. xiv, n. 8, p. 249, n’admet pas que la grâce opérante concerne uniquement l’acte indélibéré, mais elle a pour effet le premier acte délibéré de la conversion ; tandis que la grâce coopérante a pour effet les actes subséquents. C’est pourquoi Bellarmin donne cette distinction comme une subdivision de la grâce efficace. Mais cette opinion est connexe avec la grande question de l’efficacité de la grâce actuelle que nous exposerons plus loin.

Grâce suffisante et efficace.

Sur le sens qu’avaient

ces mots avant les controverses du xvie siècle, voir Schneeman, Weiterc Entwiclaiung des thomistisch molinischen Controverse, Fribourg-en-Bri=gau, 1880, p. 124 sq. Actuellement ces termes indiquent une division adéquate de la grâce actuelle. Certains théologiens en donnent une explication qui suppose le système auquel ils adhèrent et proposent par conséquent une définition réelle. Pour le moment nous ne donnons qu’une définition purement nominale : la grâce est efficace quand elle est infailliblement connexe avec l’acte salutaire délibéré ; elle est seulement suffi I ante quand elle procure à l’homme le pouvoir d’agir salutairement, mais n’obtient pas ce résultat. En disant de la grâce efficace qu’elle est infailliblement connexe avec l’acte volontaire délibéré, nous faisons abstraction de la manière dont se réalise cette infaillibilité ; nous faisons abstraction de la question de savoir si la raison de cette infaillible connexion se trouve dans la grâce elle-même ou seulement en Dieu, c’est-à-dire dans sa science infaillible.

L’existence de la grâce seulement suffisante et celle de la pràce efficace est un point de doctrine admis par tous les catholiques et contenu dans le dépôt de larévélation.

1. Écriture sainte.

En effet, elle nous révèle que la grâce est nécessaire pour tout acte salutaire, qu’avant la justification il n’est donné que des grâces actuelles, qu’après sa justification l’homme a encore besoin de grâces actuelles pour persévérer. D’autre part, Dieu donne à ceux qu’il appelle les grâces réellement et pleinement suffisantes pour qu’ils puissent suivre cet appel ; il donne aux justes toutes les grâces véritablement suffisantes pour qu’ils puissent persévérer dans leur état et éviter le péché mortel. Cependant il est des hommes qui, de fait, refusent de faire ce à quoi Dieu les pousse, qui résistent à la grâce ; d’autres, au contraire, consentent aux impulsions divines et les suivent. Il y a donc des grâces simplement suffisantes, et il y a des grâces efficaces. L’existence des premières est affirmée dans la plainte du Christ : « Jérusalem, Jérusalem…, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu. » Matth., xxiii, 37.

II y a donc des juifs qui ont reçu des grâces suffisantes à la foi, mais qui librement et coupablement y ont résisté. Saint Paul dit aux juifs : « Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité ? et ne sais-tu pas que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence ? Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Rom., ii, 4-5. Saint Etienne s’écrie : « Hommes à la tête dure, vous résistez toujours au Saint-Esprit. » Act., vii, 51.

2. Les Pares.

Saint Irénée, en interprétant Matth., xxiii, 37, enseigne que ceux qui ont opéré le bien (il s’agit du bien salutaire) en seront récompensés parce qu’ils ont opéré le bien alors qu’ils auraient pu ne pas l’opérer ; et ceux qui n’auront pas opéré le bien seront punis, parce qu’ils n’ont pas opéré le bien alors qu’ils auraient pu le faire. Cont. hier., 1. IV, c. xxxvii, n. 1, P. ( !., t. vii, col. 1099. Saint Irénée décrit ici la liberté (libertas clectionis) vis-à-vis de la grâce cjue Dieu concède à tous : les uns y coopèrent librement et font ce bien dont la grâce les a rendus capables ; les autres librement ne coopèrent pas et ne font pas ce dont la grâce les a rendus capables ; il y a donc une grâce suffisante et inefficace et une grâce efficace. Cette efficacité dépend, au moins partiellement, de l’exercice du libre arbitre. Une doctrine semblable est exposée par saint Jean Chrysostome, Homil., viii, n. 1, P. C.. t. liv, col. 65. Pour la doctrine des autres Pères, cf. Habert, Theologia Patrum græcorum, 1. II, c. vi sq. ; Tournély, De gratia Christi, Paris, 1724, t. ii, q. vii, a. 2, p." 369 sq.

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GRACE

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La doctrine de saint Augustin doit spécialement attirer l’attention. Il ne s’est pas appliqué à démontrer ex professo l’existence de ce que nous appelons grâce suffisante ; il est, au contraire, plus préoccupé de l’efficacité de la « race : ce qui s’explique par le fait que sa mission était de défendre la nécessité de la grâce. Néanmoins Augustin montre clairement qu’il admet une grâce suffisante, c’est-à-dire une grâce donnée par Dieu pour que l’homme puisse agir salutairement et cependant frustrée de cet effet parce que l’homme résiste à ce secours divin. a) Quant au premier point, c’est-à-dire que la grâce est un secours donné pour que l’homme puisse agir salutairement, notons les textes suivants : Sanat Drus non solum ut deleat quod peccavimus, sed ut prsestet etiam ne peecemus. De naturel et gratia, c. xxvi, n. 29, P. L., t. xliv, col. 261. Le secours dont parle saint Augustin est la grâce du Christ et celle-ci, notamment quand il s’agit d’éviter le péché, comprend des grâces actuelles. Ce secours dont il est ici question est encore requis pour persévérer dans la justice, pour vivre dans la rectitude morale : ce secours est de fait accordé aux justes, parce que Dieu ne les abandonne pas lorsqu’eux-mêmes n’abandonnent pas Dieu : non deserit, si non deseratur. Loc. cit. Ce secours divin ne détruit pas le libre arbitre, mais il n’est utile qu’à celui qui veut, qui veut humblement, et qui ne s’enorgueillit pas, comme si les énergies de sa seule volonté suffisaient à pratiquer la justice. Op. cit., c. xxxii, n. 36, col. 265. La nature humaine est blessée ; elle est, par suite de la concupiscence, dans un état où elle ne peut éviter tout péché ; pour la délivrer de cet esclavage, il faut la charité qui est infuse dans nos âmes par le Saint-Esprit, op. cit., c. liii-lin, col. 276-281 ; par cette charité l’homme est délivré de la nécessité morale de pécher. Op. cit., c. lxvi, n. 7’. » . col. 280. Par conséquent au degré de charité correspond le degré de justice : charitas ergo inehoata, inchoata justitia est ; charitas provecla, provecla juslitia est ; charitas magna, magna justitia est ; charitas perfecla, pcrjccii justitia est. Cette charité n’est pas le résultat de notre nature, ni de nos œuvres, mais elle est l’effet du Saint-Esprit, qui par là porte remède à notre infirmité et coopère à notre guérison : c’est en cela que consiste la grâce de Dieu par Jésus-Christ. Op. cit., c. i.xx. n. 84, col. 290. Cf. De gratia Christi, 1. I, c. xxxv. n. 38, P. L.. t. xliv, col. 378. Saint Augustin décrit ici la grâce divine considérée en général, en tant qu’elle est secours ajouté à la nature. « Il ramène toutes les affections humaines à l’amour de Dieu…, mais il n’entend pas alors par charité la vertu théologale de ce nom, ni même l’amour de Dieu en général ; il étend le sens du mot charité à tout amour honnête, à tout acte de vertu, à toute bonne volonté conforme à l’ordre éternel. » Le Bachelet, Baius, t. ii, col. 91. La grâce ainsi entendue est opposée à la concupiscence : celle-ci est la force qui incline l’homme au mal et l’entraîne ; la charité est la force opposée par laquelle l’homme peut éviter le péché, mais il ne l’évite que librement. Cf. aussi De gratia Christi, c. xlvii, n. 52, col. 383 ; Contra duas epistolas pclagianorum, 1. IV, c. vi, n. 12, col. 617 sq. ; De gratia et libero arbilrio, c. iv, n. 6 sq., col. 885 sq.

b) Saint Augustin enseigne donc que la grâce est le secours suffisant pour que l’homme puisse éviter le péché et augmenter en lui la justice ; mais la grâce n’obtient son effet que par la libre coopération de l’homme, et quand celle-ci fait défaut, la grâce n’obtient pas l’effet auquel elle est ordonnée. Ce point de doctrine a été clairement enseigné par saint Augustin après que, par la grâce divine, il avait bien compris que la grâce est distribuée à titre gratuit et qu’elle est nécessaire également au commencement de la foi. Cf. De prsedestinatione sanctorum, c. iv, n. 8, P. L.,

t. xliv, col. 965 ; De dono perseverantise, c. xx, n. 52, /’. /.., t. xlv, col. 1026. C’est en écrivant sa dissertalion a Simplicien que cette lumière lui est venue. Dans cet écrit le saint docteur parle notamment de la vocation : il y a une vocation efficace, qui obtient infailliblement son effet, parce qu’elle est si bien adaptée aux dispositions du sujet qu’elle obtient de fait le consentement ; une autre vocation n’est pas ainsi adaptée aux dispositions du sujet et n’obtient pas le consentement. Cf. Augustin, t. i, col. 2390. La même idée est exprimée dans la lettre ccxvii écrite vers 427 : saint Augustin y réfute celui qui lient que le commencement de la foi n’est pas dû à la grâce, mais au libre arbitre, c’est-à-dire au consentement naturel que l’homme donne après qu’il a entendu proposer la doctrine et la loi divine. Saint Augustin enseigne la nécessité de l’influence divine interne, qui prévient l’homme, prépare sa volonté et fait que i homme consente ; cet effet s’obtient parce que cette grâce interne est apte, accommodée au consentement qu’elle doit obtenir ; l’effet ne serait pas obtenu si Dcus non vocatione illa atta alque sécréta sic agerrt sensum ut ( idem accommodarct assensum. P. L., t. xxxiii, col. 980. Saint Augustin enseigne donc que l’efficacité de la grâce consiste à obtenir le consentement de l’homme. Pour l’objet qui nous occupe maintenant, le texte du De spiritu et litlera, c. xxxiii, xxxiv, P. L.. t. xliv, col. 257 sq., est de la plus haute importance. Saint Augustin y pose la question : « L’acte de volonté par lequel nous croyons est-il un don de Dieu, ou bien procède-t-il naturellement du libre arbitre ? Il répond d’abord que le libre arbitre reste, que par lui l’homme peut croire et aussi ne pas croire, employer bien ou mal sa liberté. Néanmoins l’acte par lequel nous croyons doit être attribué à Dieu ; non en ce sens qu’il sort du libre arbitre reçu par Dieu dans la création, mais bien en ce sens que cet acte est l’effet de l’influence divine sur notre âme ; c’est cette influence cpii produit l’acte de croire ; cependant il reste toujours vrai que le consentement (à la grâce prévenante) ou le dissentiment appartient à la volonté de chacun : profeclo et ipsum velle crederc Deus operatur in liominc et in omnibus miscrieordia cjus prævenil nos ; consentire autem vocationi Dei. pet ab ea dissenlire, sicut dixi, propriæ voluntatis est. P. L., t. xliv. col. 240 sq. Saint Augustin explique ensuite comment cette assertion n’est pas en opposition avec le principe qui, pour lui, est fondamental dans I ;  ; doctrine de la grâce : Quîd habes quod non accepisli ? Les dons qui sont désignés ici, l’âme ne peut ni les recevoir, ni les avoir qu’en consentant : elle consent aux dons divins ; c’est pourquoi ce qu’elle a et ce qu’elle reçoit est de Dieu, mais recevoir et avoir est le fait de sa propre volonté. Si l’on demande pourquoi, parmi les hommes, l’un est travaillé parla grâce, de façon à arriver à la persuasion et à l’acte de foi, et pourquoi l’autre ne l’est pas ainsi, il ne reste qu’à répondre : O allitudo divitiarum. Rom., xi, 33. Loc. cit. Saint Augustin enseigne donc ici que, sous l’influence actuelle de la grâce, l’homme peut y donner ou refuser son consentement : il peut consentir ; la grâce est donc suffisante à obtenir cet effet ; il peut refuser ce consentement, la grâce est alors inefficace. Nous avons ici la notion de la grâce véritablement, mais exclusivement suffisante, non efficace. Nous parlerons plus loin de la pensée de saint Augustin sur la nature de l’efficacité de la grâce.

Beaucoup d’auteurs croient trouver la notion de la grâce suffisante et inefficace dans le livre De correptionc et gratia, c. x sq., P. L., t. xliv, col. 931 sq., où saint Augustin distingue le secours sans lequel l’homme ne peut pas persévérer, adjuiorium sine quo non, et le secours par lequel l’homme persévère en réalité, adjutovium quo. Ces auteurs identifient la

grâce suffisante avec Vadjutorium sine quo non, et la grâce efficace avec Vadjutorium quo. Cela n’est pas exact. D’abord, pour saint Augustin, Vadjutorium sine quo non est l’ensemble des dons concédés à Adam avant son péché, c’est l’ensemble des dons par lesquels Adam pouvait persévérer dans l’état d’intégrité dans lequel il avait été créé. Cet ensemble de dons comporte-t-il des grâces internes actuelles excitantes ? On ne peut l’affirmer avec certitude, comme nous L’exposerons plus loin. En supposant qu’on l’admette, on ne pourrait pas en conclure que saint Augustin enseigne qu’il existe maintenant, dans l’état de nature déchue, des grâces purement suffisantes. Car le secours qu’il oppose au premier est l’ensemble des dons qui réalisent de fait la persévérance finale chez les prédestinés, dans l’état actuel de la nature déchue : c’est pourquoi il appelle cet adjulorium quo une gratta potentior parce qu’elle a pour effet de faire surmonter de grandes difficultés qui n’existaient pas pour Adam. L’adjulorium quo est donc l’ensemble de dons qui est efficace en ce sens qu’elle réalise la persévérance finale ; Vadjutorium sine quo est un ensemble de dons qui eût été suffisant pour obtenir la persévérance d’Adam dans l’état d’intégrité ; mais il n’est pas question ici de la grâce actuelle excitante, accordée après la chute d’Adam, et qui peut être ou bien seulement suflisante ou bien efficace. Cf. Palmieri, De gratia acluali, thés. xlvi, n. 8, p. 409 sq.

3. Les conciles et actes officiels de l’Église.

Le IIe concile d’Orange déclare : « Conformément à la foi catholique, nous croyons que tous les baptisés, après avoir reçu la grâce au baptême, peuvent par le secours et la coopération du Christ, s ils veulent fidèlement travailler, remplir tout ce qui est requis au salut. » Denzinger-Bannwart, n. 200. Tous les baptisés ont donc le secours surnaturel suffisant, et par conséquent les grâces actuelles nécessaires pour satisfaire à toutes leurs obligations ; comme en réalité tous n’évitent pas le péché, il y a donc des grâces actuelles vraiment mais exclusivement suffisantes.

La même doctrine est exprimée au concile de Trente. Denzinger-Bannwart, n. 804. De plus, ce concile a employé à peu près les mêmes termes dont s’est servi saint Augustin, dans son livre De spiritu et litlera, c. xxxiv, pour exprimer la liberté de l’homme sous l’influence de la grâce excitante, et le pouvoir qu’il a d’opposer son dissentiment â l’impulsion divine : le concile ne dit pas explicitement que cette motion est vraiment suffisante à obtenir le consentement, mais cette motion est implicite dans ce qu’il dit ; sans la grâce l’homme ne peut pas se préparer à la justification ; sous l’influence de la grâce l’homme peut y refuser son assentiment (illam ab/icerc potest) ; il doil y consentir pour qu’il se convertisse. Il s’agit ici de grâces internes actuelles excitantes, données avant la justification. Denzinger-Bannwart, n. 797, 814.

Luther et Calvin, ainsi que Baius, niaient l’existence de la liberté, et dès lors, au moins implicitement, la grâce vraiment et seulement suflisante. Voir Baius, t. ii, col. 81 sq. ; Calvinisme, t. ii, col. 1401 sq. Les calvinistes, appelés postlapsaires, au synode de Dordrecht (1618-1619), rejetèrent explicitement la distinction de la grâce en suffisante et efficace, et n’admirent que la grâce efficace. Cf. Guillermin, Revue thomiste, 1901, t. ix, p. 509 sq.

Mais c’est surtout Jansénius et ses disciples qui ont nié la distinction susdite, et ont soutenu que, dans l’état actuel de la nature déchue, il n’y avait pas de grâce suffisante qui ne fût en même temps efficace, et que, lorsque l’homme n’opérait pas le bienetn’accom plissait pas les préceptes, c’était parce que la grâce qui les eût rendus possibles lui avait manqué. Jansénius, Augustinus, t. ni. D&gratia Christi, I. III, c. i. Louvain,

1640, col. 249 sq. Innocent X en 1653 condamna cinq propositions de Baius, parmi lesquelles il déclarait hérétique celle-ci : « Dans l’état de la nature déchue on ne résiste jamais à la grâce intérieure. « Denzinger-Bannwart, n. 1093. Les jansénistes continuèrent à défendre la même doctrine, au moins quant à sa substance ; ils furent condamnés à différentes reprises. Alexandre VI IL en 1690, condamna cette assertion : « La grâce suffisante, dans l’état où nous sommes, est plus pernicieuse qu’utile, de façon â ce qu’on puisse légitimement faire cette prière : De la grâce suffisante délivrez-nous, Seigneur. » Denzinger-Bannwart, n. 1296. Voir t. i, col. 754. En 1713, Clément IX condamna les erreurs de Quesnel, et notamment celle-ci : « Quand Dieu veut sauver une âme et qu’il la touche de sa grâce intérieure, aucune volonté humaine ne lui résiste. » Op. cit., n. 1363. La même erreur, renouvelée au synode de Pistoie, fut condamnée en 1794 par Pie VI. Op. cit., n. 1521.

4. Après les discussions que nous venons d’indiquer, les théologiens ont clairement défini la notion de la grâce véritablement et seulement suffisante. Voici en quels termes l’expose Tournély, De gratia Christi, t. ii, q. vii, p. 309 : Nomine gratiæ sufficienlis eam Ecclesia intelligit quie expedilam et relalivam ad présentes subjccli circumstanlias conferl voluntati ad opus bonum potentiam, ac vires pares et xquales superandæ opposila’concupiscenliæ ; nec aliter etiam intelligit gratiæ interiori rcsisti, quam quod co privatur e/fcclu, quem relative ad oppositam actualem coneupiscenliam ex ordinalione et voluntate Dei hic et nunc habere potest. Certains théologiens, pour démontrer l’existence de cette grâce, emploient l’argument suivant : Dieu veut le salut de tous les hommes ; or sans la grâce suffisante, l’homme ne peut pas se sauver ; donc Dieu donne à tous les hommes les grâces suffisantes au salut ; mais il y a des hommes qui ne se sauvent pas ; donc il existe des grâces vraiment et seulement suffisantes. Cette argumentation n’est pas concluante ; la première conclusion ne découle pas strictement des prémisses. Nous admettons cjue Dieu veut, de volonté conditionnée (non absolue), le salut de tous les hommes, et que par conséquent il donne à l’homme le secours suffisant, c’est-à-dire au moins le secours remote sufficiens au salut. Mais il n’est pas démontré que ce secours remole sufficiens est nécessairement la grâce actuelle proprement dite, c’est-à-dire l’illumination surnaturelle de l’intelligence et l’inspiration surnaturelle de la volonté. Dès lors il n’est pas démontré par là que tous les hommes reçoivent, de fait, des grâces proprement dites et qu’il y en a qui ne sont que suffisantes. En effet, d’après ce que nous avons exposé en parlant de la distribution de la grâce, il ne répugne pas qu’un homme adulte puisse mourir sans avoir reçu des grâces proprement dites, car les théologiens admettent que l’homme peut, pendant un certain temps, observer la loi naturelle, sans la grâce ; il a donc alors le secours suffisant, l’énergie naturelle pour éviter tout péché mortel. Mais si pendant ce laps de temps il commet le péché mortel et le multiplie, il met obstacle à l’effusion des grâces de Dieu sur lui : peut-on affirmer que Dieu lui donnera encore des grâces actuelles proprement dites ?

5. La notion de la grâce suflisante que nous avons exposée soulève une difficulté : Comment la grâce suffisante, mais inefficace, peut-elle être un bienfait de Dieu ?

Quand on considère cette grâce en elle-même, elle est un don de Dieu, un secours gratuit, conférant à l’homme le pouvoir d’agir salutairement. Cette notion essentielle ne change pas par le fait cjue cette grâce n’obtient pas son effet, car ceci dépend de la liberté humaine ; l’homme pourrait consentir, mais il choisit le dissentiment, c’est lui qui n’use pas comme il faut

du bien qui lui est oclroyé par Dieu ; mais l’excitation surnaturelle à l’acte surnaturel est et reste un réel secours concédé par Dieu.

Cependant, dira-t-on, Dieu prévoit que l’homme ne consentira pas à cette grâce ; il prévoit qu’en maintes circonstances l’octroi de la grâce seulement suffisants devient une occasion de péché et de damnation éternelle. Par conséquent, au moins dans ces cas, la grâce seulement suffisante n’est pas un bienfait de Dieu. A cela on répond que l’octroi des grâces suffisantes est et reste toujours l’effet de la volonté salvitique de Dieu, de cette volonté par laquelle Dieu veut sincèrement, bien que conditionnellement, le salut de tous les hommes et l’octroi des moyens nécessaires à leur salut ; chaque fois que Dieu accorde une grâce suffisante, il le fait afin que, par elle, l’homme puisse agir salutairement et il donne ce pouvoir parce qu’il veut le salut de cet homme. La prévision de l’absence d’effet de cette grâce (absence qui est duc à la libre résistance de l’homme) ne change pas la disposition bienveillante d’où procède la concession de la grâce, et ne lui enlève pas sa raison de bienfait. Si l’on dit : cependant il vaudrait mieux pour l’homme n’avoir pas reçu la grâce suffisante ; cela est vrai, mais ce mal dépend, non de la grâce suffisante comme telle, mais du libre refus d’y coopérer de la part de l’homme. On peut dire aussi que, pour l’homme damné, il vaudrait mieux n’avoir jamais vécu, cf. Matth., xxvi, 24 ; cependant la vie est toujours un bienfait de Dieu. Cf. Mazzella, De gratia Christi, n. 525 sq. L’explication de la conciliation de la volonté salvitique de Dieu avec la prédestination et la réprobation doit être donnée ailleurs.

6. Ce que nous avons exposé jusqu’ici, en prenant comme point de départ la définition nominale de la grâce suffisante et efficace, fait partie de la doctrine catholique elle-même. La controverse entre les théologiens catholiques concerne la réalité de la grâce, l’entité dans laquelle se vérifie la notion expliquée jusqu’ici. Ainsi les auteurs de l’école bafiésienne défendent l’existence d’une grâce véritablement suffisante quoique inefficace, et la disent réalisée dans les motions divines internes qui se terminent aux actes indélibérés ; c’est ainsi que l’homme a le pouvoir d’agir salutaircment ; c’est la grâce suffisante ; mais pour que l’homme produise de fait l’acte libre du consentement, il faut une nouvelle grâce actuelle, qui prédétermine physiquement l’acte délibéré ; cette seconde motion est la grâce efficace. Cf. Billuart, De gratia, diss. V, a. 2, p. 130. De ce que nous venons de dire il résulte que, pour toutes les écoles catholiques, la grâce actuelle excitante exerce toujours une causalité objective ou intentionnelle ; en effet, les illustrations intellectuelles, qui sont produites physiquement par Dieu dans l’intelligence, exercent une influence en tant qu’elles présentent dans la connaissance le bien ou le mal et qu’elles sont connaturellement accompagnées de l’affection correspondante dans la volonté, amour ou aversion ; c’est ainsi que ces actes intellectuels meuvent objectivement ou intentionnellement la volonté. Cf. S. Thomas, Sam. theol., P II 1 ", q. ix, a. 1 ; Billuart, op. cit., diss. V, a. 5, p. 141. L’all’cction elle-même, produite aussi par Dieu, et constituant un acte indélibéré, ne détermine pas physiquement le consentement ; elle le rend possible et y incline ; mais cette inclination vis-à-vis de la détermination de l’acte libre, est formellement une influence, qui appartient à la motion objective. Cette assertion est commune à l’école moliniste, à l’école bafiésienne et à l’école augustinienne, au moins à celle qui professe l’augustianisme modéré. Ce que nous venons de dire au sujet de la motion objective ne tranche pas une autre question, celle-ci : la grâce prévenante exerce-t-elle sur l’acte du consentement une influence d’ordre purement objectif

ou moral, comme est l’influence de persuasion qu’on exerce sur la volonté d’un homme par les conseils, les exhortations, ou bien exerce-t-elle aussi une influence physique. Les auteurs, même dans l’école moliniste, ne semblent pas d’accord pour répondre à cette question. Voir sur ce point quelques indications dans Schifiini, De gratia divina, n. 154 ; une note du P. Guillermin, dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 68. On peut admettre que la grâce excitante exerce une influence physique sur le libre arbitre sans en conclure que cette influence entraîne, par son efficacité intrinsèque, le consentement, l’acte bon délibéré.

IV. Efficacité.

r. AVANT i CONTROVERSE m vi> siècle. — Les théologiens ne semblent pas avoir fait, avant cette époque, de l’efficacité de la grâce actuelle un objet spécial de leurs recherches. Nous indiquerons brièvement ce que l’on peut trouver sur ce sujet dans saint Augustin et dans saint Thomas.

D’après saint Augustin.

Dans l’exposé doctrinal

concernant la grâce, on peut, distinguer chez saint Augustin trois périodes : d’abord celle qui va jusqu’à l’année 396, pendant laquelle il s’était représenté la grâce comme un salaire que l’homme doit mériter par sa foi, comme une récompense que Dieu octroie à ceux qui s’en sont rendus dignes ; ensuite vers la fin de l’année 396 ou au plus tard au cours de l’année 397, par la méditation des paroles : Quis enim te disccrnil ? I Cor., iv, 7, il reconnaît qu’il a fait fausse route, et il comprend que ce n’est pas par la foi que l’homme mérite la miséricorde divine, mais que c’est la miséricorde divine qui donne la foi, en d’autres termes, que tout acte salutaire, tout commencement du salut, dépend de la grâce divine, d’un don accordé gratuitement par Dieu ; enfin la troisième période commence en 416-417 avec le commentaire d’Augustin sur l’Évangile de saint Jean ; il y expose la gratuité absolue de la grâce, en connexion avec la prédestination ; celle-ci est absolument certaine en Dieu et indépendante de la présence des œuvres faites par les hommes en dehors de la grâce ; d’où il résulte que le salut de tout homme est un effet entièrement produit par la grâce divine, et celle-ci le réalise indeclinabiliter cl insuperabiliter. De correplionc et gratia, c. xii, n. 38 ; cf. c. xiv, n. 43, P. L., t. xliv, col. 839, 942 ; cf. Opus imperfection contra Julianum, 1. III, c. clxvi, P. L., t. xlv, col. 1217. Nous donnons ce résumé d’après Weinand, Die Gotlesidee der Grundzug der Wellansehauung des ni. Augustinus, Padcrborn, 1910, c. ix, p. 115 sq.

Tels sont les principes généraux d’Augustin sur l’efficacité de la grâce considérée en général. Il enseigne donc que le salut de l’homme est un effet inéluctable de la prédestination divine, mais l’activité divine sur l’âme ou la grâce infuse dans l’âme ne détruit pas la liberté humaine : la coopération de l’homme reste libre. Ce point a été démontré à l’art. Augustin, t. i, col. 2387 sq. Nous n’avons pas à exposer ici la notion augustinienne de la prédestination : sur ce sujet on lira l’art. Augustin, t. i, col. 2390 sq., mais aussi les observations et réserves exposées par M. Van Crombrugghe et par le P. Jacquin dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), t. iv (1903), p. 534 ; t v (1904), p. 732 sq. Sur la notion augustinienne de la volonté salvitique en Dieu, voir les mêmes auteurs, loc. cit., t. v, p. 498 sq., 740 sq. La question qui nous occupe est celle-ci : saint Augustin a-t-il expliqué le mode de causalité exercée par la grâce actuelle excitante sur le consentement libre ? Saint Augustin enseigne qu’il y a une action de la grâce sur la volonté, que néanmoins celle-ci demeure fibre, et que cependant c’est à l’influence de la grâce divine qu’il faut attribuer le fait du consentement libre de l’homme.

Mais cette influence est elle physique ou consiste^

t-elle dans une motion inorale’? Saint Augustin ne le dit pav Pans son ouvrage De diversis quæslionibus ad Simplicianum, 1. I, q. ii, n. 13, P. L., t. xl, col. 118 sq., en parlant de la vocation à la foi et du consentement qui suit, il dit : Xon potest cffcclus misericordia’Dei esse in hominis potestule, ut frustra Me misereatur si homo nolit ; l’efficacité de la vocation dépend de Dieu, et cette efficacité consiste en ce que la vocation est congrue, c’est-à-dire bien adaptée, proportionnée aux dispositions de celui dont elle obtiendra le consentement libre : Mi enim eleeli qui eongrucnler vocali ; Dieu connaît comment il doit agir sur l’homme pour que celui-ci consente : nullius Deus frustra miseretur : cujus autrui miseretur, sie eum vocat, quomodo seit ci congruere, ut vocantem non respuat. C’est la même explication qu’il donne dans ses œuvres postérieures, quand il dit : Præparatur voluntas a Domino. De gratia et libero arbilrio, c. xvi, n. 32 ; De prædestinatione sanctorum, c. v, n. 10 ; c. vi. n. Il ; c. xx, n. 42, P. L., t. xliv, col. 900, 968, 990. Cf. Rotmanner, Dervugustinismus, Munich, 1892, p. 23 sq. L’influence exercée par Dieu est interne : agit enim omnipolens in cordibus hominum etiam motum Doluntatis eorum, ut per eos agat quod per eos agere voluerit. His et talibus testimoniis divinorum cloquiorum salis, quantum existimo, manijestatur operari Deum in eordibus hominum ad inclinandas eorum volunlaies quoeumque voluerit. De gratia et libero arbilrio, c. xxi, n. 42, 43, P. L., t. xliv, col. 908. 909. Cf. Jacquin, loc. cit., p. 746. Cette influence divine produit des illuminations dans l’intelligence et des inspirations dans la volonté. De pecealorum meritis et remissione, 1. II, c. xix ; De gratia Christi, 1. I, c. xxiv, n. 25, P. L., t. xliv, col. 170, 373.

De tout ce qui précède, il résulte que, pour saint Augustin, la grâce est efficace parce qu’elle agit d’une façon bien adaptée aux dispositions du sujet, et parce qu’elle obtient ainsi le libre consentement de l’homme ; cet effet est infaillible, parce que Dieu sait comment il doit préparer la volonté humaine au consentement à donner. Mais saint Augustin n’explique pas davantage le mode de causalité exercée par la grâce actuelle : en particulier il n’explique pas en quoi consiste précisément l’influence de cette grâce sur l’acte libre et la connexion qui existe entre les deux.

D’après saint Thomas.

Ce saint docteur ne

semble pas non plus avoir traité cette question. 11 expose les principes généraux d’après lesquels on connaît l’activité de Dieu en la créature ; nous avons exposé plus haut qu’il enseigne qu’une prémotion physique est nécessaire à l’opération de la créature, à chaque fois que celle-ci commence à agir. Nous avons expliqué aussi pourquoi nous sommes d’avis que saint Thomas n’admet pas une nouvelle prémotion physique, e’est-à-dirc une nouvelle application à l’acte pour l’acte libre, c’est-à-dire pour l’élection ; nous avons spécialement nié que sa doctrine implique la prédétermination physique à l’acte libre, prédétermination qui consisterait à déterminer physiquement la volonté à un objet de son choix plutôt qu’à l’autre. Les mêmes principes doivent être appliqués pour expliquer l’action surnaturelle de Dieu sur l’âme. Quant à la prédestination et à la science divine, nous n’avons pas à en parler ici. Billuart, De gratia. diss. V, a. 4, p. 138, cite en faveur de son sentiment les paroles suivantes de saint Thomas : Tungil aposlolus auxilium sibi præslilum ad minisleriorum execulionem ; hujusmodi autem auxilium duplex fuit : unum quidem ipsa facullas excquendi, aliud ipsa operatio seu aclualitas. Facultalem autem dut Deus infundendo virtutem et giatiam, per quas efficitur homo polens et aplus ad operandum. Sed ipsam operalionem confert in quantum m nobis intérim operatur movendo et instigando ad bonum…, in quantum virtus cjus operatur in nobis velle et perficcre pro bona volun tale. In Episl. ad Eph., c. ni, lect. ii, p. 35. De ce texte Billuart conclut qu’outre la grâce suffisante qui donne le pouvoir de bien agir, il faut une autre grâce, la grâce efficace, pour que l’homme de fait agisse bien, et il entend parler de la grâce actuelle. Cette assertion ne se trouve pas dans le texte de saint Thomas : d’abord, il parle explicitement de l’exécution du ministère apostolique ; mais admettons que l’on puisse expliquer de la même manière tous les actes salutaires. Saint Thomas distingue la faculté d’agir et l’opération elle-même ; la faculté d’agir doit s’entendre ici de dons habituels, infus ; l’opération est produite par Dieu en tant qu’il meut intérieurement et porte au bien ; c’est la grâce actuelle excitante par laquelle est obtenue la coopération de l’homme ; saint Thomas ne dit pas élu tout qu’au delà de la motion par laquelle l’homme est excité au bien il faut une nouvelle grâce actuelle qui détermine physiquement le consentement. Ce saint, De nialo, q. vi, a. un., ad 3°", enseigne que Dieu meut immuablement (immulabililer) la volonté à cause de l’efficacité de l’énergie qui la meut. On peut appliquer cela à la grâce et dire que l’effet, l’acte salutaire, est obtenu infailliblement à cause de l’efficacité de la grâce ; on en conclurait que la grâce est efficace ab inlrinseco. Cette conclusion ne tranche pas la question : on peut dire que c’est à la causalité propre de la grâce qu’est dû l’acte salutaire, mais il reste à expliquer en quoi consiste cette causalité ; est-ce une influence physique, est-ce une influence morale, comment atteint-elle l’acte libre’? L’article du R. P. Guillermin, Revue thomiste, t. x, p. 658 sq., nous indique plusieurs auteurs, appartenant à l’ordre des frères prêcheurs, qui interprètent la doctrine de saint Thomas tout autrement que ne l’a fait Bafiez. Cf. aussi Wagner, De gratia sufficienli, Gratz, 1911.

II. depuis la fin du xvi’siècle. -- C’est Molina qui a posé explicitement la question de l’efficacité de la grâce sanctifiante.

Doctrine de Molina.

1. Exposé. — Cette doctrine

comprend de multiples assertions connexes entre elles, mais concernant directement des objets différents, par exemple, le concours général de Dieu dans les opérations des créatures, la prescience divine, la prédestination ; nous ne considérerons ici que ce qui concerne directement l’efficacité de la grâce actuelle.

a) D’après Molina, le secours de la grâce actuelle implique une double différence avec le concours général de Dieu dans les actes libres ; d’abord, le secours de la grâce actuelle, comme telle, consiste en ce que par elle la volonté humaine est positivement inclinée ou mue à un acte salutaire délibéré ; ainsi cette grâce (c’est-à-dire l’acte indélibéré) est cause efficiente de l’acte délibéré et de la surnaturalisation de celui-ci ; dans le concours général, au contraire, il n’y a pas d’influence divine qui applique la volonté à agir, ni qui soit cause efficiente de l’acte libre ; ce concours n’affecte que le libre arbitre en acte : influxus immedialus una eum libero arbilrio in aclu. Ensuite, le secours de la grâce actuelle est antérieur à l’acte libre auquel il lui est ordonné et il a sur lui une priorité de temps ou au moins de nature ; tandis que, pour le concouis général, dans l’ordre naturel, il n’y a aucune priorité : ce concours est absolument simultané, n’existe que dans l’acte. Concordia, q. xiv, a. 13, disp. XLI, p. 239.

La grâce actuelle consiste essentiellement en des actes vitaux indélibérés, produits surnaturellement par Dieu dans l’intelligence et la volonté ; quand l’homme est sous l’influence de ces actes, il peut toujours y consentir ou y refuser son consentement ; s’il consent, la grâce obtient l’effet pour lequel elle est donnée et devient efficace ; si, au contraire, l’homme ne consent pas, la grâce n’est que suffisante et inefficace ; par conséquent l’efficacité de la grâce consiste formel

lement en l’acte d'élection, le choix du libre arbitre. Concordiez, disp. XII, XXXVI, XXXVII, XL, XLV,

p. 55, 206, 208, 230, 256. D’où il résulte qu’entre la grâce efficace et la grâce seulement suffisante, il n’y a aucune différence entitalive, ni essentielle, ni qualitative, ni quantitative (ou d’intensité) ; il en résulte encore que, si deux hommes sont influencés par une grâce prévenante égale, il pourra se faire que l’un se convertisse et que l’autre ne se convertisse pas ; même il est possible qu’un homme se convertisse avec un secours inférieur à celui qui est accordé à un autre homme qui ne se convertit pas. Concordia, disp. XII, p. 51 ; XXXIX, p. 222. Cf. Lessius, Opusc. De gratia efficaci, c. xviii, n. 7. L’infaillibilité de la connaissance divine concernant l’eflicacité de la grâce provient de la science moyenne par laquelle Dieu, antérieurement à tout acte libre de sa propre volonté, connaît quel sera le choix de toute volonté libre placée dans des conditions déterminées. Concordia, disp. LUI, m. iii, p. 364 sq.

b) Les arguments sur lesquels s’appuie ce système sont principalement l’existence de la liberté sous l’influence de la grâce actuelle et, en particulier, l’expression de cette vérité contenue dans le décret du concile de Trente : il y est dit que l’homme peut librement recevoir et rejeter l’inspiration divine, qu’il peut librement y consentir et y refuser son consentement. Denzinger-Bannwart, n. 797, 814. Quant à la connaissance divine, ce qu’on appelle science moyenne est celle qui a pour objet les actes libres qui seraient réalisés si une condition se vérifiait qui cependant ne se vérifiera jamais. L’existence de cette connaissance en Dieu se démontre par le texte : « Malheur à toi, Corozaïn 1 Malheur à toi, Bethsaïde 1 Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait pénitence sous le cilice et la cendre. » Matth., xi, 21. Quant au mode d’après lequel Dieu connaît cet objet, Molina assigne la perfection infinie de Dieu qui, dans son essence, voit toutes les déterminations possibles de toutes les volontés possibles. Concordia, disp. XLIX, L, LU, p. 289, 303, 317, 330.

2. Critique.

o) L’explication proposée concernant le concours général divin nie toute prémotion physique et, d’après ce que nous avons exposé plus haut, est inadmissible. Le concours simultané, appliqué à l’ordre surnaturel, n’explique pas comment un acte vital puisse être intrinsèquement surnaturel dans l’homme qui n’a pas les vertus infuses.

L’eflicacité attribuée à la grâce elle-même, quand on parle de grâce efficace, est attribuée par Molina, non à la grâce, mais au libre arbitre et dès lors la causalité de la grâce semble ne pas atteindre le terme auquel elle est ordonnée, c’est-à-dire l’acte, libre.

La science moyenne, qui doit être admise en Dieu si l’on ne considère que l’objet spécial qui lui est assigné, c’est-à-dire les futuribles, n’est pas suffisamment démontrée si l’on considère le mode de celle connaissance, notamment ce qui est en Dieu le médium objectivum dans lequel il perçoit les futuribles.

b) Quant aux arguments, l’existence du libre arbitre doit être maintenue et elle est parfaitement sauvegardée dans le système de Molina. Le P. Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 66, écrit très judicieusement : « Avouons-le sans détour : l’avantage du molinisme est de présenter sur notre responsabilité dans le péchéune explication en apparence très simple et qui dégage facilement la responsabilité de Dieu. Ce n’est pas, comme certains se l’imaginent, que le molinisme ouvre plus abondantes les sources de la miséricorde et de la grâce divines et qu’il propose une grâce suffisante plus agissante. Non. C’est, au contraire, parce qu’il demande moins de Dieu et qu’il laisse davantage à la

DICT. Dli THÉOL. CATHOL.

part de l’homme. Quand Dieu a concouru à susciter en notre âme les connaissances et les impulsions indélibérées, il a fini sa tâche. A l’homme maintenant d’achever l'œuvre, en ajoutant son consentement, comme aussi, en ne l’ajoutant point, de rendre la grâce vaine et stérile. » De plus, l’explication de Molina est plus conforme que les autres au texte du concile de Trente, sess. vi, c. v, Denzinger-Bannwart, n. 797, 814, où il enseigne que l’homme peut et consentir à l’excitation divine et n’y pas consentir ; c’est en consentant qu’il coopère à l’excitation divine. C’est donc à une même grâce que l’homme peut librement consentir ou refuser le consentement ; dès lors à la grâce suffisante il ne faut ajouter que le consentement libre pour que la grâce soit efficace ; la notion de celle-ci n’implicque donc pas une grâce spécifiquement ou numériquement distincte de la grâce suffisante. Pour ce qui concerne la science divine, la connaissance qui a pour objet les futuribles est affirmée dans le texte de Matth., xi, 21, mais de cette assertion on ne peut tirer aucune conclusion concernant le mode dont cette connaissance se réalise en Dieu.

Doctrine de Banez et de son école.

1. Exposé. —

a) Elle enseigne, comme nous l’avons déjà dit, ejuc la grâce actuelle consiste essentiellement en une motion surnaturelle qui se termine à un acte vital d’intelligence ou de volonté. Mais il faut distinguer deux espèces de grâces actuelles : l’une qui a pour terme l’acte indélibéré, c’est la grâce excitante ; l’autre qui a pour terme l’acte délibéré de la volonté, l’acte du consentement à l’excitation divine, c’est la grâce adjuvante. Il y a donc une différence réelle et intrinsèque entre la grâce excitante et la grâce adjuvante. Remarquons cependant qu’il y a connexion entre l’influence morale, exercée par les actes indélibérés, et l’acte délibéré ; il serait erroné de penser que la grâce adjuvante est infuse à la volonté, indépendamment des dispositions réalisées par les actes indélibérés. De plus, il importe de noter encore que « la grâce efficace prise dans sa totalité ne consiste pas dans un don unique et simple qui par lui seul obtienne tout l’effet, par exemple, l’acte salutaire de foi et de charité. Non. Pour que cet acte soit effectivement posé, il faut le concours de plusieurs choses, de plusieurs grâces partielles, sans lesquelles le libre arbitre ne pourrait jamais le produire : grâces extérieures de prédication, d'événements, de faits impressionnants…, illuminations intérieures de l’intelligence, souvenir des bienfaits de Dieu, pieuses émotions de la volonté, etc. Cependant toutes les grâces extérieures ou intérieures n’aboutiraient à rien si, finalement, la volonté ne se déterminait à produire l’acte salutaire. Or, pour procéder à cet acte, elle a besoin d’une motion subjective actuelle… » Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 382 sc[. C’est précisément cette dernière impulsion qui est appelée grâce efficace. Dans le système de Banez, cette dernière impulsion consiste précisément dans une prédétermination physique de la volonté à l’acte délibéré, c’est une entité physique, transitoire, infuse par Dieu dans la volonté et elle a pour fonction de faire physiquement que la volonté veuille hic et ruine consentir à la grâce excitante. Donc la grâce excitante est la même que la grâce suffisante, et la grâce efficiente est la même que la grâce adjuvante. La grâce efficace est donc une entité numériquement et spécifiquement distincte de la grâce sullisante, et elle doit nécessairement y être ajoutée pour cpi’il y ait consentement libre. D’après cela, la grâce est intrinsèquement efficace (efflcax ab intrinseco) : quand l’homme consent, ce n’est pas lui qui rend efficace la grâce, mais son acte est un signe qu’il a eu la grâce efficace. Il en résulte encore que, si l’on compare entre elles la grâce suffisante et la grâce efficace, on peut dire que la grâce suffisante est celle qui confère

VI. - 53

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GRACE

lues

à l’homme le pouvoir de bien agir ; mais pour que, de fait, il agisse bien, c’est-à-dire pour qu’il utilise, de fait, le pouvoir qui lui est conféré, il faut une nouvelle grâce, plus puissante, c’est-à-dire la grâce efficace. Sur ce système, voir Alvarez, De auxiliis, disp. XXII, p. 177 sq. ; disp. LXXII, n. 3, p. 611 ; disp. LXXI1I, n. 2, p. (.1 1 : disp. LXXXIII, p. 660 sq. ; Goudin, De gratia Dei, q. v, a. 4, § 4. p. 306 ; Billuart, De gratia, diss. V, a. I. Opéra, t. iii, p. 138.

Quant à la connaissance divine concernant le consentement de l’homme, elle s’explique précisément par cette prédétermination physique : Dieu a décidé, de toute éternité, de donner telles et telles prédéterminations physiques ; c’est dans le décret ayant pour objet ces prédéterminations que Dieu connaît tous les actes délibérés salutaires.

b) Les arguments sur lesquels s’appuie cette doctrine sont d’abord la nécessité d’admettre la complète dépendance de l’homme et de toutes ses opérations visà-vis de l’influence divine ; si l’on rejette la prédéterminât ion physique, il faut admettre que l’acte libre, comme tel, est indépendant de l’influence divine et lui échappe ; l’homme serait lui-même cause première de cet acte. Ensuite, on dit encore que la prédétermination physique explique seule l’infaillible connexion entre la uiàce et le consentement humain, que, par conséquent, il faut que cette prédétermination physique se démontre par la science infaillible que Dieu doit avoir de tous les actes de l’homme.

2. Critique.

a) Les théologiens, qui appartiennent

i l’école dont nous venons d’esquisser l’enseignement,

professent sincèrement la doctrine catholique sur la grâce suffisante et la liberté humaine, mais l’explication qu’ils proposent de ces dogmes est, à notre avis, logiquement inconciliable avec eux.

a. Quant à la grâce suffisante, elle est telle, d’après ces théologiens, parce qu’elle donne le pouvoir d’agir salutairement, parce qu’elle met l’homme dans la condition où il peut poser l’acte libre du consentement ; cependant une autre grâce, réellement et spécifiquement distincte, est requise pour que l’homme émette, de fait, le consentement ; ainsi donc la grâce suffisante ne perfectionne la faculté opérative que dans l’ordre potentiel et la laisse à l’état statique, elle ne fait pas passer à l’exercice le libre arbitre considéré strictement en lui-même et n’atteint pas l’acte second. Cf. Billuart, loc. cit. ; Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 671 sq. Si l’on objecte que l’on ne peut appeler suffisante une grâce à côté de laquelle une autre grâce est requise pour que l’effet soit obtenu, ces théologiens répondent : cela est vrai si l’on tient au sens grammatical du mot, mais ce n’est plus vrai si l’on considère le sens théologique. Car cette grâce est suffisante dans son genre ; la grâce requise en outre est dans un autre genre. Voici comment s’exprime Billuart, op. cit., p. 139 : Equidem non est sufficiens in omni génère et ordine, cum requirahir (ilm allerius generis et ordinis, sed est sufficiens in suo génère et ordine : et dicimus quod sic loqui sit loqui in sensu proprio et prout communiter loquimur. Billuart cite ensuite divers exemples pour montrer que, d’après la façon ordinaire de parler, on peut appeler suffisante la grâce dont il a indiqué la nature. En admettant qu’on puisse justifier l’expression au point de vue de la terminologie, on ne peut nier que la notion de grâce suffisante, défendue par ces théologiens, ne répond pas a la réalité qui fait l’objet de notre étude. En effet, il s’agit de l’acte délibéré salutaire ; or, la doctrine catholique enseigne qu’il existe vis-à-vis de cet acte-là une grâce réellement suffisante et cependant inefficace, une grâce, par conséquent, qui confère réellement à l’homme tout ce qui lui est nécessaire pour le consenlomenl cl qui cependant ne l’obtient pas. Mais dans l’opinion, que nous critiquons, une telle grâce n’existe

pas, car celle qui est appelée suffisante finit à l’acte premier, elle n’atteint pas physiquement l’acte second, c’est-à-dire l’acte salutaire délibéré ; mais celui-ci ne peut pas se produire, si Dieu n’ajoute à la grâce, dite suffisante, une autre qui physiquement et immédiatement cause le consentement ; donc si cette seconde grâce, la grâce efficace, n’y est pas, l’homme ne peut pas consentir à la première grâce ; celle-ci n’est donc pas réellement suffisante à obtenir l’effet auquel elle est destinée. Non seulement le consentement de l’homme est requis, mais ce consentement ne peut pas se produire avec cette grâce ; il en faut une autre plus puissante d’un autre ordre. Donc, dans ce système, il n’y a pas de grâce réellement suffisante, qui soit inefficace par la libre résistance de l’homme.

A cette dernière assertion, les théologiens bafïésiens répondent : Dieu est prêt à donner la grâce efficace à tous ceux à qui il donne la grâce suffisante ; il ne la refuse qu’à celui qui, par sa faute, résiste à la première grâce, faute qui est, par sa nature, antérieure à la dénégation de la grâce efficace. Cette explication ne résout pas la difficulté. En elîet, on dit : Dieu, en concédant la grâce suffisante, offre en même temps de donner la grâce efficace, et la donnera si l’homme n’y met pas obstacle par sa résistance. Mais dans la doctrine banésienne, cette résistance est un acte libre, délibéré ; cet acte ne se produit que par une prédétermination physique infuse par Dieu dans la volonté ; l’homme ne peut résister à la grâce suffisante que pour autant que Dieu le prédétermine physiquement à cet acte de résistance ; on devrait donc admettre que Dieu, en même temps, offre la prédétermination physique au consentement et cependant prédétermine physiquement l’homme au dissentiment, c’est-à-dire à l’obstacle qui empêche la concession de cette grâce qu’on dit offerte. Il en résulte cjue ce qu’on appelle offrir la grâce efficace ne correspond pas à la réalité. Ce qui confirme cette conclusion, c’est que, d’après l’opinion critiquée, les décrets de Dieu concernant l’octroi des grâces efficaces ne présupposent par notre choix, mais le précèdent ; donc on ne peut pas dire : Dieu prédétermine physiquement la volonté de tel homme à la résistance de telle grâce parce qu’il a prévu que l’homme refuserait son consentement ; mais c’est Dieu qui est cause de cette prédétermination antérieurement à la prévision de l’acte humain.

b. La liberté humaine n’est pas mieux sauvegardée que la grâce suffisante. La liberté humaine consiste essentiellement dans la propriété que l’homme possède de choisir, c’est-à-dire de vouloir ceci plutôt que cela. A cet effet, il faut que la volonté humaine elle-même détermine physiquement cet acte qui est choisir, c’est-à-dire qu’à l’instant où émane cet acte, existe cette indifférence active, au moyen de laquelle la volonté elle-même émet et détermine le choix. Cette indifférence active est absolument requise pour qu’il y ait imputabilité du choix ; en effet, si la volonté ne peut pas se déterminer elle-même à vouloir ceci ou cela, l’acte de volition ne peut pas lui être imputé, elle ne peut pas être responsable, elle ne peut pas mériter ou démériter. Par exemple, si Dieu, par une grâce actuelle excitante, meut moralement ou objectivement un homme à entendre la messe le dimanche, cet homme doit vouloir ou bien aller à la messe, ou bien ne pas aller à la messe (soit directement, soit indirectement, en voulant, par exemple, ne pas songer à cela, ou en voulant autre chose) ; pour que le choix lui soit imputable, il faut qu’à l’instant où il émet la volition, il soit réellement et physiquement indifférent à l’un et à l’autre objet ; si une cause qui lui est extrinsèque produit physiquement la détermination du choix, sa détermination ne peut pas lui être imputée. Par conséquent, dans le système banésien, la liberté humaine,

avec l’imputabilité qui lui est propre, n’est pas logiquement défendable, car c’est Dieu qui par la prédétermination physique cause immédiatement le choix de l’homme et cette causalité divine est, par sa nature, antérieure à la coopération humaine ; la prédétermination physique enlève donc précisément cette indifférence physique qui est essentielle à l’émision de l’acte libre et la condition sine qua non de son imputabilité. Si donc l’efficacité de la grâce consiste précisément en cette prédétermination, il en résulte que l’efficacité de la grâce enlève la liberté, l’imputabilité et le mérite. Qu’on ne dise pas : la volonté humaine se détermine elle-même en vertu de la prédétermination divine, comme la cause seconde qui agit sous l’influence de la cause première. Il s’agit ici d’une opération spéciale qui diffère de toutes les autres précisément en ce qu’elle n’est pas déterminée physiquement ni par son objet, ni par une forme, qui fasse que l’acte émis soit précisément tel : pour l’intelligence, par exemple, c’est l’espèce intelligible qui détermine entièrement l’acte cognoscitif ; dans ce cas, la motion divine a pour fonction de faire sortir l’acte de sa faculté, la motion divine se termine formellement à l’exercice de l’acte. Il en est de même de toutes les autres opérations. Mais l’acte libre seul a pour propriété d’être déterminé subjectivement par la faculté elle-même qui l’émet, en tant qu’elle a maîtrise sur son acte ; les objets présentés par l’intelligence spécifient l’acte en ce sens que c’est à l’un ou à l’autre que l’acte se terminera, mais aucun d’eux pris isolément (dant l’hypothèse de l’acte libre) nesulfit à déterminer le choix. Dès lors, si Dieu par une entité physique détermine la volonté humaine à vouloir hic et nunc, eeci plutôt que cela, la volonté humaine subit cette détermination, elle est déterminée et ne peut pas sedéterminer elle-même sous l’influence de la prédétermination divine ; il n’y a pas une double prédétermination, l’une divine, l’autre humaine. Dans l’hypothèse de laprédétermination physique, il est vrai que cet acte est émis vitalement par la volonté, mais cela ne réalise pas l’essence de l’acte libre ; celui-ci doit sortir vitalement de la volonté de telle façon qu’il soit déterminé quant à son objet (vouloir ceci) par la volonté elle-même, et que précisément pour cela il soit imputable à celui qui l’a émis. Si l’on exigeait une prémotion physique non déterminante quant à l’objet du choix, mais produisant le seul exercice de l’acte libre, on ne détruirait pas la notion de liberté.

On dira peut-être : la nécessité de l’acte vient tout entière de ce que la faculté qui le produit est remplie par lui ; si elle n’était pas remplie par l’objet de cet acte, si elle est plus vaste que son objet, elle pourra être mue, prémue déterminément à ce choix, elle ne sera en rien nécessitée. Or, dans le cas qui nous occupe, la volonté n’est pas remplie par son objet, puisque le bien qu’elle choisit est un bien particulier. Donc si elle choisit sous la détermination de Dieu, la volonté n’est pas nécessitée, elle reste libre. Cf. Revue thomiste, 191 1, p. 393. Nous répondons que cette explication ne sauvegarde pas la notion de liberté qui, à notre avis, doit être admise. En effet, de ce qu’une faculté n’est pas remplie par son objet, il résulte que son objet ne suffit pas à déterminer l’acte de cette faculté, que, par conséquent, cet acte n’est pas, d’une manière absolue, nécessité par son objet. Mais l’absence de cette nécessité-là ne suffit pas à la liberté d’indifférence qui implique l’imputabilité du choix ; pour que celle-ci soit réalisée, il faut que la volonté elle-même se détermine activement à vouloir ceci plutôt que cela, il faut qu’un principe extrinsèque (par exemple, Dieu) ne vienne pas enlever à la volonté cette causalité qui est précisément la raison de la maîtrise sur son propre choix et de l’imputabilité de celui-ci. Il y a donc à distinguer une double nécessité vis-à-vis d’un acte : celle qui pro vient de l’objet (ainsi l’homme qui jouit de la vision intuitive de Dieu est nécessité à aimer cet objet qui remplit sa faculté), et celle qui provient d’une détermination physique de la faculté de volonté à un acte qui a pour objet un bien qui ne remplit pas toute la faculté. Quand cette dernière détermination physique se réalise par un principe extrinsèque à la volonté, celle-ci n’a plus la maîtrise sur son acte et celui-ci ne lui est pas imputable.

Enfin il reste la distinction classique des baiïésiens : in sensu divisa, et in sensu composito. La volonté serait libre m sensu divisa, c’est-à-dire quand la prédétennination physique n’est pas encore dans la volonté ; celle-ci ne serait pas libre in sensu composito, c’est-à-dire quand la prédéterminalion physique est produite. Cette distinction ne lève pas la difficulté ; elle ne laisse pas subsister ce qui, à notre avis, est essentiel à l’acte libre, à savoir l’indifférence active de la volonté se déterminant au choix. En effet, dans le système banésien, si l’on considère la volonté en acte premier, elle ne peut pas physiquement se déterminer au choix, parce que la prédétermination physique divine n’existe pas ; dès que celle-ci existe, la volonté est physiquement déterminée à vouloir ceci plutôt que cela. Il n’y a donc pas de place pour l’indifférence active et la maîtrise de la volonté sur son acte. Ce qui ressort plus clairement quand on considère ce que nous avons dit plus haut ; il faut, dans le système banésien, une prédétermination physique à tout acte d’élection. Considérez la volonté en acte premier, supposez-la mue par une grâce actuelle excitante (qui a pour terme l’acte indélibéré) à un acte délibéré de vertu ; si aucune prédétermination physique ne survient (hypothèse impossible), elle ne peut physiquement émettre aucun choix, si survient la prédétermination physique au consentement elle est physiquement déterminée à consentir, si survient, au contraire, la prédétermination physique au dissentiment, elle est physiquement déterminée à vouloir ne pas consentir. Il n’y a donc aucune indifférence physique active, aucune maîtrise de la volonté sur son acte. Et — il faut bien que nous le répétions ici — la prédétermination physique infuse par Dieu ne dépend pas de la prévision qu’il a des dispositions de l’homme d’après lesquelles il consentirait ou refuserait le consentement, indépendamment de la prédétermination physique.

b) Quant aux arguments généraux proposés pour étayer la doctrine banésienne, a. le premier est celui de la dépendance complète de l’homme vis-à-vis de Dieu. Certes l’on doit admettre que toute créature et quant à son être et quant à ses opérations dépend réellement et absolument de Dieu ; il faut admettre encore que, dans l’ordre du salut, tout acte salutaire dépend de la grâce et de Dieu qui est seule cause de celle-ci. Mais le système banésien n’est pas la seule explication possible de cette dépendance. Nous ne pensons pas que pour la sauvegarder il faille admettre la prédétermination physique. En effet, Dieu, en créaul les êtres doués de volonté libre, leur a donné une faculté dont l’opération, qui lui est propre, l’élection, est essentiellement diverse de toutes les autres opérations ; celle dilTércnce consiste précisément en ceci, que la volonté veut ceci plutôt que cela, alors qu’elle pourrait vouloir cela plutôt que ceci ; or il y a dans ce choix une réelle indépendance physique qui ne peut pas être enlevée sans que périsse l’essence même de l’acte libre. Cette indépendance physique soustrait-elle la volonté à la souveraine domination de Dieu ? Non, parce que Dieu peut mouvoir la créature intelligente à tout acte volontaire sans détruire cette indépendance qui est le propre de l’acte d’élection. Cette assertion est pour nous une conclusion nécessaire de la connaissance de la nature humaine et de la connaissance de la nature L671

GRACE

1672

divine ; nous savons que l’homme est libre, que cette liberté consiste essentiellement dans le pouvoir de choisir : d’autre pari, que Dieu ne détruit pas son œuvre, niais qu’il meut toute créature de la manière qui convient à sa nature ; nous concluons donc que celle liberté, que cette indépendance qui lui est essentielle, doivent subsister, que par conséquent Dieu ne meut pas l’homme de façon à ce que cette liberté disparaisse. Si donc la prédétermination physique est incompatible avec la liberté que nous connaissons, nous devons logiquement nier la prédéterminât ion physique. Cette négation doit être maintenue alors même que nous ne parviendrions pas à trouver une explication adéquate de la manière intime dont Dieu agit dans ses créatures. Dans ce cas, il faudrait se contenter du principe général énoncé par saint Thomas : « La providence divine ne détruit pas la nature des choses, mais la conserve. Puis donc que la volonté est un principe actif qui n’est pas déterminé à un objet, mais qui est indifférent vis-à-vis d’un grand nombre (principium aclivum non détermination ad unum, sed indifferenter se habens ad mulla), Dieu la meut de telle façon qu’il ne la détermine pas nécessairement à un objet, mais son mouvement (son acte) reste contingent et ne devient pas nécessaire, si ce n’est quand il s’agit des objets vers lesquels elle est mue naturellement » Snm. theol., F IV, q. x, a. 4. Saint Thomas, en répondant à la question concernant le mode d’après lequel Dieu agit dans la volonté, exclut avant tout ce qui serait inconciliable avec la liberté, notamment une détermination physique qui enlèverait la contingence île l’acte, c’est-à-dire l’indifférence active qui est le propre de la liberté.

b. Nous donnons une réponse semblable à l’argument tiré de la connaissance divine. Il faut admettre e1 l’on démontre que Dieu doit connaître tous les actes libres de l’homme, qu’il les connaît en lui-même, in semelipso ; mais la difficulté surgit quand il faut assigner le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. On propose comme moyen de connaissance les décrets déterminants, c’est-à-dire les décrets de la volonté divine qui décident de donner à tel homme dans de telles conditions telle prédétermination physique qui produit l’acte de volonté ; ce moyen de connaissance, nous le rejetons comme inconciliable avec la liberté humaine. Cette incompatibilité étant démontrée, il faut la maintenir alors même que l’on ne parviendrait pas à assigner d’une manière absolument satisfaisante le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. Il ne serait pas logique d’affirmer a priori que nous devons connaître ce qui, dans l’essence divine, est le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. Quant à nous, nous ne voyons aucune contradiction dans la science moyenne, bien que cette explication ne résolve pas pleinement toutes les difficultés. Mais ce n’est pas ici le lieu d’exposer ce cpii concerne la science divine.

Doctrine de Bellarmin. — 1. Exposé. — Cet éminent

théologien n’est ni moliniste ni banésien dans son enseignement concernant l’efficacité de la grâce actuelle. Il tient pour fausse l’opinion de Molina qui dit tpie l’efficacité de la grâce dépend de la volonté humaine, et il n’admet pas sans restriction l’assertion d’après laquelle une même grâce obtiendrait chez un individu la conversion et ne l’obtiendrait pas chez un autre, ni l’assert ion d’après laquelle une grâce moindre obtiendrait la conversion chez l’un, alors qu’une grâce plus puissante ne l’obtiendrait pas chez l’autre. Il lient pour fausse l’opinion de Banez qui dit cpie la grâce clïï ice prédétermine physiquement la volonté au consentement.

Il enseigne que l’efficacité de la grâce dépend d’elle, c’est-à-dire que la grâce est efficace « 6 inlrinseco. Celte

efficacité consiste dans la congruité du secours donné, et ce secours détermine moralement la volonté au consentement, de façon que le consentement suive immanquablement, non nécessairement, mais librement. Quand Dieu veut que quelqu’un se convertisse, il lui parle intérieurement, l’exhorte et l’inspire de la façon qui lui convient, de sorte que cet homme ne repousse pas l’appel divin. Cette opinion, ajoute Bellarmin, est incontestablement celle de saint Augustin. Cette opinion, dit-il, sauvegarde et l’efficacité de la grâce et la liberté humaine ; parce que la grâce ne détermine pas physiquement la volonté, elle laisse l’homme réellement libre de consentir ou de ne pas consentir ; parce que la grâce détermine moralement la volonté, elle fait que l’homme y consente immanquablement. Cette explication sauvegarde encore la prédestination, lui conserve la certitude, la gratuité en même temps que l’indépendance de la prévision des œuvres humaines. Bellarmin admet aussi la science moyenne. L’exposé de la doctrine de Bellarmin se trouve principalement dans son écrit : De novis controversiis inter patres quosdam ex ordine prædieatorum et P. Ludovicum Molinam, dans Le Bachelet, Auclarium BeUarminianum, p. 101 sq. Voir aussi Bellarmin, De (jratia et libéra arbitrio, 1. I, c. xii, p. 243 sq.

2. Critique.

Cet exposé dans ses grandes lignes nous semble vrai et exact ; il resterait à déterminer davantage en quoi consiste la congruité de la grâce.

Doctrine de Sucerez.

1. Exposé. — Suarez enseigne

que la grâce est efficace ab extrinseco, c’est-à-dire que la grâce est rendue efficace par le consentement humain. Il admet aussi que la grâce ne sera efficace que si elle est congrue ; mais cette congruité semble réalisée principalement par des circonstances externes à la grâce et non par la qualité ou l’intensité intrinsèques de la grâce ; d’où il résulte qu’un homme se convertira avec une grâce en elle-même inférieure, mais donnée à un moment opportun pour le sujet auquel elle est concédée. Opuscula theologica, opusc. I, 1. III, c. xxi, n. 5 sq., Opéra omnia, t. xi, p. 284 sq. Cette congruité n’est pas telle qu’elle soit par elle-même la cause de la connexité objective entre la grâce actuelle excitante et le consentement ; cette connexion n’est réalisée que pour autant que Dieu connaît que tel homme consentira de fait à telle grâce. Sur la doctrine de Suarez et les autres opinions qui appartiennent au congruisme, voir Congruisme, t. iii, col. 1120 sq., mais l’opinion de Bellarmin concernant l’efficacité de la grâce n’est pas la même que celle de Molina.

2. Critique.

En faisant abstraction de ce qui dans la doctrine de Suarez concerne le concours général de Dieu, la science divine et la prédestination, la notion qu’il donne du congruisme et de la connexion entre la L ; iàce excitante et le consentement semble insuffisante. Dans ce système sont sauvegardés le libre arbitre et la réalité d’une grâce suffisante quoique inefficace.

Doelrinc des augustiniens.

Elle a été exposée

et critiquée à l’art. Augustinianisme, 1. 1, col. 2485 sq. 6° Doctrine de Tournély.

1. Exposé. — Elle se

sépare de la précédente, notamment en ce qu’elle distingue la grâce accordée pour les œuvres faciles et la grâce donnée pour les œuvres difficiles : il y a une grâce actuelle excitante qui par elle-même suffit à obtenir le consentement libre : c’est la grâce qui est donnée pour des œuvres faciles et aussi pour la prière. Si [’homme consent à cette grâce, il en obtiendra d’autres qui seront alors suffisantes pour l’accomplissement d’oeuvres difficiles. De gratia Christi, t. ii, q. vii, a. 4, concl. 5, p. 448 sq. Saint Alphonse de Liguori admet la même opinion en la précisant : pour les œuvres difficiles, il faut une grâce efficace ab inlrinseco, qui détermine la volonté au consentement et qui ordinairement consiste en une délectation victorieuse, parfois en

un acte d’espérance, de crainte, etc. Pour les œuvres faciles, il y a une grâce qui n’est pas efficace ab intrinseco relativement à l’œuvre salutaire ; notamment cette grâce suffisante donne à chacun le pouvoir de prier (l’acte de la prière est parmi les œuvres faciles), et celui qui prie obtient la grâce efficace ab inlrinseco. Opéra dogmatica, tr. V, § 7, édit. Walter, Rome, 1903, t. i, p. 528. Voir son article, t. i, col. 916. Le P. Jean Hermann a proposé et adopté le sentiment de son père saint Alphonse. Trachrfus de divina gratta secundum S. Alphonsi de Ligorio doclrinam et mentem, Rome, 190-1, p. 337-501.

2. Critique.

Cette doctrine ne répond pas directement à la question posée par les théologiens, â savoir si la grâce est efficace ab intrinseco ou ab extrinseco. Elle contient de justes considérations sur la doctrine de la distribution des grâces, et notamment elle met en relief l’importance de la prière ; c’est par elle que l’homme obtient de fait des grâces plus nombreuses et plus influentes ; on peut dire que, en règle générale, c’est par la prière que l’homme reçoit les grâces efficaces par lesquelles il se sauve ; mais cette connexion entre la prière et les grâces subséquentes ne résout pas la question du mode selon lequel la grâce produit le consentement ; en particulier, elle ne résout pas la question du mode selon lequel la grâce qui excite à la prière est efficace. De plus, la théorie de Tournély a d’autres inconvénients. Voir art. Augustinianisme, t. i, col. 2498. Dans le même article, col. 2496, on a indiqué l’opinion du P. Guillermin, qui mérite d’attirer l’attention des théologiens.

Conclusion. — 1° D’après l’exposé succinct de ces diverses doctrines, il semble qu’on peut, quant à leur substance, les ramener à trois catégories, en ne tenant pas compte des divergences qui concernent l’explication ultérieure des principes et leur application.

1. D’après Baftez, l’efficacité de la grâce consiste dans la prédétermination physique : c’est la grâce adjuvante (réellement distincte de la grâce excitante) qui, surajoutée à la grâce excitante, cause physiquement l’acte du consentement ; il y a donc une connexion physique et nécessaire entre cette grâce et l’acte délibéré ; c’est là, au plein sens du mot, une grâce efficace par elle-même, efficax ab intrinseco.

2. D’après Molina, il n’y a pas île prédétermination physique et par conséquent pas de connexion physique et nécessaire entre la grâce et l’acte délibéré. La causalité physique de la grâce actuelle se trouve tout entière dans l’acte indélibéré d’intelligence et de volonté. Ces actes disposent l’homme au consentement, l’y inclinent, mais ce consentement est produit, causé par la volonté se déterminant elle-même librement ; précisément pour cela il n’y a pas de connexion physique et nécessaire entre la grâce et l’acte délibéré du consentement, et par conséquent il n’y a pas de grâce efficace par elle-même ; dans ce système on a, au sens plein du mot, une grâce efficace ab extrinseco.

Pour préciser le sens de l’expression effleax ab extrinseco, remarquons que Molina parle de la grâce excitante, et que, par son efficacité, il entend l’émanation de l’acte du consentement ; comme, d’après lui, cette émanation est causée physiquement par la volonté sans aucune prémotion physique divine, il résulte que cet acte est surajouté à la grâce excitante qui en est réellement distincte et par conséquent l’efficacité dont il s’agit est extrinsèque à la grâce excitante. Les banésiens appellent aussi efficacité de la grâce l’émanation même de l’acte du consentement ; comme, d’après eux, cette émanation est causée physiquement par la prédétermination divine, il résulte que cet acte est l’effet immédiat et physique de la grâce et que la causalité physique de celle-ci atteint l’être et la détermi nation de cet acte ; c’est pourquoi on dit que cette grâce est par elle-même ou intrinsèquement efficace. Mais il faut remarquer que la grâce qui est efficace au sens expliqué n’est pas la grâce excitante, mais une grâce réellement et essentiellement distincte de cellelà et surajoutée.

3. D’autres théologiens défendent une opinion moyenne. Ils n’admettent pas la prédétermination physique, mais ils n’admettent pas non plus l’absence de toute connexion intrinsèque entre la grâce et l’acte du consentement ; la grâce excitante, d’après eux, produit une disposition, une inclination qui, parce qu’elle est telle (c’est-à-dire parce qu’elle produit tel acte déterminé, indélibéré, ou bien parce qu’elle produit une inclination de telle intensité), obtient, de fait, le consentement ; c’est donc dans la congruité de la grâce excitante relativement au sujet que consiste la connexion de la grâce avec le consentement ; d’après cette opinion, la grâce est dite aussi efficace ab intrinseco, mais cette efficacité intrinsèque diffère radicalement de l’efficacité intrinsèque défendue par les banésiens. La première n’est pas physique, elle est morale : aussi l’appelle-t-on une prédétermination morale. La congruité ou prédétermination morale est susceptible d’explication plus développée, mais il est essentiel à la doctrine exposée que la volonté est cause physique efficiente de son acte délibéré ainsi que de la détermination de celui-ci, de plus que cette détermination est réellement contingente, c’est-à-dire que la volonté qui, sous l’influence de la grâce excitante, se détermine au consentement, aurait pu physiquement se déterminer au non-consentement, à la résistance. Cette opinion est donc toute différente de celle de Jansénius qui concevait l’appétit volontaire comme une balance qui penche nécessairement du côté ou la pression est plus forte, cf. Guillermin, Revue thomiste, 1903, p. 22 sq. ; elle est aussi différente de l’opinion des augustiniens rigides chez lesquels la délectation victorieuse semble bien causer physiquement la prédétermination de l’acte du consentement, bien que cette prédétermination exerce une causalité toute différente de celle qui est exposée dans le système bahésien. Sur l’opinion des augustiniens rigides, voir Augustinianisme, t. i, col. 2485 sq. ; dans le même article, col. 2495 sq., est exposée la doctrine de la prédétermination morale. Si l’on exclut l’opinion de Tournély, qui introduit une distinction sans fondement, et si l’on s’en tient à admettre une congruité intrinsèque, mais relative aux dispositions des individus, auxquels est donnée la grâce excitante, et dont l’effet propre est de mettre le sujet dans telle disposition où de fait il consentira librement, cette opinion nous semble sauvegarder la liberté humaine et l’efficacité de la grâce. Les hommes, par leurs paroles et leurs actes, peuvent persuader aux autres de faire ou d’omettre telle chose ; ils sont parfois si puissants qu’ils peuvent faire changer les résolutions des autres ; Dieu qui agit à son gré dans l’intérieur même de l’âme pourra donc obtenir toujours le consentement de l’homme ; il pourra par conséquent réaliser chez les divers individus la sainteté surnaturelle telle qu’il la désire. Nous ne voyons pas sur quoi est fondée l’assertion du P. Portalié, art. Augustinianisme, t. i, col. 2497 : « De fait, l’expérience prouve que Dieu n’emploie pas universellement ce moyen (la prédétermination morale). Il n’est ni vrai, ni vraisemblable que Dieu donne à tous ceux qui font bien (même dans les plus petites choses, une légère aumône, etc.) une abondance de grâces moralement irrésistible, en sorte qu’il leur serait non seulement plus difficile, mais moralement impossible de résister ; l’expérience de chaque âme semble établir qu’il n’en va point ainsi. » Cette assertion suppose d’abord qu’il faut pour tout acte salutaire, même chez

l’homme juste, une grâce spéciale excitante ou une série de grâces ; cette thèse n’est pas démontrée et nous ne l’admel I on : pas, comme nous l’exposerons plus loin. Le P. Portalié s’appuie sur l’expérience ; nous nous demandons en vain ce que l’expérience pourrait établir concernant le mode de l’influence de la grâce actuelle excitante sur l’acte de consentement. L’homme a la conscience psychologique de ses actes cognoscitifs et appétitifs, qu’ils soient indélibérés ou délibérés. L’homme peut donc avoir conscience d’une inclination puissante vers un bien, ou d’inclinations répétées vers telle bonne action, il pourra avoir conscience de sa délibération et du lait qu’il pose un consentement pleinement délibéré, il pourra, par la foi et par une connaissance conjecturale, savoir cpie telle inclination est l’effet d’une grâce actuelle, et que, par conséquent, il a librement consenti à une grâce ; mais il ne pourra pas avoir conscience de la nature intime de la connexion de la grâce actuelle excitante avec le consentement qui a suivi. Il en est de même lorsque, délibérément, il refuse le consentement à une inclination puissante ou à une série de motions vers un bien ; il aura conscience et de l’inclination et de sa résistance délibérée, mais son regard ne pourra pas pénétrer davantage dans son activité psychologique et savoir pourquoi il a refusé son consentement ; il ne peut que constater le fait de son refus délibéré et la possibilité du consentement. Il en est de même pour les actions faciles, qui ne sont précédées d’aucune lutte ; quand Dieu, par une grâce actuelle, fait surgir dans un homme bien disposé la pensée d’une bonne action et que cet homme immédiatement, bien que délibérément, consent et pose l’acte vertueux, il pourra savoir qu’il a librement consenti à l’impulsion susdite, mais sa conscience ne lui manifestera pas quelle est précisément l’influence exercée par cette grâce ; il n’y a pas de raison de nier que c’est de la congruité de cette impulsion que dépend le consentement, et que, par conséquent, cette grâce excitante a été une prédétermination morale. La notion de celle-ci n’implique pas nécessairement l’idée d’inclination véhémente ou d’impulsion irrésistible ou victorieuse d’une opposition. La prédermination morale ne dit pas autre chose qu’une inclination vers le bien telle qu’elle obtient de fait le consentement libre.

Mais ici surgit la question de l’infaillibilité de la connexion entre la grâce excitante et le consentement. Quand on parle d’infaillibilité on parle d’une connaissance : il ne peut s’agir ici que de la connaissance divine. Car lorsque l’homme consent librement, il a conscience qu’il pourrait ne pas consentir et que son consentement est contingent. Quand il s’agit de l’influence exercée par un homme sur un autre, le premier ne peut avoir qu’une connaissance conjecturale du consentement ou non-consentement du second. Dieu connaît infailliblement tous les actes libres que poseraient tous les hommes dans toutes les circonstances où ils pourraient se trouver ; nous tenons que Dieu connaît cela en lui-même et notamment dans sa causalité divine. Mais quel est précisément le moyen objectif dans lequel Dieu connaît ses actes ? Ce n’est pas le lieu de traiter cette question. Nous dirons simplement que la congruité de la grâce excitante, cette congruité qui est relative à chaque individu et qui constitue la prédétermination morale, est pour Dieu un moyen de connaître infailliblement le consentement, il la non-congruité, qui suppose toujours la suffisance de la grâce, est le moyen de connaître infailliblement le non-consentement. I.a prédestination est donc infaillible et les moyens dont elle se sert obtiennent immanquablement leur effet.

2° De ce que nous venons d’exposer, il résulte que la différence entre la grâce seulement suffisante et la

grâce efficace n’est pas une différence essentielle ; que, si l’on considère la grâce d’une manière absolue, cette différence n’est ni qualitative, ni quantitative ; la congruité, propre à la grâce efficace, est une congruité relative au sujet auquel elle est donnée ; il peut donc se faire que telle inspiration soit efficace chez tel individu dans telles circonstances et ne le soit pas chez un autre ; il peut se faire aussi qu’une inspiration plus intense soit inefficace chez tel homme, alors qu’une grâce moins intense soit efficace chez un autre.

3° Il faut rappeler encore qu’entre le terme de la causalité physique et efficiente de la grâce excitante, c’est-à-dire l’acte indélibéré, et le consentement délibéré il y a nécessairement, si on peut parler ainsi, solution de continuité. Le P. Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 673, explique très bien cette assertion : " Il y a une grande différence entre la manière d’agir de la volonté libre sous la motion divine et la manière d’agir des facultés d’ordre purement physique. En celle-ci, l’action divine A produit toujours une motion passive A’de laquelle découle ensuite nécessairement l’effet corrélatif a. Les agents physiques, en effet, agissent toujours conformément aux modifications qu’ils ont subies ; un corps soumis à l’action de la chaleur communiquera la chaleur au même degré où il l’aura lui-même reçue. Aussi dit-on des agents physiques qu’ils sont dans leurs opérations plutôt passifs qu’actifs, potius aguntur quam agunt. Il en va tout autrement pour la volonté libre. Sans doute ici encore l’action divine A produit dans la faculté une impulsion une motion passive A’. Mais la liberté de la volonté consiste précisément en ce qu’entre la motion passive A’et l’acte a correspondant il n’y a qu’un lien contingent et, puisque la volonté créée est défectible, il peut arriver, Dieu le permettant ainsi, qu’elle entrave le résultat de la motion et que l’acte a soit intercepté. Pour mieux entendre comment la défection peut se produire sous la motion actuelle de Dieu, on doit se rappeler que, d’après l’enseignement thomiste, il faut considérer dans la motion physique naturelle ou surnaturelle un double aspect. Sous le premier aspect, elle est un effet de Dieu, une motion passive reçue dans la volonté ; sous le second aspect, elle est principe actif, ou plutôt la faculté activée par la motion divine passivement reçue devient, par elle et avec elle, principe actif d’opération : Aclus procedil ab agente in aclu. Or, l’agent libre se distingue de l’agent nécessaire en ce que celui-ci, une fois activé, procède fatalement à la production de l’acte, tandis que l’agent libre y procède librement et suivant ce qu’il lui plaît de vouloir. Si cet agent libre est indéfectiblement parfait dans ses choix, il procédera immanquablement, quoique librement, à la production de l’acte auquel l’active la motion divine. Mais si cet agent libre est défectible, il pourra toujours défaillir, et sûrement il défaillira quelquefois, à moins que Dieu par une protection gratuite particulière, ne le préserve et ne le soutienne actuellement ; et sa défaillance consistera précisément en ce qu’il choisira de ne pas procéder activement à l’acte auquel il est mû et actionné par la motion passive reçue de Dieu. » Donc la motion divine qui est passivement reçue et qui a pour terme l’acte indélibéré ne prédétermine pas physiquement l’acte délibéré ; celui-ci est contingent. De plus, il ne faut pas, outre l’impulsion indiquée A, une nouvelle impulsion divine qui, physiquement, cause et détermine l’acte délibéré ; celui-ci émane de la volonté déjà en acte par l’impulsion A’et c’est la volonté elle-même qui le détermine. Nous concluons quc la division de la grâce actuelle en suffisante et en efficace concerne formellement la grâce excitante ; si celle-ci est congrue, au sens expliqué, c’est-à-dire si elle est telle qu’elle obtient immanquablement le consentement, elle est efficace ; elle est, au contraire,

seulement suffisante, si elle n’a pas cette congruité qui est suivie du consentement.

Nous n’avons guère cité d’auteurs dans l’expose de notre conclusion, et nous ne saurions faire le triage des théologiens en déterminant exactement quelles sont les propositions admises par les uns et par les autres, car il y a, à ce point de vue, des divergences nombreuses et souvent il est impossible de saisir exactement la pensée d’un auteur sur l’explication de la causalité de la grâce. Nous croyons cependant que notre conclusion est conforme à la doctrine de Bellarmin, dans son écrit De novis controversiis, cité plus haut, et que ce théologien souscrirait à ces trois assertions : 1° l’efficacité de la grâce actuelle excitante ou la connexion immanquable entre la grâce excitante et le consentement libre de la grâce consiste formellement en sa congruité relative, relative au sujet auquel elle est conférée et en ce sens l’efficacité est intrinsèque ; 2° il n’y a pas de différence essentielle entre la grâce simplement suffisante et la grâce efficace ; même il n’y a pas entre elles de différence qualitative ou quantitative, si on considère la grâce interne en elle-même, abstraction faite des dispositions du sujet dans lequel elle entre ; 3° la division entre grâce seulement suffisante et la grâce efficace est une subdivision de la grâce excitante, et pour que la grâce excitante soit efficace, il n’est pas requis qu’une nouvelle grâce prévenante soit ajoutée à la première.

V. NÉCESSITÉ DE LA GRACE ACTUELLE POUR L’HOMME

justifié. — 1° Doctrine de l’Église. — Il ne peut être question ici que des adultes, arrivés à l’usage de la raison ; les autres ne peuvent par poser d’actes salutaires. Nous parlons ici de la conservation de l’état de justice : elle requiert des actes délibérés salutaires, notamment l’observation des commandements divins. Nous n’exposons pas ici ce qui concerne la persévérance finale. Voir Persévérance.

L’homme adulte justifié ne peut pas, sans le secours de grâces actuelles, éviter, pendant un temps considérable, tout péché mortel. — 1. Cette assertion est contenue implicitement dans ces textes de l’Écriture sainte où l’on mentionne, d’une part, les grandes difficultés que rencontre le juste dans l’exercice de sa perfection morale, et, où on indique, d’autre part, que l’énergie, requise à la persévérance, est duc au secours divin ; ce secours ne peut pas être uniquement l’ensemble des dons habituels ; il s’agit donc de grâces actuelles. Les textes, auxquels nous faisons allusion, sont les suivants : « Au reste, mes frères, forlifiez-vous dans le Seigneur et dans sa vertu toute-puissante. Revètez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux embûches du diable. Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits (répandus) dans l’air. C’est pourquoi prenez l’armure de Dieu afin de pouvoir résister au jour mauvais et, après avoir tout surmonté, rester debout. » Eph., vi, 10-13. « Ainsi donc que celui qui croit être debout prenne garde de tomber. Aucune tentation ne vous est survenue, qui n’ait été humaine ; et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces ; mais, avec la tentation, il ménagera aussi une heureuse issue en vous donnant le pouvoir de la supporter. » ICor., x, 12, 13. « Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement…, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son lion plaisir. » Phil., ii, 12, 13.

2. Dans le document nommé Indiculus de gratia, le c. ni ou vi dit : « Personne, même renouvelé par la grâce du baptême, n’est capable de surmonter les embûches du démon et de vaincre les convoitises de la chair, s’il n’a reçu, par un secours de Dieu, chaque jour renouvelé, la persévérance dans une bonne vie, » Den zinger-Bannwarl, n. 132. Voir Célestin, l. ii, col. 2054. Le IIe concile d’Orange enseigne que le secours divin doit être toujours demandé même par ceux qui déjà sont régénérés et sanctifiés, pour qu’ils puissent arriver à une fin heureuse ou pour qu’ils puissent persévérer dans l’exercice du bien. Denzinger-Bannvvart, n. 183. Le concile de Trente affirme aussi la nécessité de la grâce pour que les justes puissent être victorieux dans leur lutte contre la chair, le monde et le démon, et la nécessité d’un secours spécial pour qu’ils puissent persévérer dans la justice reçue. Denzinger-Bannwart, n. 806, 832. Quant au sens de l’expression secours spécial, nous pensons qu’elle désigne les grâces actuelles qui procurent à l’homme l’énergie suffisante à éviter le péché mortel et que, par conséquent, l’expression auxilium spéciale ne désigne pas la même chose que celle qui est signifiée par l’expression : magnum perseverantise donum, qui indique la persévérance finale obtenue. Cf. Hefncr, Die Enslehungsgeschichle des Trienter Rechtfertigungsdekretes, p. 352 ; Straub, Ueber den Sinn des 22 Canons der 6 Siszung des Concils von Trient, dans Zcilschrift fur katholische Théologie, 189 7, t. xxi, p. 188 sq., 221 sq.

3. Les scolastiques exposent la raison de la nécessité des grâces actuelles chez les justes. Il s’agit de la difficulté qu’éprouve l’homme à remplir fous ses devoirs, à résister à toutes les tentations. Cette difficulté a son origine psychologique dans la concupiscence, d’où résultent l’ignorance et les passions désordonnées. L’homme justifié est, par le fait même, rectifié dans le fond de son âme : il possède la grâce sanctifiante, il a la vertu infuse de foi, par laquelle son intelligence est intrinsèquement et surnaturellement soumise et ordonnée à Dieu, il a la charité infuse par laquelle sa volonté est intrinsèquement et surnaturellement orientée vers Dieu ; mais néanmoins il reste en lui le désordre de la concupiscence et ce qui en résulte ; c’est pour y remédier qu’il a besoin d’être éclairé dans son esprit, fortifié dans sa volonté : cet effet s’obtient par les grâces actuelles, c’est-à-dire par les illuminations de l’intelligence et les inspirations de la volonté ; au moyen de ces impulsions Dieu dirige l’homme justifié dans l’exercice de la sanctification et le protège contre les tentations. Les impulsions, dont nous parlons, sont surnaturelles ; car elles disposent et aident positivement l’homme à accomplir des actes salutaires. Non, venons de résumer la doctrine de saint Thomas, Sum. theol., D IF, q. cix, a. 9. 10. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, disl. XXVIII, a. 2, ([. ii, Operaomnia. t. n. p. 685 sq. ; Cajétan, In Sum. theol., D If. q. cix, a. 9. Ainsi s’explique la nécessité morale des grâces actuelles chez l’homme juste : celle-ci comporte donc que l’homme juste a besoin d’être, au moins de temps en temps, secouru par des grâces actuelles.

2° La controverse théologique concerne la nécessité physique de la grâce actuelle et a pour objet cette question : l’homme juste doil-il recevoir une grâce actuelle pour tout acte salutaire ? La question se pose spécialement pour l’homme juste, car celui-ci possède les dons surnaturels, habituels, notamment les vertus infuses ; on se demande donc si. dans l’homme juste, ces principes habituels suffisent à surnaturaliser intrinsèquement les actes de vertu et si, par conséquent, une grâce actuelle est encore requise.

Un grand nombre de théologiens enseignent la nécessité de la grâce actuelle pour chaque acte salutaire du juste ; l’opinion contradictoire cependant a des défen, seurs autorisés, notamment Cajétan, In Sum. theol., D II’11, q. cix, a. 9 ; Soto, De natura et gratia, 1. III, c. iv, fol. 207 ; Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. IV, p. 20 ; disp. VIII, p. 38 ; Bellarmin, De gratia et libero arbilrio, 1. VI, c. xv, n. 51, p. 399 ; Billuart, De gratia, diss. III, a. 9, p. 110 ; Terrien, La grâce et lu gloire, t. i,

p. 180 : t. ii. ]). 58 ; Pignataro, De gratin (lithogr.)i p. 127 : Billot, Or virtutibus in/usis, thés, vii, p. 173 ; De gratia Christi, thés, v, § 2, p. 109 ; Konings, De gratia divina, Louvain, 1907, prop. a, p. 20 ; Merkelbach, Revue ecclésiastique de Liège, t. vin (1912-1913), p. 237 sq. Cette seconde opinion, que j’ai défendue dans mon traité De gratia divina, ii, 338, exige d’abord quelques éclaircissements.

a) Saint Thomas, Sum.theol., I a II æ, q. cix, a. 9, parlant de la nécesstié de la grâce actuelle, enseigne que l’homme juste en a un double besoin : d’abord, il a la nécessité générale en vertu de laquelle aucune créature ne peut commencer à agir sans une motion divine ; ensuite il a une nécessité spéciale qui dépend de la condition présente de la nature humaine : cette nécessité est l’impuissance morale de l’homme à faire le bien, impuissance qui a son origine dans la corruption de la chair et l’ignorance de l’intelligence. D’après cela il semblerait, à première vue, que pour tout acte salutaire chez le juste il faut une grâce actuelle et que celle-ci consiste dans la prémotion physique requise à l’opération. Mais il nous faut considérer les choses de plus près. Saint Thomas distingue ici la ^ràce sanctifiante : habituale donum per quod natura humana corrupla sanetur, et etiam sanata elevctur ad operanda opéra meriloria vitiv seternse quæ exeedunt proportionem naturæ, et la grâce actuelle : auxiltum gratiæ ut a Deo moveatur [homo] ad agendum. Ce qui est appelé moveri a Deo est une motion générique ; cette motion divine comprend deux espèces bien distinctes : la motion par laquelle Dieu applique à l’action la faculté opérative, et la motion spéciale par laquelle Dieu, suscitant des actes indélibérés dans l’intelligence et dans la volonté, excite l’homme à des actes délibérés salutaires. La motion de la première espèce a sa raison d’être dans l’incapacité physique où se trouve toute créature de passer, par elle-même, de la puissance à l’acte, de passer de l’état de repos à l’état d’activité. Cette nécessité est la même pour tout commencement d’opération, et par conséquent l’homme justifié a besoin, lui aussi, de cette prémotion divine ; car les habitus surnaturels, pas plus que les habitus naturels, ne mettent la faculté opérative en mouvement, ne lui font produire un acte. Si l’on donne le nom de grâce actuelle à cette motion, que nous venons de décrire, on dira qu’il faut une grâce actuelle pour toute opération salutaire de l’homme juste, mais elle n’est pas entitativement surnaturelle, cf. Billot, De viriutibus in/usis, p. 174, et ne mérite le nom de grâce que parce que cette motion se termine à un acte surnaturel, à un acte surnaturalisé par Yhabilus infus et dépendant de Dieu en tant qu’il est l’auteur de l’ordre surnaturel.

Cette motion n’est pas un secours spécial : elle est exigée par la faculté qui (étant donné les conditions dans lesquelles elle se trouve) doit émettre son acte ; mais elle n’ajoute rien à l’énergie de l’homme au point de vue de l’acte salutaire. Tandis que, pour la motion de la seconde espèce, il en va tout autrement : cette dernière est l’illumination et l’inspiration du Saint-Esprit, elle est un secours spécied, car elle ajoute à l’énergie de l’homme en vue des actes salutaires ; elle dissipe les ténèbres de son esprit : elle incline sa volonté à choisir le bien ; elle remédie aux blessures occasionnées par le péché originel.

b) C’est donc de ce secours spécial qu’il s’agit, de ce qu’on appelle proprement la grâce actuelle excitante. Nous soutenons l’opinion qui dit qu’une telle grâce n’est pas requise pour chaque acte salutaire délibéré dans l’homme justifié.

La démonstration de celle thèse se résume dans l’argument suivant : Si la grâce actuelle excitante était requise pour chaque acte salutaire de l’homme justifié, elle le serait ou bien à cause de la surnaturalité de

l’acte salutaire, ou bien à cause de l’application de la faculté opérative â son acte, ou bien à cause de la faiblesse humaine vis-à-vis du bien à accomplir, ou bien à cause d’une loi établie par Dieu ; or aucun de ces litres n’implique cette nécessité ; elle n’est donc pas admissible.

La mineure s’explique : a. Les facultés opératives, notamment l’intelligence et la volonté, sont, chez le juste, intrinsèquement élevées et portent en elles ces diverses inclinations surnaturelles qui ordonnent la faculté à émettre les actes correspondants : ce sont les vertus infuses théologales et morales. Celles-ci, quand l’homme justifié émet un acte de foi, de charité ou d’une autre vertu, le surnaturalisent intrinsèquement, à peu près comme les vertus naturellement acquises influent sur l’acte, qui leur correspond, quand il est émis. Il n’est donc pas requis qu’un aulre principe de surnaturalisation soit ajouté à l’instant où s’émet l’acte correspondant à une vertu infuse.

b. La grâce actuelle excitante n’est pas requise pour appliquer la faculté opérative à son acte. Cette application n’est pas autre chose que la motion de la cause première, motion requise pour que la faculté passe de l’état de non-activité à l’opération actuelle. Mais la cause première, comme telle, doit mouvoir, au même titre, toute cause seconde, comme telle ; que celle-ci soit dans l’état simplement naturel, ou qu’elle soit, par les dons infus, élevée à l’ordre surnaturel, la prémotion physique remplit la même fonction : faire passer la faculté opérative à l’acte qu’elle doit émettre ; cet acte est spécifié et déterminé entitativement, non par la prémotion physique, mais par la faculté d’où il sort ; c’est la faculté qui le fait être tel ; cet être tel dépend et de l’objet auquel tend hic et nunc l’activité de la faculté et des habitus dont la faculté est pourvue. Donc la surnaturalité intrinsèque de l’acte ne provient pas de l’application de la faculté à son acte, mais de la virlus /luens supernaturalis (quand il n’y a pas de vertu infuse), ou de Vhabitus surnaturel infus. Cette conclusion n’est pas infirmée par la doctrine qu’expose saint Thomas, Sum. theol., I a IL 1 *, q. lxviii, a. 2, où il parle de la nécessité des dons du Saint-Esprit. Les vertus infuses, parce qu’elles sont surnaturelles, ne sont pas possédées par l’homme aussi parfaitement que le sont les habitus naturels ; c’est pourquoi les vertus infuses ne suffisent pas pour que l’homme puisse, d’une façon aussi sûre que ferme, marcher, en tout et continuellement, vers sa fin surnaturelle ; il faut qu’il ait en lui l’instinct même de celui qui a cette fin pour connaturelle, c’est la personne même du Saint-Esprit. Les dons du Saint-Esprit sont concédés précisément pour que l’homme soit rendu docile à cet instinct du Saint-Esprit, c’est-à-dire à ces illuminations de l’intelligence et à ces inspirations de la volonté, qui constituent la grâce excitante. La nécessité de celle-ci n’est donc pas du tout celle de la prémotion physique à chaque commencement d’opération, mais elle est d’un ordre tout différent. Quand saint Thomas, dans sa réponse à la 2e objection de l’article cité, dit : per virtutes theologicas et mondes non ila per/icitur homo in ordine ad ultimum finem, quin semper indigcal moveri quodam superiori instinetu Spirilus Sancti, ratione jam dicta, il n’affirme pas la nécessité d’une grâce excitante à chaque acte salutaire du juste, mais « il veut dire simplement qu’il n’est aucun moment ni aucun acte où cette motion ne puisse pas être requise ; mais non qu’elle soit en effet toujours requise et pour chaque acte. C’est pour tout sujet destiné à la fin surnaturelle et non pour chaque acte ordonné à cette fin, que saint Thomas requiert, comme une chose absolument nécessaire, les dons du Saint-Esprit. » Telle est la remarque du P. Pègues, qui interprète avec beaucoup de précision l’article cité. Commentaire français littéral de la

Somme Ihéologïque, Toulouse, 1913, t. viii, p. 309316. La même doctrine est exposée par le cardinal Billot, De virtuiibus infusis, p. 174 sq.

c. L’infirmité humaine vis-à-vis du bien à accomplir n’est pas telle qu’elle exige une grâce excitante pour chaque acte salutaire, car souvent l’homme ne rencontre pas une difficulté considérable à choisir et à réaliser l’acte vertueux. De même que le pécheur peut agir parfois honnêtement, poser un acte naturel et bon, sans le secours d’une grâce, ainsi, a fortiori, l’homme justifié pourra user des vertus infuses, poser des actes surnaturels et bons, sans le secours de la grâce excitante.

d. Enfin on n’a pas de raison solide pour établir l’existence d’une loi divine d’après laquelle aucun acte salutaire ne serait accompli par un juste, sans qu’il y ait été excité par une grâce actuelle. Certes on nous propose le texte où le Christ dit que le juste ne peut rien faire sans lui, Joa., xv, 5, mais cette assertion ne concerne pas exclusivement le secours actuel, dont nous parlons ; il y est parlé de la grâce, considérée en général, qui comprend la grâce sanctifiante, la charité, etc. Nous rencontrerons les textes des conciles et des Pères dans les objections, qu’il nous reste à examiner.

c) Objections. — Elles sont les arguments proposés par les auteurs qui défendent la nécessité de la grâce excitante pour chaque acte salutaire chez l’homme juste. Ces objections sont de deux espèces : les unes ont leur point de départ dans une assertion philosophique ; les autres dans un texte tiré des conciles ou des Pères.

Objections philosophiques. — a. Pour que l’homme juste puisse agir salutairement, il faut qu’il pense à l’œuvre qu’il va accomplir ; or, cette pensée est une grâce actuelle excitante ; donc une grâce actuelle excitante est requise à chaque acte salutaire.

Nous concédons la majeure ; nous nions la mineure. Celte pensée peut être un acte naturel qui est l’occasion et non la cause de l’acte salutaire. Supposons, par exemple, qu’un homme ait pris la résolution de faire un acte d’adoration interne à chaque fois qu’il voit une église. L’action de voir l’église et l’acte de mémoire, qui en résulte, suffisent pour que cet homme fasse l’adoration interne. On ne voit pas pourquoi serait requise dans ce cas une spéciale illumination ou inspiration du Saint-Esprit.

Un autre exemple : l’homme justifié, en entendant prêcher les vérités révélées par Dieu ou en lisant leur expression, dans un livre, peut immédiatement faire un acte de foi surnaturelle, il peut aussi faire des actes d’autres vertus dont la pensée lui est suggérée ; cet homme possède tous les principes requis à l’émission d’actes intrinsèquement surnaturels qui sont l’objet des différentes vertus chrétiennes. Par là, on peut se rendre compte de l’importance des vertus acquises ou naturelles, notamment de celles qui s’acquièrent par la répétition d’actes surnaturels, voir à ce sujet de Ripalda, De ente supernaturali, t. i, disp. LUI, p. 499 ; Pesch, Privlecliones dogmatiese, t. viii, De virtutibus, n. 14 ; Billot, De virtutibus infusis, Proleg., ii, § 3, p. 50 sq. ; ces vertus acquises donnent à l’homme une certaine facilité pour accomplir les actes surnaturels, elles font aussi diminuer et même disparaître les obstacles à l’exercice des vertus surnaturelles. Le jugement pratique d’où procède l’acte libre, délibéré et salutaire, doit être, à notre avis, surnaturel ; il le sera parce qu’il procède de la prudence infuse, vertu qui règle l’exercice de la sainteté chez l’homme juste ; il ne faut pas, à notre avis, une grâce actuelle excitante à chaque fois qu’agit la vertu surnaturelle de prudence. Voir Collationes Brugenses, 1907, t. xii, p. 256 sq., 395 sq. Les événements, tels que prédication, lecture pieuse, bons exemples, qui sont pour l’homme justifié l’occasion

d’exercer les vertus surnaturelles, doivent être attribués à la providence divine et sont des bienfaits et secours externes ; on ne peut pas les confondre avec la grâce actuelle interne.

b. La vertu infuse est une qualité potentielle qui, pour passer à l’acte, requiert une excitation ou prémotion ; or celle-ci doit être dans le même ordre que Yhabitus qu’elle met en mouvement, elle doit donc être surnaturelle ; donc à chaque fois que l’homme émet un acte salutaire par une vertu infuse, à chaque fois aussi il lui faut une excitation surnaturelle ; donc une grâce actuelle.

Cette objection peut recevoir une double réponse :

Si l’on admettait (ce que nous n’admettons pas) qu’il faut une prémotion eniilativement surnaturelle pour causer l’émission de tout acte appartenant à une vertu infuse, et si on appelait grâce actuelle cette prémotion, on dirait donc qu’une grâce actuelle est requise à chaque acte salutaire que fait le juste ; mais on ne pourrait pas déduire qu’est requis à chaque acte ce secours spécial que nous appelons proprement la grâce actuelle excitante ; ce secours spécial, dont nous avons parlé plus haut, consiste en l’influence ou l’instinct du Saint-Esprit, et a pour terme l’acte indélibéré d’intelligence et de volonté, la pensée salutaire, l’affection salutaire ; celles-ci sont un secours surajouté à l’énergie humaine et disposent positivement l’homme à vouloir délibérément tel acte de vertu. Ce secours spécial est donc d’une nature toute différente de cette prémotion physique, qui, d’après l’hypothèse, mettrait en activité la vertu infuse ; de plus, d’après la doctrine de saint Thomas, ce secours spécial, cet instinct, tombe directement sur les dons du Saint-Esprit, et non sur les vertus infuses. Par conséquent, quand les théologiens énoncent cette proposition : une grâce actuelle est requise, même chez le juste, pour tout acte salutaire, il faut qu’ils déterminent ce qu’ils entendent par grâce actuelle, car la prémotion ou prédétermination physique à l’acte délibéré est une réalité essentiellement dilïérente de l’illumination et de l’inspiration du Saint-Esprit.

La réponse directe, que nous donnons à l’objection proposée, distingue la majeure et nie la mineure : L’habitus surnaturel… exige une excitation distincte de celle qui est requise pour l’acte même émis par la faculté, je le nie ; l’habitus surnaturel… exige l’excitation qui est demandée par l’acte lui-même, je le concède.

Voici l’explication de cette distinction. Il faut d’abord insister sur la différence essentielle entre un habitas et une faculté opérative : celle-ci est une qualité essentiellement ordonnée à agir, à émettre une opération ; Yhabitus opératif est une qualité surajoutée â la faculté opérative, la modifiant intrinsèquement en lui donnant une disposition bonne ou mauvaise par rapport à l’opération. Dans le cas qui nous occupe, Yhabitus est une qualité infuse par Dieu, surnaturalisant intrinsèquement la faculté opérative et lui conférant proprement une capacité positive à émettre des actes surnaturels déterminés (par exemple, les actes de charité, de religion, etc.). L’habitus infus n’apporte pas, par lui-même, une facilité ou une propension à exercer des actes tels, mais son essence consiste dans une inclination vers ces actes, dans une adhésion ù l’objet de ces actes vertueux. Voir Billot, De’jnirtulibus infusis, Proleg., ii, § 1, p. 35. Par conséquent, la faculté opérative et Yhabitus ne sont pas deux facultés dont chacune exige une motion physique à l’acte ; toute motion physique à l’acte doit tomber sur la faculté opérative ; c’est elle qui émet l’acte. Cet acte sera influencé par l’habitus correspondant qui est précisément la disposition positive de la faculté à telle espèce d’actes ; quand l’homme justifié émet un acte lus ;  !

GRACE

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de charité, cet acte sera toujours influencé par la vertu infuse de charité, parce que la charité est essentiellement l’inclination surnaturelle de la volonté à l’acte de charité. Il en est de même des habitus naturels ; quand un homme, qui s’est acquis l’habitus d’une science, applique son intelligence à l’opération de cette espèce, l’habitus influence nécessairement sa pensée. Il ne faut donc pas une motion ou excitation spéciale et surnaturelle pour mouvoir la vertu infuse ; celle-ci, à proprement parler, ne peut pas être mue à l’acte, mais elle influence toujours l’acte qui lui correspond, quand il est émis ; elle est ainsi avec la faculté un même principe d’opération. Le concours général de Dieu suffit à mettre en activité la faculté opérative, qui, elle, agit d’après l’habitus qu’elle contient.

Cette thèse nous semble confirmée par la doctrine de saint Thomas concernant le mérite : il enseigne que chez l’homme justifié (au moins chez celui qui a émis l’acte de charité parfaite) tout acte humain, qui est moralement bon, est aussi méritoire de condigno ; d’après cela, il n’y a pas, chez le juste, d’acte bon naturel, mais tout acte bon est surnaturel, donc émis par la faculté en tant qu’elle est ornée d’une vertu infuse. De malo, q. ii, a. 5, ad 7°™ ; Cajétan, In Sum. theol., I" II 1’, q. viii, a. 3 ; Soto, De natura et gratia, 1. III, c. iv, fol. 207 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, p. 26 ; Collaliones Brugenses, 1907, t. xii, p. 13, 321 ; Billot, De gratia Christi, thés, xx, p. 255.

Saint Thomas, nous l’avons vu plus haut, n’enseigne pas qu’il faut une grâce actuelle excitante pour chaque acte bon chez le juste ; il exige le concours général de Dieu pour toute opération salutaire, en tant qu’elle est passage de puissance à acte. Sum. theol., I a II æ, q. cix, a. 9.

Un corollaire de notre thèse, c’est que la grâce actuelle excitante n’était pas nécessaire en Adam avant la chute ; parce qu’il n’était pas sujet à la concupiscence et parce qu’il n’était pas sujet à l’erreur ni à l’ignorance, il n’avait pas besoin de ce secours spécial qui consiste en l’illumination et l’inspiration du Saint-Esprit. Voir Molina, Concordia, q. xiv, a. 13, disp. IV, p. 19 ; Bellarmin, De gratia primi hominis, c. iv, p. 0 ; De novis conlroversiis, dans Le Bachelet, Auclarium Bellarminianum, p. 111 ; Becan, Summa theologica, tr. III, De angelis, c. ii, q. v, p. 108 ; ColUdiones Brugenses. 1913, l. xviii, p. 492.

Objections tirées de l’Écriture, tles Pères et des conciles. — a. S ; iint Paul écrit : » Ainsi, mes frères…, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement… car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. » Phil., il, 13.

On ne peut pas conclure de ces paroles que saint Paul enseigne la nécessité d’une grâce actuelle excitante pour chaque acte salutaire du juste. D’abord, il n’est pas certain qu’il parle exclusivement de la grâce actuelle ; il se peut qu’il entende la grâce en général, impliquant et la grâce habituelle et un secours spécial actuel donné de temps en temps.

Si l’on admet qu’il s’agit exclusivement de la grâce actuelle, ce qui est plus’probable, nous ne pouvons pas déterminer quelle est précisément, d’après lui, le secours dont le terme est « le vouloir et le faire. » Enfin, et surtout, on ne peut pas dire que saint Paul affirme la nécessité d’une grâce actuelle pour chaque vouloir et chaque faire ; il parle" du salut, de la persévérance (au moins temporaire) dans l’exercice de la sainteté ; l’obtention de cette persévérance requiert que Dieu agisse intérieurement en l’homme et lui fournisse de l’énergie surnaturelle par laquelle il veuille le bien et réalise ses résolutions ; mais saint Paul ne dit pas que le juste ne peut émettre aucun bon propos, ni en exécuter aucun, sans une grâce actuelle excitante.

b. Saint Augustin, De natura et gratia, c. XXVI,

n. 29, P. L.. t. xi.iv, col. 261, dit : « De même que l’oeil corporel, alors qu’il est parfaitement sain, ne peut voir sans le secours de la lumière, ainsi l’homme parfaitement justifié ne peut vivre dans la rectitude morale, sans le secours de la lumière éternelle, accordé par Dieu. Dieu donc guérit non seulement pour effacer nos péchés, mais encore pour nous donner le moyen de ne plus pécher. »

Saint Augustin enseigne que l’homme, déjà pleinement justifié, a encore besoin du secours surnaturel divin pour éviter le péché, donc pour se maintenir dans l’état de justice. Il n’enseigne pas qu’il faille un nouveau secours actuel pour chaque acte bon. Quant à la comparaison dont il se sert, on ne peut pas dire que l’influence de la lumière sur l’oeil signifie nécessairement l’influence de secours actuels renouvelés à chaque acte salutaire ; l’influence de la lumière dont l’œil a besoin, même quand il est sain, est une influence continue et n’est pas une excitation à l’acte. Saint Augustin semble donc faire allusion à la nécessité physique de la grâce considérée en général, dont l’influence est continuellement nécessaire à l’exercice de la rectitude morale surnaturelle et à la résistance aux tentations, mais il ne dit pas que cette grâce est un secours actuel excitant, requis pour émettre chaque acte bon, ou éviter chaque péché. C’est dans le même sens qu’il faut interpréter les textes que nous avons cités plus haut, col. 1579, notamment celui-ci : non potest homo boni ediquid relie, nisi adjuvetur ab eo qui malum non potest velle, hoc est gratia Dei per Jcsum Christum. Contra duas epistolas pelagianorum, 1. I, c. ii, n. 7, P. L., t. xliv, col. 553. On ne peut affirmer que cet adjulorium signifie exclusivement la grâce actuelle excitante.

c. Le pape Zosime dit : Quod ergo tempus intervenii quo ejus non egeamus auxilio ? In omnibus igitur actibus, causis, cogitationibus, motibus adjulor et prolector orandus est. Dcnzinger-Bannwart, n. 135. Le pontife enseigne qu’il n’est aucun temps, aucune circonstance où l’homme puisse se passer du secours divin, de la grâce ; qu’il faut, par conséquent, la demander sans cesse. Mais il ne dit pas du tout que l’homme justifié a besoin d’une nouvelle grâce excitante pour chaque acte salutaire.

d. Le c. ix de Y Indiculus dit : « Dieu agit de telle façon sur le cœur des hommes et sur leur libre arbitre que toute pensée sainte, tout propos pieux, tout mouvement de la bonne volonté, soit de Dieu. » Loc. cit.

De nouveau est enseignée ici la nécessité de la grâce pour chaque acte salutaire, mais il s’agit de la grâce considérée en général et l’on ne parle pas exclusivement de ce secours spécial, que nous appelons la grâce actuelle excitante.

e. Le II concile d’Orange, dans le 7e canon, dirigé contre les semipélagiens, parle directement de la nécessité de l’illumination et de l’inspiration du Saint-Esprit pour toute pensée salutaire, toute élection salutaire, pour le consentement à l’Évangile. Denzinger-Banmvart, n. 189. Il s’agit ici, nous scmblc-t-il, des actes salutaires qui précèdent la justification. De plus, nous ne pouvons affirmer que le concile entend par illumination et inspiration du Saint-Esprit précisément et exclusivement ce que nous appelons maintenant grâce actuelle excitante. D’autant plus que dans le canon précédent le concile désigne la grâce nécessaire aux actes salutaires par les mots : per injusionem d inspirationem Spiritus Sancti in nobis. Le canon 10e, op. cit., n. 183, enseigne la nécessité de la grâce pour la persévérance des justes.

I. Le concile de Trente, sess. vi, c. xvi, op. cit., n. 809, dit : « Le Christ Jésus, comme la tête à l’égard des membres et comme la vigne à l’égard des branches, exerce incessamment son influence sur les hommes justifies eux-mêmes ; cette influence précède toujours et accompagne et suit leurs bonnes actions ; sans cette influence ces œuvres ne peuvent en aucune façon être agréables à Dieu, ni méritoires. »

Le concile enseigne en cet endroit que c’est par l’influence du Christ que les justes accomplissent leurs bonnes actions, observent la loi et méritent la vie éternelle. Cette influence est ce qui rend leurs œuvres salutaires et méritoires. En quoi se réalise cette influence ? Il semble qu’il s’agit ici d’une grâce opérant constamment et résidant habituellement en l’homme, à la manière d’une source de vie, c’est-à-dire de la grâce sanctifiante et des vertus et des dons connexes avec elle ; de ces liabitus se vérifie ce qui est dit dans le texte cité : toujours cette influence précède et accompagne et suit les bonnes actions.

On peut admettre aussi que le concile entend parler de la grâce considérée en général, comprenant l’ensemble des dons habituels et actuels dont le juste a besoin pour vivre persévéramment de la vie chrétienne. Mais on ne peut absolument pas trouver dans ce texte l’assertion qu’une grâce actuelle excitante est requise à chaque œuvre salutaire de l’homme justifié. Le concile affirmerait-il jamais que ce secours spécial suit toujours chaque bonne action ? Que pourrait-il signifier par là ?

Au cours de notre article nous avons indiqué, au sujet des diverses questions et des opinions, les principaux auteurs à consulter. Nous n’en dresserons pas ici la liste complète, mais nous exposerons une vue d’ensemble sur la bibliographie du sujet, pour que chaque lecteur puisse en acquérir facilement une connaissance détaillée.

1° La doctrine des Pères concernant la grâce n’est, pour l’époque antérieure au Ve siècle, que fragmentairement exposée : Habcrt, Théologies gra’corum Patruni vindicatx circa universam materiam gratia’, Wurzbourg, 1863 ; Schwane, Histoire des dogmes, trad. Degcrt, Paris, 1904, voir la table au mot Grâce ; Tixeront, Histoire des dogmes, t. i, Théologie anténicéenne, Paris, 1905 ; t. ri, De suint Athunase à saint Augustin, Paris, 1909 : voir les tables au mot Grâce. — Ouvrages spéciaux : Kœrber, S. Irenœus de gratin sanctificante, Wurzbourg, 1865 ; Scholl, Die Lettre des heiligen Basilius von der Gnade, Fribourg-en-Brisgau, 1881 ; Hummer, Des ht. Gregor von Nazianz Lettre von der Gnade, Kempten, 1890 ; Weigl, Die Heilslehre des ht. Cgrill von Alexandricn, Mayence, 1905 ; Mahé, La sanctification d’après saint Cyrille d’Alexandrie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), 1909, t. x, p. 30, 469. Voir aussi dans ce dictionnaire les articles consacrés à chacun des Pères.

Saint Augustin a exercé une influence prépondérante sur l’expression de la doctrine catholique ; ses écrits au sujet de la grâce se trouvent indiqués â l’art. Augustin, t. i, col. 2313, sa doctrine, col. 2375 sq., la bibliographie qui la concerne, col. 2460 ; il faut y ajouter : Jacquin, La question de la prédestination aux Ve et VIe siècles, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), 1901, t. v, p. 265, 725 ; Weinand, Die Gollesidee, der Grundzug der Weltanschauung des ht. Auguslinus, Paderborn, 1910, p. 114. Sur les conciles au sujet du pélagianisme : Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1908, t. ii, p. 168. La doctrine des Pères après saint Augustin est brièvement indiquée par Tixeront, op. cit., t. iii, La fin de l’âge patristique, Paris, 1912, p. 274 sq. ; voir aussi la table au mot Grâce. — Sur la doctrine des Pères concernant la distribution de la grâce : Capéran, Le problème dit salut îles infidèles, Essai historique, Paris, 1912. Saint Anselme a un ouvrage intitulé : De concordia prfescientiæ, prœdeslinalionis et gratta tum libero arbitrio, P. L t, ; ivni col. 507. Voir Anselme, t. i, col. 1340. Saint Bernard a un Tractatus de gratia et libero arbitrio. P. L., t. clxxxii, col. 1001 sq. Voir Bernard, t. ii, col. 753, 776 sq.

2° Pierre Lombard dans son Sententiarum libri IV (Louvain, 1546), 1. II, dist. XXVI-XXVIII, donne un court traité De gratia. Les scolastiques, qui ont commenté l’œuvre du Maître, ont, au même endroit, développé la doctrine susdite.

Saint Thomas l’expose aussi dans la Summa theologica, T-’If’.q. cix-cxrv ; c’est au même endroit que les commentateurs ont placé l’examen des questions concernant la grâce. Capréolus mérite une mention spéciale, parce qu’il

indique les opinions des scolastiques antérieurs et, s’il y a lieu, défend contre elles la doctrine de saint Thomas : Johannis Capreoli Defensiones theologiæ divi Thomæ, édit. Paban et Pègucs, Toulouse, 1900 sq., voir t. iv, p. 255-316.

Parmi les travaux faits sur les scolastiques antérieurs au concile de Trente et concernant la grâce nous nous contenterons de signaler : Ileim, Das Wesen der Gnade… bei Alexander Ilalesius, Leipzig, 1907 ; Dummermuth, 5. Thomas et doctrina prxmotionis phgsicæ, Paris, 1886 ; Frins, .S’. Thomæ doctrina de cooperatione Dei, Paris, 1892 ; Jeiler, S. Bonaventuræ prineipia de concursu generali, Quaracehi, 1897 ; Ude, Doctrina Capreoli de in/luxii Dei in actus voluntatis humanæ, Graz, 1905 (voir sur ce livre une note de mon traité De gredia divina, n. 327) ; Krogh-Tonning, Der letzte der Scholusliker, Fribourg-en-Brisgau, 1904.

3° Le concile de Trente dans sa session VIe (13 janvier 1547) a publié le très important décret sur la justification : voir Hefner, Die Entstehungsgeschichte des Trienter Rechtfertigungsdekretes, Paderborn, 1909, avec la bibliographie qui y est donnée ; Ehses, Concilii Tridentini Actorum pars altéra, Fribourg-en-Brisgau, 1911 ; parmi les théologiens qui ont écrit après ce décret : Soto, De natura et gratia, Paris, 1549 ; Tapper, Opéra, Cologne, 1588, t. I, a. 7, p. 181 ; t. il, a. 8-11, p. 1-139 ; sur la doctrine de Baius, voir Baius, t. ii, col. 63.

4° Sur l’histoire de la controverse De auxiliis : Schneeniann, Controversiarum de divina’gratin : liberique arbitrii concordia initia et progressas, Fribourg-en-Brisgau, 1881 ; de Bégnon, Banez et Molina, Paris, 1883 ; de Scorraille, Suarez, Paris, 1912, t. i, p. 402 sq. Voir Banez, t. ii, col. 145.

5° C’est surtout après que cette controverse s’est élevée que le traité de la grâce a été développé par les théologiens : on trouvera leurs écrits cités, dans ce dictionnaire, aux articles qui leur sont consacrés. Nous signalerons les œuvres principales, sans distinction d’écoles, en tenant compte, autant que possible, de l’ordre chronologique de leur apparition : Molina, Concordia, Paris, 1876 ; Bellarmin, De controversiis, Prague, 1721, t. iv ; Auctarium Bellarminianum, édit. Le Bachelet, Paris, 1913 ; Alvarez, De auxiliis divina’gratia-, Lyon, 1611 ; Vasquez, Commentaria ac disputaiiones in Summam S. Thotnw, Anvers, 1621, t. n ; Suarez, Opéra omnia, Paris, 1857-1858, t. vu-xi ; Jean Gonzalez de Albeda, Commentaria in D"’part. Sum. theol., Naples, 1637 ; de Bipalda, De ente supernaturali, Paris, 1870 ; Gonet, Clypeus theologiæ thomisticæ, Cologne, 1677 ; Goudin, De gratia Dei, Louvain, 1874 ; Salmanticenses, Cursus theologicus, t. v, De gratia, etc., Lyon, 1679 ; Grandi, Cursus theologicus, Ferrare, 1692, t. i ; Casinius, Quid est homo, édit. Scheeben, Mayence, 1862 ; Tournély, De gratia Christi, Paris, 1725 ; Gotti, Theologia scholastico-dogmatica, Venise, 1750, t. ii, tr. VI ; Billuart, Summa sanctiThomæ Itodientis academiurum moribus accommodata, Paris, s. d., t. m ; Wirceburgenscs (Kilber), Theologia, Paris, 1853, t. iv ; S. Alphonse de Liguori, De modo quo gratia operattir, De magno orationis medio, dans les Opéra dogmatica, édit. Waltcr, Borne, 1903, t. i, p. 517 ; t. il, p. 629 ; Buzi, L. Berti librorum XXXVII de theologicis disciplinis synopsis, Wurzbourg, 1770.

6° Ouvrages récents : Scheeben, Natur und Gnade, Mayence, 1861 ; Die Herrlichkeit der gbltlichen Gnade, Fribourg-en-Brisgau, 1862 ; Mazzella, De gratia Cltristi, 3e édit., Borne, 1892 ; Palmieri, De gratia actuali, Gulpen, 1885 ; Ilurtcr, Theologiadogmaticæ compendium, 9 édit., Inspruck, 1896, t. m ; Satolli, De gratia, Borne, 1886 ; Heinricli-Gutbcrlcl, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897, t. vin ; Terrien, La grâce et la gloire, 2 in-12, Paris, 1897 ; Pesch, Prælectiones dogmaticæ, 3° édit., Fribourg-en-Brisgau, 1907, t. v ; Pignataro, De gratia Cltristi (lithogr.). Borne, 1900 ; Froget, De l’habitation du Saint-Esprit, 2e édit., Paris, 1900 ; Schiffini, De gratia divina, Fribourg-en-Brisgau, 1901 ; Lahousse, De gratia divina, Bruges, 1902 ; L. Hubert, Thèses de gratia sanctificante, Paris, 1902 ; de Bæts, Quæsliones de operationibus divinis, Louvain, 1903 ; Guillermin, La grâce suffisante, dans la Revue thomiste, 1901-1903, t. ix-xi ; Hermann, Tractatus de divina gratia, Borne, 1904 ; Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, 5e édit., Paderborn, 1912, t. il ; Del Val, Sacra theologia dogmatica, Madrid, 1906, t. n ; Del Prado, De gratia et libero arbitrio, Fribourg (Suisse), 1907 ; Gaucher, Le signe infaillible de l’état de grâce, Le Perreux, 1907 ; Van Noort, De gratia Christi, Amsterdam, 1908 ; Tabarelli, De gratia Christi, Borne, 1908 ; Billot, De gratia Christi, 2e édit., Borne, 1912 ; Waffelært, Méditations théologiques, Bruges, 1910 ; Van der Meersch, De divina gratia, Bruges, 1910 ; de Bæts, De gratia Christi, Gand, 1910 ; Janli.sT

GRACE - GRADES THÉOLOGIQUES

IUSS

vier, La grâce (Conférences de Notre-Dame de Paris), Paris, 1910 : Manzoni, Compendium théologies dogmaticæ, Turin, 191 1. t. m ; David, De objecta formait actus salularis, Bonn, 1913 ; Wagner, Doctrina de gratin sufficienti, Graz, 1911 ; Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théologique, Toulouse, 1907 sq. (en voie de publication) : ont paru t. i-viii, jusqu’à la q. lxxxix de la Ia-IIæ.

.1. Van der Meersch.

GRADENIGO (GRADONICUS) Jean-Jérôme, né à Venise, le 19 février 1708, fit son éducation chez les jésuites de Ferrare. A dix-neuf ans, il disait adieu au inonde, où la noblesse de sa naissance lui assurait un brillant avenir, pour entrer chez les théatins, dont il revêtit l’habit, le 29 juillet 1727. Il y compléta ses études sacerdotales et s’acquit vite une réputation de zèle et de science, qui le fit appeler, en 1734, par son compatriote, le cardinal Quirini, évêque de Brescia, comme professeur au séminaire. Ses vacances étaient employées au ministère dans les campagnes environnantes, il se reposait de l’enseignement et des travaux scientifiques par la prédication et de longues séances au confessionnal. Sa famille religieuse le nomma visiteur, et par trois fois le choisit comme procureur général. Cette charge l’amenait à Rome, où il se faisait avantageusement connaître, si bien que Benoît XIV chercha à l’y retenir, en lui proposant un poste de consultcur dans les Congrégations romaines. Comme il se jugeait inutile à la cour pontificale, il déclina toutes les offres et rentra à Brescia. Il venait d’arriver à Rome pour la troisième fois, en qualité de procureur, quand il apprit que le sénat de Venise l’avait proposé au pape pour l’archevêché d’Udine. Clément XIII voulut le consacrer lui-même, le 2 février 1766. JeanJérôme se rendit sans retard à son poste, où il succédait à un parent, qui avait marqué son passage par l’érection d’une somptueuse bibliothèque, qu’il se plut à enrichir de livres, de manuscrits et d’objets antiques. Pour lui, il attacha son nom à la construction d’un nouveau séminaire et à la fondation d’un hôpital qu’il institua son héritier. Il reste un monument de son zèle épiscopal dans les deux volumes intitulés : Cure paslorali di Gian Gerolamo Gradenigo de’chierici regolari, veseovo di Udinc, 2 in-4o, Udine, 1776 ; le i cr contient ses discours et le ii° ses mandements. Il venait de publier sa dernière lettre pastorale, quand Pie VI lui écrivait, le 8 avril 1786 : Dum igitur in débitas (ibi laudes gratulationesque effundimur, non possumus non identidem exclamarc : utinam tales tuique similes episcopos, his prœsertim lemporibus, in Ecclesia haberemus quamplurimos. Cet éloge était la récompense d’une vie entièrement consacrée aux devoirs de son état ; elle s’acheva, le 30 juin de la même année, et le pieux et savant évêque fut enseveli dans sa cathédrale.

Il laissait de nombreux ouvrages dont voici les principaux : Letlera istorico-critica sopra tre punti eoncernenli la questione del probabilismo c probabiliorismo, in-4o, Brescia, 1750 ; De nova S. Gregorii Magni editione Venetiis procuranda dissertatio epistolaris, qui parut pour la seconde fois, secundis curis retractaia et aucla, Rome, 1753, à la suite de son autre ouvrage, S. Gregorius Magnus pontifex maximus a criminationibus Casimiri Oudin vindicatus ; elle fut encore insérée dans le t. xvi de cette édition de Venise, 1768-1776, des œuvres de saint Grégoire. On a encore de lui : Brixia sacra. I’onlificum Brixianorum séries commentario hislorico illuslrata…, accessit codicum mss. elenchus in arehivo Brixiensis cathedralis asservalorum, in-4o, Brescia, 1755 ; Raggionamento islorico-critico intorno alla lettera.tu.ra greco-ilaliana, in-8o, Brescia, 1759, qui renferme aussi une lettre au cardinal Quirini, intorno agi’Italiani che dal secolo xi in/ïn verso cdla fine del secolo xiv seppero di greco, lettre qui avait déjà paru à Venise, en 1744, à la suite d’un article du Giornale de’letlerali de Florence ; Tiara et purpura venela ab

anno 1379 ad annum 1759, in-4o, Brescia, 1761 ; la première partie de cet ouvrage, consacré aux papes et aux cardinaux vénitiens, est du cardinal Quirini, les deux dernières de Gradenigo ; De siclo argenleo Brixiæ anno 1744 reperto in eu civitatis parle quam ducentos anle annos Hebrœi incolabant, in-8o, Venise, 1765 ; Rome, 1766. Plusieurs de ces ouvrages historiques ont aussi trouvé place dans des collections d’opuscules dont nous omettons l’indication.

Antoine François Vezzozi, Scriltori de’cherici regolari detti theatini, Rome, 1780, part. I, p. 410-421 ; Joseph Cappelletti, Le Chiese d’Italia, Venise, 1851, t. viii, p. 858 ; Hurter, Nomenelatnr, Inspruck, 1912, t. v, col. 428-429. P. Edouard d’Alençon.

GRADES THÉOLOGIQUES. On donne ce nom à des titres honorifiques décernés au nom et de par l’autorité de l’Église, à ceux qui ont fait preuve, devant un jury spécial, d’une certaine science. Ces titres confèrent parfois certains droits ecclésiastiques.

Les grades actuels sont le baccalauréat, la licence, le doctorat ou la maîtrise.

Ces grades sont d’origine relativement récente et leurs plus anciennes traces ne semblent pas remonter au delà de l’époque d’Irnérius et de la restauration des études juridiques à Bologne à la fin du xie et au commencement du xii" 1 siècle. C’est le titre de docteur qui est le plus ancien. Encore, à cette époque, était-il un qualificatif de fonction plutôt qu’un qualificatif de science : on disait doctor, comme on disait magisler ou dominus, pour désigner celui qui enseignait réellement, effectivement, qui instruisait des élèves. Pendant longtemps le titre de docteur est le seul grade connu. Voir Docteur, t. iv, col. 1501 sq.

Le baccalauréat n’est pas, à l’origine, un titre scientifique ; le nom de baccalarius, bachelier, apparaît au ix c siècle pour désigner le possesseur d’une baccalaria, parcelle de terre soumise au vasselage ; plus tard, les baccalarii sont de jeunes soldats qui aspirent à devenir bannerets. Par analogie, sans doute, on donna le même titre de baccalarii ou baccalaurei aux jeunes étudiants, et ici, spécialement aux étudiants de théologie ou de droit canonique qui avaient suffisamment avancé leurs études pour pouvoir aspirer au doctorat. On en distinguait communément, mais à Paris surtout, deux catégories, les baccedaurei cursores et les baccalaurei formait. Les conditions d’accès étaient, au moyen âge, assez variables : il fallait, en tout cas, un certain nombre d’années d’études et de cours, de six à huit ans. Après avoir entendu, le temps requis, les leçons d’un maître, le candidat passait un examen dont le succès lui permettait de faire sa determinalio, discussion de thèse qui avait lieu en carême. Le minimum d’études requis entre l’immatriculation de l’élève et la delerminatio était d’environ deux ans. La determinalio honorablement subie, le candidat recevait la prima laurea, le droit de porter 4a cappa ronde et de faire lui-même des leçons. Ces leçons consistaient soit à répéter aux étudiants moins bien doués ou d’instruction inférieure les leçons du maître, soit à expliquer les livres dont le maître ne s’occupait pas. En théologie, on commençait par être baccalaureus biblicus, faisant des leçons sur l’Écriture sainte, puis on devenait baccalaureus sententiarius en expliquant les libri Sententiarum de Pierre Lombard. Ceux qui en étaient encore à ce premier degré du baccalauréat étaient dits baccalaurei cursores ou currcnles, parce qu’ils continuaient de courir comme leurs cadets aux leçons des maîtres. Ils devenaient baccalaurei formait quand ils expliquaient le 1. III des Sentences. Les statuts de l’université de Paris obligeaient le bachelier à répondre au moins une fois, entre le premier cours et les leçons sur les Sentences, à l’examen de la tentative sous la direction d’un maître. Plus tard, on réserva le titre de bachelier formé à ceux